Nationaliste Social et Ethniciste

Nationaliste Social et Ethniciste

Quand le monde devint chrétien

Le terme « monde » est ici à prendre au sens antique d'œkoumène, le « monde habité » en grec mais qui correspondait surtout à l'empire romain, le monde civilisé par excellence, pour ceux qui l'habitaient évidemment. Ce monde n'est pas devenu chrétien sans heurt, et le film espagnol Agora s'attaque avec courage au sujet. L'agora est cette place centrale de la cité antique dans l'Orient gréco-romain (on parle de forum dans la partie occidentale). Le cœur de la cité, là où le jeu politique se décide. Le passionné d'Antiquité tardive que je suis ne pouvait qu'être alléché par la perspective de ce film. Et je dois dire que ce film est excellent à tout point de vue.

 

L'histoire

La première qualité du film est la rigueur historique. Le scénario est très fidèle à ce que les sources nous apprennent.

Tout commence en 391, à Alexandrie, capitale de l'Egypte, l'une des plus importantes métropoles du monde romain. Au Serapeum, les prêtres et les philosophes païens enseignent leur savoir ancestral. Ce temple fortifié fait office de lieu de culte, de bibliothèque et d'université. Il tire son nom du dieu Sérapis, divinité syncrétique gréco-égyptienne, inspiré d'Hadès, dieu grec des Enfers, Osiris, dieu égyptien des morts et du dieu-taureau égyptien Apis. Parmi les professeurs du Serapeum payés par la cité, la belle Hypatie, elle-même fille d'un savant, Théon, directeur du Musée d'Alexandrie. La présence d'une femme est surprenante, mais Hypatie possède une solide réputation. Chrétiens et païens écoutent ses cours d'astronomie et de philosophie. Mais l'agora d'Alexandrie est loin de cette ambiance studieuse. Les païens se heurtent aux parabalani, sorte de milice (il n'y a pas d'autre mot) à la solde de l'évêque Théophile. Fatigués des insultes et des provocations, les fougueux étudiants païens du Serapeum prennent les armes et attaquent les chrétiens. La ville est à feu et à sang, mais les chrétiens sont plus nombreux : les païens se retrouvent assiégés dans leur temple fortifié. Le préfet, gouverneur d'Egypte (son titre complet est préfet augustal), fait appel à l'empereur pour mettre fin aux troubles. L'empereur Théodose accorde l'amnistie aux rebelles païens mais livre le Serapeum aux chrétiens et décrète l'interdiction des cultes polythéistes. Le temple est promptement envahi, saccagé et la grande statue de Sérapis jetée à terre.

Je n'ai pas trouvé de preuve qu'Hypatie ait été présente au siège du Serapeum, mais je trouve que c'est une excellente idée d'avoir commencé le film par cet épisode. Le christianisme a triomphé et les derniers païens ne disparaissent pas mais entrent dans l'ombre.

 

Les années passent. Hypatie ne se rend plus au Serapeum désormais déserté et transformé en bergerie. Elle poursuit ses études d'astronomie chez elle. Ses élèves font carrière. Oreste devient préfet. Il semble que le véritable Oreste ait été un étranger (originaire d'une autre province) mais il entretenait en effet de bons rapports avec Hypatie. Synésios, authentique élève d'Hypatie lui, aristocrate de Cyrène, l'antique colonie grecque sise dans l'actuelle Libye, est devenu évêque de Ptolémaïs, autre cité de Cyrénaïque. L'évêque Théophile est mort et son neveu Cyrille occupe désormais le siège épiscopal (le népotisme ne date pas des Borgia !). Nous sommes en 415. Oreste et Cyrille sont en conflit pour déterminer qui gouverne réellement Alexandrie. Les parabalani provoquent les juifs, ce qui entraîne des représailles de la part de ces derniers. La violence et le fanatisme des chrétiens se déchaînent alors contre la communauté juive, importante à Alexandrie et présente depuis les origines de la cité (fondée par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C.). Les juifs doivent partir et leurs biens sont confisqués par Cyrille. C'est le début de persécutions qui se poursuivront en Orient, notamment sous Justinien (527-565), et en Occident (en Espagne wisigothique notamment). Or, c'est un fait nouveau. Jusqu'à maintenant, les juifs avaient bénéficié de la protection impériale (rappelons que Saül, le futur Saint Paul, était un juif de Tarse mais aussi un citoyen romain, distinction rare en ce temps). La campagne de Titus en 70 et celle d'Hadrien entre 132 et 135 en ne doivent pas faire illusion : les juifs ont dans l'ensemble prospéré dans l'empire et leur prosélytisme connut même quelque succès (mais chut ! tous les Israéliens descendent officiellement des douze tribus). Ainsi l'assertion de l'inénarrable Elie Chouraqui est fausse. A l'époque où il montait son spectacle Spartacus, je me souviens l'avoir entendu déclarer texto : « l'empire romain, c'était le fascisme, l'horreur, ils massacraient les juifs ». La culture de M. Chouraqui est moins fournie que sa tignasse. Il est triste de constater qu'une fois de plus la parole est donnée à des ignares et que ces avis ont du poids sous le fallacieux prétexte que ceux qui les expriment ont acquis une célébrité qu'ils ne doivent certes pas à la qualité de leur travail, mais bien plutôt à des connivences. Revenons à Alexandrie. Dans le duel qui oppose Oreste à l'évêque fanatique Cyrille, le préfet a deux alliés : Hypatie et Synésios, le chrétien modéré resté attaché à son professeur. Un partisan de l'évêque blesse le préfet au front et est exécuté. La querelle s'envenime. Les parabalani s'emparent alors d'Hypatie et la massacrent sauvagement. Mais le réalisateur a choisi ici de modifier les conditions de la mort, dans un sens moins cruel. Les précisions historiques sont toutefois fournies dans un texte placé juste avant le générique. Texte qui rappelle que Cyrille fut canonisé…

 

Un défi relevé avec brio

D'emblée, le réalisateur (comme toujours) veut nous parler de notre époque à travers cette fresque historique. Cependant, là est la grande qualité du film, il ne se laisse pas aveuglé par les événements contemporains, ce qui conduirait à moult caricatures et anachronismes. Non, la fidélité aux événements est remarquable, et l'emporte largement sur le message politique.

Le travail de mise en scène est de très grande qualité : la reconstitution de l'Alexandrie de la fin de l'empire romain est somptueuse. Il y a fort à parier que des spécialistes ont épaulé le travail. On regrettera que l'armement des soldats du préfet n'ait pas été conforme à ce que l'on sait de l'équipement du soldat romain tardif, le réalisateur ayant préféré s'en tenir à l'image traditionnelle du légionnaire, celle du Haut Empire (I°-II° siècles). Mais à partir du III° siècle, l'armement évolue considérablement. C'est un détail, bien sûr, d'autant que l'aspect militaire est très mineur dans le film. Les institutions sont bien évoquées : outre le préfet, nous voyons la boulé, ce conseil municipal aristocratique qui caractérise la cité de l'empire romain. Et le film suggère bien que, malgré le triomphe du christianisme, une partie des aristocrates restent attachés aux anciens cultes, par tradition, et ce durant plusieurs décennies après la législation de Théodose.

 

L'atmosphère d'Alexandrie, port cosmopolite où se côtoient différentes religions (au début du moins), est bien recréée. Le réalisateur montre bien également le dilemme qui a déchiré les chrétiens au moment où ils ont triomphé : que faire de la culture brillante héritée du paganisme ? Deux lignes s'opposent : d'un côté, les ennemis irréductibles de la culture païenne, Théophile et Cyrille, le premier dirigeant le sac du Serapeum ; de l'autre, les chrétiens qui ne se résignent pas à abandonner le savoir antique, tel Synésios de Cyrène, l'ancien élève d'Hypatie. Pendant longtemps, l'Eglise sera divisée sur cette question.

D'autre part, le film montre bien que beaucoup de gens se sont convertis au christianisme par nécessité plus que par conviction. La question se pose pour Oreste même qui, au début est païen, et devient chrétien. On voit aussi les derniers dignitaires païens se convertir sous la pression de Cyrille. Les chrétiens, peu persécutés par les empereurs romains (les quelques persécutions furent rares, souvent courtes et montées en épingle par des auteurs chrétiens), se sont montrés au final beaucoup plus intolérants que les païens. D'ailleurs, les persécutions anti-chrétiennes n'étaient pas religieuses mais politiques : il s'agissait de châtier ceux qui, refusant de sacrifier aux dieux, faisaient planer le doute sur leur loyauté envers l'Etat. L'empereur ne se préoccupait pas de la foi, qui lui importait peu. Là où la religion polythéiste se contentait d'un formalisme du geste, le christianisme exige une adhésion de l'esprit. En cela, il est loin d'être une religion de liberté et d'émancipation.

 

Saluons la bonne prestation des acteurs, tous fort crédibles. Bon, Hypatie au moment de sa mort ne ressemble pas vraiment à une femme de près de quarante-cinq ans… Mais la véritable Hypatie était réputée pour sa beauté. Michael Lonsdale campe un excellent Théon.

Enfin, le film souligne l'inévitable conflit entre science et religion révélée. Comme le dit Hypatie à un moment, qui paraît plus être une philosophe agnostique qu'une dévote des anciens dieux, ses recherches la conduisent à douter alors que les chrétiens sont comme prisonniers de leur texte sacré. Pourtant, toutes les religions ne tendent-elles pas au même objectif ? On notera que la prière à Sérapis au début du film ressemble beaucoup à une prière chrétienne.

 

Conclusion. Ironie de l'histoire, les descendants de ces chrétiens intolérants d'Alexandrie, appelés Coptes, sont aujourd'hui minoritaires en Egypte et en butte à l'hostilité grandissante des fanatiques d'une autre religion monothéiste : l'islam. On parle souvent de cette religion en soulignant son indéniable caractère politique et agressif. Mais en leur temps, les chrétiens ne furent pas moins agressifs et « politisés » : Cyrille et Oreste sont tous deux chrétiens, c'est donc bien une rivalité politique et non religieuse qui les oppose. Lorsque Ambroise, évêque de Milan (et ancien haut fonctionnaire), interdit à l'empereur Théodose de punir des chrétiens fanatiques qui ont détruit une synagogue et un sanctuaire de gnostiques dans une cité de Mésopotamie, est-ce le scrupule religieux qui le guide ? Ou est-ce la volonté d'affirmer la prééminence du pouvoir ecclésiastique sur le pouvoir impérial ?

 

Pour ceux qui s'intéresseraient à cette période passionnante et à la façon dont le christianisme s'est imposé, mettant fin à une période de relative liberté religieuse, je conseille la lecture des deux ouvrages suivants :

 

Chuvin P., Chronique des derniers païens. La disparition du paganisme dans l'Empire romain, du règne de Constantin à celui de Justinien, Les Belles Lettres/Fayard, 2009 (3ème édition)

Cet ouvrage se penche sur les derniers adeptes du polythéisme antique à travers tout l'Empire. Il présente les menées des chrétiens et les dernières formes de spiritualité païenne. L'histoire d'Hypatie y est exposée en détail. Ce livre se lit bien.

 

Traina G., 428. Une année ordinaire à la fin de l'empire romain, Les Belles Lettres, 2009

L'auteur a choisi ici un procédé original : il choisit l'année 428 et nous entraîne dans les différentes provinces de l'empire en racontant ce qui s'y passe cette année-là, et éventuellement ce qui s'y est passé il y a peu ou ce qui s'y passera. Le livre est très accessible, agréable à lire et pas très long. La mort d'Hypatie y est brièvement évoquée.



23/01/2010
18 Poster un commentaire

A découvrir aussi