Nationaliste Social et Ethniciste

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L'imam Boussenna, chantre d'un islam apaisé?

Les musulmans doivent être pris au sérieux. Ils sont désormais majoritaires dans certaines portions du territoire français. Une proportion croissante d'enfants naît en France dans une famille se réclamant de la tradition islamique. Je dois admettre que j'ai assez souvent, sur ce blog, afficher un certain mépris pour les musulmans, et ce fut une erreur. Non point que mon hostilité à leur égard, mon "islamophobie" comme on dit, se soit atténuée, bien au contraire. Certains considèrent un peu hâtivement l'islam comme la religion des quartiers défavorisés, des populations immigrées pauvres et incultes. D'autres s'imaginent qu'avec le temps, la modernité aura raison des supposés archaïsmes véhiculés par l'islam. Tous se trompent. L'islam n'est pas que la religion des pauvres et des ghettos, des rappeurs et des dealers, et il est tout à fait capable d'exploiter certains éléments de la modernité pour se donner une image rassurante et acceptable. Cet article est consacré à Abdelmonaim Boussenna, imam d'une mosquée (je présume qu'il y en a plusieurs) de Roubaix, dans le nord du pays. Il appartient à cette nouvelle génération de musulmans décomplexés, qui maîtrisent parfaitement les ficelles de la communication moderne. Ses vidéos sur Youtube font quelques centaines de milliers de vues. C'est l'une des étoiles montantes de l'islam de France. L'imam Boussenna se dit "Français". Il serait plus juste de dire qu'il est "administrativement Français", ce qui n'est pas exactement la même chose. En effet, la France n'est pas seulement une association de protection sociale qui garantit un certain nombre de droits et fournit des prestations. La France - comme l'islam d'ailleurs - est une civilisation. Et de cette civilisation, on le verra, Abdelmonaim Boussenna ignore pas mal de choses. Il faut néanmoins prendre le temps de l'écouter et d'analyser son discours. Il va de soi que je n'ai pas visionné la totalité de ses vidéos ni de ses prêches (car il filme et diffuse également ces derniers). Mais les quelques vidéos que j'ai pris le temps de regarder me semblent fort éclairantes.

 

La forme

L'imam Boussenna est un bon orateur et un bon pédagogue, deux qualités qui font de lui un excellent prédicateur. Je ne parlerai ici que des vidéos réalisées en dehors du prêche à la mosquée. Le visage est rond, chaleureux, presque poupin, la barbe et les cheveux courts coupés avec soin. La voix est parfaite: calme, posée, apaisante. Et précisément, on s'aperçoit dans les commentaires que beaucoup de non-musulmans concluent, un peu hâtivement peut-être, que, parce que la voix est apaisante, le propos est apaisé. Le décor est toujours soigné et donne l'image d'une maison bien tenue, d'un foyer confortable et rassurant: le feu brûle à l'arrière-plan, un bouquet de fleurs trône près du canapé. Tout est simple mais de bon goût. Ce sont des détails me direz-vous, cependant ils ont leur importance. Cette mise en scène est très travaillée, d'autant que le décor change régulièrement. Le micro, souvent visible, fait très professionnel. Abdelmonaim Boussenna s'exprime dans un français impeccable, et c'est un point très important. C'est d'ailleurs la seule raison qui m'a poussé à écouter certaines de ses vidéos jusqu'au bout. Je pense que ses interventions sont rédigées en amont, mais il s'exprime avec aisance, ne donnant jamais l'impression de réciter son texte. A mon sens, il a adopté là une excellente stratégie: plutôt que d'utiliser l'argot et le ton agressif des "jeunes" de banlieue, l'imam Boussenna choisit de parler un français de bonne facture. Ce faisant, il peut espérer s'adresser à des non-musulmans curieux d'une part, et se créer une image d'homme cultivé, sérieux et respectable d'autre part. Ensuite, et c'est aussi un point très important, Abdelmonaim Boussenna fait d'habiles concessions à la "pop culture" et à l'air du temps: à la fin d'une de ses vidéos, il montre sa passion pour le football, et à d'autres moments, il fait référence aux super-héros Marvel. Ainsi, le spécialiste de science islamique évite l'écueil d'apparaître comme un rabat-joie pédant ou déconnecté de son époque. Il donne également l'image d'un mari aimant, parlant avec tendresse et respect de son épouse. Je ne juge pas de la concordance entre l'image et la réalité. Il est tout à fait possible que Monsieur Boussenna soit effectivement un bon époux, un passionné de football et un adepte de comics américain.

 

Il faut en outre dire un mot de l'usage de la langue arabe. Dans l'islam, cette dernière possède un prestige très grand, puisque c'est la langue de la Révélation. L'arabe est donc une langue sacrée pour les musulmans. Le Coran est en arabe, et une traduction du Coran n'est plus vraiment le Coran. Bien évidemment, il est tout à fait normal pour un imam comme Abdelmonaim Boussenna de maîtriser l'arabe, et d'être capable de psalmodier les versets du Coran, qu'en général il traduit ensuite en français (en ajoutant généralement une traduction écrite sur le côté de la vidéo, ce qui est bien pratique). Cette propension à utiliser l'arabe participe à l'aura de sérieux et d'érudition que l'homme tâche de se créer, non sans succès. En fait, il est probable que peu de monde vérifie que ce qui est prononcé en arabe est dit correctement. Je ne conteste pas que l'imam Boussenna ait une bonne connaissance de l'arabe et du Coran (le contraire serait inquiétant) mais je fais remarquer que les citations en arabe n'apportent en réalité pas grand-chose à son propos, dans la mesure où l'immense majorité des personnes qui regardent la vidéo ne maîtrisent sans doute pas (ou mal) l'arabe, ce qui fait qu'il est nécessaire de traduire et que l'explication qui suit est toujours en français. L'usage de l'arabe, à mon avis, sert surtout à asseoir l'autorité intellectuelle et spirituelle de l'imam. C'est de bonne guerre. Une chose m'étonne cependant: alors qu'il passe sans difficulté des noms en arabe (Issa, Maryam, Djibril) à leur équivalent en français (Jésus, Marie, Gabriel), l'imam Boussenna semble avoir quelque réticence à dire "Dieu" en lieu et place d' "Allah". Comme si Allah était le dieu de l'islam, ce qui n'est pas le cas: non seulement il existait un dieu créateur nommé "Allah" dans le panthéon polythéiste de l'Arabie pré-islamique, mais les chrétiens arabophones utilisent aussi le terme pour désigner Dieu. Il y a cependant une volonté de certains musulmans de préempter le mot "Allah" au détriment des autres confessions. Ainsi, la Cour de Malaisie (pays non-arabophone) s'est opposée à l'usage du terme par les communautés chrétiennes.   

 

De quel islam parle-t-on?

Dans les vidéos que j'ai regardées, une chose m'a frappé: l'imam Boussenna dit toujours "en islam" ou "pour les musulmans", des expressions très larges qui laissent à penser qu'il existerait un seul et même islam régissant la vie des quelques deux milliards de musulmans (et il faudrait mieux dire "personnes de culture musulmane"). J'ai peu de doute sur le fait qu'Abdelmonaim Boussenna est sunnite, et comme les sunnites représentent 90 % des musulmans (et probablement presque 100 % des musulmans de France), je peux comprendre à la rigueur que l'imam s'épargne cette précision. Mais au sein même de l'islam sunnite, il existe des traditons variées, allant du soufisme au wahhabisme, autant de courants qui entretiennent de fortes divergences. Abdelmonaim Boussenna définit la religion comme étant "un dogme et une jurisprudence". Sur ce dernier point, rappelons qu'il existe pas moins de quatre écoles juridiques dans l'islam sunnite: les malékites, les chaféites, les hanbalites et les hanafites. Dans aucune des vidéos que j'ai visionnées, notamment lorsqu'elles traitent de point de droit, l'imam Boussenna ne prend la peine de préciser à quelle école juridique il se réfère. Il faut également relever la même imprécision lorsqu'il appuie son propos sur les gardiens de la tradition. L'imam dit "nos érudits", "nos savants" ou "nos prédécesseurs", et peu d'entre eux sont cités. Il serait d'ailleurs très étonnant que tous les théologiens musulmans aient dit la même chose depuis un millénaire et demi... Ce n'est évidemment pas le cas, et l'imam Boussenna lui-même le reconnaît au détour d'un hadith dont il admet que l'authenticité est discutée. En tout état de cause, on aimerait qu'Abdelmonaim Boussenna précise à quelle école de pensée islamique il se rattache. Je ne suis pas sûr par exemple que les savants mutazilites, un courant rationaliste de l'islam soutenu par certains califes abbassides du IX° siècle, fassent partie des "érudits" chers à son coeur... Bref, Abdelmonaim Boussenna donne de la tradition islamique une image plutôt monolithique, donnant l'illusion d'une unicité qui ne correspond guère à l'histoire de la pensée islamique pour qui prend la peine de se renseigner.

 

Pour comprendre la filiation de l'islam contemporain, celui dont se réclame cet imam et beaucoup d'autres, je conseille la lecture de cet article.

 

Je n'entrerai pas dans le débat de savoir si Abdelmonaim Boussenna est salafiste (certains le classent dans cette branche de l'islam) ou un compagnon de route des Frères musulmans (il a publiquement apporté son soutien à Tariq Ramadan qui passe pour proche de la Confrérie fondée par son grand-père). Je ne suis pas sûr que cette question l'intéresse et qu'elle soit au coeur de sa démarche. En tout état de cause, il se présente comme musulman sans autre qualificatif, acceptons donc de lui reconnaître cette qualité.

 

Voile, pudeur et chasteté

La question du port du voile est un peu le test à l'acide en matière d'islam. Abdelmonaim Boussenna y consacre une vidéo. Rappelons qu'il y a en islam plusieurs types d'obligation, à commencer par les cinq piliers (la profession de foi, la prière, l'aumône, le jeûne du ramadan et le pèlerinage à la Mecque). S'y ajoute un certain nombre de prescriptions, parfois reprises du judaïsme, comme s'abstenir de consommer de l'alcool et de la viande de porc, circoncire les garçons, consommer de la viande hallal ou encore porter le voile pour les musulmanes. Dans son exposé, l'imam Boussenna présente sans ambiguïté le port du voile comme "une obligation religieuse", conformément à ce que disent toutes les instances de l'islam sunnite [1]. A aucun moment il n'établit une distinction entre les cinq piliers et les prescriptions, on ignore donc s'il considère qu'il y a une hiérarchie entre les deux. Plusieurs points de son argumentaire me paraissent contestables. Il affirme ainsi qu'il faut respecter les musulmanes qui ne portent pas le voile et que le porter ne suffit pas à faire une bonne musulmane, citant la phrase célèbre "l'habit ne fait pas le moine". Mais il ne va pas jusqu'à dire qu'une musulmane qui ne porte pas le voile peut être une bonne musulmane. Et pour cause: dans son esprit, le port du voile étant une obligation, une bonne musulmane, qui a compris sa religion, ne peut que le porter volontairement. S'il refuse de stigmatiser les femmes qui ne le portent pas, ou même de les exclure de la communauté islamique, son exposé laisse tout de même penser que son objectif est de convaincre les musulmanes, toutes les musulmanes, du bien-fondé du voile. Ce dernier n'est pas négociable et doit être accepté par la société française au nom de la liberté. On pourrait faire observer qu'il est étonnant d'invoquer la liberté pour justifier une obligation religieuse, mais il est vrai que personne n'est obligé d'être musulman en France, du moins officiellement parce que la pression familiale voire communautaire existe chez les musulmans (comme dans d'autres communautés religieuses) et on ne m'ôtera pas de l'idée qu'elle est un frein puissant à la liberté que défend l'imam Boussenna avec ardeur. 

 

Penchons-nous maintenant sur l'extrait du Coran utilisé par "les érudits" pour établir l'obligation du port du voile. Voici ce que disent les versets 30 et 31 de la sourate 24: "Dis aux croyants de baisser les yeux et de contenir leur sexe: ce sera de leur part plus net. Dieu est de leurs pratiques Informé. Dis aux croyantes de baisser les yeux et de contenir leur sexe; de ne pas faire montre de leurs agréments, sauf ce qui en émerge, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement [...]" [2]. On peut déjà constater que la traduction à laquelle je me réfère, celle du grand arabisant français Jacques Berque, diffère sensiblement de celle que propose l'imam Boussenna qui, par exemple pour la fin du passage cité opte pour "qu'elles rabattent leur voile sur leur poitrine". Or on voit bien qu'en fonction de la traduction choisie, le sens de la prescription n'est pas tout à fait le même. Mais laissons cette question de côté. Dans ce passage, il est question de chasteté et de pudeur. Et Abdelmonaim Boussenna de questionner: les musulmans ont-ils le droit à la pudeur et à la chasteté? Qu'y a-t-il de choquant? Rien, bien évidemment. Le problème est que les musulmans, du moins certains d'entre eux, donnent l'impression d'avoir le monopole de la pudeur. Il se trouve que dans ma culture - parce que moi aussi je me réfère à une tradition - la pudeur existe bel et bien. Simplement sa définition est très différente de celle des musulmans. Dans ma culture, la pudeur, la décence s'appellent discrétion dans l'espace public. Discrétion sur ses convictions politiques, religieuses, philosophiques. Je suis nationaliste, et jamais je ne me promène avec un drapeau tricolore sur mes vêtements, ou en portant un tee-shirt "Vive la France!". Je suis catholique, et je porte généralement un petit pendentif en forme de croix que je laisse caché sous mon vêtement. Ma religion ne regarde pas les autres. Voilà ma définition de la pudeur, celle que m'ont transmise mes parents, et que beaucoup de gens partagent dans ce pays. Pour moi, la femme voilée est impudique en ce qu'elle affiche publiquement son appartenance religieuse et communautaire. Et je suis aussi mal à l'aise au milieu des femmes voilées qu'un musulman pieux pourrait l'être s'il se trouvait entouré d'un essaim de femmes exhibant minijupes et décolletés plongeants. Mais les musulmans sont-ils prêts à entendre qu'il existe d'autres conceptions de la pudeur que la leur? Sont-ils disposés à faire des concessions pour vivre en bonne entente dans un pays de tradition non-musulmane? Ils n'en donnent pas l'impression.  

 

Autre point contestable, la liste qu'Abdelmonaim Boussenna établit dans sa vidéo. Il retient trois cas de figure: les musulmanes qui portent le voile parce qu'elles en comprennent le sens, les musulmanes qui portent le voile par héritage, par habitude, et les musulmanes qui ne le portent pas. Une catégorie, étrangement, manque à cette liste: les musulmanes, souvent jeunes et nées en France, qui portent le voile, non pas par héritage ni par conviction, mais pour de mauvaises raisons, c'est-à-dire pour afficher ostensiblement leur lien avec une culture qu'en général elles connaissent fort mal, pour des raisons identitaires voire par pure provocation envers une société qui, je l'ai rappelé, fait de la discrétion l'élément central de la pudeur. L'imam Boussenna reste étrangement silencieux sur cette catégorie de musulmanes, dont il ne saurait ignorer l'existence. Pourtant il y aurait un bel exposé à faire sur l'hypocrisie au sein de la communauté musulmane, dont bon nombre de membres aiment à afficher leur respect de certaines prescriptions (principalement celles qui permettent de se distinguer des non-musulmans, on se demande pourquoi) tout en oubliant allègrement certains piliers de l'islam comme l'aumône. Dans une de ses vidéos, l'imam rappelle en préambule que les musulmans ont "droit au respect". Il se trompe. Personne n'a "droit au respect" sans aucune contrepartie. Le respect n'est pas un dû, il se mérite. Le respect repose sur un principe de réciprocité. On ne peut, comme le font trop de musulmans en France, piétiner en permanence l'idée que se font de la pudeur beaucoup de non-musulmans, et s'étonner ensuite de se heurter à une sourde hostilité et de ne pas recevoir en retour le respect auquel on s'imagine avoir droit. Je ne cesse d'entendre des musulmans, comme l'imam Boussenna, répéter qu'il faut "apprendre à connaître l'islam", "se cultiver", "lire des livres" (mais quand on cite un ouvrage, généralement ce n'est jamais le bon). Nos dirigeants tiennent le même discours en nous expliquant qu'il faut encourager l'enseignement de l'arabe et l'étude de l'islam. Pardon de paraître grossier, mais serait-il envisageable que cette logique s'applique dans l'autre sens? Serait-il possible de demander aux musulmans d'ouvrir des livres sur l'histoire de France (et pas seulement sur l'histoire coloniale), de se renseigner sur les traditions et la culture de ce pays où ils choisissent de résider?

 

Sur cette question du voile, je ferai une dernière remarque, pour souligner qu'Abdelmonaim Boussenna oublie parfois d'appliquer les sages conseils qu'il prodigue aux autres. Avec beaucoup d'humilité, il déclare au début d'une vidéo qu'il ne prétend pas parler de ce qu'il ne connaît pas. Et de fustiger les journalistes qui se prennent pour des experts de l'islam et les universitaires "qui n'ont fait qu'un an d'arabe à la Sorbonne". Il n'a pas tort, bien que la plupart des universitaires spécialistes de la civilisation islamique soient généralement d'excellents arabisants. L'imam Boussenna rappelle que la question du voile n'est pas propre à l'islam. Il a raison. Il cite ensuite une épître de Saint Paul et un passage de Tertullien, invitant les femmes à se couvrir par pudeur. Très bien. Ce qu'il oublie en revanche, c'est de souligner que le statut de ces textes chrétiens n'a rien à voir avec celui du Coran ou même des hadiths. Saint Paul, dont les textes ont été intégrés au Nouveau Testament, écrit sous l'inspiration de Dieu, il ne retranscrit pas la parole exacte de Dieu, ce qui est le cas de Mahomet dans le Coran, qui est considéré comme étant la parole divine pure et parfaite. Quant à Tertullien, auteur chrétien de langue latine vivant à Carthage au III° siècle, l'imam Boussenna a omis de dire qu'il avait adhéré à une hérésie rigoriste appelée montanisme. Tertullien joue un rôle important dans l'histoire de la pensée chrétienne parce qu'il est le premier grand auteur chrétien de langue latine, et donc il établit un véritable lexique latin de la théologie chrétienne. De plus, il rédige des traités contre les païens et répond aux accusations lancées à cette époque contre la nouvelle religion. A n'en pas douter, et Benoît XVI l'a rappelé, Tertullien est un grand auteur chrétien de l'Antiquité. Mais sa pratique du christianisme l'a malheureusement éloigné de l'Eglise et de la majorité des chrétiens de son temps. Son rigorisme découle d'une interprétation minoritaire des textes.

 

La non-consommation de viande de porc

Abdelmonaim Boussenna consacre également une vidéo à cet interdit alimentaire. Et là, je dois dire que sa crédibilité en prend un coup. Il commence par expliquer que ce n'est pas parce qu'une prescription est difficilement compréhensible qu'il ne faut pas l'appliquer. Il faut parfois longtemps pour comprendre certaines sagesses. L'argument est recevable. Le problème est qu'ensuite, l'imam Boussenna tente de justifier l'interdiction de la viande de porc en convoquant des arguments pseudo-scientifiques qui n'ont aucune validité, bien qu'ils tournent en boucle sur internet. Essayer d'introduire une explication rationnelle dans les desseins divins, pourquoi pas, encore faut-il s'appuyer sur des connaissances scientifiques sérieuses. 

 

Passons donc en revue les raisons qui auraient pu amener Dieu à interdire aux croyants la consommation de viande de porc:

1) Consommer de la viande de porc serait dangereux pour la santé. C'est vrai, si on mange deux kilos de cochon chaque jour, de la même façon que consommer deux kilos de merguez quotidiennement est dangereux pour la santé. Soyons sérieux: la viande de porc, convenablement conservée et cuite correctement, ne présente pas plus de danger qu'une autre viande. De même, la charcuterie élaborée en respectant les normes d'hygiène sanitaire, et consommée avec modération, n'est pas mauvaise pour la santé. Mes grands-mères, qui ont mangé du porc toute leur vie, ont allègrement dépassé les 90 ans, et ce ne sont pas des cas isolés. Parmi les dix pays affichant la meilleure espérance de vie, il n'y a aucun état à majorité musulmane. En revanche, plusieurs de ces pays (Japon, Australie, Espagne, Italie, France) ont une large partie de leur population qui mange du porc. Un mauvais esprit pourrait d'ailleurs faire remarquer que c'est précisément la consommation de cochon qui permet une plus grande longévité... Mais il est vrai qu'Israël est bien placée dans le classement. L'imam Boussenna cite le ténia, ce ver parasite ("ver solitaire") qui peut infecter l'homme, mais il ignore (ou feint d'ignorer) que le ténia est aussi présent dans la viande de boeuf, laquelle n'est pas interdite en islam. Abdelmonaim Boussenna se contente de relayer des thèses ridicules présentées dans pléthore de vidéos sur Youtube. Ajoutons que la cuisine en terre d'islam est souvent très grasse. De nombreux musulmans ont des problèmes de santé divers liés à leur alimentation (obésité, diabète). Le kebab n'est pas meilleur pour la santé que le saucisson.

 

2) Le cochon est un animal omnivore, qui consomme viande et végétaux, voire des excréments, ce qui le rendrait impur. Certes, le porc n'est pas un animal d'une élégance et d'une propreté exemplaires. C'est un animal opportuniste qui consomme de tout. Mais est-il le seul? La poule est omnivore et se nourrit volontiers sur un fumier. Pourtant, les musulmans consomment du poulet et des oeufs. Le crabe est détritivore et tout particulièrement nécrophage (il mange des cadavres d'animaux), et cet "éboueur des mers" n'est pas davantage interdit à la consommation pour les musulmans. Par conséquent, cet argument ne tient pas puisque les musulmans consomment depuis longtemps des animaux qui sont aussi omnivores que le porc et dont le régime alimentaire n'est guère plus ragoûtant. On le voit, la non-consommation de viande de porc n'a aucune justification scientifique ou rationnelle valable. Je me demande d'ailleurs pourquoi les musulmans en cherchent une, à moins qu'ils ne soient au fond un peu gênés que des populations qui mangent du porc aient développé une civilisation plus puissante et plus prospère que la leur. Le plus probable est que l'islam recycle tout simplement des prescriptions vétéro-testamentaires, dont le but est de distinguer ceux qui ont accepté la Révélation de ceux qui la refusent.  

 

La question de l'héritage dans le droit islamique

Je traiterai rapidement d'un dernier exemple qui montre, me semble-t-il, qu'Abdelmonaim Boussenna, bien qu'il s'en défende, tend parfois à noyer le poisson: l'inégalité entre les fils et les filles au moment du partage de l'héritage. Dans une vidéo où il détaille la question, l'imam Boussenna rappelle en effet qu'il existe de très nombreux cas dans lesquels le droit islamique prévoit une part plus importante pour la femme que pour d'autres héritiers potentiels masculins. Il affirme même qu'en réalité, la femme est plus souvent avantagée que l'homme en matière d'héritage. Par conséquent, la règle qui veut qu'on donne "aux fils deux fois la part qu'on donne aux filles" ne saurait être interprétée comme une volonté de désavantager les femmes en droit islamique. Je suis d'accord sur un point: les détracteurs du droit islamique, en règle générale, le connaissent fort mal et ont tendance à faire des raccourcis. Ensuite, il est clair que le droit islamique prévoit des garanties et des protections pour la femme et, compte tenu de l'époque à laquelle il a été élaboré, au début du Moyen Âge, le statut juridique de la femme en islam n'est pas si mauvais. On a trop tendance à juger ce dernier à l'aune de notre législation contemporaine, mais le statut de la femme dans le Code Napoléon est-il plus progressiste? Ce n'est pas certain. Evitons de caricaturer l'islam, car cela, immanquablement, se retourne contre nous, avec l'argument "vous n'y connaissez rien, vous êtes de mauvaise foi!". Il n'en demeure pas moins que les conclusions de l'imam Boussenna sont un peu hâtives. Car, dans des sociétés où le mariage est la règle et la fécondité importante, on suppose que la plupart des couples ont des enfants des deux sexes. Et à l'heure d'hériter, il n'est pas déraisonnable de penser que de très nombreuses musulmanes se retrouvent à partager avec leurs frères le patrimoine de leurs parents. Dès lors, il est probable que beaucoup de musulmanes, sinon la majorité, se retrouvent, à un moment ou un autre, à subir l'inégalité de recevoir la moitié de ce que reçoivent leurs frères. Je parle là évidemment pour les pays musulmans qui appliquent le droit islamique traditionnel, ce qui n'est pas le cas en France.

 

Conclusion

Alors, au final que penser de ce que défend Abdelmonaim Boussenna dans ces vidéos? Eh bien sa voix apaisante, son expression claire, son langage soutenu ne l'empêchent nullement de tenir un discours très contestable, et surtout d'essayer, au fond, de faire accepter les accommodements raisonnables, les renonciations. Il le dit lui-même: celui qu'il souhaite satisfaire, c'est "Allah", et en tant que Français, il entend jouir des mêmes droits que ses concitoyens. Des droits, oui, mais apparemment aucun devoir. Il refuse catégoriquement de revoir sa pratique religieuse pour mieux l'accorder avec la culture autochtone. Il a tendance, derrière un propos qui se veut pédagogique, à proposer une vision simple voire simpliste de l'islam, un islam où tout serait limpide, sans ambiguïté, un islam dont la pratique aurait été fixée une fois pour toute par la sagesse des érudits qui, par on ne sait quelle magie, seraient tombés d'accord sur une interprétation unique du Coran, des hadiths, de la jurisprudence. L'imam Boussenna ne fait que très peu référence aux débats violents qui ont agité et agitent toujours les savants en islam. Et ceux qui voudraient expliquer que les choses sont un peu plus complexes, surtout s'ils sont non-musulmans, sont vite disqualifiés. Ils n'ont pas lu les bons livres... Ensuite l'islam de l'imam Boussenna respecte les lois françaises, mais dans le cadre d'une société multiculturelle, communautarisée, dans laquelle aucune culture dominante (autre que l'islam) n'est acceptable. Dans ce contexte, la communauté musulmane doit être "respectée", comprenez qu'il faut lui laisser ses us et coutumes (le voile par exemple). Les musulmans n'ont aucune concession à faire à la culture française. Enfin, Abdelmonaim Boussenna entend expliquer ce qu'est l'islam, aux musulmans comme aux non-musulmans, mais lui-même omet de se renseigner sur ce qu'est la France, son identité, sa culture. Parce que la République est laïque, de plus en plus de gens font l'erreur de croire que la France n'a pas d'héritage religieux. C'est faux: le christianisme, et tout particulièrement le catholicisme, est au fondement de la culture française. Les musulmans de France vivent dans un pays de tradition catholique dont l'Etat est laïque. L'histoire singulière de la France a fait que, pour beaucoup de Français, croyants ou non, la question religieuse relève de la sphère privée, et que faire preuve de discrétion sur son appartenance confessionnelle est considérée comme de la décence et du savoir-vivre. Bon nombre de musulmans devraient se renseigner...

 

[1] à commencer par Al-Azhar, la grande université sunnite du Caire. Contrairement à ce qu'on lit parfois, aucun dignitaire d'Al-Azhar n'a jamais affirmé que le voile n'était pas une obligation religieuse. Ce qu'un imam d'Al-Azhar a déclaré, c'est que la France avait le droit de légiférer sur le port du voile (et on voit mal comment Al-Azhar pourrait empêcher un état souverain, non-musulman de surcroît, de légiférer...) et que la femme musulmane qui obéit à la législation du pays non-musulman dans lequel elle réside n'est pas en faute, quand bien même le retrait du voile lui serait imposé. Ce n'est pas la même chose. Et cela m'amène à conclure que c'est l'islam qui est rigoriste par essence, et non "une conception dévoyée de l'islam" comme je l'ai entendu lors d'un rassemblement du dimanche 18 octobre.

 

[2] Le Coran, Essai de traduction, de Jacques Berque, 2002, p.375



23/10/2020
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