L'Occitanie et la "nation" occitane n'existent pas
J'aime me faire des ennemis. Il faut être honnête : ça amène des lecteurs. Après un article dénonçant le nationalisme catalan et qui fut un (relatif) succès (voir le nombre de commentaires, parfois intéressants, souvent affligeants), après un article assez ancien sur les nationalistes corses qui a connu une (modeste) célébrité tardive, attaquons-nous à présent à une autre expression de cette plaie qu'est le régionalisme (politique s'entend) : le nationalisme occitan ou occitanisme.
Le cas de ce dernier revêt une importance particulière à mes yeux : en effet, il se trouve que j'ai des racines en pays d'oc, alors que je n'ai aucun ancêtre corse ou catalan à ma connaissance. Par conséquent, si on n'a pu prétendre que je n'étais pas légitime pour parler de la Corse ou de la Catalogne, ce sera plus difficile d'avancer cet argument ici. Je ne vis pas en pays d'oc, certes, mais j'en connais certaines régions, je les apprécie et, vu mes ascendants, j'ai après tout autant de légitimité pour parler de ces contrées que les soi-disant « nationalistes » occitans.
L'Occitanie n'existe pas, et n'a jamais existé, pas plus que la « nation » occitane. C'est ce qu'on s'efforcera de démontrer dans cet article.
La thèse occitaniste
Comme toute revendication « nationaliste », l'occitanisme entend s'appuyer sur un passé commun aux membres de la supposée « nation » occitane. Cette histoire occitane commencerait à la fin de l'Antiquité, plus précisément au début du V° siècle, lorsque les Wisigoths, après des années d'errance, s'installent en Aquitaine. Leur capitale est bientôt fixée à Toulouse, où leurs rois, de Théodoric 1er à Alaric II tiennent une cour brillante, premier modèle de synthèse romano-barbare. Peu à peu, les Wisigoths étendent leur domination sur tout le Sud de la Gaule jusqu'à la Loire, avant de mettre la main sur la Provence (et accessoirement sur l'Espagne). Cette unification de la Gaule méridionale, regroupant la partie la plus riche et la plus romanisée du pays, est du pain béni pour les occitanistes : ils y voient donc la première ébauche de leur patrie. Un livre d'histoire adopte d'ailleurs comme titre significatif Le Royaume wisigoth d'Occitanie (1). Malheureusement, l'expérience tourne court et l'ensemble hispano-gaulois construit par la dynastie gothique des Balthes s'effondre à Vouillé en 507 lorsque le roi franc Clovis vainc et tue Alaric II. Les Wisigoths ne survivent en Espagne et en Septimanie (actuel Languedoc-Roussillon) que grâce à l'intervention de leur « cousin » Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths (qui en profite pour mettre la main sur la Provence). Les Francs, ces Barbares sortis il y a peu des épaisses forêts de la région rhénane, imposent sans ménagement leur domination : Carcassonne est prise (déjà !), Bordeaux se rend, Toulouse est incendiée, l'Auvergne pillée. L'image des sauvages venus du Nord (francs pour l'instant, français plus tard, mais le glissement sémantique est facile) commence à se préciser.
L'Occitanie ne sera pas gothique, mais bien mérovingienne, régulièrement partagée entre les rois qui brisent ainsi, sciemment n'en doutons pas, le sentiment national occitan en gestation. Mais une lueur d'espoir finit par apparaître à l'horizon de cet âge sombre et brutal : la vieille souche mérovingienne semble épuiser sa sève. Le Sud, fort de son particularisme, s'émancipe en profitant du déclin de la dynastie, et plus encore de l'avènement des Carolingiens, famille austrasienne encore plus « germanique » que les derniers descendants de Clovis. C'est l'époque des ducs (ou princes) d'Aquitaine quasiment indépendants qui forment au début du VIII° siècle la première ligne de défense face aux Sarrasins musulmans désormais maîtres de l'Espagne. Décidément, la poisse a poursuivi ces pauvres Wisigoths. En 732, à nouveau, les Barbares du Nord, Francs d'Austrasie et de Neustrie, franchissent la Loire et écrasent, près de Poitiers, une armée de Sarrasins. Mais leur chef, le maire du palais Charles Martel, est-il vraiment venu uniquement pour casser du musulman ? Certes non, et bientôt il s'affaire, comme les Mérovingiens de jadis, à soumettre les contrées rétives du Midi. Le valeureux duc Eudes d'Aquitaine, vainqueur des Sarrasins en 721 et en 725-726, est contraint de reconnaître la suzeraineté de Charles. Le destin s'acharne sur l'Occitanie. Les descendants d'Eudes sont éliminés par Pépin le Bref et Charlemagne, respectivement fils et petit-fils du Martel.
La destinée de l'Occitanie est-elle donc d'être franque ? Non, elle est culturellement trop différente, trop attachée à son particularisme. Charlemagne crée un royaume d'Aquitaine qu'il confie à Louis, un de ses fils cadets. Les Occitans ont plus qu'un duc, ils ont désormais un roi. Pépin 1er d'Aquitaine et Pépin II, fils et petit-fils de Louis (devenu entre-temps l'empereur Louis le Pieux) semblent destiner à conserver au Midi de la Gaule son indépendance. Las ! Dieu est décidément Franc : Pépin II, malgré sa ténacité, est vaincu par son oncle Charles le Chauve qui règne au nord de la Loire. L'Aquitaine se trouve réunie au « Royaume des Francs occidentaux » entre 852 et 864. Mais les Méridionaux ne s'en laissent pas conter : au X° siècle, le pouvoir des Carolingiens s'étiole à son tour. Le roi est bloqué autour de Laon et Reims par l'ambitieux Hugues le Grand, duc des Francs, qui prétend même exercer sa tutelle sur l'Aquitaine. Les seigneurs du Sud peuvent affirmer leur autonomie, d'autant que les premiers Capétiens se gardent bien de quitter le Bassin Parisien. En 849, un certain Frédolon avait trahi Pépin II d'Aquitaine et livré Toulouse à Charles le Chauve. En échange de ce service, Charles lui confia le comté de Toulouse, auquel Frédolon ajouta les comtés de Limoges et Rodez. L'Occitanie avait trouvé son prince. Frédolon mourut en 856. Son frère Raymond 1er lui succéda : la fameuse dynastie raymondine était née. Jusqu'à la mort de Raymond VII en 1249, ces comtes de Toulouse, qui sont aussi comtes de Rouergue, ducs de Narbonne, marquis de Gothie et de Provence, sont les véritables « rois » d'Occitanie, entretenant une Cour brillante où les troubadours trouvent une oreille complaisante. Les cathares aussi, ces chrétiens occitans en quête de perfection spirituelle. Un prince, une littérature, une foi : que faut-il de plus ? La nation occitane est là, elle existe, et elle est prometteuse.
Mais Dieu n'est toujours pas Occitan : le pape prêche la Croisade contre les hérétiques cathares au début du XIII° siècle. Les seigneurs du Nord, ces Barbares illettrés, sentent le moment venu d'abaisser l'orgueil des princes du Sud... et de piller leurs beaux domaines. La Croisade des Albigeois se déchaîne. On tue, on pille, on viole. On n'est pas loin du génocide. Toulouse, Carcassonne, Nîmes, Béziers, toutes les villes occitanes se soumettent, de gré ou de force. Le roi d'Aragon franchit les Pyrénées pour sauver ses vassaux occitans, mais Dieu n'était pas non plus Aragonais : à Muret, en 1213, Pierre II d'Aragon est vaincu et tué. Raymond VI et Raymond VII conservent Toulouse, mais l'impitoyable colonisation française commence : Carcassonne et les châteaux de la région sont réaménagés par le roi de France, une bonne partie du Languedoc intègre purement et simplement le domaine royal. Nul doute que Raymond VII attendait le bon moment pour récupérer l'ensemble de ses domaines et redonner liberté et indépendance à l'Occitanie. Hélas, il meurt en ne laissant qu'une fille, Jeanne, laquelle a épousé Alphonse, comte de Poitiers... fils de Louis VIII et frère cadet de Saint Louis ! Alphonse meurt sans héritier en 1271, et son neveu le roi Philippe III le Hardi met la main sur les domaines de la Maison de Toulouse. Définitivement.
La nation occitane demeure, bien sûr. Colonisée, méprisée, francisée de force par les Barbares du Nord. Parfois, son désir d'indépendance refait surface. Le protestantisme huguenot trouve en ces terres des partisans, mais les calvinistes occitans seront vaincus eux aussi. Dans les Cévennes encore, à la fin du règne de Louis XIV, les indomptables occitans protestants livrent un combat aussi magnifique que désespéré. En pleine guerre de Succession d'Espagne, le Roi-Soleil doit rappeler un de ses meilleurs généraux, Villars, pour mater les Camisards. A partir du XIX° siècle, en réaction à la francisation imposée par les fascistes jacobins, la conscience collective des Occitans se réveille grâce à une avant-garde militante qui, jusqu'à nos jours, entend rendre son indépendance, sa fierté et sa liberté à la nation occitane, dans une Europe des Peuples respectueuses des identités (2).
Présentée ainsi, la thèse des nationalistes occitans paraît séduisante. Et surtout, elle apparaît crédible car s'appuyant sur une histoire, des dates, des personnages que nul ne songe à contester. Pourtant, tout cela est une imposture qui tente d'exploiter l'ignorance des gens. Car les régionalistes, comme toujours, multiplient les approximations, les confusions, les interprétations contestables voire mensongères. On va démonter, point par point, la pseudo-histoire occitane. Et montrer que l'Occitanie n'a pu finalement naître... que dans le cadre français, paradoxe intéressant.
Le royaume wisigoth, un état « occitan » ?
On va faire un sort rapide au royaume wisigoth « d'Occitanie ». Au V° siècle de notre ère, la distinction entre langue d’oïl et langue d'oc n'existe pas : on parle le bas-latin ou latin tardif de la Mer du Nord jusqu'à la Méditerranée. Lorsque Salvien, Gaulois de Trêves, s'installe à Marseille dans la première moitié du V° siècle, il n'a nul besoin d'apprendre le dialecte local puisqu'on parle la même langue à Trêves qu'à Arles ou Marseille. D'autre part, les textes législatifs wisigothiques (Code d'Euric et Bréviaire d'Alaric) ne distinguent guère que « les Romains » et « les Goths », sur des bases autant ethniques que religieuses, les Romains étant catholiques et les Goths ariens le plus souvent. Une partie des Gallo-romains d'Aquitaine, notamment les membres du clergé, a parfois mal vécu la domination des rois ariens de Toulouse. L'Auvergne sous la direction de Sidoine Apollinaire et de son beau-frère Ecdicius a longtemps résisté aux Goths. Il suffit de regarder une carte du royaume wisigoth à son apogée pour constater qu'il se compose aussi, et dès le début, de territoires où la langue d’oïl dominera (Poitou, Berry, Angoumois) (2). Enfin, la fragilité de l'édifice gothique est apparu lors des campagnes de Clovis en 507-509. Les Francs étaient sans doute plus rustiques, mais ils ont bâti un État durable. La Septimanie n'est restée gothique que grâce à l'intervention de Théodoric le Grand. Sans lui, elle tombait probablement aux mains de Clovis.
Parler du royaume wisigoth comme d'un état occitan ou même proto-occitan est tout simplement un mensonge et un anachronisme. Comme si la coalition gauloise mise sur pied par Vercingétorix préfigurait la nation française... Soyons sérieux, et abandonnons ces images d’Épinal aux manuels d'antan.
Duché et royaume d'Aquitaine : au fondement de l'identité occitane ?
Ce qui est vrai pour le royaume wisigoth l'est aussi pour les structures qui lui succèdent. Ce site (nationaliste gascon?) (3) propose une carte du duché « mérovingien » d'Aquitaine à la fin du VII° siècle. On peut constater qu'une partie seulement de l'Occitanie obéit aux ducs, et on observera également qu'il n'y a pas que des Occitans dans le duché : l'ensemble du pays basque en fait partie. Or, jusqu'à preuve du contraire, les Basques ne se considèrent pas comme des Occitans. Leur langue est très différente, puisque non-indo-européenne selon des études. Les ducs Loup et Eudes se réclament d'une ascendance mérovingienne, mais il est fort probable qu'ils soient en réalité d'origine basque ou plus exactement vasconne pour employer le terme en usage à l'époque. Quant aux autres territoires occitans, ils obéissent bien aux rois francs tandis que la Septimanie reste wisigothique jusqu'à la destruction du royaume wisigoth de Tolède. Le site que j'ai cité est intéressant et montre bien que le régionalisme est à géométrie variable pour la bonne et simple raison qu'il ne repose souvent que sur du vent. Les occitanistes considèrent l'Aquitaine d'aujourd'hui comme occitane, alors que les Gascons (Basques romanisés?) revendiquent leur spécificité.
Il en va de même pour le royaume carolingien d'Aquitaine qui s'étend de la Loire aux Pyrénées. Voilà le véritable problème des nationalistes occitans : la Loire. Elle fut pendant une bonne partie du Moyen-Âge une véritable coupure politique entre le Nord et le Sud de la Francie occidentale, future royaume de France. L'ennui, c'est que la frontière linguistique langue d'oïl/langue d'oc ne correspond absolument pas à la Loire, elle se trouve beaucoup plus au sud puisque les provinces de Poitou, Berry, Angoumois, Saintonge, Bourbonnais (qui, contrairement à ce que j'ai lu sur un site, n'est de langue d'oc que dans sa lisière méridionale ; et je suis bien placé pour le savoir, toute une partie de ma famille est originaire de cette contrée) sont indiscutablement de langue d'oïl. L'Aquitaine carolingienne récupère la Septimanie, mais n'englobe pas la Provence qui formera un royaume associée à la Bourgogne (qui elle, est de langue d'oïl).
Le titre de roi d'Aquitaine tombe en désuétude au X° siècle. En revanche, celui de duc d'Aquitaine (ou des Aquitains) est relevé par les comtes de Poitiers dès le IX° siècle. Or le Poitou est de langue d'oïl. Mais les comtes de Poitiers sont aussi comtes de Gascogne (de langue d'oc) à partir du XI° siècle. Le Limousin, l'Auvergne, Angoulême, une partie du Berry obéissent aussi aux ducs... plus ou moins de bonne grâce. La féodalité, on le voit, se moque bien des questions linguistiques puisque Aliénor d'Aquitaine au XII° siècle réside aussi bien à Bordeaux qu'à Poitiers, et que ses sujets parlent tantôt la langue d'oc, tantôt celle d'oïl.
Au final, que peut-on constater ? 1) la frontière linguistique entre pays d'oïl et pays d'oc n'a pas grande signification historique ; 2) les pays d'oc sont très souvent associés politiquement à des pays d'oïl au Moyen-Âge (le Limousin avec le Poitou ; la Provence avec la Bourgogne ; l'Auvergne avec le Bourbonnais à la fin du Moyen Âge) ; 3) « Aquitain » n'est nullement synonyme d' « Occitan », les deux termes ne se recouvrant que partiellement (tous les Occitans ne sont pas Aquitains, et tous les Aquitains ne sont pas Occitans).
Par conséquent, on peut regarder une carte de l'Occitanie telle qu'elle est imaginée (pour ne pas dire fantasmée) de nos jours :
Source : site du Parti Nationaliste Occitan (PNO)
Trois remarques : 1) je mets au défi les occitanistes de trouver une entité politique ayant eu, ne serait-ce qu'approximativement, les frontières de l'Occitanie qu'ils proposent ; 2) le Bourbonnais, province historique correspondant aujourd'hui au département de l'Allier, est dépecé puisque Vichy et Montluçon passent en terre occitane alors que Moulins reste en « France » ; les nationalistes occitans démontrent ainsi leur mépris (ou leur ignorance) de l'histoire ; 3) le Limousin a depuis toujours des relations avec ses voisins de langue d'oïl, Poitou et Berry, et sans doute plus qu'avec le Languedoc ou la Provence. Placer ainsi des frontières qui n'ont jamais existé, à l'intérieur du Bourbonnais, entre le Limousin et le Poitou ou entre le Bordelais et la Saintonge, c'est tout simplement ridicule.
Le « royaume occitan » des comtes de Toulouse
Les occitanistes se réclament assez peu en général des ducs d'Aquitaine et on les comprend : leur famille est issue d'une région de langue d'oïl. Non, la famille féodale qui a les faveurs des nationalistes, la véritable « lignée royale » d'Occitanie, c'est la dynastie raymondine des comtes de Toulouse. Toulouse qui fut, rappelez-vous, la capitale des Wisigoths, d'où l'idée d'une continuité historique d'un état « occitan ». Peu importe que la Toulouse gothique, arienne et encore romaine, n'ait rien à voir avec la Toulouse de l'an mille...
Voyons à présent une carte des possessions toulousaines à l'apogée de la principauté :
Source : site de l'Université Paul-Valéry (Montpellier III)
Que constate-t-on ? La principauté toulousaine a un atout par rapport à son homologue aquitaine : elle ne comprend quasiment que des territoires de langue d'oc. Et elle est le plus vaste ensemble féodal qu'ait connu l'Occitanie. Mais ça s'arrête là, malheureusement pour les occitanistes. Jamais les comtes de Toulouse n'ont dominé la totalité de l'Occitanie. La principauté toulousaine est aussi impressionnante que fragile. Au cœur du Languedoc, la puissante famille des Trencavel fait presque jeu égal avec les Raymondins. Comme le dit le commentaire de la carte (le fasciste jacobin que je suis n'invente rien), « la région reste éclatée ». En un mot, l'Occitanie toulousaine, c'est du vent. La féodalité est un système complexe, et la domination des comtes de Toulouse est partielle (et parfois nominale) dans des zones qui sont théoriquement sous leur contrôle. Mais certains tentent de corriger le tir en montrant l'unité de l'Occitanie... sous suzeraineté des rois d'Aragon (qui possèdent le comté de Barcelone, petit clin d’œil à nos amis indépendantistes, défenseurs de la « Catalogne libre depuis toujours »). Les Aragonais, avant d'être des alliés tardifs au moment de la Croisade des Albigeois, furent des rivaux des comtes de Toulouse. Autrement dit, si les territoires occitans n'étaient pas entrés dans la mouvance des rois de France, par ailleurs suzerains légitimes des seigneurs de la région, lesdits territoires auraient pu se détacher de la France pour intégrer la couronne d'Aragon. Donc Toulouse et le Languedoc auraient échappé à Paris pour obéir à Barcelone ou Saragosse. Or, on ne parle l'occitan ni à Barcelone, ni à Saragosse. Quoique... Il y a un débat pour savoir si le catalan appartient à la famille occitane. Évidemment, les nationalistes catalans affirment que non. Il ne m'étonnerait pas qu'ils démontrent d'ici peu que leur langue n'est même pas romane.
Je terminerai en disant que la sécession de la principauté toulousaine était illégale. La féodalité obéit à des règles. Les comtes de Toulouse ont toujours été vassaux du roi de France, et que celui-ci soit absent et peu en mesure de faire respecter sa suzeraineté ne change rien à l'affaire : les Raymondins tiennent leurs terres du roi de France, ils n'ont pas en droit la possibilité d'en faire cadeau à un autre souverain. Lorsque le comte de Toulouse fait appel aux Aragonais, il est dans l'illégalité, même aux yeux du droit féodal. Imagine-t-on le préfet de Midi-Pyrénées remettant sa région aux mains du roi d'Espagne ? Non. La victoire de Muret (1213) est aussi la victoire des droits légitimes du roi de France à imposer son autorité dans la région.
Catharisme et calvinisme : des religions « nationales » occitanes ?
Y a-t-il une religiosité spécifique à l'Occitanie ? La réponse est non. Ce site (4) propose une carte de l'organisation de l’Église cathare tiré d'un ouvrage de référence sur la question. Que constate-t-on ? Que le catharisme n'a concerné qu'une petite partie de l'Occitanie. Gascogne, Quercy, Limousin, Auvergne et même une bonne partie du Languedoc proprement dit n'ont pas été concernés. Et dans les régions touchées, qui peut affirmer en toute bonne foi que les cathares furent jamais majoritaires ? Personne. Le drame est que des élus et des acteurs du secteur touristique peu scrupuleux n'hésitent pas à travestir le passé pour donner une marque qui ne correspond à rien de réel. Ainsi, l'Aude, que j'ai visitée cet été, se retrouve parée du titre pompeux et ridicule (en plus d'être faux) de « pays cathares », avec les « vins cathares », les « pâtisseries cathares »... Il faut cesser le délire. L'excellent guide-conférencier de Carcassonne (par ailleurs régionaliste puisque pour lui, être Français ne signifiait rien) nous a bien dit que les « châteaux cathares », comme la cité de Carcassonne, doivent souvent plus aux reconstructions des rois de France qu'aux cathares. Seulement voilà, les cathares sont les « martyrs du Languedoc » pour reprendre un titre de Pyrénées magazine de 2007 que j'ai feuilleté durant mon séjour. Ce titre évocateur était planté dans un ciel bleu azur, au-dessus d'une photo d'un des nids d'aigle cathare, carte postale habituelle de la région. Numéro patronné par l' « attaché culturel » ou le « coordinateur du patrimoine », je ne sais plus, de la région Languedoc-Roussillon. On voit ici comment les élus de certaines régions encouragent la falsification de l'histoire pour légitimer leur pouvoir issu de la décentralisation. Avoir ses martyrs, c'est tendance, cela permet de ressortir le petit couplet victimaire, qui est de saison. Et peu importe que cela se soit déroulé il y a huit cents ans. Peu importe qu'en maintes occasions, les Méridionaux aient fait preuve de patriotisme (français), de dévouement envers la nation (française), et qu'ils se soient montrés passionnément républicains (jusque dans leur refus du coup d’État de Louis-Napoléon en 1851). Les Français ont tué lors de la Croisade des Albigeois, ils restent des colons et des étrangers. Je suis peu porté à l'indulgence vis-à-vis des imbéciles qui emploient ce type d'argument pour diviser notre peuple. D'autant que si on doit faire le compte des exactions depuis la nuit des temps, on n'a pas fini...
Pas plus que le catharisme, le protestantisme n'est spécifiquement occitan. Outre que le calvinisme s'est répandu dans d'autres contrées, les Occitans n'ont jamais tous cédé à l'appel de la Réforme, et des bastions catholiques ont persisté même dans le Sud-Ouest (une bonne partie du Languedoc tient pour les catholiques). Pire, le protestantisme a favorisé la francisation d'une certaine manière, puisque le culte se faisait en utilisant le français plutôt que l'occitan. Calvin aurait même condamné la traduction en occitan. Ce site (5) explique que les prédicateurs camisards prêchaient en français. D'ailleurs, les soldats de Louis XIV repéraient les protestants... à leur maîtrise du français ! Le site susdit développe des idées intéressantes, notamment l'existence d'un certain bilinguisme français-occitan dans les Cévennes dès le XVIII° siècle. Contrairement à beaucoup d'idées reçus, mais rabâchées à l'envie, la francisation a commencé avant la Révolution et la naissance du jacobinisme, et elle s'est faite de manière douce, sans violence, sans véritable contrainte. L'école de Jules Ferry n'a fait que parachever un processus lent depuis longtemps entamé.
Langue contre histoire
On en arrive donc au dernier point que je voudrais évoquer : la langue. Elle est finalement tout ce qui reste aux occitanistes. D'Occitanie unifiée politiquement, point de trace. Sur une spiritualité proprement occitane, rien de convaincant. Ne demeure que la question linguistique. Il existe une langue d'oc, je ne le nie pas. Que certains la pratiquent et la défendent, je n'y vois rien à redire : c'est la liberté de chacun de s'exprimer dans la vie de tous les jours avec la langue de son choix. Le problème est que l'utilisation de cette langue est un instrument de revendication politique (via les panneaux bilingues à l'entrée des communes par exemple) pour d'autres. Surtout, l'occitan n'a jamais été vraiment codifié et il existe des variantes : le provençal diffère du gascon. Aujourd'hui certains nationalistes tentent d'unifier les dialectes occitans, c'est-à-dire de recréer artificiellement une langue pour en faire le support d'un projet sécessionniste. C'est inadmissible.
La langue est toujours une composante de l'identité nationale, mais elle est rarement la seule, et elle ne suffit jamais. Les Wallons et les Romands sont francophones, sans pour autant être Français. Même au niveau régional, la langue ne suffit pas toujours. La Bretagne est bilingue depuis belle lurette, et ce n'est pas le breton celtique, n'en déplaise aux celtomaniaques, qui fonde le particularisme breton, mais bien l'existence d'un état, le duché de Bretagne. D'ailleurs, la Bretagne est fort peu celte, sa « celtité » procédant en réalité d'une reconstruction identitaire récente (avec là aussi des arrière-pensées politiques), fondée de surcroît sur une vision généralement fantasmée des Celtes de l'Antiquité.
Une identité nationale doit reposer sur une histoire commune, l'Occitanie n'en a pas. Pas plus qu'il n'existe de « valeurs » proprement occitanes : l'Auvergne a son caractère propre, distinct de celui de la Gascogne ou de la Provence, et c'est heureux. Même les accents, pour en revenir à la langue, sont différents. La même chose est vrai pour les territoires de langue d'oïl, et ce n'est pas cette dernière qui fonde l'unité politique de la moitié nord du pays (même si elle l'a sans doute favorisée). L'Anjou est différente du Nord, le Lorrain n'est point identique au Normand. Il est vain de vouloir détruire toute spécificité régionale, et ce serait regrettable. Mais il est aussi inutile de brandir ces spécificités pour alimenter des projets indépendantistes. La culture française, ce n'est pas la culture de l'Île-de-France imposée au reste du pays. C'est une synthèse qui a emprunté et brassé des éléments issus de toutes les régions. La France a un caractère méditerranéen qu'elle doit justement aux pays de langue d'oc. Créer artificiellement une Occitanie indépendante, ce serait priver la France d'une partie de sa culture, d'une partie de sa richesse. Ce serait finalement lui ôter une bonne part de son identité (notre hymne s'appelle la Marseillaise, car il fut entonné par des fédérés marseillais arrivant à Paris). La France sans l'Auvergne, le Languedoc, la Provence, serait-ce encore la France ? J'en doute. En tout cas, ce serait dommage. Je crois que les régionalistes, occitans ou autres, se trompent doublement : sur les identités « nationales » qu'ils tentent vainement de bâtir ; et sur ce qu'est la France. Ils partent du principe qu'actuellement l'Occitanie, la Bretagne, la Corse sont françaises. Cette domination politique et culturelle serait sans contrepartie. Pourtant, la France est aussi, d'une certaine manière, bretonne (la musique bretonne rencontre un écho bien au-delà de la seule Bretagne), corse (les mets corses sont appréciés sur le continent) et plus encore occitane (la culture et la gastronomie du Midi séduisent au-delà des terres « occitanes », outre que nous sommes nombreux dans la partie nord du pays à avoir des racines dans le Sud). C'est une erreur que de comparer la construction du territoire national à la conquête d'un empire colonial. Pourquoi refuser cette influence mutuelle qui est au cœur de notre identité nationale ? Pourquoi refuser que les « petites patries » enrichissent et embellissent la grande, comme le désirait sagement la III° République ? Et enfin pourquoi nous diviser alors que des populations d'origine étrangère cherchent à implanter sur notre sol des identités concurrentes ? Retrouvons ce qui fait la force de l'identité française, sans pour autant renoncer à l'attachement légitime pour notre région d'origine.
(1) de Joël Schmidt, aux éditions Perrin, 1996
(2) http://partitoccitan.org/?lang=oc
http://www.p-n-o.org/entrada.php
(3) http://gaskonia.blogspot.com/p/gaskonia-kes-ako_22.html
(4) http://estcepossible.unblog.fr/2010/10/11/catharismeheresie/
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