Génération Identitaire et l'inquisition islamophile
L’organisation Génération Identitaire (GI), une filiale du fameux Bloc Identitaire, a défrayé la chronique en occupant samedi 20 octobre le chantier de la grande mosquée de Poitiers. Soixante-treize membres de GI, venus de toute la France, étaient présents. Ils ont évacué les lieux, sans violence, en début d’après-midi. Quatre d’entre eux ont été mis en examen et soumis à un contrôle judiciaire sévère au terme de leur garde à vue. On a parfois tendance à imaginer que l’extrême droite en France se résume au Front National. Eh bien ce n’est pas le cas. Les identitaires sont une composante importante de l’extrême droite, sinon numériquement, du moins médiatiquement et culturellement. Je n’ai pas de sympathie pour la mouvance identitaire, mais je pense que les réactions de certaines personnalités (Jean-Luc Mélenchon par exemple) et organisations (MRAP, PS, PCF,… bref, toujours les mêmes) sont disproportionnées : « réaction judiciaire ferme » voire « dissolution » du mouvement identitaire sont réclamées à cors et à cris, ce qui montre une fois de plus que la gauche bobo antiraciste et immigrationniste ne répugne pas à utiliser des méthodes contestables pour faire taire ses adversaires. Pour des gens qui beuglent leur « antifascisme » à tout instant, c’est un rien paradoxal. Tout démocrate, tout républicain, tout citoyen devrait s’élever, quelle que soit son opinion sur les identitaires (et je vais donner la mienne, ainsi on ne me taxera pas de connivence avec eux), contre le retour du délit d’opinion, de l’inquisition et d’une véritable police de la pensée. Critiquer l’implantation de l’islam en France est un droit, relevant de la liberté d’expression, sans laquelle il n’est point de démocratie. Par ailleurs, toute personne intelligente devrait comprendre que la réaction exagérée à ce qui n’est, au fond, qu’une habile opération de communication, ne peut au final que donner raison et conforter les identitaires. Ces derniers auront en effet beau jeu de crier sur tous les toits: « Vous voyez, avec quelle hargne on nous traite, alors que nous n’avons commis aucun crime. Regardez comme ces gens, qui disent être tolérants, cherchent à nous faire taire, simplement parce que nous critiquons l’islamisation de la France ». Mais que s’imaginent donc les dirigeants de la gauche bobo antiraciste ? Qu’en jetant en prison quelques identitaires et en interdisant leurs organisations et sites internet, l’islamophobie disparaîtra comme par magie ? Ces gens manquent-ils de finesse au point de croire que déchaîner l’inquisition bien-pensante contre les identitaires suffira à détruire leurs idées, alors même qu’ils ne font qu’alimenter le terreau sur lequel elles prospéreront ?
Qui sont les identitaires ?
La mouvance identitaire est une composante de l’extrême droite distincte du Front National, seule véritable expression électorale de l’extrême droite, ou « droite nationale » pour employer le terme que les frontistes préfèrent. De droite, les identitaires le sont sans doute, et de toute façon on les y classe de fait, mais « nationaux », certainement pas. Vous trouverez chez eux peu de référence à la nation. Les identitaires défendent une ligne ethniciste, régionaliste et euro-fédéraliste. Leur discours s’articule autour des « patries charnelles », des identités locales et d’un culte, à mon sens excessif, des racines. Ce que j’ai toujours reproché aux identitaires, c’est d’encourager un tribalisme blanc, « gaulois », sous couvert de dénoncer le communautarisme des populations issues de l’immigration. Mais, quand on y réfléchit, le projet identitaire est l’exact pendant du tribalisme ethnique et religieux qui se développe dans les banlieues peuplées de Maghrébins et de Subsahariens. En bon jacobin, je rejette le régionalisme et le culte des identités locales. Si trop de républicains français, à force de raisonner dans l’abstrait, avec uniquement des concepts comme « citoyen », « République », « démocratie », ont perdu de vue la réalité humaine et historique de la France comme patrie, avec une population native enracinée et dotée d’une identité propre, les identitaires, eux, sombrent dans l’excès inverse : ils oublient toute la tradition politique française qui s’est efforcée de penser l’homme et le citoyen au-delà des appartenances communautaires, ethniques ou religieuses. La société républicaine repose sur le citoyen dépositaire d’une partie de la souveraineté, alors que la société identitaire se base sur le clan, la tribu, la meute. L’individu s’efface devant la communauté de sang, tandis que la République recherche depuis toujours le subtil équilibre entre individualisme et appartenance à la communauté politique qu’est la nation. Comme les communautaristes qu’ils dénoncent, les identitaires se condamnent à sacrifier l’individu à la collectivité. Cette dernière, chez les identitaires, est fermée et exclusive, puisqu’elle repose uniquement sur les « racines », c’est-à-dire en fait sur le sang. J’ai toujours pensé que l’ouverture de la nation, tant vantée à gauche, était excessive et découlait de deux erreurs : une erreur historique, à savoir que la France serait une « éternelle terre d’accueil », ce qui est faux, et une erreur idéologique qui voit dans l’universalisme républicain un carton d’invitation à venir en France pour tous les miséreux, les exilés, les persécutés, etc. Je plaide pour une ouverture mesurée, qui veillerait à limiter les flux d’immigration, à assimiler les nouveaux venus avec plus d’exigence, à expulser le cas échéant les populations rebelles, le tout sans bouleverser la prééminence démographique et culturel du vieux noyau de peuplement autochtone. Le contraire du paradis multiculturel qu’on nous promet, en somme.
Les identitaires se sont surtout illustrés dans la critique de l’immigration et de l’islamisation, ce qui les a amenés à contracter des alliances avec des organisations laïques venues de la gauche, comme Riposte Laïque, avec laquelle ils ont mené plusieurs actions, dont les Assises contre l’islamisation (décembre 2010) que certains inquisiteurs, comme le mélenchonien Alexis Corbière, avaient tenté d’interdire, oubliant au passage que la liberté d’expression s’applique également aux gens qui disent des choses qui ne nous plaisent pas. Autant le dire franchement, je partage l’islamophobie et l’hostilité envers l’immigration des identitaires. Mais ces derniers sont surtout des spécialistes du « coup » médiatique. Leur activisme a un côté brouillon, bien que leurs actions soient en général bien préparées, avec parfois une touche d’humour qui n’est pas désagréable. En tout cas, peut-être par calcul politique, sans doute conscients du fait que le moindre dérapage leur attirerait les foudres de la justice et de l’opinion, les identitaires se gardent en général d’user de violence. Il faut dire qu’on ne leur pardonnerait pas le dixième de ce qu’on pardonne aux « jeunes » des « quartiers », dont on taira l’origine par correction. Outre les désaccords de fond déjà évoqués, je pense que les identitaires pèchent par un manque de travail théorique et doctrinal. Les questions économiques, sociales et institutionnelles ne les intéressent guère. L’identité est leur seule obsession. Cela est sans doute à mettre en lien avec le public qu’ils ciblent : la jeunesse. De ce point de vue, les identitaires sont à la mode : ils font preuve en toute occasion d’un jeunisme débridé. Alors, bien sûr, il n’est pas nécessaire de faire un travail idéologique approfondi : quelques slogans chocs, beaucoup d’émotions, de la couleur, des drapeaux, des points levés, et le tour est joué. La technique est simple et elle marche. D’ailleurs, elle est directement empruntée aux gauchistes. Ils n’apprécieront sans doute pas, mais les identitaires ont un petit côté NPA. Pour conclure, je dirai que je partage les inquiétudes des identitaires sur l’immigration, l’islam et le multiculturalisme, mais je n’ai aucune sympathie pour leur (vague) projet politique d’Europe ethnique régionalisée.
Non à la chasse aux sorcières !
Les identitaires sont peu nombreux, et très minoritaires au sein de l’extrême droite. Il ne faut pas sous-estimer leur influence qui dépasse de loin leurs scores électoraux très modestes et leurs effectifs non moins modestes. Les identitaires, comme nombre de groupuscules d’extrême droite, ont une relation ambigüe avec le FN. Au fond, je crois qu’ils reconnaissent le FN comme le « chef de la famille », mais leurs lignes politiques diffèrent sensiblement. Toutefois, le FN n’est pas imperméable à ces mouvements qui gravitent autour de lui. D’abord, il y a des échanges de militants, identitaires devenant frontistes ou frontistes en rupture de ban se rapprochant des identitaires, et il y a des influences idéologiques. Le FN a emprunté aux identitaires une partie de sa rhétorique anti-islam et, comme les identitaires l’avaient fait en s’alliant avec Riposte Laïque, Marine Le Pen a repris le concept de laïcité pour alimenter son discours anti-islam. Tout porte à croire que cette stratégie a assez bien fonctionné. Les identitaires en eux-mêmes ne représentent aucun danger. Ils sont peu nombreux et ils demeurent dans la légalité. De surcroît, la pauvreté de leur discours ne leur permettra jamais d’être crédibles. Ils mènent leur bataille sur les plans médiatique et « culturel ». Je ne vois aucune raison de craindre particulièrement la mouvance identitaire qui, depuis ses origines, n’a pas vraiment connu une croissance exponentielle, restant cantonnée à ses milieux traditionnels.
Alors, pourquoi ce déchaînement, cette formidable avalanche d’accusations de « fascisme », de « néo-nazisme », d’« extrémisme violent et haineux » ? Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls, Harlem Désir ne sont pas (en théorie) des imbéciles : ils connaissent parfaitement le poids réel des identitaires. Qui peut croire que ces derniers les inquiètent autant ? D’où vient cette promptitude à réclamer « dissolution » et « réponse judiciaire ferme » ? Elle vient de ce que les identitaires ont appuyé là où ça fait mal : la question de l’islam et, de manière sous-jacente, le thème de l’immigration. Certes, les identitaires sont très minoritaires en France, mais les islamophobes le sont beaucoup moins. Et cela, les dirigeants de la gauche bien-pensante le savent. Je pense que la campagne d’intimidation, faite d’anathèmes et d’injures tellement outrancières qu’elles en deviennent ridicules (une certaine gauche traite tous ses adversaires de « fascistes » depuis des années, à force le procédé perd de sa crédibilité), vise moins les identitaires que les islamophobes en général. Le message est clair : il est interdit de s’en prendre à l’islam ! On se souvient de la récente affaire des caricatures de Charlie Hebdo. Laurent Fabius, Ministre des affaires étrangères, et Jean-Marc Ayrault, Chef du gouvernement, avaient à cette occasion fait part de leur profond attachement à la liberté d’expression « mais »… sous-entendu, il ne faudrait pas abuser des bonnes choses. D’ailleurs, le Premier ministre, si j’ai bonne mémoire, avait invité à demi-mot les musulmans à porter l’affaire en justice. Etrange conception de la liberté d’expression. La classe politique à l’unisson ne s’était pas privée de dénoncer partout « le mauvais goût » d’un journal qui « jetait inutilement de l’huile sur le feu » pour de basses raisons mercantiles (un journal essaie de se vendre, c’est logique…). Juste une question : combien de dirigeants politiques s’émeuvent lorsque paraissent des caricatures de Charlie Hebdo sur le pape, l’Eglise, l’armée, la police ? Aucun. Et pourtant, ces caricatures sont fréquentes, et souvent d’une cruauté ordurière.
La justice paraît décidée à appliquer la loi dans toute sa rigueur à l’encontre des militants de Génération Identitaire. Très bien. Je ne m’en plaindrais pas… si la justice faisait preuve du même zèle lors d’affaires similaires ! Lorsque des voyous de la FNSEA ou du comité des « vignerons en colère » saccagent une sous-préfecture, bâtiment public, provoquant des milliers d’euros de dommages, réglés par le contribuable, avez-vous déjà entendu les partis et organisations de gauche réclamer la dissolution du syndicat agricole en question ou l’emprisonnement de ses chefs ? La justice se montre-t-elle si sévère dans ces cas-là ? Quand José Bové et les faucheurs volontaires détruisent des parcelles d’OGM de l’INRA, organisme public, combien de dirigeants politiques de gauche réclament « des peines exemplaires » ? Certes José Bové a été condamné, mais légèrement le plus souvent. Apparemment, la loi s’applique pour certains, moins pour d’autres. Et on pourrait multiplier les exemples. Lorsque j’étais étudiant, mon université fut fréquemment bloquée par des gauchistes, qui s’arrogeaient le pouvoir de manière fascisante et anti-démocratique lors d’AG qui relevaient de la mascarade. Ces petits fascistes de gauche bloquaient illégalement les bâtiments de l’université, livrant une partie des locaux à des clandestins qui transformaient les lieux en porcherie, il n’y a pas d’autre mot, tout simplement parce qu’une faculté n’est pas un hôtel. Eh bien, jamais je n’ai entendu les élus locaux s’indigner et réclamer la fermeté à l’égard de ces agitateurs. Mieux, lorsqu’une délégation d’étudiants se rendit au commissariat pour demander à la police qu’on chassât les factieux, les fonctionnaires haussèrent les épaules. Et je passe sur les « sittings » improvisés, les défilés non-autorisés,… Où était-elle, la justice française si prompte aujourd’hui à faire respecter les lois ?
Je suis convaincu que l’inquisition qui se déchaîne contre les identitaires n’a pas pour but de les punir pour ce qu’ils ont fait. D’ailleurs, ils n’ont pas fait grand-chose : il n’y a ni mort, ni blessé, ni destruction notable. Je fais remarquer que, lorsque des « jeunes » des « cités » s’énervent, on ne peut pas en dire autant, bien que, « dans un souci d’apaisement », la répression soit souvent molle. Les identitaires n’ont pas « profané » de mosquée, puisque c’est encore un chantier, et l’édifice n’a pas été consacré. Ils l’ont occupé provisoirement et pacifiquement, et ont évacué les lieux lorsque les autorités l’ont exigé. La police a vérifié les identités des militants, et c’est bien normal. Les responsables ont été placés en garde-à-vue car il y a violation de propriété et organisation d’une manifestation illégale, c’est bien normal. Et cela aurait dû s’arrêter là. Au-delà, ça relève de l’acharnement. On peut se poser la question : s’agit-il de punir les identitaires pour ce qu’ils ont fait, ou bien pour ce qu’ils sont (des militants d’extrême-droite) et pour ce qu’ils pensent (l’islam n’a pas sa place ici) ? Est-on en train d’instruire le procès d’un acte de vandalisme ou bien celui de la critique de l’islam ? Le délit d’opinion serait-il de retour en France ? L’Etat espère peut-être décapiter le mouvement en poursuivant ses chefs, ou faire peur à d’éventuels nouveaux adhérents. Je crois que cette politique est vouée à l’échec. Plus les Français auront le sentiment que l’islam est intouchable, protégé, choyé, alors même qu’il se montre intolérant et intransigeant, plus l’islamophobie montera dans notre pays. Et condamner les responsables du mouvement identitaire n’y changera rien. Les identitaires ne sont pas des idiots : ils avaient prévu la réaction de toute la gauche bobo bien-pensante. Et elle va leur profiter. Par ailleurs, il serait temps que le débat politique se déroule ailleurs que dans les prétoires. La démocratie y gagnerait.
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