Nationaliste Social et Ethniciste

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Génération Twilight

L'autre soir, je ne me sentais pas d'humeur à lire des articles politiques ou à prendre mon livre sur les ordres religieux et militaires au Moyen Âge. J'avais l'esprit paresseux. Aussi ai-je fouillé dans ma réserve de DVD, en quête d'un film déjà vu, pas trop « intello », idéal pour une soirée la bière à la main et le cerveau en sommeil. Je tombe sur le premier épisode de Twilight, vous savez, cette histoire pour adolescents (et surtout adolescentes je pense), tirée de romans à succès, qui mêle les mythes de vampires et de loups-garous à une romance niaise au possible dans les superbes paysages forestiers de l’état de Washington, au nord-ouest des États-Unis, près de la frontière canadienne. Je regardais distraitement le jeu horrible (à mon goût) de Kristen Stewart, quand je sentis un malaise diffus m'envahir, comme lorsque j'avais regardé le film pour la première fois. Qu'est-ce qui me dérange dans Twilight ? Certainement pas la présence du surnaturel : de manière générale, j'aime assez les histoires de vampires et de loups-garous. J'avais pas mal apprécié le premier Underworld avec Kate Beckinsale, et j'avoue revoir régulièrement Van Helsing avec Hugh Jackman et l'excellent Wolfman avec Anthony Hopkins et Benicio del Toro, incontestablement mon film de loup-garou préféré. Non, ce qui me gêne dans Twilight, c'est le personnage de Bella Swan. C'est l'héroïne de la saga, mais je trouve cette gamine tout simplement détestable. Et je me demandais pourquoi en regardant les autres épisodes les jours suivants. Je pense avoir trouvé à présent l'origine de mon malaise quand je regarde Twilight.

 

L'héroïne Bella représente à mes yeux le modèle d'une certaine jeunesse contemporaine, pour laquelle j'avoue n'avoir que peu d'affection. Elle incarne même jusqu'à un certain point les valeurs véhiculées par notre société contemporaine. Rappelons brièvement l'histoire pour les chanceux qui ne savent rien de Twilight [1] : Isabella (appelée Bella) Swan, lycéenne neurasthénique respirant la joie de vivre, quitte l'Arizona où elle vivait avec sa mère et le second mari de cette dernière pour venir vivre avec son père, Charlie, à Forks, un trou paumé de l’état de Washington, à deux pas d'une réserve indienne. Là, elle rencontre Edward Cullen, séduisant membre d'un clan de vampires locaux (mais des « gentils » vampires qui ne boivent que le sang des animaux, ce qui fait d'eux des... végétariens), dont elle tombe éperdument amoureuse, au point de vouloir devenir elle-même vampire, malgré les objurgations de son ami Jacob, membre de la tribu indienne des loups-garous et ennemi inexpiable des vampires.

 

Pourquoi Bella est-elle à mes yeux aussi détestable que représentative ? D'abord, c'est quelqu'un qui professe le plus profond mépris pour les gens simples, les gens ordinaires. Dans le premier opus, elle est accueillie chaleureusement par un petit groupe de lycéens qui lui offrent leur amitié. Elle n'aura quasiment jamais le moindre égard à leur endroit, ni la moindre reconnaissance. Égoïste et narcissique, Bella fait d'Edward le centre de son monde, au point de traiter cavalièrement ses proches. Son père Charlie, chef de la police locale, est un homme aux goûts simples : il aime le steak-frites, la pêche et regarder le base-ball à la télévision. Il est présenté comme un lourdaud, certes sympathique, qui essaie, malgré les difficultés, de tenir son rôle de père de son mieux. Bella n'a aucun égard pour lui : lorsque Edward est en danger, elle part sans se soucier de son pauvre père. Lorsque le beau vampire la quitte, Charlie la veille toutes les nuits, tandis qu'elle hurle comme une damnée dans ses cauchemars. Pour tout remerciement, Bella envisage le plus sereinement du monde de devenir vampire, de couper les ponts avec ses parents, définitivement, alors qu'elle a environ dix-huit ans. La souffrance qu'elle va provoquer (précisons qu'elle est fille unique) ne la fait guère hésiter. Elle prend assez tôt la décision de devenir une vampire, malgré les réticences d'Edward lui-même et de certains membres de son clan. Pour accomplir ce qu'elle considère être son destin, Bella est prête à faire une croix sur sa famille, sur ses amis. La vie ordinaire que mènent ces gens lui paraît terne et, au fond, la jeune fille nourrit l'intime conviction qu'elle vaut mieux que le commun des mortels. Ce qu'on appelait jadis la « piété filiale » lui est parfaitement inconnu. De la même façon, Bella est bien contente de pouvoir compter sur Jacob lorsque Edward part, mais elle n'hésite pas à l'abandonner pour rejoindre le vampire. Et pourtant, Jacob est la seule personne qui aura droit à certains égards de sa part !

 

Il n'est pas non plus innocent que Bella veuille devenir vampire. Certes les Cullen sont des « gentils » vampires qui ne tuent pas d'êtres humains. Il n'empêche qu'ils appartiennent à la race des buveurs de sang, dont la plupart ne se privent pas de tuer pour se nourrir. D'ailleurs, la romance entre Bella et Edward provoque des conflits entre les Cullen et d'autres groupes de vampires, dont les puissants Volturi, le clan dominant, mais cela ne la retient pas. Que nombre de vampires et d'êtres humains périssent pour qu'elle accomplisse son destin la tracasse parfois, mais ne la pousse jamais à s'interroger sur le bien-fondé de son projet. La volonté de devenir vampire laisse transparaître chez Bella une certaine fascination morbide pour le Mal, d'autant qu'elle est témoin à de nombreuses reprises de la cruauté des autres vampires. Non seulement elle envisage sa transformation en monstre avec la conscience tranquille, mais elle insiste pour qu'elle ait lieu le plus tôt possible, méprisant les supplications de Jacob et même les mises en garde d'Edward. Devenir vampire est « sa » décision, et peu importe ce que pensent les autres. Ce souverain mépris de l'opinion d'autrui, des souffrances et des doutes des autres, cet égoïsme narcissique, est assez symptomatique de notre époque. Chacun prétend tracer sa route sans se soucier le moins du monde de ses semblables, quitte à bousculer les autres. Notre société n'a jamais produit autant d'égoïstes, et pourtant elle se vante de reconnaître des droits aux animaux en tant qu' « êtres sensibles ». Attitude paradoxale. Bella, d'une certaine façon, choisit le Mal, alors qu'elle pouvait opter pour le Bien : Jacob, s'il est loup-garou, n'en demeure pas moins mortel, et bien plus humain à tous égards que les vampires. Il incarne aussi la continuité, en tant qu'héritier d'une lignée de guerriers, la tradition, une certaine conception de l'honneur (alors que les Volturi n'imposent qu'une loi : ne pas se faire remarquer). Bella tourne le dos à cette humanité sans paraître torturée par le remord.

 

A l'opposé d'une société fondée sur la lignée, la solidarité familiale, la continuité, Bella opte pour une forme de « tribalisme d'élection », système dans lequel on choisit son clan (alors que, bien sûr, on ne choisit pas ses parents). Les Cullen fonctionnent d'ailleurs ainsi : le chef, Carlisle, a en réalité « choisi » les membres de sa famille en les rendant immortels. Mais cette famille n'en est pas une, même si la solidarité entre ses membres est réelle. Immortels, ils semblent tous avoir le même âge à peu de chose près. L'adolescence est l'âge normal de la « rébellion », une période où l'on est tenté de trouver des modèles ailleurs que dans son cadre familial, où l'on cherche à se rattacher à une tribu qu'on a choisie. Mais il s'agit d'une période transitoire, et arrivé à l'âge adulte, on conserve en général des liens avec sa famille, on reste partie prenante d'un réseau de solidarité. Pas pour Bella qui, elle, décide de couper tous ses liens avec sa famille pour demeurer à jamais avec sa tribu d'élection, comme si l'adolescence allait durer toujours (et, de fait, elle ne vieillira plus une fois devenue immortelle). Quelle preuve plus éclatante de son narcissisme ? Ce que refuse Bella, c'est d'être humaine, d'appartenir à une famille, d'être partie prenante d'un réseau de solidarité, de vivre, de vieillir et de mourir. Comme une enfant capricieuse, elle décrète que son adolescence durera toujours. Elle souffre du syndrome de Peter Pan. Il faut bien comprendre ce qu'implique le choix de Bella : elle se prépare à abandonner ses parents, ce qui signifie que lorsqu'ils seront vieux, lorsqu'ils seront malades ou mourants, ils n'auront pas le réconfort d'avoir leur fille unique à leurs côtés. Bella se soustrait à ses devoirs familiaux avec une légèreté qui fait frémir quand on y réfléchit un instant.

 

Alors bien sûr, on pourrait arguer que Bella fait tout cela par amour pour le beau Edward, et cela efface, ou du moins atténue grandement, l'égoïsme, le narcissisme, le mépris constants dont elle fait preuve tout au long de la saga. N'est-ce pas magnifique de renoncer à tout, de quitter sa famille, d'accepter de devenir un mort-vivant par amour ? N'est-ce pas digne de Roméo et Juliette ? Cela le serait, si le choix de Bella impliquait un douloureux sacrifice. Or, encore une fois, si elle paraît certes un peu ennuyée par moment, la jeune fille ne semble jamais véritablement tourmentée par son choix. « Je sais ce que je veux » répète-t-elle à plusieurs reprises. Une scène qui m'a frappé est celle où, allongée près d'Edward, elle se demande quel prétexte elle va inventer pour justifier le fait qu'elle ne reviendra jamais voir ses parents. La question est posée avec un détachement (et un visage très inexpressif) qui fait froid dans le dos. Certes, Bella admet que « dire adieu à ma mère, c'est difficile », mais cela ne remet pas en cause sa détermination, qui est totale. Par conséquent, Bella ne nous donne aucunement l'impression de sacrifier quoi que ce soit, puisqu'elle n'est attachée à personne, et n'estime avoir de devoir envers personne. Comment dans ces conditions le spectateur pourrait-il être tenté de trouver « beau » le choix de Bella, un choix qui n'implique rien puisque la jeune fille ne semble tenir à rien d'autre qu'à sa transformation ? Quant à sa passion pour Edward Cullen, je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle est fictive, mais plutôt qu'elle est un prétexte commode. Bella n'a jamais voulu d'une vie ordinaire, et, finalement, en faisant la connaissance des Cullen et en découvrant leur nature, elle a entrevu la possibilité de devenir davantage que ce à quoi la destinait sa médiocrité (elle n'est pas vraiment bonne élève, elle n'a pas de charisme, on ne lui connaît aucun talent particulier). Dans ce contexte, la romance avec Edward est moins une belle histoire d'amour que l'outil qui va permettre à Bella de s'extraire de sa condition. D'ailleurs la jeune fille déclare honnêtement à Edward : « ce n'était pas un choix entre Jacob et toi, c'était un choix entre ce que je devrais être et ce que je suis ». C'est clair : Bella avoue elle-même qu'elle ne s'est jamais sentie à sa place dans le monde des pauvres mortels. Un choix cornélien entre Jacob et Edward aurait eu plus de classe... Le problème de Bella, c'est que le tragique est totalement absent de ses choix. Or il n'est point de grandeur sans souffrance. A contrario, pour Edward, la décision de transformer Bella est tragique, mais il y a chez lui une forme de religiosité (totalement absente chez sa dulcinée) et, de plus, c'est un homme du début du XX° siècle.

 

De même, soulignons que Bella n'a, au fond, aucun effort réel à faire pour changer de vie. Elle ne se forge pas son destin, elle le reçoit d'autrui, puisqu'il lui suffira d'être mordue pour accéder à son nouveau statut, à « son » destin. Mais c'est parce qu'elle le vaut bien. Que l'on songe à un héros de cinéma comme le boxeur Rocky, d'origine modeste, qui travaille dur, s'entraîne sans relâche pour arriver au plus haut niveau et y rester tout au long de la saga. Que l'on pense au long et difficile parcours de Luke Skywalker pour devenir un jedi, et ressusciter l'ordre que son père a détruit. Bella, elle, ne fait rien que pleurnicher et serrer Edward dans ses bras, ainsi qu'attirer des ennuis à tout le monde. Elle n'apprend rien, ne subit aucune véritable épreuve ni entraînement physique ou psychique, n'accède à aucun savoir mystérieux. Dans Twilight, la notion de parcours initiatique est quasiment absente, si l'on excepte le chagrin d'amour (mais la dépression de Bella est une piètre initiation...). Bella ne mérite rien, parce qu'elle demeure finalement très passive. Son seul fait d'armes, si l'on peut dire, est de vouloir être vampire et de maintenir obstinément cette décision. On ne peut pas dire que Bella accomplisse le moindre travail sur elle-même. C'est très important et il faut le souligner : Bella ne se transforme pas, elle attend qu'on la transforme. A part déclencher des guerres entre clans vampires et faire monter la tension entre les Cullen et les loups-garous de la tribu indigène, on cherchera en vain le moindre mérite de la jeune femme... Bon, j'exagère : dans le premier épisode, elle se livre à un mauvais vampire pour sauver sa mère. C'est son seul véritable acte de courage de toute la saga. Pour le reste, elle se moque des risques qu'elle prend (comme lors de sa grossesse) comme des souffrances qu'elle inflige. Et son mépris du monde qui l'entoure va croissant au fur et à mesure que son désir de devenir vampire tourne à l'obsession.

 

Mon but n'est pas de jouer les rabat-joie. Je n'accuse pas les films et les romans Twilight de quoi que ce soit, pour la bonne et simple raison que cette saga rencontre un écho parce qu'elle répond à une demande. Twilight est le produit de son époque et de l'idéologie dominante de la société, puisque l’œuvre ne se veut absolument pas subversive. Cette idéologie est ultra-individualiste, égocentrique, narcissique. Elle méprise les valeurs de la famille, de la solidarité collective, de l'effort, du mérite. Elle professe que chacun doit « devenir ce qu'il est », à charge pour lui de décider souverainement ce qu'il devrait être, au mépris des contraintes extérieures : ainsi, on sera un garçon même si on est né fille, on sera un sportif même si on est hémiplégique, on sera photographe même si on est aveugle, on sera marié et parent même si on est un couple homosexuel... Nous sommes au pays de l'individu-roi, l'individu-dieu même, tout puissant. Rien, ni l'opinion des autres, ni le sens du devoir, ni la nature (qu'il faut pourtant vénérer et respecter, mais on n'est plus à un paradoxe près...) ne saurait refréner les désirs légitimes de tout un chacun. Le personnage de Bella est parfaitement conforme à ce canon de l'individu-roi, source de tout pouvoir. Je ne suis pas un partisan de la résignation ou de la fatalité, mais il y a de nos jours un refus chez beaucoup de gens de vivre une vie ordinaire, avec ses servitudes. Chacun veut s'accomplir en faisant des choix « atypiques ». Si l'on ajoute à cela une fascination pour le Mal (mais il faut dire qu'on ne sait plus trop ce qu'est le Bien), je dirai, même si c'est exagéré, que Bella choisit d'être vampire comme d'autres choisissent d'être djihadistes. Comme personne ne se préoccupe des autres, la seule façon de se faire remarquer reste encore d'accomplir des horreurs que les média relateront avec grand soin. C'est le problème d'une société où la transgression est devenue la règle : la surenchère est devenue indispensable pour être reconnu, or beaucoup de gens aspirent à une forme de reconnaissance.

 

Quand j'étais enfant, je regardais les dessins animés japonais qui passaient alors. J'aimais particulièrement Les Chevaliers du Zodiaque (Saint Seiya en version originale). On peut critiquer ces séries nippones, violentes, manichéennes, au scénario convenu (et pour le moins répétitif). Il n'empêche : je me souviens que les héros étaient pleins de loyauté, d'esprit de sacrifice, d'abnégation. Ils étaient prêts à risquer leur vie pour sauver un ami ou défendre une cause. Ils étaient parfois confrontés à des choix tragiques (combattre un mentor ou un ancien ami passé du mauvais côté). J'aime beaucoup le mot « abnégation ». Je pense que notre monde aurait besoin de plus d'abnégation, de sens du devoir, d'honneur. « Honneur » est un autre mot que j'aime. J'ai bien conscience ce faisant de tenir un discours terriblement ringard. Tout cela n'est plus de saison. C'est dommage. Notre société n'offre plus grande récompense à ceux qui choisissent la droiture, l'honnêteté, la piété filiale, le respect des règles et de la parole donnée. C'est pourquoi notre jeunesse a du mal à trouver des raisons de vivre dans le droit chemin. On comprend que certains aient envie de devenir vampires...

 

[1] Résumé humoristique du premier épisode :

https://www.youtube.com/watch?v=6NXHclcK3kA



20/08/2015
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