Education: le recteur d'Orléans-Tours cogne dur
Connaissez-vous la région Centre ? C’est une paisible contrée du Bassin Parisien. Les Tourangeaux, Berrichons, Solognots, Beaucerons, Percherons, Blésois, Orléanais et Gâtinais qui l’habitent sont dans l’ensemble des gens calmes et modérés. Une coalition de gauche dirige le conseil régional, c’est dire. Il ne se passe pas grand-chose dans cette région : pas de querelle identitaire, pas de revendication régionaliste, pas de percée spectaculaire des extrêmes. La région est par ailleurs une simple entité administrative, l’énumération susdite témoignant d’une absence totale de cohésion « historique ». La preuve en est, il n’y a pas de gentilé pour les habitants de cette région (1). Etant anti-régionaliste, je ne m’en plains pas. Mais je trouve qu’on pourrait en effet transformer le nom de la région en « Val de France » ou « Centre-Val de France » plutôt que « Val de Loire », car l’Indre et l’Eure-et-Loir ne sont pas traversés par le fleuve royal. Voilà pourtant que notre ministre de l’Education nationale, M. Luc Châtel, a décidé d’envoyer une personne à poigne pour bousculer un peu les habitants de cette région, qui ronronneraient un peu trop, notamment les enseignants. Il est bien connu que plus on bouscule les gens, plus ils adhèrent à votre projet.
Madame le Recteur de l’académie d’Orléans-Tours a donc accordé une interview étoffée à la gazette locale, la Nouvelle République du Centre-Ouest. Autant dire qu’elle a lâché une bombe. Eviter la langue de bois, je suis pour. Distiller le mensonge et les insinuations injurieuses, je dis non. Quelques mises au point s’imposent donc. Une partie de l’interview datée de samedi 18 juin est disponible sur le site de la NR (2).
La première chose que je n’ai pas apprécié dans cet article, ce sont les quelques lignes nous expliquant que Madame le Recteur est née au Maroc et a des origines espagnoles. Et alors ? Moi, j’ai des origines bourbonnaise, limousine, languedocienne et d’autres. Quel intérêt ? A moins que… A moins qu’aujourd’hui en France, avoir des origines étrangères soit devenu un titre de noblesse, un brevet de multiculturalisme qui vous évite de facto les accusations de fascisme. Pas de chance, ce fut insuffisant pour Mme le Recteur. Ces quelques mots sont là pour nous rappeler que la propagande pour la « diversité » est omniprésente. Etrange société qui prétend condamner les racines de certains, et qui cède au culte des origines… pour ceux qui viennent d’ailleurs.
Qu’attendez-vous de nous, Mme le Recteur ?
Voici la question qui me brûle les lèvres après la lecture de l’interview complète. Je suis professeur d’histoire-géographie dans l’enseignement public, j’achève cette année ma troisième année en tant que certifié titulaire. Je ne comprends pas les remarques désobligeantes de Mme le Recteur qui paraît assez peu au fait de notre métier.
Voici ce qu’on peut lire : « Deux tiers des enseignants sont dans leur établissement depuis plus de 6 ans, l'autre tiers, ce sont des étoiles filantes. Ces enseignants, tout en faisant très bien leur travail, sont dans une routine, sans esprit d'innovation. »
C’est faux. Cela ne correspond pas du tout à ce que j’ai observé dans les différents établissements dans lesquels j’ai travaillé. Je l’ai déjà dit : oui, il y a des enseignants peu sérieux, des planqués, des brebis galeuses, dans l’Education nationale comme partout ailleurs, secteur privé compris. On pourrait après tout gloser sur le cas Luc Ferry, qui coûte cher à la collectivité pour une utilité qui ne m’apparaît pas clairement. Mais n’embourbons pas le débat. Qu’ai-je vu au cours de ces trois années ? Beaucoup de professeurs sérieux, consciencieux, volontaires. Et volontaires pour des expérimentations et des innovations, car il y en a. Beaucoup. Mise en place du socle commun, nouveaux programmes, développement des TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement, bref internet et les logiciels spécialisés), histoire des arts : les occasions de se remettre en cause, de « faire évoluer sa pratique » ne manquent pas. Nous reprocher l’immobilisme, c’est injuste. Dire que nous sommes dans la routine, c’est un mensonge pur et simple. L’innovation a un coût, en temps et en argent. Pour le temps, la question des horaires se pose : des collègues devant assurer 20 heures et plus de cours, des fonctions de professeur principal, ont-ils vraiment le temps d’innover ? Car 20 heures de cours, ce n’est pas 20 heures de travail hebdomadaire comme j’ai déjà essayé de l’expliquer (3). Il y a l’aspect matériel : les équipements sont coûteux. Certains établissements sont déjà très bien équipés, d’autres sont un peu à la traîne. Un TBI (Tableau Blanc Interactif, ou TNI, Tableau Numérique Interactif, on aime les acronymes chez nous), c’est très joli, mais il faut apprendre à s’en servir, l’insérer dans son cours et ses activités. Les professeurs ne sont pas des machines : il nous faut un peu de temps pour apprivoiser la nouveauté. Il y a parmi nous une avant-garde, active, dynamique, qui pousse, encourage, forme les collègues, et qui les agace parfois un peu, il faut le dire, mais cette avant-garde est nécessaire. J’ai été formé par ces gens, et je leur suis reconnaissant de ce qu’ils m’ont appris. Il y a ensuite le gros de la troupe qui suit bon gré mal gré, qui s’y met progressivement (je l’avoue, j’appartiens à cette catégorie). Et pour finir, on trouve, c’est vrai, quelques groupes d’irréductibles qui refusent le changement. En général des professeurs en fin de carrière qui bientôt partiront à la retraite (ou du moins qui espèrent partir…). Tout au long du XX° siècle, les méthodes pédagogiques n’ont cessé d’évoluer et de se transformer. Dire aujourd’hui que nous nous complaisons dans l’immobilisme et dans la « routine », c’est inadmissible. Bien sûr, nous pouvons encore progresser, nous améliorer. Beaucoup d’entre nous y travaillent. Mais réfléchir à sa pratique, cela ne se fait pas en quelques jours. Il faut des mois, des années. C’est une œuvre de longue haleine.
D’autre part, de quelles innovations parlent Mme le Recteur ? Les enseignants ne sont pas des cadres du privé : nous sommes avant tout des exécutants. Notre travail est encadré par des textes réglementaires : nous avons un programme précis à suivre, nous avons des recommandations pour son application. Ensuite, il est vrai qu’une certaine latitude, appelée « liberté pédagogique », nous est accordée. Mais il ne faut pas l’exagérer et aller s’imaginer qu’on peut faire tout et n’importe quoi. L’essentiel du travail demeure la tâche de faire acquérir connaissances et compétences aux élèves qui nous sont confiés. Et j’ajoute que ces connaissances et compétences sont précisément listées dans le socle commun. Par conséquent, nous avons une feuille de route somme toute assez contraignante qui ne donne pas tant de marges de manœuvre que certains le pensent. Nous n’avons pas à « réinventer notre métier », puisque des textes officiels nous précisent ce que nous devons faire. Alors, de quelle innovation Mme le Recteur veut-elle parler ? Evoque-t-elle les « projets » ? Parlons-en de tous ces « projets » dans lesquels on nous encourage à nous investir. D’abord, cela représente très souvent un investissement colossal en terme de temps, et j’ajoute un investissement en partie bénévole, éventuellement récompensé par quelques heures supplémentaires payées en fin d’année. Or, le travail « ordinaire » de l’enseignant (qui passe de plus en plus pour quantité négligeable aux yeux du ministère), s’il est fait convenablement, prend déjà beaucoup de temps, contrairement à certaines idées reçues. Je rappelle aussi que l’enseignement est un travail salarié, non un sacerdoce. J’aime ce que je fais mais, au risque de dissiper le halo de romantisme qui entoure parfois la profession, je fais le travail pour lequel on me paie. J’estime être payé correctement pour le travail effectué. Ni surpayé, ni sous-payé. Mais il faut rappeler aussi que certains d’entre nous ont des familles, des jeunes enfants, des passions extra-professionnelles. Après tout, nous pouvons tout de même prendre un peu de temps pour profiter de l’argent que nous gagnons. Ce faisant, soit dit en passant, nous participons au fonctionnement de l’économie du pays… Tous ses projets, très « chronophages » comme on dit, n’apportent même pas la reconnaissance escomptée. J’ai vu bien des collègues déçus voire déprimés en fin d’année en constatant la maigre récompense de leurs efforts. Et il n’est pas ici question d’argent : il s’agit de reconnaissance des chefs d’établissement ou du corps d’inspection, voire des parents d’élèves. Quand vous donnez de votre temps et de votre énergie pour lire les propos de Mme le Recteur…
« En ce qui concerne les effectifs, selon les établissements, 21 élèves c'est trop, ailleurs on peut aller jusqu'à 30. »
Je suis d’accord avec la première partie de la phrase, beaucoup moins avec la suite. Mme le Recteur précise qu’une dynamique de classe n’est possible qu’avec un minimum de 18 élèves. Je suis d’accord. Je ne fais pas partie des hurluberlus qui réclament 15 élèves par classe. Soyons honnête : l’Education nationale a un coût important pour la nation. Une nation dont les comptes ne sont pas au mieux. J’entends bien que tout n’est pas possible (contrairement au slogan électoral d’un certain… Nicolas Sarkozy). Des classes à 18-20 élèves minimum en ZEP, cela ne me choque pas. L’effectif n’est jamais le seul paramètre : il y a l’ambiance dans l’établissement, la solidarité (parfois inexistante) entre les professeurs, la fermeté de l’administration. L’effectif n’est pas l’alpha et l’oméga. Pour autant, il ne faut pas minimiser son impact. 30 élèves dans une classe en primaire ou en collège, cela signifie clairement que les élèves en difficulté seront laissés de côté, en contradiction avec les instructions qui nous sont donnés par ailleurs. Et je ne parle même pas des cours de langues, où il est demandé de privilégier l’oral. Avec 3 heures de cours hebdomadaires et 30 élèves, bonne chance… On pourrait évoquer également la raréfaction des dédoublements en Physique-Chimie et SVT, prélude possible à une disparition des Travaux Pratiques qui font tout l’intérêt de ces matières. 24-25 élèves maximum par classe en primaire et au collège, cela permet de travailler dans des conditions correctes. Malheureusement, ce qui devrait être la règle devient trop souvent l’exception.
« Ici, je trouve que, globalement, l'Éducation nationale est trop maternante et pas assez paternelle pour donner quelques coups de pied au derrière ! On doit pousser les jeunes pour qu'ils aillent plus loin, plus haut. »
Accusation infondée. Mme le Recteur nous reproche particulièrement de « surprotéger » les élèves du rural isolé, de les dissuader de s’engager dans des filières que nous considérerions comme inaccessibles pour eux. D’abord c’est faux. J’ai travaillé dans des établissements du rural isolé. Je puis témoigner qu’en conseil de classe, j’ai vu les enseignants batailler pour que des élèves de bon niveau suivent des filières générales, au lieu de choisir un cursus professionnel. Ce sont bien souvent les élèves eux-mêmes et leurs parents qui manquent d’ambition. D’autre part, les filières professionnelles sont-elles déshonorantes ? Non. Mieux vaut un apprentissage en plomberie et un métier à la clé qu’un master d’économie et le chômage au bout des études. N’en déplaise à certains, la France n’a pas seulement besoin d’ingénieurs, de médecins, de cadres commerciaux. Notre pays a aussi besoin de plombiers, boulangers, bouchers, menuisiers, électriciens… Aujourd’hui, la formation peut se compléter au cours de la vie. Je connais des gens qui ont entamé leur apprentissage après le collège et qui sont à la tête de leur entreprise à vingt-cinq ans à peine. Est-il nécessaire de faire une licence de sociologie pour finir vendeur de hamburgers chez McDonald ? Enfin, là encore, il faut le répéter : tout n’est pas possible. Il est de notre devoir de dire à des élèves qu’ils n’ont pas le niveau pour certaines filières. Il faut dire ici quels ravages provoque la démagogie consistant à faire croire que tout le monde peut réussir en filière générale, sans travail. Ce n’est pas vrai. Nous ne sommes pas tous programmés pour être des bac + 4. Et ce n’est pas grave, ou plutôt ce ne le serait pas s’il n’y avait un certain mépris pour les filières technologiques et professionnelles (dont on attend toujours la revalorisation). Des élèves de 3ème dont le niveau est faible et qui passent en Seconde, nous en voyons défiler. La suite est souvent peu réjouissante : dans des classes de 30-35, largués, incapables de combler leurs lacunes lorsqu’elles sont trop importantes, le lycée devient vite un calvaire pour ces jeunes. J’ai vu le résultat des « hautes ambitions » de certains parents : un désastre. L’idée selon laquelle il suffirait de « quelques coups de pied au derrière » pour produire des centraliens et des énarques est tout simplement fausse. Fausse, ridicule et dangereuse. Là encore, laisser de côté la langue de bois n’implique pas de donner dans le propos de comptoir de bistrot.
Education nationale et immigration
Mme le Recteur déclare ailleurs : « Si on enlève des statistiques les enfants issus de l'immigration, nos résultats ne sont pas si mauvais ni si différents de ceux des pays européens. Nous avons beaucoup d'enfants de l'immigration et devons reconnaître notre difficulté à les intégrer. »
Ces propos ont fait scandale, mais étrangement ceux-là défraient la chronique plus que le reste. Il faut dire que dès qu’on prononce le mot « immigration », la gauche bobo voit rouge et les écolos sont verts de rage. On a l’indignation sélective chez les bien-pensants immigrationnistes. La première phrase est illogique : si l’on fait des statistiques sur les résultats des élèves de la région, soit on prend tous les élèves, soit les statistiques ne valent rien. Pourquoi enlever « les enfants issus de l’immigration » (dont quelques uns sont de bons voire de très bons élèves) ? Sur quel critère ? Est-ce que Mme le Recteur pourrait nous définir précisément, en statistique, un « enfant issu de l’immigration » ? Un parent étranger ? Né à l’étranger ? Deux parents ? Qu’on utilise cette notion, je puis le comprendre, je l’emploie régulièrement sur ce blog. Mais dans des statistiques… Et de quelle immigration parle-t-on ? Si par exemple on garde les enfants issus de l’immigration espagnole et portugaise, change-t-on vraiment les résultats ? Je parierai que non. De plus, il est certain que si on ôte les enfants issus de l’immigration, les enfants de milieux défavorisés, les enfants des gens du voyage, les enfants de parents divorcés, alcooliques…, bref, si on ne garde que les enfants issus de milieux favorisés, on obtiendra sûrement les meilleurs résultats de l’UE. Pourtant, si les statistiques ne portaient que sur les milieux ruraux, les résultats seraient assez mauvais. Or, il n’y a pas tellement d’immigrés à la campagne. Ce « tri sélectif » ne me plaît pas, et il est malhonnête : si on ôte des statistiques les cas qui posent problème, on obtient forcément de bons résultats.
La deuxième phrase, en revanche, est vraie. C’est choquant peut-être. D’ailleurs, les Verts du conseil régional n’ont pas manqué de protester contre cette atteinte à la sainte diversité-qui-nous-enrichit-tant. Comment appelle-t-on des gens qui nient la réalité ? Pourtant, Mme le Recteur a cette fois dit la vérité. La diversité est devenue ingérable en certains endroits, d’autant que le gouvernement qui supprime des postes de professeur n’a rien fait pour endiguer sérieusement l’immigration, malgré les promesses et la crise économique. Le nombre d’élèves immigrés « primo-arrivants » croît : Subsahariens, Tchétchènes (très sympathiques ceux-là…), Kosovars avec des classes surchargées pour les accueillir. C’est sûr, l’intégration n’est pas facilitée. Les écolos bobos et toute la gauche bien-pensante soutiennent l’immigration mais refusent de voir ses conséquences néfastes. Aveuglement lamentable. L’intégration, ce n’est pas qu’une question de moyens, malheureusement. C’est aussi une question de volonté de la part des immigrés. Ces gens sont-ils prêts à renoncer à une partie de ce qu’ils sont pour devenir français ? Certains, oui. Beaucoup, non. Il y a des frictions (et je suis poli) de plus en plus sévères entre les jeunes de tradition musulmane et les principes de l’école républicaine que nombre de chefs d’établissements mettent entre parenthèses pour « ne pas faire de vague », mot d’ordre qui vient tout droit… du rectorat ! M. Delavergne et les Verts de la région Centre ou d’ailleurs nient-ils ce choc culturel (car c’en est un) ? Si tel est le cas, leur inconscience finira par nous coûter cher. Mais je gage que ces courageux « citoyens du monde » seront les premiers à prendre l’avion pour New York, Toronto ou Sydney quand la situation deviendra critique…
Que peut-on reprocher au final à Mme le Recteur ? Certainement pas de « ne pas être de gauche ». Je ne me sens pas de gauche, je suis mal placé pour reprocher à quelqu’un de ne pas l’être. Pas plus qu’il ne serait juste de lui reprocher de ne pas être enseignante : on peut avoir des idées sur la politique éducative sans être professeur. Ses propos sur l’immigration sont maladroits peut-être, en aucun cas xénophobe. Non, le problème serait plutôt qu’on a le sentiment d’écouter quelqu’un qui ne connaît pas grand-chose au sujet dont il traite, et qui nous ressort tous les bons vieux clichés de droite sur les enseignants, sous couvert de refuser la langue de bois. Ce qui est grave, c’est que Mme le Recteur est notre supérieure, représentante du ministère, et chargée de défendre l’Education nationale. Au lieu de cela, elle nous enfonce, publiquement, et en répandant mensonges et calomnies. C’est affligeant. Une question vient à l’esprit : que penser d’un Etat qui repose sur de tels serviteurs ?
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Noms_des_habitants_du_Centre_et_de_ses_d%C3%A9partements
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