Nationaliste Social et Ethniciste

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La France est-elle morte sur les champs de bataille de la Grande Guerre?

Après avoir feuilleté, il y a quelques temps déjà, la fameuse Bande Dessinée Putain de Guerre! de Jacques Tardi, je me suis demandé comment des professeurs d'histoire pouvaient décemment utiliser cette oeuvre dans leurs cours sur la Première Guerre Mondiale. Putain de Guerre! ne présente en effet pas le moindre intérêt historique... Ou, plus exactement, cette BD nous renseigne davantage sur l'état d'esprit dominant dans la société française du début du XXI° siècle que sur les Français de 1914. De la Grande Guerre, en réalité, il n'est guère question dans l'ouvrage. Jacques Tardi n'a pas personnellement pris part à cette guerre, son oeuvre n'est donc pas un témoignage. Il a certes rassemblé une documentation considérable pour reconstituer le cadre matériel dans lequel évoluaient les combattants, mais dans l'objectif de présenter au lecteur sa vision de la Grande Guerre, une vision post-soixante-huitarde marquée par la détestation de la guerre, un pacifisme inconditionnel, un individualisme forcené doublé d'une victimisation des hommes du passé et, peut-être est-ce là l'essentiel, une incapacité totale à comprendre que, pour les hommes de 1914, certains mots, certaines idées, certains principes pouvaient être sacrés: la France, la patrie, la nation, le sens du devoir, l'esprit de sacrifice. Toutes choses étrangères à un enfant de Mai 68. Pour Tardi et tous ceux qui lui tressent des lauriers, la patrie, la nation, ne sont que des impostures destinées à masquer l'oppression des pauvres hères qu'on a envoyés se faire tuer à Verdun ou au Chemin des Dames. Les Poilus? Non point des héros, mais de malheureuses victimes d'un conflit qu'ils n'ont pas voulu, qu'ils n'ont pas compris. Ce n'était pas leur guerre, c'était la guerre de... Mais de qui, au fait? Des bourgeois, des marchands d'armes, des banquiers? A voir, car les fils de bourgeois aussi se sont retrouvés sous l'uniforme, tandis que la guerre est loin de favoriser tous les secteurs de l'économie, surtout en France où les grandes régions industrielles et minières ont été occupées par les Allemands pendant une bonne partie du conflit. Les profiteurs, il y en eut, certes, il y en a toujours, mais il ne faut pas exagérer leur nombre, ni leur influence.

 

La lecture des lettres de Poilus dessine une réalité assez différente de celle qu'évoque Tardi. Des soldats français écoeurés par l'horreur de la boucherie, fatigués par un conflit interminable, révoltés parfois par des offensives aussi coûteuses en vies qu'inutiles. Certes. Mais aussi, il faut le dire, des hommes souvent habités par un grand sens du devoir, par un patriotisme ardent, par la conviction de faire l'histoire, et non seulement de la subir. Ce que ni Tardi ni ses admirateurs ne peuvent saisir, c'est que le soldat français de 1914 part au front avec, dans son paquetage, mille ans d'histoire de France. Le soldat français de 1914 se considère comme l'héritier direct des soldats de l'an II et de Napoléon, aussi bien que des compagnons de Jeanne d'Arc et des miliciens présents à Bouvines. En fait, le Poilu de la Grande Guerre, avec son maigre bagage scolaire - l'école était obligatoire de 6 à 13 ans, ensuite c'était le travail au champs ou à l'usine pour la majorité -, savait ce que le progressiste du XXI° siècle ignore, malgré son bac+5 et son "amour de la culture", c'est-à-dire que la France est un pays façonné par la guerre depuis des siècles, et que l'histoire est par essence tragique. Voilà pourquoi, malgré toutes ses recherches, malgré la précision de ses reconstitutions, Jacques Tardi n'a rien compris à la Grande Guerre et à la mentalité qui sous-tend l'héroïsme des Poilus. Putain de Guerre! n'est pas un document, pas même un documentaire. C'est une oeuvre artistique, d'un certain mérite sans doute, mais rien de plus, et il faut la juger comme telle. Au demeurant, je ne conteste ni l'ampleur du travail, ni le talent de Jacques Tardi. Mais s'imaginer que son ouvrage permet de "comprendre la guerre des tranchées", c'est un peu comme si on considérait que lire Tintin au Congo suffit pour comprendre le fonctionnement du système colonial belge en Afrique... La réalité est quand même un peu plus compliquée.

 

1914-1918: la dernière grande mobilisation nationale

En 1914 donc, la III° République a pu récolter les fruits de ses efforts de redressement national entamés depuis 1871. J'ai expliqué ailleurs pourquoi je considère qu'aujourd'hui la République a cessé de défendre la France, mais on ne peut pas mettre dans le même sac les républicains du présent et ceux d'avant 14. Le patriotisme sourcilleux d'un Gambetta en 1870-1871 et d'un Clemenceau en 1917-1920 force le respect. Malgré les crises, les scandales, les faiblesses du régime parlementaire, la III° République a su redonner au pays un élan, une perspective, après la terrible défaite de 1871, traumatisante parce que la France était, pour la première fois depuis longtemps, vaincue par un seul pays (même si l'Allemagne n'est pas encore unifiée au début du conflit). Bien sûr, Louis XIV, Louis XV, Napoléon avaient connu la défaite, mais généralement face à des coalitions regroupant une bonne partie de l'Europe. Après 1871, la France a dû accepter cette dure réalité, à savoir que l'Allemagne, désormais unie, plus peuplée et bientôt plus industrialisée, avait les moyens de l'écraser sans appui extérieur. On sous-estime ce point fondamental: en 1815, la France perd définitivement la suprématie mondiale face au Royaume-Uni, mais conserve ses chances de rester la première puissance continentale; en 1871, l'Allemagne devient la nouvelle puissance dominante du continent européen, et la France doit se résigner à devenir une grande puissance comme les autres, et non plus la super-puissance qu'elle avait été depuis la fin du XVII° siècle. Dans ce contexte difficile, les dirigeants de la III° République ont fait le choix inverse de celui opéré par ceux de la V° République après de Gaulle: au lieu de se résigner à l'abaissement de la France, ils ont voulu réarmer le pays, pour le préparer à reprendre sa place le moment venu. L'ampleur de l'oeuvre accomplie ne doit pas être minorée: l'école obligatoire, le service militaire, une intense activité diplomatique, l'expansion du second empire colonial, tout a été fait pour rendre aux Français la foi dans la grandeur de leur destin national.

 

Il faut également noter que cette politique de redressement national s'est accompagnée d'une certaine prudence vis-à-vis de l'Allemagne. La France a scrupuleusement respecté les termes du traité de Francfort (qui contenait des clauses commerciales) jusqu'à la déclaration de guerre. En 1911, lors de la crise d'Agadir, la France a accepté des concessions territoriales en Afrique équatoriale en échange de l'abandon du Maroc par les Allemands. Comme j'ai essayé de le montrer dans un précédent article, la France joue un rôle, sinon secondaire, du moins assez effacé dans le déclenchement des hostilités en 1914. La France s'est préparée à la guerre, comme les autres. Comme les autres sans doute, elle a pressenti l'éclatement d'un conflit important. Mais, je le maintiens, ce sont les exigences exorbitantes de l'Autriche-Hongrie envers la Serbie, et le ton menaçant de l'Allemagne à l'égard de la Russie qui ont déclenché la guerre. La France était dès lors tenue, par ses intérêts comme par son honneur, de respecter son alliance avec la Russie. La mobilisation ne s'est pas faite dans l'enthousiasme qu'on a parfois décrit, même s'il n'a pas été aussi absent qu'on l'affirme aujourd'hui. Mais elle s'est faite dans l'ordre et le respect des décisions prises par les dirigeants. Il faut regarder les chiffres des désertions en 1914: ils sont dérisoires. Pourquoi? Parce que je pense qu'il y avait un très large consensus dans la société française sur l'impérieuse nécessité, non pas seulement de prendre sa revanche sur l'Allemagne, mais de défendre le territoire national contre de nouvelles amputations. Un siècle plus tard, nous connaissons la suite de l'histoire et l'on peut se permettre, comme Tardi, de maugréer et de dénoncer la docilité de ces hommes qui se sont laissés conduire à l'abattoir. Mais il faut se demander sérieusement ce qui attendait la France en cas de nouvelle victoire de l'Allemagne. Il n'est pas inutile de rappeler, par exemple, que la Lorraine (la partie restée française) et la Franche-Comté avaient été Terres du Saint-Empire romain germanique dans le passé, ce qui ouvrait la porte à de possibles revendications territoriales de l'Empire allemand.

 

La France qui se mobilise en 1914 n'est pourtant pas exempte de faiblesses. Faiblesse d'abord démographique, puisqu'on compte environ 41 millions de Français (hors empire colonial) pour 67 millions d'Allemands (idem). La France est un pays malthusien: beaucoup de familles comptent un seul enfant, rarement plus de deux, y compris parmi les paysans. Les familles nombreuses des mineurs du nord ou des régions restées fortement catholiques ne suffisent pas à compenser une natalité en déclin. L'industrie manque de bras dans un pays resté très rural, et les immigrés (déjà) constituent une part non-négligeable de la population dans les territoires industriels et les grandes villes. Faiblesse économique ensuite, car la France a connu une industrialisation moins poussée que le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Notre pays a d'ailleurs cette particularité de posséder une importante industrie rurale, les usines s'étant installées à la campagne, puisque les paysans ne venaient guère en ville. Quant aux grandes régions minières et industrielles du nord et de l'est, elles ont le désavantage d'être situées à proximité de frontières plutôt vulnérables... Faiblesse de la cohésion nationale enfin, dans un pays déchiré par l'affaire Dreyfus et la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, qui ont donné lieu à des affrontements politiques d'une violence qui relativise beaucoup la prétendue véhémence de nos débats contemporains. A l'époque, on se battait en duel, aujourd'hui on se retrouve au tribunal pour pleurnicher. Si certains y voient un "progrès", ce n'est pas mon cas. Malgré leurs divisions, malgré leurs faiblesses, les Français de 1914 ont marché, parce que défendre la patrie revêtait un caractère sacré et les hommes de ce temps avaient le sens du sacré, que nous avons perdu [1].

 

Et là, je me dois de faire une digression qui ne sera guère appréciée dans le camp "nationaliste-patriote" auquel pourtant je me rattache: quand je vois le foin que font certains pour contester la vaccination et le pass sanitaire, il faut se réjouir qu'aucune guerre ne pointe le bout de son nez dans un avenir proche. En 1914, des hommes jeunes, valides, en pleine santé, sont partis prendre de gros risques pour défendre ceux de l'arrière (parmi lesquels les infirmes, les vieillards, bref les "personnes à risque" d'aujourd'hui). Beaucoup sont morts pour défendre ce pays parce que c'était leur devoir. Un siècle après, voir des gens refuser le port du masque ou l'injection d'un vaccin au prétexte que c'est une "atteinte intolérable à la liberté" ou un risque trop grand, c'est pour moi incompréhensible [2]. De mon point de vue, le pass sanitaire, loin d'être une mesure dictatoriale, est surtout une tentative, maladroite à mon avis, d'inciter les gens à se faire vacciner sans oser rendre la vaccination obligatoire. J'ai par ailleurs du mal à croire que des personnes qui refusent de mettre un masque accepteraient d'enfiler un uniforme. Il est d'ailleurs assez cocasse d'entendre des nationalistes nous expliquer qu'ils refusent de porter le masque parce qu' "ils ne sont pas des moutons, eux". Je suppose donc qu'en 14, ces courageux rebelles n'auraient pas suivi les "moutons" dans les tranchées? A ceux qui me diraient que la comparaison est osée, je réponds que les mêmes ressorts psychologiques sont en jeu: sommes-nous prêts à renoncer à une part de liberté pour le bien commun? Sommes-nous disposés à prendre un risque pour la collectivité? Personnellement, je vois dans toutes ces réactions un mélange de lâche égoïsme et de fascination perverse pour la rébellion, y compris chez ceux qui fustigent l'esprit de Mai 68. Je l'interprète également comme une forme (encore une!) de l'américanisation de notre société: l'Etat, c'est le mal, donc quand l'Etat ordonne quelque chose, moi, en tant qu'homme libre, je m'y oppose au nom de la défense de mes droits sacrés et inviolables! Sauf que la France n'est pas les Etats-Unis. Et il est contradictoire, pour des nationalistes, d'encenser Louis XIV ou Napoléon, et de rejeter l'autorité de l'Etat. Certains me rétorqueront sans doute que ces mesures sanitaires sont prises par un président illégitime, un vendu, un traître, un mondialiste. Admettons. Mais dans ce cas, pourquoi Vladimir Poutine, qui est une idole dans les milieux nationalistes français, tient en Russie les mêmes propos qu'Emmanuel Macron en France [3]? Pourquoi le président russe est-il confronté à la même réticence de la part de sa population?

 

Mais revenons à la Grande Guerre après cette parenthèse qui montre selon moi le fossé abyssal qui sépare désormais la société française de 1914, toute pénétrée de sens civique et de devoir patriotique, consciente de perpétuer une civilisation millénaire, de notre société du début du XXI° siècle, composée d'individus ayant la méfiance comme seule valeur idéologique, rejetant par principe l'autorité, la discipline, le devoir, et dénués de tout héritage. En 1914, faut-il le rappeler, la III° République laïque ne faisait pas l'unanimité. Et pourtant, le monarchiste, le catholique, le descendant de Vendéens sont allés combattre aux côtés des fils du Midi rouge, des anticléricaux, des républicains. Au-dessus des partis, au-dessus des factions, il y a la France. Et 1914 est finalement un des rares moments de notre histoire où les Français ont réussi cet exploit de rester soudés. Car notre pays a la guerre civile dans le sang. Durant la Révolution et l'Empire comme durant la Seconde Guerre Mondiale, il s'est trouvé une partie de la population pour souhaiter la victoire des ennemis de l'extérieur. En 1914, non. Les élites françaises ont fait bloc autour de la défense de la patrie, et c'est pourquoi le pays, malgré les faiblesses que j'ai signalées, a tenu. Il a fait plus que tenir, il a gagné. Parce que les Français savent être courageux dans l'adversité, et se battre avec détermination lorsqu'ils savent pourquoi et lorsque leurs chefs se montrent à la hauteur de la tâche.

 

Dans cet affrontement titanesque, la France a jeté toutes ses forces. Et le sacrifice fut énorme: 1,2 million de tués, sans parler des blessés et des mutilés, le nord et l'est ravagés par quatre ans de guerre, des villages rasés, des villes en ruines. La cathédrale de Reims, lieu du sacre des rois, est en partie détruite par les bombardements. La France s'est-elle jamais remise du sacrifice peut-être excessif consenti en 1914-1918? Je me le demande. On voit bien, un siècle après, que le sens donné à ce sacrifice a beaucoup changé. Alors qu'on a exalté l'héroïsme (à mon avis indéniable) des Poilus pendant une partie du XX° siècle, alors que pendant un certain temps, pas grand monde ne remettait en cause la nécessité de combattre l'Allemagne, aujourd'hui une autre rhétorique se fait entendre. Cette guerre aurait été une folie (alors que ses causes sont connues et peuvent s'expliquer de manière rationnelle), les hommes qui y ont participé des victimes aliénées, manipulées, sacrifiées sans vergogne et sciemment au profit du "capitalisme impérialiste" (alors que, en France du moins, les dirigeants qui ont fait entrer le pays dans la guerre avaient été démocratiquement élus). Certains vont jusqu'à parler de "guerre civile européenne", ce qui est une aberration, d'ailleurs le concept n'a pas vraiment pris. Malgré la restitution de l'Alsace-Moselle, la France malthusienne peine à se remettre de la terrible saignée de la Grande Guerre, quand l'Allemagne, pour un temps, fait encore preuve d'un certain dynamisme démographique. On a un peu l'impression, rétrospectivement, que la France a épuisé ce qui lui restait d'élan vital sur les champs de bataille de la Grande Guerre, laquelle apparaît alors comme le chant du cygne de la puissance française. Je me demande si, au final, la société française, hébétée, n'a pas été sidérée, comme prise de vertige, devant le tribut versé sur l'autel de la patrie. D'où le progressif désenchantement malgré la victoire, puis la frilosité et la réticence à livrer une nouvelle guerre dans les années 30. Le sacrifice des Poilus a fini par perdre son sens, d'autant que le désastre de 1940 a en grande partie effacé le triomphe de 1918-1919. Pour toutes ces raisons, beaucoup de Français de souche aujourd'hui ne comprennent pas l'engagement et l'abnégation de leurs ancêtres. Et la mutation démographique amplifie cet oubli, nombre d'enfants issus de l'immigration n'ayant pas de mémoire familiale sur la Grande Guerre [4].

 

1918-1919: la dernière grande victoire française

C'est un point sur lequel, faute de temps, les programmes scolaires passent un peu vite. On imagine difficilement le prestige immense de la France au lendemain de la guerre. La Russie ayant quitté le conflit à cause de la Révolution de 1917, la France s'est trouvée être à la fin de la guerre la principale puissance continentale européenne du côté des vainqueurs. Parmi ces derniers, la France est le pays qui a eu le plus de morts. C'est en France que sont signés les traités qui règlent le sort des vaincus, à commencer par le fameux traité de Versailles en juin 1919. Non seulement la France a fourni l'essentiel de l'effort militaire sur le front ouest, mais encore le plus gros contingent de l'armée alliée à Salonique (Grèce) est français. Et c'est sous le commandement d'un excellent général français, Louis Franchet d'Espèrey, que cette armée remporte de réels succès à la toute fin de la guerre, parvenant à rompre le front et à vaincre les Bulgares alliés aux Empires centraux, coupant ainis les Allemands et les Autrichiens de leur allié ottoman. Au moment de l'armistice, les troupes françaises et serbes ont repris Belgrade et menacent le territoire austro-hongrois. La France est à même de tirer parti de sa victoire: elle favorise la création ou l'agrandissement de pays alliés en Europe centrale. Ainsi naît la Tchécoslovaquie et renaît la Pologne que la France soutient militairement dans sa guerre victorieuse contre la Russie bolchévique. La Roumanie s'agrandit de la Transylvanie hongroise et de la Bessarabie russe tandis que le petit royaume de Serbie devient le vaste royaume des Serbes, Croates et Slovènes, ébauche de la Yougoslavie. Même si le soutien accordé aux armées blanches de Russie donne des résultats mitigés, l'influence française est solidement établie en Europe centrale et balkanique, ce qui compense en partie la perte de l'allié russe. Outre la récupération de l'Alsace-Moselle, la France garde des chances de récupérer la Sarre. La dislocation de l'Empire ottoman permet aux Français de prendre pied au Proche-Orient en occupant la Syrie et le Liban. En Afrique noire, le Cameroun et le Togo, anciennes colonies allemandes, sont annexés à l'empire colonial français.

 

1918 est donc non seulement la dernière grande victoire militaire incontestable de la France, mais c'est aussi la dernière expansion de l'empire colonial français qui atteint sa taille maximale. Le prestige de la France est restaurée, et, face à une Allemagne vaincue et à une Russie durablement affaiblie par la Révolution, notre pays apparaît comme la puissance hégémonique en Europe, au point d'inquiéter les Anglais qui craignent ce retour à une suprématie française. Notre vision de ces années 1918-1919 est largement faussée par la perspective de la crise des années 30 et de la défaite de 40. Pourtant, la France a enregistré à ce moment un des plus éclatants succès de son histoire. Pour des raisons diverses et variées, qui ne sont pas seulement imputables à nos dirigeants (refus des Etats-Unis de ratifier le traité de Versailles, méfiance des Anglais à notre égard et naïveté des mêmes face aux nazis), la France n'a pas pu profiter durablement de cette victoire. Aujourd'hui, une certaine historiographie prête une oreille complaisante aux légendes élaborées par les Allemands: le traité de Versailles aurait été trop dur, injuste, envers l'Allemagne, un belligérant comme les autres qui s'était battu avec honneur. Outre le fait que l'Allemagne a joué un rôle déterminant dans la montée des tensions en Europe comme dans le déclenchement du conflit, même si elle n'en est pas seule responsable, les amputations territoriales imposées au Reich sont finalement modérées. Rappelons que la France réclamait un état tampon en Rhénanie et n'a pas été suivie. Quant aux réparations, les Allemands n'avaient-ils pas procédé de même en 1871? Contrairement à la légende du "Coup de poignard dans le dos" colportée par les chefs militaires allemands, l'Allemagne a bien perdu en 1918. En fait, la tragédie vient du fait que, comme l'avait pressenti le général de Castelnau, les alliés ont signé l'armistice trop tôt. Le territoire allemand n'a pas été foulé par les armées ennemies, les troupes allemandes se sont repliées en bon ordre. Et pourtant, l'armée allemande était à deux doigts de l'effondrement. Et il eût fallu que les Allemands s'en rendissent compte. Pourtant, après tous les sacrifices consentis au cours de cette guerre interminable, comment reprocher aux dirigeants alliés d'avoir voulu mettre un terme aux tueries?

 

Depuis 1918-1919, c'est-à-dire environ un siècle, la France n'a plus connu que des échecs ou des revers militaires. Il y a eu, je l'ai évoqué, la débâcle de juin 1940. Et puis ce fut la défaite de Diên Biên Phu en 1954, l'humiliation de Suez en 1956, l'indépendance de l'Algérie en 1962. La France a perdu son empire colonial, mais surtout elle l'a perdu de mauvaise manière, en laissant s'installer la "Françafrique", entre affairisme, ingérence et diplomatie opaque, favorisant ainsi les accusations de néocolonialisme et un certain ressentiment dans les anciennes colonies. La France a manifestement commis des erreurs, au Rwanda par exemple, lors du génocide de 1994. Elle est aujourd'hui embourbée au Sahel dans une lutte sans fin contre la gangrène salafiste que l'incurie et la corruption des gouvernements locaux ne permettra sans doute pas d'endiguer de sitôt. Dans le même temps, une immigration hors de contrôle amène en permanence du Sahel, du Maghreb, de Turquie et d'ailleurs, des populations de plus en plus sous influence islamiste. De 1958 à 1969, De Gaulle a fait illusion. Avec la bombe nucléaire, le volontarisme industriel et une relative prospérité, il a réussi à redonner un semblant d'élan au pays. En réalité, le mouvement de dissolution et de déclin était déjà entamé. Mai 68 a couronné cette évolution en dynamitant les institutions, c'est-à-dire les fondements qui pourraient permettre un éventuel redressement. Et l'intermède gaullien n'aura été au final qu'une parenthèse parce qu'au fond, pour répondre à la question que je posais en titre, il est bien possible que la France ne se soit jamais vraiment relevée de la tranchée boueuse où elle git, vivante mais estourbie et diminuée, depuis 1918...

 

Une renaissance est-elle possible? Je veux y croire. Après tout, il faut voir dans quel état se trouvait la France, démoralisée et à moitié occupée, lorsque Jeanne d'Arc quitta Domrémy pour Chinon, ou lorsque Henri IV monta sur le trône d'un pays déchiré depuis trois décennies. Le pire n'est jamais certain, et il me plaît de penser que la Providence veille sur la France. Mais une politique de redressement national demandera des efforts considérables, une véritable mobilisation des énergies. Comme en 1914. Les Français sont-ils disposés à s'engager collectivement?

 

[1] Patrick Buisson, dans son dernier ouvrage intitulé La Fin d'un monde (Albin Michel, 2021), date des années 1960-1975, qu'il appelle les "quinze piteuses", cette renonciation au sacré, qu'il soit religieux, patriotique ou civique. Il met cela en relation avec le concile Vatican II, le développement du consumérisme, la libération sexuelle. Je n'ai pas lu l'ouvrage, mais j'ai écouté plusieurs entretiens assez longs que M. Buisson a accordés pour parler de l'ouvrage. Je ne suis pas en accord avec toutes ses réflexions, mais il faut admettre que l'homme est intelligent, cultivé, et qu'il n'hésite pas à lire "les autres" (marxistes, féministes...) et à les prendre au sérieux. Sa thèse est, je l'avoue, très séduisante. Après avoir feuilleté l'ouvrage, on est forcé de constater qu'elle s'appuie sur une documentation importante, rassemblée avec grand soin.

 

[2] La liberté est une chose importante, et je comprends qu'on veuille la défendre. Mais pour moi, la liberté individuelle est strictement subordonnée à l'intérêt supérieur de la nation. Le pass sanitaire mérite peut-être d'être critiqué, notamment dans ses modalités pratiques (un prestataire privé est-il habilité à contrôler votre état de santé?), mais on n'en serait sans doute pas là si une majorité de gens s'étaient spontanément faits vacciner... Contester la vaccination, c'est déjà plus ennuyeux. Des efforts considérables ont été déployés pour mettre au point en un temps record des vaccins dont l'efficacité est globalement bonne (90 % contre la souche commune, autour de 60 % contre certains variants, il faut quand même savoir que ce n'est pas mal par rapport à d'autres vaccins d'usage courant, comme ceux contre la grippe). L'argument selon lequel "on n'a qu'à se contenter de vacciner les personnes à risque, et pour les jeunes et bien-portants, il n'y a pas besoin" me révulse: ainsi on laisse aux seules personnes fragiles le soin d'être exposées aux risques (très minimes mais réels) du vaccin. Belle mentalité! Quel courage! Quel sens du collectif! Ma réaction virulente est sans doute liée au fait que j'ai été élevé avec une personne atteinte d'une grave maladie. Il n'en demeure pas moins que la vaccination massive est à ce jour la seule solution pour espérer en finir avec l'épidémie, et l'intérêt de la nation (et de toutes les nations) est de sortir de l'épidémie au plus vite. Parce que laisser les jeunes bien-portants ne pas se faire vacciner, c'est permettre au virus de continuer à circuler activement, et même si les jeunes ne développent que rarement des formes graves, il y aura quand même toujours un risque de refiler le virus aux grands-parents, y compris vaccinés, puisque le vaccin n'est pas efficace à 100 %. Ah, une dernière chose à méditer: être jeune et bien-portant, ça dure rarement toute la vie...

 

[3] M. Poutine ne cesse d'encourager les Russes à se faire vacciner, avec assez peu de succès semble-t-il. Il a déclaré qu' "il ne faut pas écouter les gens qui n'y comprennent rien à ces choses, s'appuient sur des rumeurs, mais les experts". Et il ajoute que "la propagation de la pandémie ne peut être évitée que par la vaccination" suivant en cela les recommandations des scientifiques russes, qui apparemment disent pareil que leurs homologues occidentaux. Diantre! Vladimir Poutine, héros du panthéon nationaliste, serait-il vendu aux "Big Pharma"? Le même article précise que le président russe reste opposé à toute obligation vaccinale (de peur d'être traité de dictateur, lui aussi?). Et pourtant, face au développement du variant Delta, qu'ont été obligées de faire les autorités moscovites? D'imposer la présentation d'un QR code attestant sa vaccination pour aller au restaurant ou se faire soigner à l'hôpital... Autrement dit, ce qu'on appelle ici un pass sanitaire. Et cet article indique que les employés des secteurs bancaires, de la restauration, des transports et des services publics devront se faire vacciner sous peine de lourdes amendes infligées aux employeurs (oui, vous avez bien lu, aux employeurs). 

 

[4] Faisons un sort aux troupes coloniales qu'on essaie de nous vendre comme le prélude à la merveilleuse contribution contemporaine de l'Afrique à la nation française. Les indigènes des colonies n'ont pas servi en tant que citoyens-soldats, mais en tant que supplétifs. Le phénomène n'a rien de nouveau et rappelle les auxiliaires que les peuples soumis à Rome fournissaient aux armées de l'Empire. Les Sénégalais, Marocains et autres Algériens étaient des engagés, le plus souvent fuyant la misère ou attirés par le prestige de l'uniforme. Certes, la France a pu parfois se montrer insistante dans le recrutement. Mais ne faisons pas des soldats coloniaux des patriotes. Beaucoup d'ailleurs ne savaient pas grand-chose de la France. Cela étant dit, je ne conteste pas leur courage au feu et leur contribution à l'effort de guerre. Je ne nie pas non plus que, chez quelques uns, l'expérience de la guerre ait pu créer une forme d'attachement à la France. Il convient cependant de rappeler que les troupes coloniales n'ont jamais représenté, loin s'en faut, la majorité des effectifs militaires français durant la Grande Guerre.



02/08/2021
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