Nationaliste Social et Ethniciste

Nationaliste Social et Ethniciste

Bourbier ukrainien & embrouilles du Kremlin

Depuis le commencement, le conflit en Ukraine me laisse perplexe et indécis. Je peine à adopter une position claire et à m'y tenir. En fait, il m'est difficile de choisir un camp, parce que la situation est complexe, parce que les intérêts se heurtent éventuellement aux principes, et parce que les questions historiques, qui pour moi sont fondamentales en géopolitique, compliquent tout. Disons-le franchement : j'ai une relative sympathie pour la Russie et une certaine bienveillance pour les intérêts russes. La Russie est l'un des rares pays en état de contrer les actions souvent néfastes du gouvernement américain. De ce point de vue, la Fédération de Russie a un rôle éminent à jouer dans l'équilibre des forces sur Terre. Vladimir Poutine n'est pas pour moi le « monstre », le dictateur, l'autocrate que se plaisent à dénoncer tant de médias et d'intellectuels. Poutine n'est pas le diable, il est le président légitime de la Russie, régulièrement élu, il assume un certain héritage impérial et dispose du soutien d'une bonne partie de la population russe. Ceux qui accusent Poutine d'être un odieux tyran feraient mieux de se taire et de se pencher sur le fonctionnement politique de l'Arabie Saoudite ou du Qatar, nos « amis » adeptes du despotisme le plus obscurantiste. La Russie n'est pas le paradis, mais je pense que les droits de l'homme y sont mieux respectés qu'au Pakistan ou qu'en Chine. Toutefois, et c'est là ma différence avec de nombreux nationalistes et patriotes français, je ne déborde pas d'admiration pour la Russie et pour son homme fort. Poutine est un dirigeant intelligent, soucieux des intérêts de son pays, et c'est très bien. Mais je suis assez étonné par la fascination, voire le culte, que suscite Poutine en France et dans d'autres pays d'Europe occidentale. Le simple fait de s'opposer aux intérêts américains ne fait pas du président russe le messie, le sauveur et guide d'une Europe émancipée. Il est fort surprenant d'entendre ceux-là même qui se plaignent de la pesante domination américaine et de la servilité de nos élites à l'égard de l'Oncle Sam souhaiter ouvertement une hégémonie russe. A quoi bon changer de maître ? Pour un pays comme la France, une rivalité entre grandes puissances peut permettre de jouer sa partition.

 

Voilà pourquoi je ne vois pas d'un mauvais œil les efforts de Moscou pour entraver les progrès de l'OTAN et des États-Unis en Europe de l'est, dans le Caucase ou en Asie centrale. Voilà pourquoi je suis d'accord pour que les Occidentaux respectent une certaine zone d'influence russe. Voilà pourquoi je persiste à penser qu'il est utile et nécessaire d'entretenir des rapports cordiaux avec Moscou. Mais, et c'est là que j'introduis un bémol, cela ne signifie pas encourager les velléités impérialistes russes. Vous me direz, entre préserver une zone d'influence et pratiquer une véritable politique impérialiste, la distinction peut paraître subtile. J'en conviens, mais je ne crois pas me tromper en disant qu'en Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine a franchi la ligne rouge. Je n'approuve pas l'annexion de la Crimée, mais je la comprends pour des raisons géostratégiques : face à un gouvernement ukrainien disposé à traiter avec Washington, Poutine ne pouvait pas ne pas réagir, et abandonner ses bases navales en Mer Noire. De plus, il paraît indéniable que l'écrasante majorité de la population de Crimée appelait de ses vœux son rattachement à la Russie et que son appartenance à la nation ukrainienne était sujette à caution. Sur ce dernier point, même les Ukrainiens l'admettent, et l'on peut d'ailleurs relever que finalement Kiev ne s'est pas montré disposé à risquer la vie de ses soldats pour la Crimée. Même les plus virulents nationalistes ukrainiens ont protesté bruyamment, mais sans aller plus loin. Il en va tout autrement pour le Donbass, considéré de longue date comme une région ukrainienne, russifiée, russophone et russophile certes, mais ukrainienne. Après le camouflet de la Crimée, les autorités de Kiev ne pouvaient pas décemment tolérer le dépeçage du territoire national. Malgré sa faiblesse, l'armée ukrainienne se devait d'intervenir. Poutine à l'époque accusait Kiev de « bombarder son propre peuple », mais si un état ne peut pas utiliser son armée pour préserver son intégrité territoriale, à quoi peut bien lui servir d'entretenir des soldats ? Par ailleurs, les séparatistes rejettent précisément leur appartenance à l'Ukraine et sont de facto en guerre contre la nation ukrainienne. Pourquoi cette dernière ne pourrait-elle pas se défendre, d'autant que le conflit séparatiste se double d'une ingérence étrangère manifeste ? Si l'Allemagne demain soutenait des séparatistes alsaciens armés, la France laisserait-elle faire ?

 

En matière de politique internationale, je suis un partisan fervent du principe de l'intangibilité des frontières et, dans le conflit ukrainien, ce principe l'emporte à mes yeux sur ma sympathie pour la Russie et ses intérêts. Non pas que je méconnaisse le rôle délétère des pays occidentaux dans le déclenchement de la crise ukrainienne [1], ni la nécessité de prendre en compte les inquiétudes du gouvernement russe (il est inconcevable pour Moscou que l'Ukraine rejoigne l'OTAN ou l'UE, et cela je l'entends), mais soutenir la cause russe en Ukraine, c'est défendre le droit du fort de s'ingérer dans les affaires du faible, c'est admettre que la force brute seule définit les relations internationales. C'est également nier le droit d'un état à son unité et à son intégrité territoriale. Alors bien sûr, les pro-Poutine vont me parler du Kosovo. Ils n'auront pas tort, puisque l'inénarrable Nicolas Sarkozy a expliqué en substance que : « nous avons accepté l'indépendance du Kosovo au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, comment comprendre que le même droit ne soit pas accordé aux habitants du Donbass ? ». Personnellement, je me méfie du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », car qu'est-ce qu'un peuple, après tout ? Qui peut produire une définition fiable et objective d'un peuple ? A partir de quelle masse critique peut-on parler de peuple ? Toute ethnie constitue-t-elle un peuple ? Je note par exemple que tout le monde s'accorde à dire qu'il y a un peuple touareg et un peuple kurde. Apparemment, lorsqu'il était président, M. Sarkozy n'a jamais songé à permettre aux Kurdes (35 millions de personnes au bas mot) ou aux Touaregs (1,5 million de personnes au cœur du Sahara) de constituer un état. Pour les habitants du Donbass, leur appartenance reste d'ailleurs à établir avec précision : sont-ils des Ukrainiens russifiés ? Des Russes malencontreusement placés en Ukraine lors du traçage des frontières internes à l'URSS ? Ou bien des descendants de Russes venus s'installer dans le Donbass lors du boom industriel du début du XX° siècle ? Un peu des trois ? Or la réponse à cette question est fondamentale. En ce qui concerne le « précédent » du Kosovo qu'on nous jette sans cesse à la figure, je voudrais dire deux choses : d'abord, j'ai toujours été et je demeure hostile à l'indépendance du Kosovo, qui reste pour moi un territoire serbe ; ensuite, il n'est pas tout à fait juste de dire que les Occidentaux ont ouvert la boîte de Pandore avec l'affaire kosovare, car la Russie crée de fait des Kosovo un peu partout sur le pourtour de l'ex-URSS, et ce depuis le début des années 90, notamment en Abkhazie et Ossétie du Sud (Géorgie), en Transnistrie (Moldavie) et à présent au Donbass. Encore une fois, je comprends que la Russie défende ses intérêts et j'admets que les chancelleries occidentales mènent des politiques discutables, mais ceux qui pensent que la Russie est un facteur de stabilité dans le Caucase ou en Europe de l'est se trompent lourdement.

 

Et les Ukrainiens dans tout ça ? Méritent-ils qu'on les soutiennent ? J'ai envie de répondre que la question n'est pas là. Je ne défends pas l'unité et la souveraineté de l'Ukraine parce que j'ai de la sympathie pour les Ukrainiens, mais parce que je défends un principe, celui de l'unité et de la souveraineté de toute nation, à partir du moment où chacune respecte les droits des autres. Or, une première question doit-être posée : est-ce que l'attitude de l'Ukraine a pu être considérée à un moment comme mettant en péril l'unité et la souveraineté de la Fédération de Russie ? La réponse est à l'évidence non. Les « révolutionnaires » de Maïdan menaçaient certes la sécurité des intérêts russes, et la présence militaire russe en Mer Noire, ce qui peut justifier pour une part la réaction de Moscou en Crimée. Mais le gouvernement de Kiev n'a jamais à ma connaissance menacé l'intégrité territoriale de la Russie. Le devenir des russophones d'Ukraine pouvait légitimement inquiéter Vladimir Poutine et le pousser à hausser le ton en tapant du poing sur la table. Mais exiger que l'Ukraine adopte une structure fédérale puis s'ingérer directement dans la guerre civile naissante est inadmissible. Car il faudrait tout de même que les dirigeants russes répondent clairement à une question : l'Ukraine est-elle un état indépendant ou une province russe ? Si elle est un état indépendant, Moscou doit respecter les choix de Kiev, même si le Kremlin peut bien sûr faire pression diplomatiquement et économiquement pour que son voisin respecte les intérêts russes. Bien que je ne sois pas favorable à l'entrée de l'Ukraine dans l'UE ou l'OTAN, le gouvernement ukrainien doit conserver en théorie la possibilité de proposer sa candidature à ses organisations (qui peuvent rejeter ladite candidature sur pression de la Russie). Sans quoi, l'Ukraine n'existe pas en tant que nation indépendante. Mais au fait, l'Ukraine constitue-t-elle véritablement une nation ? La question est complexe, car le pays a une histoire très tourmentée, tout en étant confronté à une grande hétérogénéité linguistique et religieuse. Mais j'avais conclu dans un autre article que l'Ukraine constituait bel et bien une nation distincte de la nation russe, même si c'est une nation inachevée et écartelée [2].

 

En dépit de leurs démêlés avec la Russie, qui leur donnent le rôle plutôt avantageux de David contre Goliath, les Ukrainiens n'ont pas forcément bonne presse en Occident et leur image est assez ambiguë. Balayons d'abord les déclarations grotesques de la propagande pro-russe : non, tous les Ukrainiens, en particulier ceux de l'Ouest, ne sont pas des « fascistes ». La crise et la guerre ont permis aux activistes de Svoboda et de Pravyi Sektor de se faire connaître. Leur influence n'est pas négligeable, mais il s'agit d'une minorité agissante dont le poids politique ne doit pas être surestimé : Svoboda a 6 députés à la Rada et son dirigeant n'a obtenu que 1,16 % des suffrages à l'élection présidentielle de 2014. Surtout, Svoboda est passé de 10 à moins de 5 % des voix entre les législatives de 2012 et celles de 2014, alors même que la mobilisation électorale est très forte dans les oblasts de l'Ouest, autour de Lviv, fief traditionnel des nationalistes, preuve que la popularité de la formation nationaliste s'érode. Quant à Pravyi Sektor, il n'a fait élire qu'un ou deux députés. Alors que Svoboda a compté jusqu'à quatre ministres en 2014, il n'y en a plus aucun. Dans ces conditions, arguer que « le gouvernement de Kiev est aux mains des fascistes » ne tient pas. Il faut par ailleurs se méfier du mot « fasciste » : tous les nationalistes ukrainiens ne sont pas fascistes ou pro-nazis. Il est vrai cependant que la mouvance nationaliste ukrainienne traîne une histoire peu propre à nous la rendre sympathique. Pourtant, au risque de choquer, l'alliance des nationalistes ukrainiens avec le III° Reich était, au début, logique et pour tout dire rationnelle : les nationalistes ukrainiens combattaient alors les Polonais et les Soviétiques. Ennemis déclarés de la Pologne et de l'URSS, les Allemands étaient des alliés naturels... Cette entente nous est insupportable parce que le nazisme est frappé pour nous du sceau de l’infamie, mais les nationalistes ukrainiens ont jugé de la situation en fonction des circonstances et de l'ennemi prioritaire à abattre. Il est malvenu, je trouve, de leur faire ce reproche. Par ailleurs, cette alliance de circonstance fut provisoire, et certains nationalistes ukrainiens ne tardèrent pas à affronter les Allemands. Il faut quand même distinguer les nationalistes ukrainiens qui ont pu chercher au début un soutien de l'Allemagne et les Ukrainiens engagés dans la Waffen SS... Enfin, même s'il faut se méfier de la propagande ukrainienne cette fois, il est peu douteux que la population ukrainienne rurale a souffert de la politique économique de Staline, et la russophobie d'une partie de la société ukrainienne peut se comprendre. Il n'en demeure pas moins que voir des Ukrainiens de l'Ouest « commémorer » les faits d'armes de SS ukrainiens en tenue nazie, le tout avec la bénédiction de l’Église uniate, laisse perplexe et met mal à l'aise [3].

 

Pourtant, je pense qu'il faut soutenir ces Ukrainiens un peu étranges au nom de la défense de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des nations. D'autant que l'intervention russe fait de moins en moins de doute. Au-delà des déclarations alarmistes des autorités militaires ukrainiennes, on peut se demander comment les habitants de Lougansk et Donetsk, si déterminés soient-ils, ont réussi à s'armer et à s'organiser pour repousser les forces ukrainiennes. Que l'armée ukrainienne ne soit pas la meilleure du monde, j'en conviens. Malgré tout, que cette armée, même peu efficace, soit incapable de ramener à la raison une poignée de rebelles pose question. Lorsque les soldats ukrainiens ont mené de réelles offensives, ils ont pris l'avantage. Si les séparatistes ont pu résister, c'est qu'on leur a fourni armes, hommes et encadrement. L'artillerie lourde n'est tout de même pas sortie des mines de charbon ! Le fait qu'à Minsk Vladimir Poutine négocie au nom des séparatistes est un aveu. Or, le même Vladimir Poutine a nié pendant des mois l'implication de son pays dans le conflit. La conclusion s'impose : Poutine est un menteur et pratique un jeu de dupe. Sans doute a-t-il intérêt à le faire, sans doute est-ce une ficelle diplomatique, mais il faut en tenir compte. Je persiste à penser qu'il faut discuter avec Poutine, parce que c'est un homme intelligent, et c'est un homme prêt à discuter et à négocier, contrairement à ce que croient beaucoup de ses détracteurs. Mais il faut se souvenir qu'il n'est pas un interlocuteur très fiable. Alors même que le cessez-le-feu des récents accords de Minsk devait entrer en vigueur le 15 février, les séparatistes ont poursuivi leurs opérations pour s'emparer du site stratégique de Debaltseve. Poutine les a apparemment défendus. Avec des positions renforcées, il est bien évident que les séparatistes seront d'autant mieux disposés à trouver un accord avec Kiev... Je pense que dans cette affaire, Poutine s'est moqué de nous, de François Hollande et de la France. Et je crois qu'il est plus que temps de faire comprendre à la Russie que notre patience a des limites. Malheureusement, Poutine comprend surtout le langage de la force, et il faudrait peut-être envisager d'accorder un soutien militaire plus actif à l'Ukraine. Non point pour écraser la rébellion, mais pour lui faire subir quelques revers qui obligeraient les séparatistes et leur protecteur russe à se montrer plus conciliants avec Kiev. Ensuite, il me semble que le plus sage serait de négocier un retour du Donbass sous l'autorité du gouvernement ukrainien ainsi que le désarmement des séparatistes en échange de la reconnaissance de l'annexion de la Crimée par Moscou, de dispositions législatives visant à protéger l'usage du russe en Ukraine et l'engagement ferme des pays occidentaux à ne pas accueillir l'Ukraine dans l'OTAN ni dans l'UE (ou alors accorder le droit à l'autodétermination des oblasts de Lougansk et Donetsk en cas d'adhésion).

 

En revanche, le plus probable me paraît le moins souhaitable, à savoir un pourrissement du conflit qui ne sera jamais véritablement réglé, avec une indépendance de facto des territoires séparatistes sous protectorat russe, comme en Transnistrie, en Ossétie du Sud et en Abkhazie... Moscou est coutumier de ces « indépendances » contestées qui lui fournissent de petits états-clients à jamais reconnaissants. Il est plus que temps de mettre un frein à cette politique russe génératrice de tensions et d'instabilité des frontières.

 

[1] Comme je l'avais expliqué dans cet article.

 

[2] Question traitée dans cet article.

 

[3] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/980272-ukraine-j-ai-assiste-a-une-commemoration-d-une-division-ss-une-autre-realite-du-pays.html



22/02/2015
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