Nationaliste Social et Ethniciste

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La naïveté des libres-penseurs

Les libres-penseurs sont des gens étranges. Voilà des militants qui luttent contre le pouvoir des religieux et qui, aux dernières présidentielles, ont appelé à voter pour le même candidat que les autorités catholiques, juives, musulmanes. Peut-être devraient-ils se poser des questions...

 

Mais ce n'est pas le seul paradoxe de ces braves gens. Régulièrement, en alternance avec les loges maçonniques, les libres-penseurs interviennent sur France Culture dans l'émission intitulée "Divers aspects de la pensée contemporaine"... qui précède la diffusion de la messe, il fallait le faire. Est-ce que France Culture regrette de sacrifier à la tradition catholique de la France au point de se sentir obligée de donner une tribune aux anticatholiques juste avant la messe? Je ne critique pas le fait que les francs-maçons et les libres-penseurs s'expriment, ils en ont le droit sur France Culture et ailleurs. Mais je m'étonne du créneau qui leur est accordé.

 

Lors d'une rediffusion d'émission sur laquelle je suis tombé par hasard durant les jours de canicule de ce mois d'août 2020 (1), le représentant d'une organisation de la libre-pensée recevait une vénérable académicienne pour évoquer le livre écrit par cette dame, consacré à sa région d'origine, l'Anjou catholique, où la laïcité et l'école publique n'ont pas toujours eu bonne presse. L'auteur rappelle ainsi les difficultés de son père, instituteur au lendemain de la Libération, dans une région où la guerre scolaire entre école publique et école privée était une réalité au milieu du XX° siècle. Elle se définit ensuite comme "anticléricale" c'est-à-dire opposée au pouvoir du clergé, des religieux. Elle rejette une "laïcité identitaire" qui ne serait dirigée que contre les musulmans et qu'instrumentaliserait l'extrême droite, du moins une partie de l'extrême droite, car il y a à ma connaissance de fervents opposants à la laïcité dans cette famille politique. Elle rappelle ensuite que la laïcité suppose la neutralité de la sphère publique, qu'il faut entendre comme les institutions communes à tous les citoyens, et qu'elle prend soin de distinguer de l'espace public dans lequel chacun a la liberté de se vêtir comme il le souhaite (allusion au voile islamique), de pratiquer le culte de son choix et de faire connaître son engagement religieux (c'est-à-dire de faire du prosélytisme), tout cela dans le respect de la liberté d'autrui.

 

Cette vision de la laïcité, cohérente et séduisante au premier abord, est à mon avis empreinte d'un naïf irénisme. Prenons "la liberté de se vêtir comme on le souhaite": notre vénérable académicienne ne voit pas, ou feint de ne pas voir, que la multiplication des voiles islamiques, des jilbabs saoudiens (qui, outre les cheveux, couvrent l'ensemble du corps) voire des niqabs (qui cachent en plus le visage, malgré l'interdiction de cette tenue par la loi) pose des problèmes et favorise un séparatisme que même nos autorités adeptes de la diversité et du multiculturalisme n'osent plus nier. Le vêtement devient un marqueur communautaire (pour ne pas dire identitaire) qui permet de distinguer celui ou celle qui fait partie du groupe de ceux qui n'en font pas partie. Et, pardon de le dire, mais cela ne favorise certainement pas le sacro-saint "vivre-ensemble". Quel jeune homme non-musulman osera aborder une jeune femme voilée? Les tenues islamiques marquent rien de moins que l'appropriation symbolique des femmes par la communauté musulmane. Je ne dis pas qu'il faut le regretter, puisque je suis personnellement hostile à la mixité et au mélange. Mais que des gens s'imaginent que les vêtements à connotation religieuse n'ont aucune importance, alors que ce sont des étendards identitaires, voilà qui est plus surprenant. De plus, constater que de plus en plus de personnes suivent les prescriptions vestimentaires religieuses, n'est-ce pas l'indice du pouvoir croissant des organisations religieuses? Les libres-penseurs devraient s'en alarmer au lieu de se complaire dans un anticléricalisme étrangement sélectif.

 

Mais le discours devient encore plus irréaliste quand l'écrivaine aborde la question de l'école. Première affirmation discutable: "l'école laïque, c'est l'école de tous". Non, l'école laïque n'est pas et n'a jamais été "l'école de tous". L'école laïque a été mise en place par les élites républicaines anticléricales pour alphabétiser les couches sociales qui jusqu'alors n'avaient pas accès à l'instruction, et offrir à leurs propres enfants un enseignement conforme à leurs convictions. Je ne condamne nullement cette politique, l'oeuvre scolaire de la III° République ayant puissamment contribué à renforcer le sentiment national, notamment dans les campagnes. Mais une grande partie des élites a continué à envoyer ses enfants chez les jésuites, et dans certaines régions très catholiques (on pense à l'ouest de la France, mais il y a d'autres exemples), l'enseignement privé confessionnel a été un passage presque obligé pour la majorité de la population. Sans caricaturer, on peut dire que l'école privée est celle des élites et des zones géographiques les plus réfractaires à la laïcité, tandis que l'école publique est celle du commun et de la fraction anticléricale des élites. Donc l'école laïque "pour tous", c'est un mythe, et encore une fois je ne le dis pas pour dénigrer l'enseignement public, qui, outre son utilité et ses résultats tout à fait honorables il y a encore quelques décennies, est l'institution pour laquelle j'ai choisi de travailler.

 

Toutefois la naïveté ne s'arrête pas là et notre académicienne de déclarer: "ne parlons pas des religions à l'école; faisons plutôt des maths, du français, de la techno" (je cite les mots exacts employés, c'est important). Je veux bien entendre qu'on peut résoudre des équations, faire de la grammaire ou de la conjugaison, concevoir un objet sans parler de la religion. Mais quid de l'histoire? De la littérature? Je suis professeur d'histoire, et il ne m'est tout simplement pas possible de faire mon travail sans évoquer les grandes religions monothéistes. Comment comprendre les Croisades ou la Réforme protestante sans parler de la religion catholique? Comment étudier l'empire des Abbassides sans dire un mot de l'islam? C'est inconcevable. Quant à la littérature française, elle est à 80 % remplie de références bibliques. Faut-il alors remiser les trois quarts des grands auteurs pour ne pas parler de religion? Le problème des libres-penseurs, c'est qu'ils développent une vision anachronique de la religion, comme si cette dernière avait été de tout temps un élément culturel détaché des réalités politiques et sociales. Or ce n'est pas le cas: le royaume de France se conçoit comme un royaume catholique gouverné par un roi qu'on surnomme "le Très Chrétien". Le califat abbasside est un Etat religieux, quasiment théocratique. Alors que fait-on? On commence l'enseignement de l'histoire en 1905? Et ne parlons même pas du patrimoine artistique: si on ne veut pas parler religion, alors on s'interdit purement et simplement de faire de l'histoire des arts. Tout cela n'est pas très sérieux. Mais il y a autre chose: notre auteur ne voit pas, ou feint à nouveau de ne pas voir, que certains enseignements entrent nécessairement en contradiction avec la religion. Comment par exemple aborder la théorie synthétique de l'évolution qui va à l'encontre des textes religieux? Comment évoquer l'émergence de notre espèce, l'homo sapiens, sans heurter les enfants qui croient que Dieu a directement créé l'homme, parce que c'est ce qu'on leur enseigne à la maison et au cours de religion?

 

Ce qui m'amène au dernier point que je voudrais aborder, à savoir l'erreur que les libres-penseurs commettent sur la relation qu'un enfant, et plus généralement un individu, peut avoir à sa religion, erreur que reprend notre académicienne. Elle nous explique en susbtance - et il s'agit du discours classique des partisans de la laïcité - que lorsque l'enfant arrive à l'école, il laisse son appartenance religieuse (on pourrait ajouter politique, philosophique, etc) à la porte de l'établissement. Là encore, ce discours semble a priori frappé au coin du bon sens. Le problème est que les choses ne sont pas si simples. Un petit catholique ou un petit musulman (surtout dans les petites classes) n'est tout simplement pas capable de se dire: "alors, jusqu'à la grille du collège, je suis catholique ou musulman, et une fois entré dans le collège, je laisse le christianisme ou l'islam en dehors". Ce n'est pas ainsi que les gens fonctionnent. La religion n'est pas une application qu'on désactive ou un portable qu'on coupe avant d'entrer dans un lieu. Dans les familles pratiquantes, la religion imprègne les enfants, et il n'est pas plus réaliste de demander à ces derniers de "laisser leur religion à la porte" que d'exiger qu'ils renoncent à être myopes s'ils portent des lunettes. J'enseigne à des élèves de 6ème et je peux affirmer que les petits musulmans ne cessent pas d'être musulmans quand ils s'asseyent dans ma classe. Et si ce que je leur raconte entre en contradiction avec les convictions religieuses qu'on leur inculque, certains n'hésitent pas à lever le doigt et à lancer la controverse. Et dans ce cas là, on est bien obligé d'élaborer une réponse qui, in fine, relativise le discours religieux. Donc l'idée développée par la vénérable académicienne comme quoi "il ne faut pas confronter un petit catholique, un petit musulman, un petit juif aux questions religieuses" n'a strictement aucun sens. Par définition, l'enseignement scientifique contredit les discours religieux.

 

Pour conclure, je reviendrai sur cette idée de laïcité. Personnellement, j'ai été un défenseur fervent de la laïcité, plutôt dans une perspective "identitaire" (la "mauvaise laïcité" selon les libres-penseurs). Je dois bien admettre aujourd'hui que je suis plus circonspect sur cette question. Je suis attaché à la liberté de conscience et à la liberté de culte. En même temps (comme on dit), je suis un peu inquiet de l'usage qui est fait de la laïcité aujourd'hui. D'un côté, certains prônent une laïcité "ouverte" qui revient en réalité à accepter une islamisation croissante de la société française. Ces gens ne se rendent pas compte qu'une fois que l'espace public aura été islamisé, les musulmans radicaux ne s'arrêteront pas là: ils tenteront d'islamiser la sphère publique, c'est-à-dire les institutions. Si, dans certains secteurs, la majorité des femmes portent le voile, il deviendra difficile au bout d'un moment d'interdire aux employées de mairie musulmanes de le porter... D'autres, comme notre académicienne, s'en tiennent à une laïcité orthodoxe qui, en réalité, masque le problème de l'islamisation, car on ne peut pas faire comme si toutes les religions posaient les mêmes problèmes. L'Eglise catholique en 2020 n'a pas la même attitude ni la même puissance qu'elle avait en 1905; parmi les religions d'origine étrangère, l'islam et le bouddhisme n'ont pas le même impact sur notre société. L'honnêteté serait de le reconnaître. Enfin, je trouve aberrante l'idée, défendue par certains, de placer la laïcité au coeur de l'identité nationale. La laïcité est un principe politique, celui de la neutralité de l'Etat en matière religieuse. Faire de ce principe l'alpha et l'oméga de la culture française n'a aucun sens. Qui plus est, la laïcité est utilisée par certains pour minimiser, quand ce n'est pas nier purement et simplement, l'héritage catholique de notre nation. Dans l'histoire comme dans l'identité de la France, le catholicisme ne peut pas être "une religion comme les autres", car c'est la religion qui a structuré la vie politique, sociale et familiale de l'immense majorité de la population pendant des siècles. Faire de la laïcité le principal (pour ne pas dire le seul) dénominateur commun des citoyens français, c'est éliminer l'essentiel de la culture nationale, c'est entériner le fait que la France ne serait plus qu'une circonscription administrative hébergeant des gens n'ayant au final rien en commun. La France n'est laïque que depuis 115 ans, c'est peu pour un pays qui a plus de mille ans...    

 

(1) L'émission dure un peu plus de 17 mn et peut s'écouter en cliquant ici



10/08/2020
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