Quel avenir pour les classes moyennes?
Cette question me vient à l'esprit après avoir pris connaissance de deux informations qui n'ont a priori aucun rapport: la baisse du taux du livret A d'une part, et d'autre part la discrimination positive qui gagne du terrain, puisque après l'IEP de Paris ("Sciences Po"), les lycées militaires s'y mettent à leur tour. Pourtant, dans les deux cas, ce sont bien les classes moyennes françaises qui sont lésées.
Mais que sont donc ces "classes moyennes" dont on parle si fréquemment? Le pluriel se justifie pleinement car nous avons affaire à une catégorie numériquement importante et très diverse de la population française. Les classes moyennes regroupent une grande partie des salariés de la fonction publique et la majorité de ceux du secteur privé, à qui on peut ajouter tous les petits patrons-artisans. Il est cependant très difficile de donner une définition plus précise, ou même de proposer des seuils de revenu à partir desquels on est ou on n'est pas dans les classes moyennes. Et au sein même de cette catégorie, quoi de commun entre l'ingénieur d'une grande entreprise industrielle et un patron-boulanger? Pas grand-chose. Finalement, la meilleure définition des classes moyennes est peut-être une définition par défaut: sont membres des classes moyennes tous ceux qui n'appartiennent ni aux catégories pauvres, ni aux riches élites. Les catégories pauvres regroupent essentiellement la plèbe oisive, les chômeurs "sérieux", mais aussi certains travailleurs. Quant à la catégorie des élites fortunées, il s'agit avant tout du grand patronat et de ses affidés (hauts fonctionnaires, certains politiques, personnalités du show business et des média et intellectuels à la mode). Les classes moyennes comprennent surtout les Français qui vivent d'abord de leur travail là où d'autres peuvent se contenter, les uns du revenu de leur capital, les autres des aides de l'Etat. Au sein de la nation, ces classes moyennes ont un rôle fondamental, puisque ce sont leurs membres qui assurent le bon fonctionnement de l'Etat et de ses services (fonctionnaires) et qui produisent la richesse national (salariés du secteur privé). C'est sur les classes moyennes que repose l'essentiel de la pression fiscale, puisque les autres s'arrangent pour se soustraire à tout ou partie de leurs obligations ou bien n'ont rien, et dans ce cas ne peuvent payer. Les classes moyennes sont également la partie de la population qui profite le moins des redistributions car l'argent collecté sert surtout à aider les entreprises (sans contrepartie pour les salariés) et à entretenir la plèbe dans l'assistanat généralisé. On constate que les classes moyennes sont beaucoup moins cosmopolites que les élites, de plus en plus mondialisées, et que la plèbe des assistés, qui recrute massivement dans les pays du Sud. Les classes moyennes forment la véritable héritière (y compris par le sang) de la vieille paysannerie française qui est le fond de la population "native"; cette paysannerie a nourri le pays pendant des siècles; c'est elle qui a fourni des soldats en 1870, en 1914-1918 surtout, et en 1940; ce sont les noms de ses membres qu'on peut lire sur les monuments aux morts de tous les villages de France, et la longueur des listes témoignent suffisamment que les Français n'ont pas fait leur devoir par procuration en envoyant je ne sais quels "indigènes" se faire tuer à leur place. Comme la France a accueilli de nombreux immigrés depuis la seconde moitié du XIX° siècle, des travailleurs d'origine étrangère, jusqu'à nos jours, se sont agrégés aux classes moyennes. De ceux-là, on n'entend jamais parler: ils ne provoquent pas d'émeutes urbaines et personne ne s'indigne qu'il n'y ait aucun ministre ou présentateur télévisé d'origine portugaise. Les classes moyennes forment donc le pilier central, le plus sûr soutien de la nation et de la république qu'elles ont, plus que toute autre catégorie de la population, contribué à édifier.
Or les classes moyennes sont aujourd'hui menacées. Je ne veux pas parler de la crise, qui certes fragilise beaucoup de nos compatriotes. Je veux parler du plus long terme: de plus en plus, les classes moyennes sont attaquées dans leurs chances de promotion sociale. On cherche sciemment à écarter leurs enfants des élites de demain. Comment? En développant la discrmination positive. Cela a commencé à Sciences Po: des élèves "méritants" issus de quartiers défavorisés intègrent le prestigieux institut sans passer le concours, tandis que des dizaines de jeunes issus des classes moyennes, tout aussi méritants et ayant souvent fait une brillante scolarité, sont impitoyablement recalés audit concours. Vous avez dit justice? Le résultat, soigneusement caché par les média, est qu'un véritable ostracisme frappe les "pistonnés" des cités (je tiens l'info d'un élève de Sciences Po) car les étudiants qui ont enduré le concours ont bien souvent des amis aussi méritants qu'eux-mêmes qui sont restés au bord de la route... A présent, c'est au tour des lycées militaires de "s'ouvrir" aux "jeunes boursiers des quartiers défavorisés", avec éventuellement une section de "mise à niveau"! Si ce n'est pas du piston! Il y a de nombreux établissements, dans les campagnes françaises, où les petits élèves, tout "Français de souche" qu'ils sont, ne partent pas dans la vie avec plus de "chance" que les fils d'immigrés des banlieues. Eh bien, maintenant, ils partiront avec moins de chance. Le journaliste de France Télévision qui présentait le sujet a toutefois eu l'honnêteté d'évoquer le véritable objectif de cette injustice: "ouvrir l'armée à la diversité de la société française", ce qui est une manière polie de dire "plus d'Arabes et de Noirs dans l'armée, et à de hautes fonctions". M. Sarkozy veut sans doute nommer un général noir ou arabe avant la fin de son mandat. Cela ferait tellement bien pour la photo! Qui sera victime de cette discrimination positive? Sûrement pas les enfants de la haute société: les Sarkozy, les Bouygues, les Bolloré et autres Pinault ne s'en font pas. Pour eux, il y aura toujours les passe-droit et les amis influents, et au pire les écoles privées. Non, les nouveaux "discriminés" seront les enfants des classes moyennes. J'en veux pour preuve la récente suppression du classement à la sortie de l'ENA. Il paraîtrait que c'est archaïque, alors même que c'est significatif de l'élitisme républicain fondé sur le mérite. Qui désormais obtiendra les bonnes places dans les corps les plus prestigieux de l'Etat? Etrangement, le reportage ne le précisait pas, mais on ne peut que soupçonner le règne futur du népotisme.
Dans un autre registre, la prochaine baisse du taux rémunérateur du livret A à 1,75% est une autre attaque contre les classes moyennes, et même les couches les plus modestes des classes moyennes. Mme Lagarde nous console pourtant en nous présentant ce taux comme un cadeau! "Il aurait dû être plus bas encore" clame-t-elle. On devrait peut-être la remercier. On apprend qu' "en temps de crise, le gouvernement ne veut pas que les Français épargnent" mais bien sûr qu'ils consomment. Or le livret A est le seul produit d'épargne vraiment intéressant pour qui veut faire quelques économies, puisque les autres livrets sont soumis à imposition, ce qui fait rapidement tomber leur rendement sous le taux d'inflation. Je le dis en tant qu'épargant concerné: entré depuis peu dans la vie active, je place mes économies sur mon livret A et je ne pense pas être le seul. Il est clair que le livret A n'intéresse guère la haute société, ses membres gagnant des sommes astronomiques à la bourse ou comme cadres supérieurs. Certains patrons gagnent chaque mois l'équivalent de deux, trois ou quatre livrets A plein (un livret A pouvant contenir la somme respectable de 15 300 euros)! Quant à la plèbe des assistés, elle n'a pas d'argent à mettre de côté, elle n'en a d'ailleurs pas besoin: l'Etat lui procurera toujours des allocations et des jeux, achetant ainsi honteusement une illusoire paix sociale. Ce sont donc les classes moyennes qui vont être désavantagées, une fois de plus. Il faut exiger que le taux rémunérateur du livret A ne puisse descendre sous les 2%, même en période de faible inflation, et réclamer que le livret A soit porté de 15 300 à 30 000 ou 50 000 euros, car avec l'inflation, les 15 300 euros ont moins de valeur aujourd'hui que les 100 000 francs de référence (convertis en euros), somme maximale pouvant y être déposée. Les classes moyennes gagnent l'argent de leur travail et doivent être libres d'épargner si elles le désirent. Le consumérisme effréné, que la droite libérale (et la gauche) prône, est dégradant, déshumanisant et ne sert au final que les intérêts du MEDEF. Pourquoi ne pas adopter une autre vision des choses? Produire moins mais mieux, consommer moins mais mieux. On a du mal à croire que le même gouvernement demande aux Français de cesser le gaspillage!
Les classes moyennes sont l'avenir de la nation. Mais elles sont en passe de perdre le pouvoir que le système démocratique devrait pourtant leur assurer: la violence spectaculaire de la plèbe issue de l'immigration et la richesse ostentatoire de la haute société ont donné à ces catégories minoritaires de la population une grande influence sur les destinées de la France. A cela s'ajoutent les profondes divergences au sein des classes moyennes (rivalités public/privé; patrons/salariés; clivages politiques). Souhaitons, pour le bien de la France, que les classes moyennes prennent progressivement conscience de leurs intérêts communs.
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