L'étrange Alain Soral (1)
Connaissez-vous Alain Soral ? Cet homme se présente comme un sociologue et un « intellectuel français dissident » persécuté par le « Système ». Alain Soral partage avec les bobos le culte de l’altérité et de la marginalité. Dans sa jeunesse, il fut punk, d’après sa fiche biographique Wikipédia (1). Un temps adopté par le « Système », Alain Soral put goûter au cinéma, pour lequel il ne manquait pas de talent si l’on en croit certains. Et puis ce fut la rupture. Orgueil ? Conviction profonde ? Amertume devant une reconnaissance qui tardait ? Sans doute un peu de tout cela. Lorsqu’on écoute Alain Soral, on est frappé par l’occurrence des « moi je », « moi je ». Comme Tariq Ramadan, Alain Soral est un modeste. Son parcours politique peut paraître chaotique mais suit une certaine cohérence. D’inspiration marxiste, Alain Soral adhéra logiquement au PCF au début des années 90. Il conserve depuis une solide aversion pour les gauchistes en général et les trotskystes en particulier. Au cours des années 2000, Alain Soral se rapproche du FN et finit par y adhérer. Son projet est alors de donner un virage social et républicain à la « droite nationale » (le fameux « discours de Valmy » de Jean-Marie Le Pen) avec l’idée d’associer la « droite des valeurs » à la « gauche du travail ». Puis il quitte le FN, parce qu’il n’obtient pas la reconnaissance qu’il espérait disent certains, ou parce qu’il échoue à modifier un parti foncièrement réactionnaire selon d’autres. Et peut-être un peu des deux. Depuis, Alain Soral est son propre maître puisqu’il préside un mouvement « nationaliste de gauche », Egalité & Réconciliation, tout en s’associant régulièrement à des initiatives antisionistes. Il vient de sortir un livre, Comprendre l’Empire, dans lequel il précise ses convictions et le fondement de son idéologie. Je n’ai pas lu l’ouvrage mais je renvoie à une série d’articles qui lui est consacrée par les camarades de Socialisme&Souveraineté (2).
Dans l’ensemble, Alain Soral est boudé, moqué, méprisé, voire haï. Lui pense que c’est parce qu’il est dangereux pour le « Système ». Il est aussi possible que les cénacles qu’il a fréquentés jadis ne lui pardonnent pas d’être un renégat. Après tout, il fut tout prêt de faire partie des élites, et on peut se demander jusqu’à quel point sa hargne contre le « Système » ne procède pas d’une frustration compréhensible. Cela étant, ce n’est pas de ma part une condamnation : ce sont des frustrés qui ont fait la Révolution française… D’une manière générale, la frustration est un moteur de l’existence et ne produit pas forcément des comportements négatifs. Renégat, frustré, égocentrique, antisioniste obsessionnel, Alain Soral est sans doute tout cela. Mais il est un peu plus que cela. Sa culture littéraire et artistique est indéniable. Une partie de ses analyses n’est pas dénuée de pertinence, il a de bonnes intuitions et un talent d’orateur certain. Cet article repose sur le visionnage d’un certain nombre de vidéos, car Alain Soral aime parler, c’est le moins que l’on puisse dire. Et chaque mois, il livre ses réflexions dans un long monologue toujours disponible sur internet (3).
Le monde selon Alain Soral
Ce monde est relativement simple : il est dominé par ce qu’Alain Soral nomme le « Système » ou encore l’ « Empire » (voire « Satan »). Mais qu’est-ce que le « Système » ? Deux écoles s’affrontent : pour les gens comme Alain Soral, le Système est un ensemble de réseaux qui agissent de concert, pour atteindre un but commun. C’est un Big Brother collectif en quelque sorte. Il y aurait quelque part une assemblée des dirigeants officiels et occultes du monde (occidental essentiellement) qui prendrait les décisions en-dehors évidemment de tout contrôle démocratique. Ces gens-là tireraient toutes les ficelles, contrôleraient tout, même leurs opposants, et manipuleraient le monde entier. Certaines institutions (le Siècle, le groupe Bilderberg…), reconnaissons-le, prêtent le flanc à ce type de critique. Cela étant, comme le faisait remarquer Laurent Joffrin, est-ce parce qu’on dîne avec quelqu’un qu’on est d’accord avec lui ? Il règne en effet une certaine connivence malsaine entre politiques, décideurs économiques et personnel des médias, loin de moi l’idée de le nier. Cependant, cela suffit-il pour parler d’un Système cohérent ? Je ne le crois pas. Je fais partie de la seconde école qui considère que le Système est en fait le résultat de rapports de force complexes entre réseaux, lobbies, factions dont les intérêts sont divers et contradictoires. Il n’y a pas vraiment de Système, ou plutôt le Système est un compromis entre des intérêts contradictoires défendus par des gens qui, pour dîner ensemble, ne s’en détestent pas moins cordialement. Il faut avoir à l’esprit que chaque réseau veut toujours plus de pouvoir, et s’il doit composer avec d’autres, c’est moindre mal, s’il peut les éliminer, c’est encore mieux.
L’inanité du concept de « système » n’est pas très difficile à démontrer. Pour Alain Soral, le Système est dominé par l’ « axe américano-sioniste » représenté en France par le lobby judéo-sioniste ainsi que la franc-maçonnerie et les trotskystes (!). Dans une intervention, Alain Soral traite même un de ses ennemis d’ « agent trotsko-gouvernemental », ce qui est absurde, puisque les trotskystes se présentent comme des ennemis du Système. Ou alors ils sont malhonnêtes ou manipulés, mais il faudra le démontrer. Font partie aussi de ce système des associations comme Riposte Laïque. Le Système persécute Alain Soral, évidemment. Bien. A présent, si l’on se rend sur le site de Riposte Laïque, de quoi peut-on s’apercevoir ? Eh bien, Riposte Laïque est… persécutée par le Système ! Ce Système est composé cette fois-ci de la plupart des dirigeants, de droite ou de gauche, complaisants envers l’islam, d’une bonne partie de la mouvance laïque qui aurait « trahi » (Caroline Fourest, l’UFAL,…), et des islamophiles gauchistes ou nationalistes, comme Alain Soral. Moi, je suis bête. Alors il faudrait que quelqu’un d’intelligent m’explique comment Alain Soral et Riposte Laïque peuvent prétendre tous deux lutter contre le « Système », tout en étant considéré comme faisant partie dudit Système par l’adversaire ! Soit le Système est déchiré par de féroces rivalités (ce que je crois), soit il est dirigé par des imbéciles. En fait, c’est une technique rhétorique récurrente dans notre monde atteint de paranoïa aigüe : l’Autre, l’Ennemi, fait toujours partie du Système, alors que Moi, je suis le Dissident, le Résistant, et je suis persécuté, insulté, menacé de procès. Nous sommes en face d’une logique de victimisation qui s’est hélas généralisée en France. Il est tout à fait vrai qu’Alain Soral est parfois agressé, souvent insulté et régulièrement traîné devant les tribunaux (ou menacé d’y être traîné). Mais il met en scène cette « persécution » avec un art accompli : photo en détenu des camps (pour quelqu’un qui vilipende la « vulgarité sépharade »…) sur son site (4), vidéo relatant, expliquant et analysant une agression (5), sachant qu’il n’y a pas vraiment eu d’agression… D’un autre côté, il faut lire sur Riposte Laïque les très nombreux articles consacrés aux insultes, menaces, poursuites judiciaires éventuelles dont est l’objet l’association ou certains de ses membres. Là encore, les faits sont réels, mais on ne m’ôtera pas de l’idée que la publicité qui en est faite sert à s’attirer des sympathies. Somme toute, tout cela est de bonne guerre, et on ne reprochera pas à Alain Soral ou Riposte Laïque d’utiliser les ficelles dont bien d’autres se servent. On s’étonnera simplement qu’un Dissident et des Résistants soient si empressés à user des subterfuges qu’ils reprochent à leurs ennemis, judéo-sionistes pour le premier, musulmans pour les seconds…
Alain Soral et la République
L’homme se présente comme républicain, défenseur de la nation. Mais cet étrange républicain rejette la laïcité au prétexte qu’elle serait la « religion maçonnique ». Faisons donc le point sur les rapports entre la franc-maçonnerie et la République française.
Avant la Révolution, un certain nombre de nobles « éclairés » appartenaient à la franc-maçonnerie, laquelle n’était pas vraiment anticléricale. Le marquis de La Fayette était de ceux-là. Ces gens ont porté sur les fonts baptismaux la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Faut-il leur en faire grief ? Ces francs-maçons royalistes rêvaient d’une monarchie « à l’anglaise ». Ils furent pris de cours par la chute de Louis XVI, et certains d’entre eux finirent à l’échafaud. Parmi les premiers républicains, certains furent maçons, sans doute… ce qui ne les empêcha pas de mourir guillotinés ! Quand bien même les valeurs républicaines (Liberté, Egalité, Fraternité) seraient inspirées de la franc-maçonnerie, faut-il les rejeter pour cela ? Il y a belle lurette que ces valeurs sont devenues françaises et républicaines, et non point seulement maçonniques.
A la fin du XIX° siècle, la franc-maçonnerie a en effet soutenu la laïcité, et professe depuis un anticléricalisme revendiqué. Soit. Là encore, je ne vois pas où est le problème. Est-ce parce que la franc-maçonnerie dit « blanc » qu’il faut impérativement dire « noir » ? Est-ce qu’il m’est interdit de respecter des valeurs comme le travail, la famille ou la patrie parce que le Maréchal en avait fait sa devise ? Soyons sérieux. La laïcité n’est pas une « religion maçonnique », même pas une « religion républicaine ». La seule vraie religion républicaine fut toujours le patriotisme.
Tout cela n’empêche évidemment pas de formuler de justes critiques sur la franc-maçonnerie et sur ce qu’elle est devenue de nos jours. Qu’est-ce que la franc-maçonnerie aujourd’hui ? Une société secrète (ou du moins discrète). Qu’en penser ? A priori, la liberté doit permettre aux citoyens de s’organiser comme bon leur semble. Cela étant, pourquoi se cacher si l’on est honnête ? Qui plus est, lorsqu’on a la prétention de peser sur le débat public, c’est un peu ennuyeux. Or les chefs des principales loges maçonniques sont reçus régulièrement à l’Elysée. Pourquoi ? Que représentent ces gens ? Où est leur légitimité ? On doit bien convenir que les loges apparaissent comme des lieux privilégiés de connivence, de copinage et de piston. On est très loin des valeurs républicaines que prétendent honorer les francs-maçons.
Si les réseaux maçonniques ont une influence qu’il ne faut sans doute pas mésestimer, rappelons que la franc-maçonnerie, comme les chrétiens ou les musulmans, est divisée en obédiences, autant de chapelles rivales. Et à l’intérieur des loges, malgré l’ambiance feutrée, les affrontements n’en existent pas moins, comme le laissent penser des articles de Riposte Laïque relatant des désaccords entre « frères » au sujet de l’islam par exemple. Tiens, tiens…
On peut donc conclure que la franc-maçonnerie est sans doute une des sources d’inspiration de l’idéologie républicaine, ce n’est certainement pas la seule (on pourrait évoquer la culture antique). On peut condamner les pratiques maçonniques sans rejeter certains de ses apports, comme l’idée d’égalité ou le principe de laïcité. Prétendre défendre la République en éliminant tout ce qui serait « maçonnique » relève du tour de force, car les différents apports à la culture républicaine sont depuis longtemps mêlés de manière inextricable.
Suite:
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Soral
(3) l’entretien de février 2011 :
http://www.youtube.com/watch?v=P5hiMxq2bZA
http://www.youtube.com/watch?v=rtWt4sw0inY&feature=related
(4) http://www.alainsoral.com/
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