L'écureuil et la pie
Parfois, le quotidien nous réserve quelques moments étonnants: il y a quelques semaines de cela, j'étais au volant de ma voiture, en route pour le travail, lorsque le feu passe au rouge. Et là, devant moi, que vois-je? Un écureuil traverse la rue en courant, en ligne droite, et sur le passage piéton s'il vous plaît. Et l'écureuil courait parce qu'une pie le pourchassait, volant bas, sur la même trajectoire. L'écureuil se réfugie dans un arbre mais la pie, têtue, ne lâche point l'affaire. Je vois stupéfait l'écureuil redescendre peu après de l'arbre et courir vers un autre refuge, toujours traqué par cette sacrée pie. Vous croyez que j'affabule? Ce que je viens d'écrire est pourtant l'exacte vérité.
Et je n'ai pu m'empêcher de me demander d'où venait la hargne de cette dame pie envers le sieur écureuil. Ce dernier avait-il osé le pillage de quelque nid dans lequel il n'avait point été convié? Serait-ce une querelle de noisettes qui a mal tourné? Mais le conflit - qui sait - est peut-être plus politique. Cet écureuil aurait-il outragé la gente piesque en se grimant lui-même en pie un soir de carnaval, par exemple en se noircissant la tête ou la queue, une odieuse pratique raciste? Ou bien avait-il eu l'outrecuidance machiste de frôler quelques plumes caudales sans le consentement de dame pie, manifestant ainsi son adhésion à un modèle hétéro-patriarcal pour le moins rétrograde? Aurait-il osé publier dans quelque journal satirique des caricatures acerbes sur la religion des pies? On ne saurait non plus écarter l'hypothèse que l'écureuil ait eu des propos laissant supposer le prémisse du début d'un commencement de compréhension vis-à-vis de la Russie - ce qui le classe sans hésitation dans la catégorie des vermines pro-Poutine - quand dame pie milite pour qu'on qualifie d' "ukrainien" toute oeuvre auparavant répertoriée comme russe, au nom de l'humanisme et de la défense de l'esprit critique. Peut-être que, plus généralement, il avait eu l'audace d'émettre quelques réserves polies sur les convictions néoféministes, antiracistes ou écologistes de dame pie. Mal lui en prit! Car la pie est moqueuse mais, comme souvent, n'aime guère qu'on lui rende la pareille, et sait se montrer vindicative.
Bon, peut-être que mes obsessions m'égarent, diront certains lecteurs, et ce n'est pas impossible. Dans cette affaire, finalement, je n'ai que deux certitudes: la première est que j'ai vu, de mes yeux vu, un écureuil traverser devant moi, poursuivi par une pie indignée; la seconde est qu'à mon avis, le sieur écureuil court toujours. Le reste est pure spéculation, je dois l'admettre.
La meilleure chose à faire, au final, est sans doute de laisser de côté pour quelque temps les questions lancinantes qui me taraudent et de souhaiter un bel été à mes lecteurs.