Nationaliste Social et Ethniciste

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Les fils de Clotaire Ier

Clotaire, après une vie aventureuse à souhait, fertile en retournements spectaculaires, mourut paisiblement de sa belle mort en 561, ayant réunifié le royaume des Francs trois ans auparavant. Il fut enterré en l’abbaye Saint-Médard de Soissons. Il laissait une descendance abondante, en âge de gouverner, et ayant reçu une éducation bien meilleure que celle de leurs prédécesseurs. Il faut en effet oublier cette image du roi mérovingien « barbare mal dégrossi », ignare, ivrogne, inculte, presque dégénéré. Les descendants de Clovis furent pour beaucoup lettrés, cultivés, tout pénétrés de culture romaine et probablement bilingues, maîtrisant le francique et le bas-latin en usage en Gaule du nord (ancêtre des langues d’oïl). Avec les fils de Clotaire, une nouvelle page de l’histoire mérovingienne s’ouvrait.

 

Le partage de 561

Clotaire laissait quatre fils, Charibert, Gontran, Sigebert et leur demi-frère Chilpéric. Conformément aux usages, le royaume fut partagé. On a beaucoup critiqué ces partages, les historiens y voyant la preuve de mœurs barbares, d’une « patrimonialisation » du pouvoir et surtout la cause d’effroyables guerres civiles. Il faut, je crois, rendre justice aux Mérovingiens. Ces rois ont surtout fait preuve de réalisme et de pragmatisme. Le royaume des Francs était immense, occupé par des peuples divers et parfois indociles. A l’est, les Saxons demeurent insoumis et menaçants, Alamans et Bavarois sont toujours prêts à la révolte, avant que les Slaves et les Avars ne constituent bientôt une nouvelle menace. L’Aquitaine, la Burgondie, la lointaine Provence sont rétives. En fait, il n’y a guère qu’entre Loire et Rhin que la pouvoir mérovingien paraît assuré : Bassin parisien, actuelle Belgique, Rhénanie. Ajoutons qu’en cette année 561, les Romains d’Orient de Justinien ont repris l’Italie et une partie de l’Espagne, et les ambitions du César de Constantinople peuvent inquiéter légitimement. Pour défendre et administrer ce vaste royaume, après tout, il ne paraît pas si insensé d’avoir partagé le pouvoir.

 

Charibert Ier, l’aîné, reçut Paris, la capitale de Clovis, l’essentiel du Bassin parisien (qui bientôt s’appellera Neustrie) et une bonne partie de l’Aquitaine, de l’Atlantique au Massif Central. Des territoires riches, bien peuplés, et faciles à défendre. Probablement la meilleure part.

Gontran Ier, le deuxième, prit possession de l’ancien royaume burgonde, ainsi que du sud du Bassin parisien (Orléanais, Sénonais, Berry) et d’une bonne partie de la Provence. Des terres riches, encore très attachées à la culture romaine notamment dans la vallée du Rhône et en Provence, et qui maintenaient des rapports commerciaux avec l’Orient en Méditerranée.

Sigebert Ier, le troisième, reçut l’ancien royaume de Thierry et de Théodebert, bientôt nommé Austrasie, qui s’étendait de la Champagne (Reims) jusqu’au Rhin. Moins riche, peut-être moins peuplé, plus menacé, ce royaume, plus « germanique » que les autres, protégeaient ces derniers en même temps qu’il offrait des perspectives d’expansion à un souverain conquérant. Afin de disposer de ressources sures, qui ne soient pas à la merci des pillards saxons ou alamans, Sigebert obtint également l’Auvergne (région traditionnellement dépendante de l’Austrasie) et une partie de la Provence.

Chilpéric Ier, demi-frère des précédents (mais pas nécessairement le benjamin), s’était montré très gourmand et avait tenté de damer le pion à ses frères. Ces derniers ne le tuèrent point, mais lui attribuèrent la part congrue : le Soissonnais (avec la garde du tombeau paternel) et le vieux pays salien (Tournai, Cambrai), un territoire exigu, à la population modeste et aux ressources limitées. Chilpéric se sentait floué. En 562, profitant d’une expédition de Sigebert contre les Avars, le roi de Soissons s’empara de Reims et d’autres territoires austrasien. Mais au retour de Sigebert, il dut abandonner ses éphémères conquêtes, et même Soissons sa capitale ! Sigebert semble cependant la lui avoir rendue. Faut-il voir là le début d’une animosité entre les deux frères ?

 

Sigebert Ier se marie

Le roi d’Austrasie paraissait très soucieux de l’image royale. Bon guerrier, Sigebert maîtrisait également la communication politique. Il voulut donner l’image d’un prince chrétien, respectueux de sa famille et magnanime : ayant fait prisonnier un fils de Chilpéric, il le renvoya à son père couvert de cadeaux. Sigebert refusa les pratiques matrimoniales de ses frères, dans le lit desquels épouses et concubines de toute extraction défilaient. Sigebert voulut une épouse digne de lui. Il envoya un émissaire à la Cour wisigothique de Tolède pour obtenir une princesse de sang royal.

Le roi Athanagild lui accorda la main de sa fille Brunehilde (francisée en « Brunehaut », nom sous lequel elle est entrée dans la légende des « Temps barbares »). Le mariage eut lieu en 566 sans doute à Metz. Sigebert et ses conseillers, dont l’évêque de Trêves Nizier, avaient vu les choses en grand : les noces furent fastueuses, et on fit venir d’Italie un poète, Venance Fortunat afin qu’il célébrât l’événement en versifiant dans la pure tradition antique. Preuve s’il en fallait que les rois mérovingiens nourrissaient déférence et admiration pour la culture romaine. Arienne, la jeune reine fut bientôt convertie au catholicisme. L’union de Sigebert et de Brunehaut fut féconde : plusieurs enfants naquirent, dont un garçon, Childebert en 570.

 

Ce mariage montrait clairement les ambitions de Sigebert, et ses frères durent apprécier modérément cet étalage de prétentions. La sévère défaite de Sigebert face aux Avars en 566 ne dut pas faire que des malheureux dans les autres cours franques. Charibert organisa une riposte : Le roi de Paris appela auprès de lui l’inconstant Venance Fortunat afin que l’Italien lui tressât des lauriers dans un panégyrique digne des derniers empereurs romains. Les Mérovingiens ne réglaient pas seulement leurs comptes à coup de scramasaxes dans le dos, ils savaient utiliser des moyens plus « civilisés ». La propagande a existé dans l’histoire sitôt qu’un pouvoir est apparu, car il est toujours naturel pour les dirigeants de légitimer leur action. Et de ce point de vue, Clovis et ses descendants n’étaient pas plus « barbares » que d’autres.

Sigebert voulut ensuite s’emparer d’Arles, alors possession de Gontran, peut-être pour organiser des jeux dignes d’un empereur, comme son prédécesseur Théodebert Ier l’avait fait. Il n’y parvint pas, et les deux frères firent la paix.

 

Le partage de 568 et le mariage de Chilpéric

L’équilibre entre les quatre frères fut brutalement rompu lorsque Charibert mourut en 567 ou en 568. Le roi de Paris mourait excommunié, car il avait épousé une moniale, sa belle-sœur de surcroît, au grand scandale des évêques gaulois, et sans héritier mâle, malgré de nombreuses unions. Une des épouses du défunt s’enfuit en Burgondie avec le trésor royal, espérant épouser Gontran. Ce dernier prit les richesses et… expédia la veuve dans un monastère ! Puis les trois frères survivants entamèrent de tortueuses négociations pour se répartir le beau royaume de Charibert.

 

Pour Chilpéric, cette mort fut réellement une aubaine. Le roi de Soissons, jusque-là cantonné dans son modeste royaume, obtint des agrandissements significatifs : l’essentiel de la province ecclésiastique de Rouen (actuelle Normandie), le Maine et l’Anjou en Neustrie. Il reçut également pour la première fois des cités en Aquitaine : le Limousin, le Quercy, le Bordelais et le Béarn.

Sigebert aussi eut une belle part : le roi d’Austrasie mit la main sur les cités de Meaux, de Tours, le grand sanctuaire catholique des Gaules, de Poitiers et sur le sud-ouest aquitain. Gontran fut un peu moins bien loti : il reçut Chartres en Neustrie, la Saintonge, l’Angoumois et le Périgord en Aquitaine, mais il dut conserver le trésor de Charibert. La cité de Paris resta indivise, preuve de son statut particulier.

 

Les royaumes d’Austrasie et de Burgondie se trouvaient renforcés, tandis qu’un troisième royaume, la Neustrie, émergeait progressivement sous l’autorité de Chilpéric. En fait, ce nouveau partage marquait l’arrivée sur le devant de la scène du roi de Soissons, qui rongeait son frein depuis son échec retentissant de 562. Chilpéric ne fut pas seulement le despote féroce et sanguinaire, dominé par la harpie Frédégonde, que dépeint Grégoire de Tours et à sa suite nombre d’historiens. Peu doté en terres, Chilpéric s’était trouvé bien doté en fils, contrairement à ses frères, puisqu’il en eut trois de sa première épouse Audovère : Théodebert, Mérovée et Clovis. Le nouveau roi de Neustrie n’était dénué ni de culture, ni de talent, et il avait à présent les moyens de mener une politique à la hauteur de ses ambitions.

 

Comme en 562, Chilpéric fut le premier à contester le nouveau partage : il envoya une armée sous le commandement de son fils Clovis prendre la Touraine et le Poitou. Sigebert ne réagit pas directement, peut-être à cause de la distance, mais il demanda à son frère Gontran de le faire pour lui. Le roi de Burgondie dépêcha une armée qui replaça Tours et Poitiers sous l’autorité de leur souverain légitime.

 

Quelques années plus tard, en 573, à la mort de l’évêque de Tours Eufronius, Sigebert et Brunehaut devaient confier ce siège épiscopal stratégique à un Auvergnat, issu d’une région anciennement dépendante de l’Austrasie où Sigebert savait trouver des fidélités plus solides, un diacre nommé Grégoire qui allait entrer dans l’histoire (et dans l’historiographie) comme le grand chroniqueur des Temps mérovingiens. Il est bon de se souvenir cependant de cette réalité : Grégoire est une créature des souverains d’Austrasie, placée sur le siège épiscopal d’une cité où il n’a aucune attache. Cela explique mieux le traitement que réserve Grégoire à Chilpéric et son entourage (dont Frédégonde) ainsi que ses difficultés avec les notables tourangeaux. Pour Sigebert et la Cour d’Austrasie, le contrôle du tombeau de Saint-Martin revêtait une importance politique capitale.

 

Chilpéric utilisa une autre méthode que la force qui, décidément, ne lui réussissait guère. Il expédia un émissaire à Tolède pour demander la main d’une princesse wisigothique, comme l’avait fait Sigebert. On considère que ce geste doit beaucoup à la jalousie de Chilpéric à l’égard de son frère. Il faut peut-être nuancé, même si cela a pu jouer. Avec le partage de 568, Chilpéric, maître du Béarn, a désormais une frontière commune avec les Wisigoths, alliés naturels de Sigebert. Le roi de Neustrie avait de bonnes raisons politiques de contracter une telle union, ne serait-ce que pour neutraliser les Wisigoths qui risquaient d’intervenir en faveur du roi d’Austrasie. Athanagild posa ses conditions : Chilpéric devrait se plier à une stricte monogamie en renvoyant ses concubines et constituer un Morgengabe (« don du matin », équivalent d’un douaire) impressionnant pour sa nouvelle épouse, à savoir toutes ses possessions au sud de la Loire (Limousin, Bordelais, Béarn, Quercy). Moyennant quoi, Chilpéric put épouser Galswinthe, sœur aînée de Brunehaut, à Rouen en 568. Mais cette union ne connut pas le même bonheur que celle de Sigebert et Brunehaut. Aucun enfant ne naquit, et Chilpéric reprit sa liaison avec Frédégonde, malgré les protestations de Galswinthe. Voilà qu’une nouvelle arriva de Tolède : Athanagild était mort sans héritier mâle. La princesse wisigothique stérile ne présentait plus aucun intérêt. Chilpéric (et non Frédégonde, qui ne disposait sans doute pas de l’influence qu’on lui attribua a posteriori) fit assassiner sa femme.

 

La guerre fratricide jusqu’à la mort de Sigebert

Même pour une époque violente, le crime était grave, et Chilpéric lui-même en prit la mesure. Le roi de Neustrie feignit de pleurer la malheureuse ! Ce qui ne l’empêcha pas de reprendre Frédégonde comme épouse peu après… Mais par son crime, Chilpéric donnait à Sigebert une bonne raison de l’attaquer car le roi d’Austrasie pouvait réclamer le Morgengabe de Galswinthe pour sa propre épouse Brunehaut. Les historiens romantiques se sont plus à présenter les guerres entre Mérovingiens comme des vengeances coutumières (faides), de sauvages règlements de compte entre des Barbares qui auraient été le jouet de leurs passions et de leurs sentiments. C’est une erreur. Les princes mérovingiens étaient aussi intelligents et aussi fins politiques que les empereurs romains ou que les rois capétiens. La guerre qui allait s’engager était plus qu’une histoire de famille : c’était une lutte politique, pour le pouvoir. Elle se para des couleurs de justice et d’honneur  (la « guerre juste », un vieux discours), comme l’empereur Justinien attaqua les Ostrogoths d’Italie, officiellement pour châtier le meurtre d’Amalasonte, fille de Théodoric le Grand (et nièce de Clovis, on l’oublie souvent) et alliée de l’Empire.

 

Sigebert et Gontran lancèrent leurs armées sur les cités d’Aquitaine tenues par Chilpéric. Vers 570, le roi d’Austrasie s’empara du Limousin, du Quercy puis de Bordeaux, d’où il chassa le prince neustrien Clovis, cité qu’il remit à son épouse Brunehaut. Gontran s’inquiéta des succès de Sigebert. Il adopta alors une position qui devait être longtemps la sienne, celle du médiateur. Le roi de Burgondie réunit les évêques gaulois (surtout burgondes en fait) à Paris en 573 afin d’exhorter ses frères à cesser les hostilités. En vain.

 

Théodebert, fils de Chilpéric, mena la contre-attaque neustrienne et battit les Austrasiens. Le prince conquit Tours et Poitiers puis reprit le Limousin et le Quercy. Sigebert mobilisa alors les féroces païens d’outre-Rhin (Saxons, Thuringiens) et conduisit lui-même ses troupes à la victoire. Gontran observait la guerre avec inquiétude mais s’en tint à une stricte neutralité, car s’il hésitait à combattre Sigebert, il devait de plus faire face aux Lombards qui tentaient de franchir les Alpes pour piller la Burgondie. Le roi d’Austrasie en profita : il marcha sur Paris pour en finir. Chilpéric comprit qu’il n’avait guère de chance de l’emporter face aux troupes de choc austrasiennes, et il proposa une négociation que Sigebert accepta, toujours soucieux de donner l’image d’un roi bienveillant et mesuré dans la victoire. La paix de 574 marquait le triomphe de Sigebert : Tours et Poitiers lui étaient rendues, le Morgengabe de Galswinthe lui était intégralement cédé, tandis que Chilpéric pouvait s’estimer heureux de sauver son trône en conservant ses seules possessions neustriennes.

 

Réparation était faite pour le meurtre de Galswinthe. La poursuite de la guerre prouve que l’objectif de Sigebert était moins de venger sa belle-sœur que de réunifier à son profit le royaume des Francs. Dès l’année suivante, le roi d’Austrasie rouvrit les hostilités. Les Neustriens subirent une série de désastres. Le prince Théodebert périt au combat tandis que Chilpéric s’enfermait dans Tournai. Pendant ce temps, Sigebert et Brunehaut firent une entrée solennelle à Paris, la capitale du glorieux Clovis. La Neustrie tomba comme un fruit mûr, les leudes accoururent pour faire allégeance à Sigebert. Seules Rouen et Tournai résistaient. Les Austrasiens assiégèrent Tournai. Chilpéric, acculé, tenta le tout pour le tout et expédia deux assassins au camp de Sigebert. Un rien présomptueux, ce dernier était en train de se faire acclamer roi de Neustrie. Les ambitions de Sigebert s’écroulèrent sous les coups de scramasaxes, en même temps que plusieurs de ses conseillers. Chilpéric était sauvé.

 

On peut évidemment juger sévèrement le roi de Neustrie. Mais on peut également considérer qu’il a vengé son fils Théodebert et sauvé sa propre vie. Au demeurant, Chilpéric traita le corps de Sigebert avec respect et le fit enterrer décemment, comme Sigebert l’avait fait pour Théodebert. Rivaux impitoyables, parfois cruels, les Mérovingiens n’étaient pas pour autant des sauvages. Qu’on se souvienne de ce que la foule romaine fit subir au cadavre d’un Séjan sous Tibère, et on pourra relativiser l’opposition entre Romains « civilisés » et Francs « barbares ».

 

Bibliographie sommaire :

Armand, F., Chilpéric Ier, La Louve éditions, 2008

Dumézil, B., La reine Brunehaut, Fayard, 2008

Grégoire de Tours, L’Histoire des rois francs, (traduction de J.J.E. Roy), Gallimard, 1997



27/11/2010
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