Charte européenne des langues régionales: vers la ratification?
Les nuages s'amoncellent à l'horizon 2012. Le choix pourrait (conditionnel de rigueur) s'opérer finalement au second tour entre un fossoyeur de la République sociale et un fossoyeur de la France tout court. Cruel dilemme. L'accord entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie-les Verts fait couler beaucoup d'encre. Mais les thématiques retenues par les journalistes, et peut-être par les citoyens, sont essentiellement le nucléaire et le siège au Conseil de Sécurité de l'ONU (qui ressemble parfois à un Conseil gérant l'Insécurité... mais il est possible que ce soit mieux que rien). Pourtant, le point qui, à mes yeux, est fondamental pour l'avenir de notre pays, c'est la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Longtemps jacobin, le PS abandonne les derniers oripeaux d'idéologie républicaine pour basculer dans le gauchisme écolo-diversitaire à la sauce EE-LV. Il faut dire que les jacobins ont progressivement déserté le PS, Chevènement et Mélenchon étant partis pour tenter l'aventure seuls. La ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires serait un désastre, et probablement le début de la fin pour la France. Il faut expliquer pourquoi, et je veux inviter mes compatriotes de tout bord, pour qui le mot « France » signifie encore quelque chose, à réfléchir à l'enjeu de 2012 : voulons-nous, oui ou non, que la France demeure une nation unitaire et une République indivisible ? Voilà les termes de la question. Rien de moins.
Quelles seraient les conséquences concrètes de l'application de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ?
La Charte se fixe un objectif à première vue louable : préserver le patrimoine linguistique de l'Europe (article 7, alinéa 1). Qui peut être contre ? La Charte reconnaît les langues régionales ou minoritaires comme « l'expression de la richesse culturelle ». Le choix des termes n'est pas anodin : connaissez-vous beaucoup de gens qui s'opposent à « la richesse culturelle »? Bien sûr que non. Ainsi, le choix des mots disqualifie d'emblée toute critique. D'autant qu'un petit couplet sur la condamnation des « discriminations » au nom du « droit à la différence » est inséré dans le texte. Toujours la même mélasse multiculturelle.
La Charte propose un ensemble de mesures visant à promouvoir l'usage oral et écrit de ces langues régionales ou minoritaires « dans la vie publique et dans la vie privée » (article 7). Cela suppose un certain nombre de choses. Pour qu'une langue ait une utilisation publique, il faut qu'elle ait un caractère officiel. La Charte encourage donc la co-officialité des langues régionales avec la langue nationale (du moins tant que cette dernière existe). Par conséquent, cela signifie que demain, le breton sera officiel en Bretagne, l'alsacien en Alsace, le corse en Corse, et ainsi de suite, à côté du français bien sûr, du moins dans un premier temps. Concrètement, les mairies et les préfectures devront proposer aux administrés des documents dans les différentes langues (article 10). Les conseils municipaux, généraux, régionaux devront traduire leurs décisions et compte-rendu de séance dans la langue régionale (ou en français si la délibération s'est faite dans l'idiome local). Les procès et les affaires judiciaires pourront également se dérouler dans les langues régionales (article 9), « si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions » (pour une justice plus accessible ?!). Une première remarque s'impose : ceux qui se plaignent d'une fonction publique pléthorique, notamment dans la fonction publique territoriale, devraient réfléchir avant de soutenir la ratification. J'entends les chefs du PS nous dire : il faut « donner du sens à la rigueur », donc accepter les économies et les sacrifices. Et nous devrions accepter que les collectivités territoriales recrutent des milliers de gratte-papier pour traduire un formulaire administratif en breton, en basque ou en catalan ! Mais de qui se moque-t-on ? Est-ce ainsi que M. Hollande entend « donner du sens » à la rigueur ? Pour ceux qui, comme moi, ne passent pas leur temps à vilipender la fonction publique (et pour cause : j'en suis), tout en pensant que la croissance des dépenses publiques doit être maîtrisée et les gaspillages évités, cette ratification n'est pas un bon signal. Je précise que l'argument économique n'est pas pour moi primordial, mais puisque il vient en renfort, je n'ai pas de scrupule à m'en servir.
Pour qu'une langue soit parlée, il faut qu'elle soit apprise. Pour qu'elle soit apprise, il est nécessaire qu'elle soit enseignée. L'article 8 de la Charte le prévoit bien sûr, depuis le berceau (oui, oui, il est question de « l'éducation préscolaire ») jusqu'à l'enseignement supérieur. Alors que le PS revient du bout des lèvres sur les suppressions de poste dans l’Éducation nationale, des centaines de places seraient créées pour les CAPES de flamand, d'occitan, de breton, etc ? Pas d'argent pour dispenser la culture commune, mais des sous pour financer la promotion des identités ethniques locales ? Le beau projet républicain que voilà. D'autant que promouvoir les langues régionales, pour la Charte et ceux qui la défendent, ce n'est pas une option de deux ou trois heures hebdomadaires à partir du secondaire. Non, c'est l'immersion dès la maternelle, avec un enseignement bilingue à parité, s'il vous plaît. Cela se fait déjà dans quelques écoles en Bretagne, mais aussi dans les Pyrénées-Orientales où les nationalistes catalans jubilent déjà à l'idée que cette « re-catalanisation » permette demain la réunification avec la Généralité qui piaffe d'impatience et réclame à cors et à cris son indépendance. Le professeur que je suis se permettra quelques observations : cela fait maintenant quelques temps que j'enseigne, assez pour avoir un peu de recul. Je travaille dans une région sans véritable langue régionale (et c'est heureux) ce qui n'exclut pas d'ailleurs l'existence de saines identités locales. Mais nous, nous ne ressentons pas le besoin de parler autre chose que le français pour montrer que nous existons... Beaucoup d'enfants ont de réelles difficultés avec leur langue maternelle, le français. L'apprentissage d'une, puis deux langues étrangères, représente souvent un fardeau supplémentaire, que je crois pourtant indispensable. Avec la Charte, certains petits Français devront demain maîtriser : 1) la langue régionale (ou minoritaire) ; 2) la langue nationale, le français ; 3) une première langue vivante étrangère ; 4) une deuxième langue vivante étrangère. Des élèves doués et capables d'apprendre tout cela, il y en a, c'est évident. Malheureusement, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne, et beaucoup d'enfants peinent. Ainsi, le petit francilien en difficulté pourra du moins concentrer ses efforts sur le français, tandis que son compatriote de Toulouse cumulera les lacunes en français et en occitan. Est-ce raisonnable d'un point de vue pédagogique ? Non bien sûr. Et vous verrez, les partisans des langues régionales, devenus soudain pragmatiques, s'aviseront que deux langues, c'est trop. Et comme la plus importante, c'est l'idiome local, celui « de tous les jours », le français passera à la trappe. Ou comment, l'air de rien, détacher culturellement une partie des Français de leur propre pays.
Aussi, lorsque la Charte prétend œuvrer pour « la compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques du pays » (article 7 toujours), je ne puis réprimer un sourire narquois. Nous allons donc diviser les Français pour les unir. Il est inutile de se voiler la face : langue nationale et langues régionales ont été historiquement concurrentes, c'est ainsi. Je ne crois pas qu'elles puissent coexister à égalité de manière harmonieuse. Le français, en étendant son aire géographique, s'est enrichi au contact des langues et dialectes locaux, mais ces derniers se sont effacés. C'est une perte, mais partielle seulement, et compensée par la richesse de la langue française elle-même, fruit de ces apports régionaux. La langue française, ce n'est pas le francilien imposé de force, à coup de triques, aux pauvres Bretons, Corses, Occitans, etc. En apprenant le français, tous les Français des différentes aires linguistiques se le sont appropriés et l'ont influencé. Au nom du multiculturalisme, certains voudraient enfermer la langue française dans les limites étriquées du Bassin parisien et ressusciter des dialectes archaïques... qui, bien souvent, avant même de disparaître, avaient eux-mêmes subis l'influence du français. Or la langue régionale enseignée sera celle des puristes, purgée de toute influence du « colonisateur » français. Ce travail de reconstruction linguistique aboutit de fait à un appauvrissement culturel effrayant. Cela n'est certes vrai que pour les langues qui ne sont pas officielles et couramment utilisées ailleurs qu'en France, mais c'est le cas de beaucoup (breton, occitan, corse, provençal).
La Charte prévoit également une propagande en bonne et due forme en faveur des langues régionales ou minoritaires. Jugez plutôt : « le respect, la compréhension et la tolérance à l'égard des langues régionales ou minoritaires figurent parmi les objectifs de l'éducation et de la formation dispensées dans le pays, et [les Parties s'engagent] à encourager les moyens de communication de masse à poursuivre le même objectif. » (article 7). Je ne commente même pas...
Qui réclame la ratification ?
Pour aller vite, il y a deux groupes qui réclament la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le premier groupe est composé de naïfs souvent manipulés par le deuxième groupe, composé lui de gens intelligents, cohérents et décidés.
Commençons par le premier groupe : il s'agit des salons bobos de la gauche caviar made in Sciences Po. Ces milieux sont très parisiens et leur prise de position pourrait à bon droit surprendre. En fait, c'est logique : ces gens sont des adeptes de l'idéologie écolo-diversitaire, certains d'entre eux votent pour les Verts. Donc si les Verts disent que la Charte, c'est bien, alors ils ont raison. Comment des gens qui veulent sauver les écureuils et l'ours des Pyrénées pourraient-ils se tromper ? Comme les idées écologistes se diffusent tel un poison au PS, on ne sera pas surpris de retrouver des dirigeants socialistes sur la même ligne, comme l'inénarrable Marylise Lebranchu que je cite : « La République est plus forte quand elle intègre que quand elle exclut. Elle est plus forte quand elle décentralise que quand les pouvoirs sont concentrés. Elle est plus forte quand elle reconnaît la richesse de sa diversité. »
On en reparlera tout à l'heure, après avoir évoqué les gens qui soutiennent la ratification aux côtés de Mme Lebranchu.Tout est dit dans ces quelques lignes. Cette partie de la gauche est obnubilée par le mot « diversité ». Dès qu'il apparaît, ces gens-là sont pour, sans poser de questions. Quoique... Pour ce qui est de la diversité des opinions, c'est moins clair. Pour ces naïfs, les langues régionales ne menacent aucunement la France et la République. Les mêmes vous disent que l'immigration est une source inépuisable de richesse pour notre pays et, quand ce n'est pas le cas, c'est uniquement la faute de ceux qui critiquent l'immigration. Les immigrés, eux, sont purs et innocents, ils sont notre Salut. C'est le même discours dégoulinant d'humanisme bêlant, mais adapté aux langues régionales et minoritaires.
Le deuxième groupe présente un profil différent. Il s'agit d'un ensemble hétéroclite rassemblant tous les anti-jacobins, tous les ennemis de la République. Europe Ecologie-les Verts milite ouvertement pour une Europe des Régions, étrangement beaucoup de ses électeurs bobos paraissent l'ignorer. Mais surtout, la Fédération Régions et Peuples Solidaires (R&PS) fait partie d'Europe Ecologie et regroupe plusieurs mouvements régionalistes et autonomistes pour qui la destruction de la République française est une nécessité : UDB, Parti de la Nation Corse, Parti Occitan, etc. Leur projet politique ? Ils ne s'en cachent pas : il est cartographié sur la page d'accueil de leur site (1). Lorsque les bobos ou autres sympathisants « de gauche » votent pour les Verts, il faut qu'ils sachent qu'ils votent pour la dissolution de la France. Avec l'accord PS-EELV, un futur pouvoir de gauche donne de fait des gages aux régionalistes antirépublicains et anti-francophones, minoritaires mais très revendicatifs et rompus à la pratique du lobbying. M. Hollande prétend incarner une nation que ses alliés rêvent de disloquer ? M. Hollande veut donner des circonscriptions à un parti qui n'a cessé, par ses discours régionalistes et européistes, de saper l'unité de la France et le fonctionnement de notre démocratie ? Souvenons-nous de Daniel Cohn-Bendit rejetant le vote du peuple suisse et appelant à une nouvelle consultation. Daniel Cohn-Bendit qui en ce moment défend l'Allemagne des critiques émises par certains dirigeants français. L'avez-vous déjà entendu défendre la France ? Les Verts, plus que les autres partis, se plaisent à semer les germes de la discorde dans notre pays, à l'affaiblir, mais au profit de qui ? Eh bien, regardez de l'autre côté du Rhin. M. Cohn-Bendit a la nationalité allemande, et apparemment elle a plus de valeur à ses yeux que sa nationalité française. Tiens, tiens. Eva Joly a un très bel accent, vous ne trouvez pas ? Avec la fin de la filière nucléaire française, l'un des rares secteurs industriels où la France est devant l'Allemagne disparaîtrait. Étrange. Si le siège de la France au Conseil de Sécurité était « européanisé », à qui cela profiterait-il ? Qui dirige de fait l'UE ? L'Allemagne. Quelle coïncidence ! Et si la France renonce par ailleurs à la dissuasion nucléaire, elle perd également ce qui lui donne un poids géopolitique supérieur à l'Allemagne. La France passerait d'égal de l'Allemagne à vassal. Danke Schön, die französichen Grünen !
Mais les Verts et leurs amis de Régions et Peuples Solidaires sont cependant classés à gauche, même s'ils recyclent en réalité des thèses d'extrême droite : régionalisme, technophobie, rejet de la modernité et de l'industrie, culte des forces de la nature, retour à la terre. Bizarrement, peu de politologues et de journalistes, dont le métier est, paraît-il, d'informer les citoyens, soulignent ces étranges accointances. Et je passe sur l'assimilation des sociétés humaines à des écosystèmes, j'en ai parlé ailleurs (2). Parmi ceux qui soutiennent la ratification de la Charte, il y a aussi toute l'extrême droite antijacobine. Une partie des monarchistes, par haine du Paris de 1793 et de la Convention, défend les langues régionales par attachement aux identités provinciales que la royauté savait si bien respecter (ce qui est faux : l'unification commence sous les rois). Les identitaires, qui surfent en ce moment sur l'islamophobie ambiante, sont des régionalistes patentés et des antirépublicains bon teint. Pour lutter contre le communautarisme des populations issues de l'immigration, ces gens proposent un communautarisme « blanc » qui s'apparente en fait à un tribalisme régional. Tribalisme ethnique des immigrés contre tribalisme ethnique des natifs, beau programme.
Mme Lebranchu, vous qui considérez sans doute que critiquer l'immigration, c'est faire le jeu du FN, n'avez-vous aucun scrupule à militer aux côtés d'authentiques extrémistes de droite ?
Peut-on dissocier culture et politique ?
Évidemment non. Toute culture est politique, et la langue est peut-être un des éléments culturels les plus politiques qui soit. Toute la rhétorique favorable aux langues régionales est imprégnée d'un discours idéologique, d'une vision du monde et de la France particulière, que je qualifierais pour ma part de mensongère, car elle repose sur une falsification de l'histoire et une simplification caricaturale de certaines évolutions.
Je vais tâcher de résumer cette conception de la France, qui hélas se répand, en prospérant sur le terreau fertile de l'ignorance, puisque la construction nationale est délaissée par les programmes scolaires. Ce qui ouvre de belles perspectives aux charlatans et « lobbies mémoriels » de tout acabit.
Oyez, oyez, voici donc la très véridique et terrifiante histoire de l'entité impérialiste nommée France. Car la France fut une puissance coloniale, mais l'empire colonial dont on lui fait le plus grief n'est que la monstrueuse dilatation d'un autre empire colonial, situé en métropole même. La « France » en effet n'est en réalité qu'un petit morceau du pays qui en a imposé le nom à d'autres contrées. Un bout de Bassin parisien entre Somme et Loire, l'ancienne Neustrie mérovingienne. Grosso modo, car les Normands ne sont pas vraiment français. Cette « France » ne correspond même pas aux pays de langue d'oïl, car les Franc-comtois, les Bourguignons, les Lorrains voire les Ch'timis ne sont français que sous la contrainte.
Jadis, au temps béni du Moyen Âge, chaque province vivait libre, avec son comte ou son duc, ses lignages aristocratiques, ses châteaux, sa langue. Certes, le gueux et le manant dégustaient à longueur d'année, mais peu importe, car c'était en langue d'oc ou en bon breton. On respectait les coutumes locales et la « richesse culturelle » en ce temps-là. La paysanne violée par la soldatesque hurlait, mais en provençal ou en alsacien, ce qui est plus poétique. Mais, hélas, trois fois hélas, ce temps béni vint à son terme. Les féroces « François » (les Italiens parlaient de la furia francese) arrivèrent, tout de fer bardés, chassèrent les nobles locaux et imposèrent l'ordre. L'ordre et la paix. Le gueux et le manant ne s'en trouvèrent pas plus mal. Les rois de France, magnanimes, ne brutalisèrent pas trop les populations dominées, se contentant d'une centralisation politique, néfaste tout de même puisqu'elle préparait sournoisement le « génocide culturel » (on ne rigole pas, l'expression fait florès, je l'ai trouvée sur plus d'un blog ou d'un forum). La bergère pouvait continuer à chanter en catalan et le huguenot à maudire les papistes en occitan. Jusqu'au jour où le temps des rois se termina. Vinrent alors les premiers fascistes de l'Histoire, les vilains jacobins, qui centralisèrent le pays à partir de 1792, et le francisèrent de force après 1870. Gifles, brimades, vexations, tout fut bon sous la III° République pour contraindre les enfants du pauvre colonisé, breton, corse, occitan, alsacien ou flamand à apprendre le français et à se sentir français. Voilà le « génocide culturel », le crime contre l'humanité de la prétendue « patrie des droits de l'homme ». Repentance ! Pénitence ! Vengeance !
A l'aube du XXI° siècle, grâce à la Sainte Europe, l'espoir se lève enfin pour les peuples opprimés. Dans une Europe pacifiée et en voie d'unification, l'Etat-nation violent et agressif issu du jacobinisme totalitaire n'a plus de raison d'être : place à l'avenir, c'est-à-dire le retour aux identités locales, aux racines provinciales et aux langues régionales. Tous le veulent, des gauchistes écolos aux identitaires fachos. L'Union sacrée contre le centralisme répressif.
Il ne suffit pourtant pas de répéter des mensonges pour qu'ils deviennent réalité. La version susdite est une affabulation mystificatrice (ou une mystification affabulatrice, au choix). Utiliser des références historiques pour nourrir une rhétorique idéologique, d'accord. Mais la moindre des choses est de faire preuve d'un peu de rigueur et d'un minimum d'honnêteté intellectuelle.
Sur la construction du territoire national d'abord, les rois de France ont autant acheté, échangé ou acquis par mariage/héritage qu'annexé de force. La Provence est un héritage. La Bretagne entre définitivement dans le royaume par mariage (mais la suzeraineté française s'exerçait déjà, et c'est tellement vrai que le français était langue de chancellerie chez les derniers ducs de Bretagne). Ajoutons que les campagnes militaires du roi de France n'étaient pas forcément plus destructrices que les interminables vendettas entre féodaux locaux. Dans ces nouveaux territoires, aucune « colonie » française n'a jamais été installée, contrairement à ce que les Romains et les Athéniens faisaient. Parler du « colonisateur » français en métropole, cela n'a aucun sens. D'autant que la prolifique Bretagne a envoyé nombre de ses enfants dans d'autres contrées de France. A tel point que si la Bretagne est française, la France est aussi très bretonne en certains endroits ! Et ça ne me gêne pas.
D'autre part, certains faits doivent être rappelés. Au printemps 1789, les députés des États Généraux venus de tout le pays sont présents à Versailles. Il n'y a aucune distinction entre Français et « colonisés ». Lorsque les députés du tiers état se proclament Assemblée nationale, les représentants bretons, catalans, occitans, alsaciens, provençaux, flamands, basques, corses suivent le mouvement et prennent toute leur part à la fondation de la souveraineté nationale. Les mêmes participent à la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (en français) et l'adoptent. Il est assez piquant aujourd'hui d'entendre des Bretons ou des Occitans parler « des Français » comme d'un peuple étranger, alors même qu'ils en font pleinement partie depuis que ce peuple s'est proclamé nation souveraine.
Concernant enfin la diffusion de la langue française, quelques remarques s'imposent. D'abord, l'usage du français gagne du terrain avant même la Révolution, pacifiquement et sans contrainte. Le breton recule depuis le XIII° siècle ! Les fédérés marseillais arrivant à Paris ne chantaient pas la Marseillaise en provençal que je sache. Ensuite, le français continue à progresser au XIX° siècle avant 1870. L'apprentissage du français est souvent un choix plus qu'une contrainte. Nous sommes dans le cadre de l'achèvement d'une unité nationale, avec une loi commune en français. Il était avantageux de comprendre cette loi. Il y a aussi des raisons économiques : un marché national est en train de se constituer, au-dessus des marchés locaux. Pour commercer, mieux vaut parler la même langue. Ajoutons que Bretons, Limousins, Auvergnats affluent à Paris pour participer à l'essor et à l'industrialisation de la capitale. De retour au pays, ces migrants diffusent l'emploi du français. Là encore sans contrainte. Arrêtons-nous sur les lois scolaires de la III° République. Les brimades et les vexations ont pu exister, je ne le nie pas, mais les historiens ont depuis quelques temps nuancé le tableau. Les brimades ont été moins généralisées et moins systématiques qu'on l'a dit. De plus, des études sur l'origine des instituteurs montrent un recrutement souvent local, de fonctionnaires qui précisément bénéficiaient d'un ancrage régional. D'ailleurs, il faut réfléchir un petit peu : comment, au fin fond de certaines campagnes non-francophones, les instituteurs auraient-ils pu apprendre quoi que ce soit à des enfants dont ils ignoraient le langage maternel ? Quel Français pourrait demain enseigner sa langue à un Polonais non-francophone si lui même ne sait rien du polonais ? Un mot du « génocide culturel » : c'est un mensonge ignoble. La III° République n'a jamais nié la diversité des régions françaises, ni cherché à détruire leurs spécificités. Bien au contraire. Un ouvrage comme Le Tour de France de deux enfants (employé comme livre de lecture) montre une volonté de valoriser chaque région française. L'idée de la III° République, c'est que l'attachement à la « petite patrie » renforce l'amour pour la grande. Mais, pour assurer sa cohésion, il est évident que la nation devait s'unifier sur certains plans, et notamment sur le plan linguistique. Pour le reste, chaque contrée conservait (et parfois conserve jusqu'à nos jours) certains particularismes, dans l'architecture, la gastronomie, la vie sociale.
C'est ce subtil équilibre entre unité (qui n'est pas synonyme d'homogénéité) et diversité que certains veulent aujourd'hui briser, pour faire triompher le différentialisme intégral. Rappelons d'ailleurs que l'uniformisation des modes de vie doit bien plus à l'américanisation et à la télévision qu'à la politique « autoritaire » de la République centralisée. La France n'a jamais nié l'échelle locale : les communes et les départements ont toujours été des lieux importants de la vie démocratique. La diversité peut être une richesse, à condition qu'il y ait des éléments forts d'unité. Actuellement, la diversité telle qu'elle est conçue ne produit pas de richesse, mais elle conduit à l'affrontement et aux tensions. Parce que cette conception de la diversité est adossée au funeste « droit à la différence », c'est-à-dire au rejet systématique des points communs, de ce qui unit, au seul profit de ce qui différencie, et de ce qui sépare. Voilà le cœur du problème. Pour moi, il y a une identité française, qui se décline avec des variantes locales. C'est un tableau avec différentes nuances. Pour les partisans de la Charte européenne des langues régionales, l'identité française a été artificiellement « collée » sur les identités régionales pour les masquer, et leur obsession est d'arracher cette identité nationale pour retrouver les cultures particulières. Ce que ne voient pas ces gens dans leur fanatisme, c'est qu'en détruisant l'identité commune, ils détruisent une bonne partie de la leur... Le retour des langues régionales, paradoxalement, pourrait bien conduire, je le répète, à un appauvrissement culturel généralisé. Car pour retrouver chaque culture locale dans sa pureté primitive, il va falloir remonter dans le passé et épurer la langue. Or ces idiomes sont souvent restés à un stade archaïque, avec un vocabulaire souvent très rural et agricole qui ne correspond pas à nos sociétés modernes urbanisées. C'est pourquoi les « langues régionales » apparaissent bien souvent comme des reconstructions à but politique, un peu comme l'hébreu moderne, une langue très artificielle. Pourquoi pas ? Mais je note que l'objectif de la Charte est de défendre un patrimoine linguistique menacé, pas de favoriser l'émergence de langues artificiellement reconstituées... et codifiées, alors même que certaines ne le furent jamais ! La culture française et l'identité nationale sont de riches synthèses, imparfaites sans doute, mais qui profitent de la variété de leurs filiations. Je l'ai dit, je le répète : la France est à sa manière bretonne, alsacienne, comme elle est occitane, basque ou corse. Je serais d'ailleurs curieux que les régionalistes nous expliquent clairement ce qu'ils appellent « France » et qui sont « les Français ». Parce que, si on enlève la Bretagne, le pays basque, les pays de langue d'oc (Occitanie est un abus de langage), l'Alsace, la Provence, la Savoie, le Nord, etc, je ne vois pas bien ce qui reste...
Deux choses sont encore à souligner : d'abord, la Charte est discriminatoire. En effet « elle n'inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’État ni les langues des migrants » (article 1). Et pourquoi ? Si l'on est cohérent, comment justifier ces discriminations ? L'enseignement des langues d'oïl proches du français officiel est-il moins légitime que l'enseignement des langues d'oc ? A ce sujet, les défenseurs du gallo et du ch'ti vont être déçus... Ensuite, pourquoi exclure les langues des migrants, alors même qu'il y a plus d'Arabes que de Catalans ou de Basques en France ? Là encore, comment justifier cet odieux privilège accordé aux autochtones ? N'est-ce pas du racisme déguisé ? D'autant que les Maghrébins, Turcs et Subsahariens devront, eux, apprendre l'occitan, l'alsacien ou le breton si jamais ils résident dans l'aire géographique traditionnelle d'une de ces langues régionales. Je ne résiste pas à l'envie de citer cette phrase : « L'adoption de mesures spéciales en faveur des langues régionales ou minoritaires, destinées à promouvoir une égalité entre les locuteurs de ces langues et le reste de la population ou visant à tenir compte de leurs situations particulières, n'est pas considérée comme un acte de discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues. » (article 7). Qui propose un plus bel oxymore ? C'est savoureux : comme les rédacteurs savent que, de fait, la Charte introduit des privilèges pour les langues régionales, ils se sentent obligés de préciser, contre toute raison, que ce ne sera pas « considéré » comme discriminatoire. Pourquoi ? Parce que les langues régionales, c'est bien. Point à la ligne. Et puis, « l'adoption de mesures spéciales » pour « promouvoir l'égalité », je ne sais pas, ça me laisse songeur. Par définition, une langue régionale n'est pas « l'égale » d'une langue nationale puisque l'une est parlée dans une région seulement, et l'autre par une nation tout entière.
En privé, chacun est libre d'user de la langue qui lui plaît. Les défenseurs des langues régionales sont libres de créer, à leurs frais, des associations pour enseigner, préserver et diffuser leur idiome, s'ils le jugent nécessaire. Grâce à internet, sites et blogs en langues et dialectes régionaux peuvent fleurir en toute légalité (y compris des sites facilitant l'apprentissage). Mais nul ne peut imposer l'usage d'une langue régionale à un territoire donné. Nul n'a le droit d'imposer un bilinguisme à qui que ce soit. Sur le territoire français, seule la maîtrise de la langue française est obligatoire. Obligatoire et suffisante. Le reste relève de la liberté de chacun d'apprendre, dans un cadre extrascolaire, une langue régionale ou une langue étrangère. La liberté des uns commence là où s'arrête celle des autres. Je ne veux interdire à personne de parler le breton ou le basque. Mais je refuse qu'on m'impose demain de parler ces langues si je décide de m'installer à Brest ou à Biarritz, villes françaises.
Il suffit d'ailleurs de regarder ce qui se passe chez nos voisins : en Belgique, le bilinguisme est en perte de vitesse et le pays au bord de l'éclatement. En Catalogne espagnole, le castillan, bien que co-officiel, n'est utilisé que de mauvaise grâce par les autorités, et par certains habitants. A Barcelone, si vous vous adressez à un commerçant en castillan, il n'est pas rare qu'il vous réponde uniquement en catalan. Peu importe la gêne occasionnée, tout est bon pour refuser obstinément de parler le castillan. J'aimerais que nos promoteurs de la Charte répondent à cette question : c'est cela la « compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques du pays » ? On accuse la France de ne pas ratifier la Charte, et bien moi j'accuse la Généralité de Catalogne d'en violer les principes fondamentaux ! De fait, la langue régionale cherche à éradiquer la langue nationale. L'exemple catalan doit nous instruire de ce qui pourrait survenir dans notre pays.
Que faire si le PS gagne et cherche effectivement à ratifier la Charte ?
Nous n'en sommes pas là, mais comme je le lisais récemment sur un blog plutôt de gauche, il se pourrait que la question de voter pour Nicolas Sarkozy au second tour afin de faire barrage à la ratification se pose sérieusement au printemps prochain. Même si je préférerais un duel Dupont-Aignan/Mélenchon, à titre personnel.
Admettons donc que François Hollande soit élu en 2012. Si les Verts font un mauvais score et que M. Hollande est un vrai républicain, la ratification passe à la trappe. Les Verts se calmeront avec quelques circonscriptions et quelques sinécures, car il ne faudrait pas croire que l'écologiste est incorruptible. L'affaire en reste là. Deuxième option : les Verts font un bon score et François Hollande est contraint de leur accorder la ratification, ou décide de le faire en échange de l'abandon d'autres points (le siège au Conseil de Sécurité). Dans ce cas là, il nous faudra mener bataille, écrire à tous les députés PS pour les mettre en garde, leur rappeler l'histoire nationale ainsi que leur devoir. Ce blog proposera, le cas échéant, des modèles de lettre à envoyer à nos députés et sénateurs.
Souhaitons toutefois que la funeste ratification reste encore longtemps dans les cartons.
Notes :
Le texte de la Charte est consultable intégralement à cette adresse :
http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/148.htm
(et ailleurs...)
Un site, parmi d'autres, où les commentaires développent la rhétorique en faveur des langues régionales :
On notera que la passion pour sa petite langue régionale cache mal, assez souvent, une haine de la France par rejet de la langue nationale. Je vois assez bien certains commentateurs de ce site refuser demain de vous répondre en français sur un marché... Où est la « compréhension mutuelle entre les groupes linguistiques » ? Mystère... Mais tout cela n'est pas rassurant.