Rendons honneur à la recherche française
Depuis quelques temps, le milieu de la recherche scientifique est attaqué, odieusement attaqué. Il faut certainement voir dans cette offensive une preuve supplémentaire de la poussée des idées obscurantistes et réactionnaires qui menacent, non seulement les libertés politiques et individuelles, mais aussi la liberté académique. Face à ce déchaînement d'accusations, d'insinuations, de vociférations, il est temps de rendre justice au monde intellectuel et universitaire, trop souvent moqué, trop souvent bafoué, par des gens qui n'ont comme arme qu'une idéologie mortifère parfois, et une grande ignorance toujours. Le monde de la recherche universitaire semble facile à ridiculiser, d'abord parce qu'il est mal connu. Il est vrai qu'il tend à se tenir à l'écart des tumultes du monde, dans l'ambiance feutrée des séminaires et des laboratoires de recherche. Mais ce n'est ni du mépris, ni de l'entre-soi. Ce sont les conditions nécessaires à l'analyse fine, précise, scientifique de ces tumultes, de ces soubresauts qui, tout le monde se l'accorde, marquent le début d'une ère nouvelle. La science, la production du savoir, ne sont pas des processus étrangers à la société et à ses évolutions. Certains parlent de "science" comme s'il s'agissait d'une religion, d'un dogme, sacralisant jusqu'à l'absurde la raison humaine, s'accrochant contre l'évidence à des "méthodes" mises au point il y a des siècles, dans un contexte social et intellectuel qui n'a plus rien à voir avec les défis de notre modernité. La science est fille de son temps, et elle doit parfois faire son "aggiornamento" pour donner des outils utiles, des analyses crédibles afin que l'humanité puisse résoudre les problèmes que ne manquera pas d'engendrer la crise systémique dont nous ne voyons que les prémisses.
Il faut donc regarder sérieusement la production scientifique, lire les comptes-rendus des thèses, assister aux soutenances et aux conférences. Et l'on s'aperçoit rapidement qu'on est loin, très loin, des caricatures et des sous-entendus nauséabonds qui ont cours dans une certaine presse et jusque dans les rangs des dirigeants. Le débat, fécond, respectueux, inclusif, n'a jamais déserté les enceintes académiques. Il se porte même mieux qu'avant grâce à la prise en compte de la diversité épistémologique et méthodologique dans le développement de la transdisciplinarité raisonnée. Regardons le passé: il n'y a pas si longtemps, des mandarins pontifiaient devant des assemblées aussi monochromes que monogenres, dans une ambiance de conformisme bourgeois, avec pour seul résultat la reproduction sociale et la routine intellectuelle. Nous n'en sommes plus là, et c'est heureux. Le coeur des universités pulse. Et si naturellement, il faut condamner les excès de la polémique, il convient cependant de ne pas instrumentaliser tel ou tel incident. Il serait ainsi caricatural de penser que peu d'universitaires protestent contre l'annulation d'un spectacle ou d'une conférence d'un collègue au motif qu'ils sont veules. Un article ne suffirait évidemment pas à rendre compte du formidable bouillonnement intellectuel et scientifique qui agite le monde des sciences, et tout particulièrement des sciences sociales. On se bornera donc à évoquer, trop brièvement et l'on s'en excuse, quelques travaux et sujets de recherche parmi les plus représentatifs de cette grande entreprise de renouvellement paradigmatique. On a retenu pour ce faire deux publications majeures du milieu de la recherche: les recensions d'études menées au sein du Centre National pour la Recherche en Progressisme (CNRP) et la Lettre annuelle de l'Académie de Sociologie, un bulletin de création récente, mais qui offre une synthèse brillante et accessible de travaux avant-gardistes qui font la fierté de l'université française.
Commençons par les études menées au CNRP. Notre attention a été retenue par différents travaux présentées ces derniers mois.
Dans "Mille ans de pédophilie et de transphobie dans l'Eglise catholique", un jeune et prometteur ingénieur de recherche du CNRP dévoile les pratiques et les discours de l'Eglise catholique en matière d'abus sexuel et de discrimination des transgenres. D'autres travaux avaient auparavant fait le bilan accablant de l'Eglise en matière de sexisme et d'homophobie, et il était plus que temps d'étudier en détail les autres mécanismes de cette "machine à dominer et à discriminer" qu'est l'Eglise catholique, pour reprendre les termes d'un membre important de l'Académie de Sociologie (1). Le mythe de la papesse Jeanne est ainsi réinterprété comme un mouvement interne au catholicisme visant à exclure de la société les transgenres et les personnes non-binaires en les diabolisant. Si la frange la plus conservatrice du clergé catholique n'a pas manqué de protester avec véhémence contre ce qu'elle qualifie de "chasse aux soutanes", d'autres dirigeants religieux estiment au contraire que ce travail doit permettre une prise de conscience salvatrice au sein d'une Eglise enfin décidée à porter un regard critique sur son passé. Le pape François serait intéressé par un entretien avec l'auteur de cette étude.
La thèse intitulée "Les blancs et le concept de race: de l'acceptation au rejet, les métamorphoses de la domination" est un travail magistral qui établit de manière convaincante que le concept de race est en permanence manipulé par les blancs pour perpétuer leur domination. Au XIX° siècle, le racisme "scientifique" a établi une hiérarchie des groupes humains qui plaçait les blancs au sommet. Au début du XXI° siècle, de nombreux blancs ne veulent plus parler de "race", se réfugiant derrière l'idée d'égalité et d'universalisme, et estiment le concept biologiquement irrecevable. A première vue, tout a changé. Mais l'auteur montre qu'il n'en est rien: si les blancs aujourd'hui combattent majoritairement l'utilisation du concept de race, c'est parce que celui-ci a été repris dans une acception sociologique et mis au service d'une exigence d'émancipation des non-blancs. Pour le dire autrement, le mot "race" avait droit de cité quand les blancs constituaient la race prétendument supérieure, mais à présent que le terme est utilisé pour mettre fin à l'oppression des racisés, comme par hasard, les blancs rejettent son utilisation. Dans tous les cas, l'objectif est toujours le même: maintenir un ordre qui garantit au final les privilèges blancs. Dans cette optique, l'hostilité déclarée de beaucoup de blancs envers la théorie critique de la race est bien une attitude profondément raciste quand bien même ceux qui la professent affirmeraient le contraire.
Signalons également une étude réalisée par deux chercheuses en linguistique, sous le titre: "pénis, prépuce, phallus: de la dimension sexiste de la lettre P". Les autrices opèrent une minutieuse recension des utilisations de la lettre P et analysent sa graphie. Elles en tirent la conclusion que la lettre P, par sa forme, évoque un sexe masculin tourné vers le bas pour écraser la femme, imposant dans l'écriture même l'image de la virilité triomphante. Plus troublant encore, nombre de mots évoquant la domination masculine (outre ceux, très évocateurs, du titre, on peut rajouter "patriarcat", "pénétration", "prédateur") ou le mépris de la femme ("putain", "pouffiasse", "pétasse") commencent par un P. Au terme d'une étude fouillée et quasi-exhaustive, les autrices prouvent une fois de plus que la langue est le véhicule méconnu du sexisme ordinaire et en arrivent à la conclusion logique qu'il faut remplacer la lettre P par une autre et accomplir une véritable réforme sémantique. On partagera ou non leurs préconisations radicales, mais, en tout état de cause, on ne peut nier la qualité et l'ampleur du travail accompli qui, à n'en pas douter, alimentera pendant longtemps le débat scientifique. Cette étude a reçu le Grand Prix décerné chaque année par le CNRP.
A la croisée de la génétique, de l'anthropologie comportementale et de l'histoire des mentalités, mentionnons la très belle thèse intitulée "Dépigmentation de la peau, culture du viol, oppression patriarcale: aux origines du mal/mâle européen". Il y a environ 8 000 ans, nous disent les généticiens, les populations d'homo sapiens vivant en Europe et qui jusqu'alors avaient un phénotype normal, à peau foncée, "blanchissent" en l'espace de quelques générations. Comment expliquer un changement d'une telle ampleur en un laps de temps aussi court? Sans écarter l'explication traditionnelle de l'avantage conféré par une peau plus claire pour fixer la vitamine D dans des contrées moins ensoleillées, l'auteur avance d'autres raisons: la mutation génétique ayant engendré le phénotype à peau claire aurait également favorisé une agressivité plus forte chez les sujets masculins, frustrés par leur différence qui éloignait d'eux une gente féminine naturellement attachée au phénotype normal de l'espèce. Plus violents, les mâles blancs auraient alors conquis un avantage en matière de reproduction, en enlevant et en violant de manière systématique les femmes (la légende romaine de l'enlèvement des Sabines pourrait conserver des traces de ces pratiques ancestrales) afin de transmettre leurs gènes, tandis que les hommes à peau foncée, doux et pacifiques, auraient été incapables de perpétuer leurs lignées. Cette savante démonstration a le mérite de fournir une explication crédible à la culture du viol qui sévit en Europe depuis des siècles, ainsi qu'au système patriarcal qui assimile la femme à un objet, une proie, un butin. Pour séduisante que soit cette théorie, elle attend encore confirmation par les recherches en génétique.
Dans le domaine de l'histoire des arts, nous ne passerons pas sous silence la synthèse intitulée "Lumière blanche, noires ténèbres: racisme chromatique dans l'imaginaire religieux occidental de l'Antiquité à nos jours". S'appuyant sur les derniers travaux d'historiens américains montrant que l'Antiquité gréco-romaine pose les bases culturelles du suprémacisme blanc, l'auteur adopte le prisme original des représentations religieuses pour montrer comment le noir des ténèbres, de l'Erèbe païen à l'Enfer chrétien, a toujours été associé à une image négative et dégradante. Au sein de ce système de représentations, le noir de l'obscurité est en permanence assimilé à un marasme primitif d'où émerge, de manière quasi-miraculeuse, la lumière de la blanchité, symbole de pureté, de progrès, de connaissance et de beauté. A partir de là, les blancs, se considérant comme fils de la lumière, n'auront de cesse de rabaisser les non-blancs, et en particulier les Subsahariens noirs, considérés comme fils des ténèbres, incarnation d'une sauvagerie primitive. Et la colonisation, avec ses prétentions civilisatrices, amènera à son apogée cette volonté de "gagner à la lumière" les peuples plongés dans l'obscurité, du simple fait de leur couleur de peau. Conformément à sa volonté de déconstruire les stéréotypes de la domination blanche, l'auteur de cette étude, ô combien éclairante (si l'on ose cette expression désormais contestable), a tenu à rédiger son travail en l'absence de cette lumière si dérangeante. Ainsi, les nombreuses et inévitables fautes de syntaxe et de ponctuation amènent le lecteur à reconsidérer le carcan esthétique, culturel et même linguistique de la suprématie blanche qui gangrène les sociétés occidentales.
Sur un sujet brûlant d'actualité, nous ne pouvons que conseiller la lecture de l'ouvrage "Islamo-gauchisme: usages, diffusion et manipulation d'un concept pseudo-scientifique dans la rhétorique islamophobe de la fachosphère". Au-delà des polémiques qui défraient périodiquement la chronique, l'auteur de cet ouvrage, brillant politologue, identifie un mouvement de fond dans le discours de l'extrême droite française. Après avoir, pendant des années, vainement tenté de contester la validité scientifique du terme "islamophobie", les fascistes ont dû changer leur fusil d'épaule devant une réalité devenue, elle, incontestable: de la loi sur l'interdiction du port de signes religieux dans les écoles aux caricatures de Charlie Hebdo, en passant par le discours sur le séparatisme islamique du président Macron ou les débats sur la suppression du porc dans les cantines, les musulmans sont victimes d'une offensive féroce, sans précédent depuis les persécutions antisémites de la première moitié du XX° siècle. Désormais, les milieux de la fachosphère adoptent un nouvel angle d'attaque en qualifiant d' "islamo-gauchistes" les universitaires comme les militants qui mènent une lutte implacable contre les relents colonialistes et l'ignoble amalgame que certains font entre musulmans et terroristes. Ainsi, loin de décrire une réalité tangible, ce mot "islamo-gauchiste" est une pure invention de l'extrême droite destinée à dresser la liste de ses ennemis... avec les conséquences tragiques que l'on sait lorsque le fascisme arrive au pouvoir. Cet ouvrage remet donc les pendules à l'heure en rappelant que les vrais défenseurs des droits humains et des libertés sont, et ne peuvent qu'être aux côtés des femmes voilées et des militants de la cause islamique, plus que jamais menacés par la coalition d'une gauche laïcarde dévoyée et d'une droite identitaire en plein essor.
Citons à présent les travaux les plus intéressants recensés dans la Lettre annuelle de l'Académie de Sociologie.
D'abord, dans le domaine de l'oppression quotidienne devenue "normale" à force d'être intériorisée par tous, opprimés et oppresseurs, signalons la thèse soutenue en début d'année qui s'intitule "Sexisme ordinaire: Monsieur Propre ou l'irruption de la domination masculine dans la sphère domestique". Traditionnellement, le système hétéro-patriarcal prétend opérer une distinction des sphères féminine et masculine: aux femmes le domaine domestique, le soin du foyer et des enfants, aux hommes la guerre, le travail hors du foyer et la politique. Ce que montre cette thèse, au travers d'une étude fine et précise des publicités pour les produits d'entretien de la gamme "Monsieur Propre", c'est que même dans la sphère domestique, l'écrasante domination masculine s'exprime: le personnage de Monsieur Propre, aux muscles saillants, homme blanc affichant une virilité ostensible pour ne pas dire excessive, vient à l'aide de la femme dépassée par la difficulté de ses tâches habituelles. La femme, humiliée, rabaissée (comme elle l'est depuis dix mille ans), est contrainte, une fois de plus, de se placer dans une situation de dépendance par rapport à l'homme. Le traitement léger, presque humoristique, accordé à un état de fait révoltant et désormais inacceptable dans les spots publicitaires, participe à "la banalité du mal" théorisée par Hannah Arendt.
Ces dernières années, la recherche a largement contribué à déconstruire le paradigme rationaliste cartésien, une des expressions les plus prégnantes du suprémacisme blanc dans le domaine intellectuel. Un nouveau travail collectif enlève une pierre supplémentaire à l'édifice vermoulu du rationalisme oppressif: "Anthropologie et sociologie à l'épreuve des pratiques ancestrales non-blanches: l'apport des sciences occultes extra-européennes dans le renouvellement épistémologique du champ disciplinaire des sciences sociales". C'est une somme monumentale qui ouvre de passionnantes perspectives de lecture et d'interprétation du monde, enfin dégagées de la pensée blanche. Cette oeuvre a reçu le prestigieux prix Nostradamus décerné chaque année par l'Académie de Sociologie.
Se situant dans la même ligne de réinterprétation du réel, une jeune chercheuse qui allie aux mérites académiques le fait d'être une musulmane afropéenne vient de publier une étude novatrice intitulée "Crimes d'honneur chez les minorités ethniques en France: comportement tribal ou résistance à la morale blanche?". Déconstruisant la morale blanche qui pousse les sociétés occidentales à condamner comme une évidence les crimes d'honneur commis au sein des familles musulmanes originaires d'Afrique ou d'Asie, l'autrice montre au contraire que ces pratiques s'inscrivent dans un mouvement d'émancipation antiraciste. Et c'est précisément en ce qu'elles remettent en cause la domination blanche et chrétienne que ces pratiques se heurtent à une hostilité aussi véhémente qu'injustifiée. Cet émouvant appel à la tolérance et au respect des différences culturelles s'appuie sur une démonstration scientifique impeccable et interroge largement notre législation discriminatoire à l'encontre de pratiques comme la polygamie ou la lapidation des femmes adultères. Formulons donc, avec cette jeune chercheuse prometteuse, le voeu que les mentalités évolulent enfin vers une meilleure inclusion des populations musulmanes, dont la riche tradition a tant à apprendre à nos sociétés prisonnières de la grisaille consumériste.
Terminons par une thèse audacieuse qui a pour titre "Faïence blanche et crotte marron: imaginaire raciste dans l'intimité des toilettes". Les ricanements que pourrait susciter un tel intitulé sont parfaitement déplacés. Le travail est sérieux, documenté, bien mené, convaincant, et on ne sera guère étonné d'apprendre qu'il est en lice pour le prix Latrines progressistes remis par le Centre d'Etudes Scatologiques (CES). Qui eût pu penser que le racisme irait jusqu'à s'insinuer dans ce lieu à priori neutre que sont les toilettes? Eh bien si. Le contraste entre la faïence, blanche, brillante, aisément nettoyable, et les excréments foncés est bel et bien un des avatars les plus inattendus de la domination blanche. L'auteur en profite pour constater que, dans l'imaginaire occidental, les fientes humaines sont souvent représentées avec la couleur marron, alors qu'il existe bien d'autres teintes du spectre chromatique disponibles pour caractériser les excréments. Pourquoi le marron? La raison est évidente: il s'agit d'un processus culturel de longue haleine qui a contribué à faire du marron une "couleur de merde". A partir de là, la stigmatisation et le mépris des populations ayant la peau marron découle logiquement de cette construction esthétique terriblement, banalement, tristement raciste. Une de plus, une de trop. Mais c'est en traquant, de manière méthodique et systématique, toutes ces représentations nées dans le ventre immonde du suprémacisme blanc que nos sociétés occidentales pourront véritablement se débarrasser de leurs réflexes nauséabonds. La révolution est en marche et elle passe aussi par un changement de la couleur de la faïence des toilettes et une nouvelle appréhension chromatique des étrons.
Tous ces exemples montrent bien, s'il en était besoin, que l'université française travaille de manière sérieuse et méthodique, pleinement respectueuse du principe de neutralité, loin des discours militants et des anathèmes qui dégradent le débat politique dans notre pays. La diversité et la richesse des études témoignent de la qualité du travail accompli. Il est donc grand temps que les détracteurs du monde de la recherche le comprennent: les universités françaises sont des lieux dédiés à une activité intellectuelle de haut niveau, où règnent le respect des différents points de vue et l'esprit d'ouverture. Il est grand temps qu'on l'affirme haut et fort: courageux, honnêtes, objectifs, les universitaires en sciences sociales font la fierté de la France.
(1) Il est désormais interdit de nommer ce brillant intellectuel depuis sa mise en examen pour harcèlement sexuel et incitation à la débauche.
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