La France de retour dans le commandement intégré de l'Otan
L'actualité de cette fin de semaine est sans conteste dominée par la grand-messe atlantiste de Strasbourg. M. Sarkozy a tenu à rappeler que l'Otan était "notre famille". Les commentateurs ont été très durs à l'égard du président, et on ne saurait lui imputer tout le déroulement d'un processus qu'il a simplement mené à son terme logique.
Mais revenons en arrière: années 60, Charles de Gaulle, patriote intransigeant, claque la porte de l'Otan (ou pour être précis, du commandement intégré de l'alliance). Les GI's bouclent leur paquetage et "go home" au grand désespoir des cafetiers installés près des bases et des nombreuses Françaises amoureuses de l'uniforme, surtout lorsqu'il est étranger. D'ailleurs les Françaises sont toujours très attirées par les virilités exotiques, il suffit de se promener dans la rue pour le constater. De Gaulle noue des relations avec l'URSS et reconnaît la République populaire de Chine. Son objectif? Assurer l'indépendance de la France en misant sur l'équilibre entre les deux superpuissances qui régissent le monde. Le pari est habile. Il n'a jamais été question de trahir l'Occident, mais simplement de rappeler que les Anglo-saxons ne sont pas ses seuls hérauts. Le général n'est pas un fanfaron inconséquent, ni un anti-américain primaire: il a connu la guerre, il a vu la France à genoux, occupée, humiliée. Il sait ce que la France doit à ses alliés anglais et américains. De Gaulle a au contraire parfaitement saisi la situation géopolitique et a fort bien entrevu le "créneau" international que la France peut occuper dans le concert des nations, eu égard à ses ressources. Il s'agit pour notre pays de jouer le rôle d'une puissance moyenne, sans prétention hégémonique, avec laquelle il faut cependant compter. C'était là, non seulement une belle ambition, mais également une ambition réaliste. Tout change après le départ du général. Ses successeurs font mine de rester sur la même ligne, parce qu'ils sentent bien qu'elle convient à la majorité des Français. Toutefois, ils entament un rapprochement dont l'actuelle réintégration n'est que l'aboutissement. Ne jugeons pas Nicolas Sarkozy en oubliant Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. Même Mitterrand, le "socialiste", a épousé cet atlantisme rampant, ce qui a provoqué le départ des nationalistes de gauche (Chevènement) du PS, lors de la guerre du Golfe contre l'Irak. Qu'est-ce qui a provoqué cette évolution? Pour ma part, j'en vois la cause dans cette vérité qui échappe à beaucoup de nos naïfs concitoyens: européisme et atlantisme marchent main dans la main. A partir du moment où la majeure partie de nos partenaires européens ont fait le choix de l'alignement sur les Etats-Unis, la France ne pouvait que se soumettre et suivre le mouvement... ou rompre avec ses voisins. Je rappelle qu'aujourd'hui encore, les Etats d'Europe de l'est entrent bien souvent en même temps dans l'Otan et dans l'Union européenne. C'est dire si les deux structures sont intimement liées.
Cette adhésion progressive de la France à une ligne européiste et atlantiste a amené notre pays à trahir de vieilles amitiés et à servir les intérêts allemands en Europe. Jusqu'en 1990, l'Allemagne, divisée et affaiblie, bien que prospère dans sa partie occidentale, ne représentait guère de danger. Tout a changé depuis la réunification, et les Français feraient bien de comprendre la nouvelle donne géopolitique: l'Allemagne est redevenue la rivale et l'ennemie de la France. A Berlin, dans un Bundestag flambant neuf, un aigle colossal trône au-dessus de la salle où les députés allemands décident des affaires publiques. Cet aigle est le symbole de l'Allemagne impériale et de ses desseins hégémoniques. Sa présence n'est nullement anodine, pas plus que le retour de l'aigle bicéphale sur les drapeaux russes. Grâce à sa prospérité, l'Allemagne a déjà conquis l'hégémonie économique sur l'Union européenne. L'euro est géré en Allemagne et selon la logique qui était celle du mark: une monnaie forte, taillée pour l'économie allemande et elle seule, aux dépens des intérêts français, notamment. L'Allemagne a amplement favorisé l'élargissement de l'Union européenne à l'est, ce qui fait d'elle le nouveau centre de gravité de la nouvelle Europe tandis que la France est rejetée sur les marges occidentales de ce IV° Reich en cours de construction. L'Allemagne a également participé, discrètement mais activement, à la balkanisation: elle a en effet soutenu la sécession de la Slovénie et de la Croatie, traditionnellement germanophiles, et s'est empressée de reconnaître leur indépendance, empêchant par là toute éventuelle renégociation du pacte fédéral yougoslave dans un climat apaisé. Rappelons que l'indépendance de la Croatie a provoqué la révolte des Serbes majoritaires dans plusieurs districts croates. Les Croates ont alors procédé à un nettoyage ethnique en règle, dont pas grand monde ne leur fait grief aujourd'hui. Certains Serbes de Croatie se sont réfugiés en Bosnie, et les Serbes locaux, craignant de subir le même sort, se sont préparés à la guerre. On connaît la suite. La France, trahissant sa vieille amitié avec la Serbie, s'est résolument engagée aux côtés des Allemands, des héritiers de l'Oustacha et des islamistes bosniaques avant d'épouser la cause des mafieux albanais de l'UCK. J'aime ma patrie, je respecte l'armée française, mais je ne verserai pas une larme pour les militaires français qui, mercenaires d'une Allemagne revancharde, sont tombés en combattant les Serbes. La dernière étape de ce véritable dépècement en règle de la Serbie est évidemment l'ignominieuse indépendance du Kosovo, après celle du Monténégro. L'Otan a ainsi soutenu les dignes épigones des SS albanais de la division Skanderbeg qui, en leur temps, massacrèrent et chassèrent les Serbes du Kosovo avec la bénédiction de l'Axe. Et des soldats français ont pris part à cette guerre infâme! Aujourd'hui, la Serbie est ruinée, dévastée et humiliée. L'Occident la somme de se soumettre, d'entrer dans l'UE et de "collaborer" avec ceux qui l'ont écrasée de leurs bombes, "pour son bien", "pour la libérer du tyran nationaliste (pour ne pas dire national-socialiste) Milosevic"! Mais Milosevic était moins terroriste que Khadafi, et pourtant ce dernier est reçu en France avec les honneurs. Pour sauver les apparences, une des immigrées de service que compte le gouvernement fait mine de s'offusquer. Toujours est-il qu'aujourd'hui la Serbie retrouve à peu près le territoire qu'elle possédait sous l'occupation allemande, le Kosovo est un Etat fantoche, une base américaine bien plus qu'un pays, la Croatie et la Slovénie ont intégré l'Union européenne sous l'emprise économique allemande. Et la France a non seulement laissé faire tout cela, mais elle y a participé.
La nouvelle donne géopolitique en Europe et dans le monde devrait pourtant inciter la France à revoir ses positions et ses alliances. Les objectifs prioritaires sont désormais de contenir les Etats-Unis dans le monde et de lutter contre l'hégémonie allemande en Europe. Pour cela, je vois plusieurs pistes. D'abord, il faudrait grouper les nations latines d'Europe dans une alliance dirigée contre l'Allemagne. L'Italie est une alliée naturelle de la France, de toutes les nations "soeurs", c'est la plus proche. De plus, sa coopération est impérative pour endiguer l'immigration en provenance d'Afrique. Je suis partisan de renforcer les liens avec la République italienne. L'Espagne a émis de justes réserves lors de l'indépendance du Kosovo, comprenant que l'Otan venait d'ouvrir une boîte de Pandore dont elle pourrait bien être la prochaine victime. Le devoir de la France est d'empêcher l'éclatement de l'Espagne, y compris en intervenant militairement, car l'unité de notre propre nation serait en péril si l'Espagne se disloquait. Le Portugal serait aussi le bienvenu, mais le plus important est de réunir les trois grandes nations latines. On pourrait ainsi créer une "Ligue des nations latines et méditerranéennes", respectueuse des identités nationales et de la souveraineté des Etats-nations, au contraire de l'Union européenne. En bref, une association souple prônant la libre coopération au lieu de la contrainte supra-nationale. Cette Ligue pourrait s'élargir à l'est. La Grèce est en première ligne face à la balkanisation et n'a guère apprécié l'indépendance du Kosovo. Elle est aussi une alliée naturelle, ce qui permettrait à l'alliance de contrôler la rive européenne de la Méditerranée et d'empêcher l'influence allemande d'y pénétrer. Ainsi, face à une Europe centrale et orientale sous la coupe allemande, s'affirmerait une Europe occidentale et méditerranéenne qui serait un contrepoids. Parmi les Etats d'Europe de l'est, la Roumanie est la plus susceptible de se joindre à nous: outre qu'elle incarne la latinité orientale, elle s'inquiète aussi légitimement du "précédent sans suite" que constitue l'indépendance du Kosovo. L'intérêt serait de favoriser le retour de la Moldavie dans une Grande Roumanie, ce qui permettrait à la France de disposer d'un allié de poids dans la région et à l'alliance de jouer un rôle en Mer Noire. Accueillir la Serbie, si elle le désirait, serait la moindre des choses après le mal qui lui a été fait. Bien sûr, un tel projet est chimérique tant que l'Espagne et l'Italie resteront sur une ligne atlantiste. Mais il se peut que les choses évoluent (souhaitons-le tout au moins). Il est également nécessaire, plus que jamais, de nouer des relations amicales avec la Russie, non point pour "changer de maître" mais pour rétablir l'équilibre face aux Etats-Unis et redonner à la France une marge de manoeuvre. Des pays émergents compteront demain, et il serait bon de leur tendre la main: je pense au Brésil et à l'Inde, car la Chine est beaucoup trop dangereuse et fort peu digne de confiance. Le Brésil et l'Inde sont en outre des démocraties. Et il y a sans doute d'autres Etats avec lesquels des relations fructueuses pourraient être nouées. La France doit se donner les moyens diplomatiques de rééquilibrer en sa faveur les rapports de force internationaux.
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