Nationaliste Social et Ethniciste

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Le modèle allemand: "hard discount" et casse sociale

Je regarde assez peu la télévision, dont les programmes sont souvent d'une navrante médiocrité. Avec la TNT, on aurait pu penser qu'un choix plus vaste profiterait au téléspectateur avide de connaissances. Ce n'est pas le cas. Hormis quelques chaînes comme France 5 ou Arte (qui ont cependant tendance à rediffuser dix fois la même chose), il semble bien difficile de se cultiver en regardant la petite lucarne. L'autre jour, en zappant comme on dit, durant une de ces chaudes soirées d'été où vous sentez la langueur vous envahir, je pris en cours de route, si j'ose dire, puisque le fil conducteur du documentaire était une voiture, une émission sur LCP consacrée au « discount » qui se développe de plus en plus en Europe, et ce dans beaucoup de secteurs économiques : transport aérien, grande distribution, industrie automobile, agroalimentaire. J'ai trouvé le documentaire passionnant. Il n'était pas neutre, c'est certain : le discours tenu était globalement, sinon hostile, du moins très critique envers le modèle du « discount », et la plupart des intervenants se montraient défavorables à ce modèle économique. Toutefois, il convient de préciser que le reportage donnait la parole, lorsqu'ils acceptaient de la prendre, aux défenseurs du discount. Ainsi, le patron (je crois) de la compagnie irlandaise low cost (synonyme de discount) Ryanair, qui défraie régulièrement la chronique, a pu largement exprimer son mépris des pilotes de ligne (« des chauffeurs de taxis, rien de plus » [1]) et sa haine viscérale des syndicats ou de tout encadrement du travail.

 

Le discount et son idéologie

Qu'est-ce que le discount ? Il s'agit d'une stratégie commerciale visant d'abord à offrir au consommateur les biens et les services au prix le plus bas. L'idéologie du discount – car derrière cette stratégie, il y a une idéologie, et même une vision de la société – paraît donc favorable à beaucoup d'entre nous, au premier abord, puisque nous sommes tous des consommateurs. Et nous sommes nombreux, lorsqu'il s'agit d'acheter des produits de consommation courante, à préférer payer le prix le plus bas. Quoi de plus normal, surtout en période de crise ? Et c'est là que le discours pro-discount, si l'on peut dire, prend des accents faussement charitables : en effet, proposer des produits bon marché, n'est-ce pas faire une fleur aux pauvres, aux foyers modestes comme on dit ? C'est pourtant une grave erreur de croire que le discount aide les pauvres. En fait, c'est le contraire : la logique discount tend à accentuer la paupérisation de la société. Pourquoi ? Tout simplement parce que les bas prix payés par le consommateur ont un coût qui se répercute ailleurs. Et d'abord sur le producteur : pour que le consommateur paie peu, il faut que le producteur accepte de vendre à très bas prix, ou que l'employé de l'entreprise discount se résigne à des conditions de travail dégradées et un salaire modeste. Et c'est là que le bâts blesse : nous ne sommes pas seulement des consommateurs, nous sommes également des producteurs de biens ou de services, et en tant que tels, nous aspirons tous à profiter de bonnes conditions de travail et de salaires élevés. Comme le faisait remarquer un intervenant allemand : « les gens ont une attitude contradictoire : ils veulent à la fois des produits et des services bon marché, et de bonnes conditions de travail, de bons salaires et une protection sociale ». Or, la logique discount tire les salaires vers le bas, alimente la précarité et ne favorise pas l'amélioration des conditions de travail. Pour que le discount soit rentable, il faut que le travailleur soit le plus productif possible, mais aussi le plus docile et le moins revendicatif possible.

 

On en arrive à un second point qui concerne les rapports au sein de l'entreprise, entre les salariés et la direction. Les entreprises discount sont, de ce point de vue-là, dans une logique ultra-libérale : elles cherchent à individualiser le rapport avec le salarié, à empêcher toute résistance collective, à freiner autant que possible l'implantation des syndicats. Et cela peut passer par une forte pression psychologique, une surveillance quasi-policière, l'usage de la suspicion comme mode de gouvernance (ou de « management » si l'on préfère). Avec son cortège de conséquences prévisibles : humiliations, dépressions nerveuses, surmenage, etc. Le salarié doit être formaté, obéissant et humble. Le documentaire montrait un extrait d'un questionnaire qui est remis à chaque responsable de magasin ALDI, une entreprise dont on va reparler, demandant par exemple si « une caissière semble vivre au-dessus de ses moyens ». On peut se demander comment un tel système peut fonctionner. Un ancien responsable français de secteur chez ALDI l'explique en une phrase : « il y a des tyrans à tous les étages ». On retrouve là ce qu'exposait déjà La Boétie dans son ouvrage Discours de la servitude volontaire : une tyrannie fonctionne parce qu'elle est organisée de manière pyramidale, chaque subalterne étant certes humilié par son supérieur, mais ayant la possibilité d'humilier ses propres subordonnés. Reste le tyran lui-même, au sommet de la pyramide, sans supérieur. Et bien sûr, à la base de la pyramide, ceux qui n'ont pas de subordonnés, comme les caissières d'ALDI. Dans cette entreprise, la suspicion va très loin : le responsable de magasin doit contrôler les sacs des employés, le responsable de secteur vient parfois à l'improviste inspecter jusqu'aux coffres de voiture des employés et chefs de magasin pour vérifier que l'entreprise n'est ponts lésée par d'éventuels vols de produits. On imagine le plaisir de travailler dans une société où la défiance est la règle imposée, on devine la satisfaction d'être en permanence soupçonné de vol. Tout est fait pour renvoyer au salarié une mauvaise image de lui-même. Ce système correspond bien à l'ultra-libéralisme. Qu'est-ce qui distingue selon moi le libéralisme de l'ultra-libéralisme ? Le libéralisme strict est partisan de la liberté, du « laissez-faire ». Il faut mettre un minimum d'entraves à l'esprit d'entreprise. Mais « laissez faire », c'est aussi permettre aux travailleurs de s'organiser en syndicats et de lutter pour obtenir des avantages. La liberté du patron, c'est de chercher à exploiter au maximum son employé. La liberté de l'employé, c'est de chercher à limiter au maximum son exploitation par le patron. Voilà le mécanisme de la lutte des classes. Un véritable libéral devrait accepter ce mécanisme, en le considérant comme inhérent au fonctionnement de l'appareil productif. Mais les ultra-libéraux, s'ils usent et abusent du mot « liberté », n'appliquent ce concept qu'aux seuls entrepreneurs. Les salariés, eux, n'ont aucune liberté : ni de s'organiser, ni de revendiquer, ni même de voter pour des dirigeants qui voudraient encadrer le travail. Drôle de conception de la liberté... Mais on comprend le fonctionnement quasi-fascisant des entreprises qui prônent cet ultra-libéralisme.

 

Les ultra-libéraux cherchent en permanence à biaiser les cartes. La logique discount pousse les entreprises à réduire leurs coûts au maximum, afin de sauver leurs marges tout en proposant les prix les plus bas. Outre la pression croissante exercée sur les fournisseurs, les producteurs ou les sous-traitants, échapper aux taxes et cotisations peut être un autre poste d'économie. Le secteur discount ne se prive pas d'user de ce levier, aidé en cela par les directives européennes de dérégulation, notamment celle concernant les « travailleurs détachés » qui permet d'embaucher des étrangers de l'UE en payant les charges sociales dans le pays d'origine du travailleur. L'Union européenne a légalisé le dumping social, autrement dit la concurrence déloyale sur le marché du travail, et nos élites ont laissé faire, quand elles n'ont pas applaudi. Ce faisant, la logique discount affaiblit l’État en le privant de certaines rentrées fiscales. Et qui dit moins d'argent public disponible dit aussi moins de prestations sociales, moins d'investissement public... Et à l'arrivée plus de pauvreté et de chômage. On le voit bien : loin d'aider les pauvres, le discount fabrique la précarité de masse et la pauvreté, il entretient un chômage endémique en utilisant de la main-d’œuvre étrangère bon marché et en essayant aussi de fonctionner à effectif minimum, toujours pour faire des économies. Une question demeure : à qui profite le crime ?

 

L'Allemagne, promoteur du discount

La logique discount profite au grand capitalisme et aux actionnaires. Elle ne s'applique pas qu'en Allemagne, mais il faut reconnaître que le capitalisme allemand est en pointe dans ce domaine. On a coutume de dire que l'Allemagne se porte bien. Il faudrait plutôt dire que le capitalisme allemand se porte à merveille et que la population allemande accepte, pour le moment, les sacrifices que lui impose le patronat. Il faut dire que l'Allemagne a un profil démographique qui lui rend indispensable le recours à une main-d’œuvre immigrée. Autant en profiter pour l'exploiter ! Comment l'Allemagne a-t-elle réussi à écraser les prix de l'agroalimentaire et à devenir le premier exportateur européen de produits agricoles devant la France ? C'est simple : les agriculteurs et les transformateurs allemands emploient des Roumains et des Bulgares en profitant de la directive sur les « travailleurs détachés » que j'évoquais. Il n'y a pas que cela : l'Allemagne a aussi converti son agriculture en industrie, et possède des centaines de « fermes des 1000 vaches », quand on peine à en ouvrir une seule en France. Mais le recours à la main-d’œuvre bon marché d'Europe de l'est constitue une des principales raisons du succès allemand.

 

L'Allemagne est également la mère-patrie des deux grands groupes européens de la grande distribution discount : LIDL et ALDI. La société ALDI (pour « ALbrecht DIscount ») a été fondée au lendemain de la guerre par les frères Théo et Karl Albrecht, dont la fortune globale atteint celle de Bill Gates. Les petits prix du discount n'empêchent pas les grosses fortunes capitalistiques, bien au contraire. La réussite des frères Albrecht repose sur les méthodes susdites ainsi que sur la volonté de ne proposer que le strict nécessaire, les produits de première nécessité. La logique du discount, ce sont au fond des milliardaires qui proposent aux pauvres de se contenter du minimum. Le problème du modèle discount, c'est qu'il a ses limites, et les capitalistes allemands le savent : dans certains secteurs (automobile, machines-outils, chimie), les entreprises allemandes optent pour l'excellence, la recherche, l'innovation. Car le discount, avec sa culture du rabais et de la rentabilité, n'innove pas. Il se contente de recycler et de comprimer les coûts pour un maximum de profits. Voilà pourquoi la logique discount peut s'appliquer aisément dans des secteurs comme la grande distribution, le transport routier, l'agriculture, certaines industries, où l'on peut utiliser une masse de main-d’œuvre peu qualifiée. Dès qu'un secteur demande de la recherche, de l'innovation, des investissements lourds, une main-d’œuvre plus qualifiée, le discount est disqualifié. Il n'en demeure pas moins que la logique discount est bien implantée en Allemagne, qu'elle est à l'origine de la « compétitivité » remarquable de nos voisins, ainsi que de l'explosion de la précarité et du nombre de travailleurs pauvres Outre-Rhin. Le discours qui professe que « mieux vaut un travail mal payé que le chômage » paraît à première vue plein de bon sens. Mais, en y réfléchissant, ça « vaut mieux » pour qui ? Pour le salarié ou pour l'employeur ? La multiplication des emplois mal payés ne tire certainement pas les salaires vers le haut, bien au contraire... Je ne suis évidemment pas partisan d'encourager le chômage, mais je dis simplement qu'il faut se méfier des bonnes âmes qui nous expliquent que la précarité est un remède nécessaire au chômage de masse.

 

Ainsi, le discount est au cœur des contradictions de notre société, et de l'incompatibilité des intérêts du consommateur avec ceux du travailleur. Les bas prix passent en effet par une baisse des revenus des travailleurs. Le discount est encouragé par la législation européenne qui favorise de facto la concurrence déloyale des travailleurs. Il explique pour une part la crise de notre agriculture et la spectaculaire colère de nos agriculteurs qui, faute de protectionnisme, ne peuvent pas rivaliser avec l'agro-industrie allemande et ses travailleurs étrangers sous-payés. Le discount représente bien la société rêvée des ultra-libéraux : des travailleurs isolés, précaires, vulnérables, dociles, pour le plus grand profit des capitalistes. Le documentaire montrait l'exemple presque caricatural d'un ouvrier roumain de Dacia, la marque low cost du groupe Renault, qui dépense 60 % de son maigre salaire... chez ALDI pour subvenir aux besoins de sa famille. Ou comment le discount alimente le discount. Voilà le prix de la « compétitivité retrouvée », voilà le prix à payer pour consommer bon marché. Et je rappelle aux naïfs européistes que ce modèle était inscrit dans le projet européen dès la signature de Maastricht en 1992... Ne serait-il pas temps de rompre avec ce projet mortifère qui détruit lentement la protection sociale, le droit du travail, l'unité nationale, l’État-providence, bref, tous les acquis « progressistes » de l'après-guerre ? Il serait peut-être temps que les soit-disant « électeurs de gauche » qui votent PS ouvrent les yeux.

 

[1] Ce qui est contestable : il suffit d'un permis de conduire pour être taxi ; pour piloter un avion, cela demande une formation un peu plus poussée... Le patron de Ryanair ne voit que le service rendu au consommateur, le niveau de qualification du travailleur ne lui importe pas. Avec une telle logique, nous « méritons » quasiment tous un salaire de caissier... sauf le PDG, bien sûr. Apparemment, offrir des prix cassés aux clients, ça mérite davantage rétribution que de les conduire sains et saufs d'un aéroport à un autre...   



08/08/2015
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