Nationaliste Social et Ethniciste

Nationaliste Social et Ethniciste

Y a-t-il une dérive idéologique de l'école républicaine?

Il y a peu, le Figaro Magazine a mis le feu aux poudres en publiant un dossier intitulé "Ecole: comment on endoctrine nos enfants". Je parierais bien que les lecteurs du Figaro Magazine n'envoient guère leurs enfants dans les écoles (publiques évidemment) où cet odieux embrigadement a cours. Et puis, au Figaro, on n'aime pas beaucoup les fonctionnaires en général (sauf peut-être les policiers) et les enseignants en particulier. L'hostilité est d'ailleurs largement réciproque. Il n'en demeure pas moins que les dérives pointées par les journalistes du Figaro Magazine existent bel et bien. A mon avis, il y a une forme d'exagération à laisser entendre que cet "endoctrinement" serait généralisé. Non, il est surtout le fait d'enseignants militants, venus de l'extrême gauche (Insoumis, NPA, LO), bruyants, zélés, mais heureusement minoritaires. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille sous-estimer les dégâts causés par cette poignée d'illuminés. Comme souvent d'ailleurs, le titre du dossier était racoleur mais le propos un peu plus mesuré, la presse cherchant comme toujours à attirer le chaland. Le problème est que ce dossier, aucun enseignant ou presque ne l'a lu, et la plupart de ceux qui l'évoquent en parlent par ouï-dire, relayant en fait des rumeurs en partie fausses.

J'en ai eu un exemple flagrant il y a quelques jours dans mon établissement où s'est déroulée une discussion animée autour de ce fameux dossier. Un collègue a ainsi affirmé que "le Figaro Magazine nous reproche de tenir un discours antiraciste, c'est un comble!". Le souci, c'est que le Figaro Magazine n'a jamais écrit une chose pareille... Ce qui est pointé dans le dossier, ce sont des dérives comme le décolonialisme, le communautarisme, la théorie du genre ou la théorie critique de la race, et plus généralement ce qu'on nomme "l'idéologie woke". Cette dernière, venue des universités nord-américaines, fait déjà des ravages dans l'enseignement supérieur en France [1], et il est logique, hélas, qu'elle se diffuse dans un second temps dans l'enseignement primaire et secondaire.

 

Dans le viseur de beaucoup de collègues, se trouve le Ministre de l'Education Nationale Jean-Michel Blanquer, lequel mène une Croisade contre un "progressisme radical" qui commence indéniablement à gangréner les milieux intellectuels et universitaires français. Je n'ai aucune sympathie particulière pour le ministre, dont la réforme du lycée, avec sa personnalisation à outrance des parcours, a généré une usine à gaz au niveau de l'organisation des enseignements (allant jusqu'à créer une concurrence malsaine entre les disciplines du fait du large choix d'options et de spécialités) tout en vidant de sa substance ce qui restait du baccalauréat. Mais en ce qui concerne la question du "wokisme", désolé de le dire, le ministre a raison, de s'inquiéter comme de tenter d'endiguer la vague. A ce sujet, j'ai entendu une remarque très intéressante d'un collègue: "Blanquer s'imagine que la République est parfaite telle qu'elle est. Mais il y a des choses à améliorer, et nous, nous faisons avancer la République." Le "nous" désignait les enseignants en général, et pas seulement les militants radicaux, qui cependant étaient englobés. Une telle réflexion pose un redoutable problème. "Nous" les enseignants ne sommes pas propriétaires de la République. Ce n'est pas à "nous" de décider si la République doit avancer, et dans quelle direction. "Nous" sommes des fonctionnaires, des serviteurs de l'Etat, et non des prédicateurs. J'insiste lourdement: le professeur est un exécutant, une courroie de transmission, et non le concepteur ou le créateur des contenus qu'il transmet. Et sur la fameuse "liberté pédagogique" dont tout le monde parle à tort et à travers, il faut être très clair: la liberté pédagogique est la marge de manoeuvre accordée à l'enseignant pour mettre en oeuvre les programmes, lesquels restent un cadre contraignant dont personne n'est autorisé à s'affranchir pour raconter n'importe quoi. Et je peux d'autant plus l'affirmer que moi-même, je suis loin d'être emballé par certaines parties des programmes [2]. 

 

Plus encore que le dossier du Figaro Magazine, qui finalement ne nous apprend pas grand-chose, c'est la réaction de cette majorité d'enseignants situés à gauche qui est très instructive.

D'abord parce qu'elle nous montre que beaucoup d'enseignants font précisément ce qu'ils reprochent aux autres: ils ne lisent pas les textes dont ils parlent, ils n'écoutent pas les gens dont ils critiquent le discours, ils se contentent de lire ou d'écouter des commentateurs partiaux et partiels. Moi, je sais ce que dit Eric Zemmour parce que j'ai longuement écouté Eric Zemmour. Je sais ce qu'ont écrit les journalistes du Figaro Magazine parce que j'ai lu au moins une partie de leur dossier. Qui parmi ceux qui bavent et qui hurlent leur réprobation peuvent en dire autant? J'ai déjà regardé un débat mettant aux prises une universitaire militante "progressiste" avec Xavier-Laurent Salvador, fondateur de l'Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, un universitaire courageux qui, sous les anathèmes et les injures, fait un travail remarquable pour essayer de sauver la démarche scientifique, le bon usage de la Raison et de la controverse, qui sont au fondement de notre culture intellectuelle.

 

Ensuite, certains enseignants instrumentalisent les "valeurs de la République" pour faire passer leurs certitudes, et paradoxalement verrouillent le débat au nom de "l'esprit critique". Là aussi, il faut bien constater des dérives, dont les programmes d'Enseignement Moral et Civique (EMC), validés par M. Blanquer, sont complices: il ne s'agit plus en effet de s'en tenir aux principes tels qu'ils sont énoncés dans les textes officiels (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, Constitution de la V° République, lois françaises) mais d'inculquer une certaine conception de la société. Je suis toujours très gêné lorsqu'on me demande de combattre un préjugé sociétal. Notre mission est-elle vraiment de lutter contre l'homophobie ou les stéréotypes de genre? Non, je ne le pense pas. En revanche, notre mission est de rappeler qu'en France, les hommes et les femmes sont égaux devant la loi, et que les violences, injures ou discriminations en raison de la préférence sexuelle (ou de l'origine, ou de la religion) sont sévèrement punies par la loi. Mais ça s'arrête là, ou plutôt ça devrait s'arrêter là. Et je le dis à mes élèves: "Je ne suis pas là pour vous dire ce que vous devez penser. Mon rôle se borne à vous rappeler ce que dit la loi." Autrement dit, je ne me sens pas autorisé à exiger de mes élèves leur adhésion pleine et entière aux "valeurs de la République". Bien sûr, on me répondra, et ce n'est pas faux, que mon attitude est liée au fait que je suis moi-même de plus en plus critique à l'encontre desdites valeurs, et de l'interprétation que l'époque en fait.

 

Un enseignant du primaire qui tient un blog sur Mediapart a publié une réponse au dossier du Figaro Magazine [3]. Cet article est tellement caricatural, tellement excessif, et, d'une certaine manière, il donne raison au Figaro Magazine à un point tel qu'il mérite qu'on s'y arrête et qu'on le commente, tant il synthétise le manichéisme, l'obsession déconstructiviste et le fanatisme intolérant qui prévaut dans les milieux soi-disant "progressistes". Petit florilège commenté.

 

L'auteur commence par affirmer que "le dossier du Figaro Magazine [...] est une insulte à tous les enseignants de France."

Eh bien ce Monsieur n'a manifestement pas lu le dossier en question. En effet, ce dernier fait la part belle à des témoignages d'enseignants qui, précisément, s'inquiètent des dérives de leurs collègues. Par ailleurs, et encore une fois, il s'agit pour le Figaro Magazine de pointer la promotion de valeurs qui, stricto sensu, sont antirépublicaines, ou bien n'ont simplement rien à voir avec la République. En quoi la question de l'écriture inclusive ou de la "non-binarité" a quelque rapport que ce soit avec la République? Est-ce que le fait d'être pour ou contre l'usage du pronom "iel" présume du républicanisme ou du non-républicanisme des gens? Franchement?

Par ailleurs, il me paraît extrêmement présomptueux de prétendre parler au nom de "tous les enseignants de France". Que je sache, personne n'a mandaté ce Monsieur pour être le porte-parole de notre profession. En ce qui me concerne, je ne me sens nullement "insulté" par le Figaro Magazine

 

"Les valeurs que nous enseignons à nos élèves sont inscrites dans les programmes: la liberté, l'égalité, la fraternité, ce qui implique d'éduquer à la tolérance, au refus du racisme, à l'égalité hommes-femmes et garçons-filles, au respect dû à toute personne, étrangers, migrants, réfugiés, au refus de la haine et de la violence, à la paix et contre la guerre."

On fait quand même difficilement mieux comme manifeste de bienpensance... Personnellement, je vois une confusion, lourde de conséquences, entre "le respect dû à toute personne" et "le respect dû aux droits de toute personne", ce qui n'est pas du tout la même chose. Je n'ai pas le droit de tuer, de menacer ou d'insulter une personne au motif qu'elle ne partagerait pas mes convictions. Je n'ai pas non plus le droit de la faire taire ou de l'obliger à changer ses idées et sa façon de vivre. J'en conviens. Mais en quoi cela implique-t-il le respect de la personne en question? Désolé, mais j'ai le droit de détester les salafistes et les femmes voilées, j'ai le droit de honnir leur mode de vie, j'ai le droit d'abhorrer leur religion et leur culture. Le respect n'est pas un dû, justement. Le respect se mérite. Et pour les étrangers, pour les immigrés en effet, cela passe par le respect de la France et de certaines règles communément admises, comme la discrétion sur l'appartenance religieuse. Dès que des catholiques manifestent leur religiosité de façon exubérante et ostentatoire, les critiques sont immédiates et acerbes. Bizarrement, on est plus pudique lorsqu'il s'agit des musulmans. Pour ma part, je respecte les gens qui me respectent et qui respectent mon pays. Pour beaucoup d'immigrés et de leurs descendants, le compte n'y est pas. On notera également la litanie "étrangers, migrants, réfugiés" et on remarquera qu'il manque "électeurs de le Pen" et "partisans de Zemmour". Un oubli sans doute... Quant au refus de la haine, depuis quand un enseignant est-il autorisé à imposer ou interdire un sentiment? Pourquoi ne pas rendre l'amour obligatoire tant qu'on y est? Enfin, "l'éducation à la paix et contre la guerre" ne se trouve nulle part dans les programmes. Au contraire, l'EMC en collège consacre un chapitre à la Défense et à l'engagement des forces françaises dans la lutte contre le terrorisme par exemple. Cet enseignant ne connaît pas les programmes, il les tord et les déforme pour mettre derrière ce qui l'arrange.

 

Avec ses élèves de CM2, l'auteur de l'article dit "louer la liberté d'expression en soulignant que les idées racistes et antisémites n'en font pas partie et qu'elles sont un délit punissable."

J'ignorais que les programmes invitaient à "louer" la liberté d'expression. Les programmes invitent certainement à montrer l'importance de cette liberté fondamentale pour le fonctionnement d'une société démocratique, mais il y a une différence entre "montrer l'importance" et "louer". La liberté d'expression n'est pas quelque chose de bien en soi, la preuve en est qu'elle est limitée par la loi. Les "idées racistes et antisémites" ne sont nullement un délit punissable, le seul délit punissable étant la tenue et la diffusion publiques de propos à caractère raciste ou antisémite, propos qui peuvent constituer une atteinte à l'ordre public en ce qu'ils s'apparentent à une incitation à la haine et à la violence. Mais avoir des "idées racistes ou antisémites" ne vous conduit pas en prison. Heureusement d'ailleurs, sinon beaucoup de Maghrébins et de Subsahariens vivant en France rejoindraient les skinheads et néonazis en taule... Précisons d'ailleurs que des rappeurs "racisés" se sont permis des textes parfaitement racistes sans avoir reçu de condamnation [4]. "Délit punissable" sans doute, mais pas systématiquement puni, loin de là. De manière générale, la loi en France ne punit aucune "idée" ni aucune opinion, elle punit uniquement l'expression publique (et non privée) de certaines idées et opinions. C'est une nuance de taille. A titre personnel, et cela m'aurait été très profitable, je pense qu'il faut donner un vrai bagage juridique aux futurs enseignants qui font montre bien souvent d'une méconnaissance de la loi. Aucune loi française n'interdit le racisme.

 

"Nous éduquons au respect des différences, de toutes les différences, condition sine qua non de notre vivre-ensemble."

J'avoue avoir quelques doutes. Toutes les différences? Les différences de couleur de peau, de culture, de religion, d'orientation sexuelle, certainement. Mais quid des différences politiques et idéologiques? Cet enseignant explique vraiment à ses élèves que les gens qui pensent que l'immigration est un problème ou que la PMA pour toutes n'est pas un grand progrès de l'humanité ont le droit de penser différemment? Que ces gens ne sont pas des fachos ou des nazis et qu'on peut débattre avec eux? Honnêtement?

 

"En histoire, nous étudions les textes des Lumières et nous soulignons la contradiction entre la Révolution qui assassine, qui organise la Terreur et la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Nous montrons que Napoléon a bafoué toutes les valeurs premières de la Révolution et qu'il est responsable de centaines de milliers de morts dans toute l'Europe."

L'extrait que je viens de citer dénote une effroyable naïveté jointe à une ignorance inquiétante de l'histoire. Cet enseignant feint de croire qu'une fois les beaux principes énoncés, il suffit de claquer des doigts pour qu'ils deviennent réalité. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Oui, les révolutionnaires ont posé des idées généreuses et certains d'entre eux ont cru sans doute que leur application se ferait simplement, entre gens de bonne volonté. Seulement voilà, ces beaux principes, certains ont décidé de les combattre, en France même, et dans le reste de l'Europe. Si la Révolution "organise la Terreur", ce n'est pas parce que de méchants révolutionnaires ont confisqué le pouvoir, mais parce que la guerre civile ravage le pays et que les armées des monarques d'Europe forcent les frontières de la France. La France révolutionnaire n'a pas dans un premier temps voulu la guerre, elle y a été entraînée par l'hostilité des princes européens. Et Napoléon n'a fait que poursuivre des guerres entamées bien avant lui. Napoléon, loin de "bafouer toutes les valeurs premières de la Révolution", en a consolidé certaines comme l'égalité devant la loi, la promotion au mérite, la liberté et la tolérance religieuses. Est-ce que cela compte pour rien? Est-ce que le rétablissement de l'esclavage et la pérennisation du "système hétéropatriarcal" doivent faire oublier les réelles avancées que nous devons à Bonaparte? Il suffit d'ailleurs de voir ce qui s'est produit lorsque Napoléon a été vaincu: une tentative de retour à l'Ancien Régime...

 

Nous voyons là un des piliers de la bienpensance moderne: la lecture du passé à l'aune de notre morale présente. Aucun effort de contextualisation, aucune volonté de saisir la complexité de l'époque. Au fond, les Montagnards auraient dû ouvrir les portes de Paris aux Vendéens et aux Autrichiens, Napoléon aurait dû créer l'Union européenne et légaliser le mariage pour tous. Comme c'est facile de juger, deux cents ans après, confortablement installé dans sa modernité hautaine, les hommes qui ont dû gérer une période aussi troublée. Avec ce genre d'enseignant, nos enfants bénéficient d'une approche raisonnée et mesurée de l'histoire: d'un côté les belles idées de Voltaire et Diderot, de l'autre les méchants révolutionnaires et le vilain Napoléon qui n'ont pas voulu les appliquer. Et surtout, on descend les "grands hommes", c'est important, et on salit la France en montrant de manière systématique que les grands principes ne sont jamais vraiment appliqués. Et pourquoi donc? Mais parce que la France, bien qu'elle s'en défende, reste au fond une bête immonde qui exhale le racisme, l'intolérance, la haine et le mépris.

 

"Nous apprenons et chantons la belle chanson de Jean Ferrat Ma France [...]."

Alors là, je ne comprends plus rien. Dans la chanson de Ferrat, la France "répond toujours du nom de Robespierre". Robespierre n'est-il pas le symbole de "la Révolution qui assassine, qui organise la Terreur", dénoncée précédemment? Suis-je le seul à y voir une contradiction? Et Jean Ferrat, dans la Commune, fait l'éloge des Fédérés combattant pour leur cause. Il est étonnant de présenter ce chanteur comme un modèle quand on prétend éduquer "à la paix et contre la guerre"...

Je passe sur la partie du texte consacrée à la colonisation, où, ô surprise, l'enseignant ne retient que "l'idéologie raciste des colonisateurs" et "la part de responsabilité" de la France, ce pays de criminels et de fachos. Si, avec ce discours, des élèves ont encore envie d'être Français et de continuer cette histoire qui, on l'aura compris, se limite à une lugubre litanie de massacres, de persécutions, de reniements, etc, ils auront bien du mérite.

 

Pour le 11 novembre, l'enseignant privilégie l'étude des monuments "pacifistes" de Crépy-en-Valois et de Gentioux, qui ne sont absolument pas représentatifs des milliers de monuments aux morts édifiés au lendemain de la Grande Guerre pour rendre hommage aux soldats tombés au champ d'honneur. Le reste est à l'avenant: étude d'un texte de Charles Péguy maudissant la guerre (mais Péguy, engagé volontaire en 14, meurt au combat avec l'intime conviction de faire son devoir de Français et de patriote), hommage au "grand Jean Jaurès, victime de la haine nationaliste" (j'aimerais savoir où les programmes donnent instruction de rendre hommage à Jaurès, mais bon), écoute de la Chanson de Craonne qui dénonce les hauts gradés et les politiciens rendus seuls responsables de la boucherie. L'objectif est clairement énoncé: "Mes élèves retiendront ainsi que la guerre est d'abord une belle connerie". On est effaré devant la profondeur de cette réflexion. Encore une fois, le monde est simple. La Terreur? La colonisation? La guerre? Mais c'est bien sûr, c'est bien évidemment parce que de méchants hommes arrivent au pouvoir, trompent et manipulent le peuple. Que n'avons-nous continué à reculer en 1914, au lieu de faire volte-face et de livrer la bataille de la Marne! Ah, si les armées françaises s'étaient repliées jusqu'aux Pyrénées, il y aurait eu tellement moins de morts. Bon, il n'y aurait plus de France, mais, entre nous, est-ce que ce ne serait pas mieux? 

L'enseignant ne dit rien du courage, de l'abnégation, du sens du devoir, du patriotisme des Poilus. Cela, je le précise, n'ôte rien à l'horreur de la guerre des tranchées. Honorer l'héroïsme des soldats français tombés à Verdun, ce n'est pas nécessairement aimer la guerre ni vouloir en déclencher une. Pas un mot non plus des tensions entre les grandes puissances européennes en 1914, ni du jeu complexe des alliances. Non, la guerre a éclaté parce que les dirigeants politiques et militaires sont cons. Cons et méchants. Et parce que le "grand Jean Jaurès" s'est pris une balle. S'il avait vécu, l'UE aurait été fondée en 1914 et il n'y aurait pas eu Hitler et le nazisme. Si, si.

 

"Tout mon travail, en conformité avec les programmes, est d'éveiller au sens critique, de montrer que notre Histoire nationale comporte aussi une face sombre qu'il est inutile de cacher (je rends hommage au passage à l'historienne Suzanne Citron, autrice de Le mythe national: l'histoire de France revisitée) [...]"

Tiens, à la lecture de ce qui précède, j'avais cru comprendre que "notre Histoire nationale" ne comportait que des pages sombres, en-dehors de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (presque aussitôt bafouée par les vilains) et du "grand Jean Jaurès" (assassiné par un méchant). Mais surtout je découvre émerveillé que dire aux élèves: "la guerre est une belle connerie", c'est "éveiller leur sens critique". Parce qu'il faut bien comprendre que la guerre est un élément fondamental de l'histoire des sociétés humaines depuis au moins la fin de la préhistoire, qu'on le veuille ou non. Et que, si je suis le raisonnement de cet enseignant, le principal facteur explicatif de l'histoire, ce serait finalement que les hommes sont cons et méchants, du moins leurs chefs, tandis que la masse se compose apparemment de crétins aliénés, incapables de se rendre compte qu'ils sont entraînés dans des conflits qui en fait ne les concernent pas. Toute la question du rapport complexe d'une population - y compris de ses couches populaires - à l'Etat, aux notions de civisme et de patriotisme, est commodément évacuée. On pourrait évoquer par exemple l'appui que les thètes (prolétaires) athéniens ont apporté à l'expansionnisme d'Athènes au V° siècle avant Jésus-Christ, phénomène qui appuie et nourrit l'approfondissement de la démocratie dans la grande cité grecque. Mais la nuance, la compréhension de la complexité du monde (passé et présent), échappent vraisemblablement à cette catégorie d'enseignants. Et c'est tragique pour nos enfants. 

 

Surtout, ce passage éclaire tout le propos puisque la référence idéologique, l'imam(e) caché(e) de ce réquisitoire implacable, est enfin nommée: Suzanne Citron, une des pionnières de l'historiographie déconstructiviste qui a amené à diaboliser le fameux "roman national" élaboré par la III° République à la fin du XIX° siècle. Suzanne Citron fait partie de ces historiens qui, comme Gérard Noiriel, confondent militantisme politique et recherche historique, et troquent aisément la casquette de chercheur pour la robe de procureur. Le "roman national", sa construction et sa diffusion, est un vrai sujet d'histoire. Parce que, encore une fois, il faut revenir au fondement du travail de l'historien, la contextualisation. La III° République est un régime né de la défaite de 1871. La France est alors un pays qui n'a pas soldé les divisions politiques héritées de la Révolution. Pour asseoir sa légitimité aussi bien que pour souder une nation finalement désunie, la III° République va construire et utiliser le roman national, c'est-à-dire un récit fédérateur, qui accueille les grandes figures du passé, et plutôt valorisant, en offrant la part belle aux heures glorieuses (mais sans taire les périodes plus sombres contrairement à ce qu'on croit souvent). Ce roman national n'a pas nourri que des méchants nationalistes d'extrême droite, il a tout autant inspiré les dreyfusards ou les résistants à l'occupation allemande par exemple. Mais surtout, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les adeptes de la déconstruction nous vendent en réalité un autre roman, antinational celui-là, parfois européiste ou mondialiste (je pense à L'Histoire mondiale de la France sous la direction de Patrick Boucheron), d'autres fois immigrationniste (chez Gérard Noiriel), féministe ou postcolonial (chez Pascal Blanchard ou Pap Ndiaye). Et ces "romans alternatifs" procèdent eux aussi de choix partiaux fort discutables. Eux aussi appuient un discours idéologique, un projet politique. La différence, c'est que le roman national se voulait un récit rassembleur, quand les romans alternatifs cherchent au final à diviser, et donc à affaiblir la France.

 

Avec des serviteurs comme l'enseignant qui a signé l'article que j'ai commenté, la France n'a pas besoin d'ennemis. Elle peut en revanche nourrir de légitimes inquiétudes sur "le sens critique" qu'on inculque aux enfants.

 

[1] En témoigne ce qui s'est passé à l'IEP de Grenoble il y a quelques mois.

 

[2] Evidemment, chacun enseigne avec sa sensibilité. Il va de soi qu'à titre personnel, je travaille avec plus d'enthousiasme les "grandes heures" de l'histoire de France, et que je passe plus de temps à évoquer les conquêtes et plus encore l'oeuvre institutionnelle de Napoléon que le rétablissement de l'esclavage en 1802 qui, selon moi (et selon bien des spécialistes du Consulat et de l'Empire), est un point de détail dans la politique napoléonienne, en ce qu'il s'inscrit dans une ambition coloniale américaine qui fit long feu. Cela étant, j'en parle quand même, je cite l'échec de l'expédition de Saint-Domingue et l'indépendance d'Haïti, ainsi que le drame qu'a pu représenter le retour en servitude pour les anciens esclaves de Guadeloupe (la Martinique n'ayant pas connu l'abolition de 1794, étant tombée sous l'occupation britannique), même si je ne m'étends pas. Je ne me permettrais pas de choisir les questions que j'enseigne.   

 

[3] Lien vers l'article en question.

 

[4] Situation illustrant à merveille le "deux poids, deux mesures" odieux qui a cours à notre époque, évoquée dans cet article déjà ancien.



21/11/2021
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