Le métier de professeur
Je condamne le corporatisme lorsqu’il est excessif. Pour autant, il me semble important d’encourager l’esprit de corps, au sens noble du terme, et de défendre sa profession lorsqu’elle est calomniée. Or Nicolas Sarkozy a calomnié les professeurs lors de son passage dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin sur BFM télé-RMC (1). Le Président de la République a déclaré à deux reprises : « dans le secondaire, les professeurs travaillent 18 heures ». Ce qui est faux. Les professeurs du secondaire ont un service de 18 heures de cours à dispenser, nuance. Le Président a insinué que le travail de préparation et de correction était finalement quantité négligeable. Après ces 18 heures de cours, « le professeur rentre chez lui » a dit M. Sarkozy. Et naturellement, il pose son cartable, prend une bière dans le réfrigérateur et allume la télévision.
Je pourrais pousser des cris d’orfraie, insulter le Président, le traiter de menteur, de semeur de discorde. Je pourrais faire remarquer que le Président de la République n’est pas très digne en répétant des propos de comptoir. Hurler à l’injustice et crier qu’on est « victime », c’est tendance. Eh bien non. Pour plusieurs raisons. D’abord, je ne suis même pas sûr que Nicolas Sarkozy ait fait preuve de mauvaise foi. Il est possible qu’il ignore tout simplement ce qu’est le métier de professeur. Après tout, il a eu beaucoup de choses à faire (quant à savoir s’il les a bien faites, c’est une autre question). Ensuite, tous les corps de la fonction publique se plaignent du Président : hauts fonctionnaires, diplomates, policiers, militaires… Il doit tout de même y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond à l’intérieur de l’Etat. Enfin, ne nous voilons pas la face : ce que dit Nicolas Sarkozy, beaucoup de Français le pensent. C’est sans doute la principale raison pour laquelle le Président a tenu ces propos, il savait qu’ils feraient mouche. Parfois, des élèves me demandent : « Mais Monsieur, est-ce vrai que vous ne travaillez que 18 heures ? », répétant sans doute ce que leurs parents disent à la maison. Dans ces conditions, il serait stupide de se fâcher. On se contente d’expliquer brièvement (parce qu’on a autre chose à faire) que derrière une heure de cours, il y a parfois plusieurs heures de préparation. Les enseignants sont globalement détestés par nos compatriotes. Par la droite, d’abord : les 25 à 30 % d’électeurs de Nicolas Sarkozy sont très majoritairement hostiles aux enseignants. A l’extrême droite, nous ne sommes guère populaires non plus, même si le discours du FN sur les professeurs a changé. Toute une partie de la gauche ne nous apprécie pas non plus, contrairement à ce que l’on pourrait penser et bien que la profession soit traditionnellement marquée à gauche. Au total, je dirais que 60 à 70 % des Français, disons les deux tiers, n’aiment pas les « profs ». Reste un tiers dans lequel on trouve les enseignants eux-mêmes bien sûr, des proches compréhensifs (mais tous ne le sont pas, le mépris de la profession est développé jusque dans les familles de certains d’entre nous) et une partie de la population qui conserve un certain respect et une certaine estime pour l’école et ses enseignants. Mais ce qui était jadis la règle, notamment dans les années 50, alors que les professeurs certifiés, déjà, ne travaillaient « que 18 heures », est devenu l’exception. Plus grave, le sommet de l’Etat, c’est-à-dire nos supérieurs, Président de la République, Ministre de l’Education Nationale, nous calomnie. Les hauts fonctionnaires de notre institution, recteurs et même parfois simples chefs d’établissement (qui peuvent être pourtant d’anciens professeurs) nous méprisent parfois ouvertement. Je sais que beaucoup de mes collègues vivent mal tout cela. Moi, je m’en fiche. En tant que fonctionnaire et défenseur de la République sociale, je suis un « socialiste » (voire un communiste) pour une bonne partie de la droite. En tant que nationaliste et amoureux de la France, je passe pour un « facho », raciste, xénophobe, nazi (« nationaliste social », ça ressemble à « national-socialiste » comme me l’a fait remarquer un commentateur intelligent), pétainiste, etc. aux yeux d’une bonne partie de la gauche. L’hostilité des autres à mon égard ne me fait pas peur. C’est même stimulant, et parfois jouissif. Il faudra que je consulte…
Il y a mille et une raisons de détester les enseignants. Pour la droite, nous « votons mal »… puisque, globalement, nous ne votons pas pour eux. Nous coûtons cher, très cher, trop cher à la nation. Nous formons les gros bataillons de la « bureaucratie pléthorique » jadis cible prisée de Jean-Marie Le Pen. Pour une certaine gauche, nous avons sciemment bloqué l’ascenseur social pour empêcher les fils d’ouvriers de monter et naturellement garder les bonnes places pour nos propres rejetons. Dans certains quartiers cosmopolites, nous incarnons la République française qui est considérée comme un état étranger, colonialiste et raciste. D’autres pensent que nous sommes tous gauchistes (des personnes ont voté pour cette proposition dans le sondage que je proposais, je ne sais pas s’ils ont lu ce blog…) ou que nous représentons l’archétype du bobo bien-pensant. A propos, je me permets de faire une annonce : l’Education Nationale va bientôt avoir besoin de personnel précaire, des vacataires contractuels. Elle en a déjà besoin. Tous ceux qui considèrent que ce métier est une sinécure sont invités à postuler. Naturellement, comme n’importe qui peut être enseignant, au pied levé, ces gens ne devront attendre ni aide ni compassion de la part des « titulaires privilégiés » dont je suis. Je dirais que la moitié de ces gens, peut-être plus, abandonnera au bout d’un trimestre. Et pour cause : l’enseignement est une profession darwiniste. Seuls les plus solides moralement et les plus astucieux survivent. Les autres… abandonnent s’ils sont sages, ou sombrent dans la dépression s’ils persévèrent. Une classe en collège, c’est plus qu’un auditoire, c’est un tribunal. Si le professeur est reconnu coupable de faiblesse, sa condamnation est immédiate et sans appel. Et croyez bien que les adolescents appliquent la sentence sans aucune mansuétude…
Toutes ces raisons de détester les enseignants sont vraies… du moins partiellement. En effet, nous avons un peu de mal à voter pour l’UMP. Sans doute ne sommes-nous pas assez masochistes. Cela étant, qui reproche aux militaires et aux CRS d’être un peu réticents à l’idée de voter pour le NPA ? Une profession renâcle toujours à soutenir un discours qui l’accuse de mille travers, et ce même si certains travers existent. Si demain, je fais campagne en expliquant que les agriculteurs sont de sales pollueurs qui vivent pour l’essentiel de subventions, il est peu probable que la majorité des agriculteurs vote pour moi. Et pourtant, il y a des agriculteurs qui polluent, et il y en a qui reçoivent beaucoup de subventions. Mais pas tous, loin de là. L’Education Nationale coûte très cher à la nation, c’est vrai. Mais elle lui rapporte aussi : elle forme de futurs citoyens et de futurs travailleurs (du moins elle essaie). Elle prépare l’avenir du pays. Alors bien sûr, certains expliquent que les professeurs, depuis mai 68, ont cédé aux sirènes de théories pédagogiques désastreuses, qui, en dépit de leur démagogie apparente, confortent au final les inégalités sociales, voire les renforcent. Je ne veux pas nier que le corps enseignant, collectivement, a sa part de responsabilité. Mais il ne faudrait pas oublier que nous sommes en bas de la chaîne : ce n’est pas nous qui élaborons les programmes, ce n’est pas nous qui décidons des objectifs. L’obsession de la traite négrière et de l’ouverture aux cultures exotiques (au détriment de l’histoire nationale) qui imprègne les nouveaux programmes de collège ne fait pas l’unanimité dans les rangs des professeurs. Mais nous restons quand même des exécutants, tenus d’appliquer les directives ministérielles. Un mot des gauchistes : il y en a, c’est vrai, dans l’Education Nationale. Comme ils sont bruyants et se posent volontiers en porte-parole de la profession (alors que la majorité des collègues ne leur a rien demandé), certains s’imaginent qu’ils sont représentatifs. C’est faux. Les syndicats enseignants ne nous donnent pas non plus une bonne image. Quand je lis la revue du SNES-FSU, je me dis qu’effectivement il y a des raisons de détester les profs. Mais il faut aussi regarder le pourcentage de syndiqués ou encore celui de grévistes. Il est souvent éloquent. Enfin, des bobos adeptes du discours écolo-diversitaire, on en trouve aussi dans l’Education Nationale. Personnellement, ce sont ceux que je supporte le moins : toujours à baver un moralisme arrogant, à faire la leçon sur « notre planète qui est malade », à jouer les effarouchés dès qu’ils décèlent parmi leurs élèves une certaine hostilité envers les immigrés. Surtout, ce sont sans doute ceux dont le mode de vie est le moins en accord avec les idées : ils ont en général de belles voitures qui polluent, ils prennent l’avion pour aller « découvrir l’Autre », ils vivent dans les quartiers tranquilles de centre-ville ou de banlieue pavillonnaire, et ils enseignent rarement dans les ZUP (Zone d’Education Prioritaire, comprenez : les quartiers chauds) tout en veillant à ce que leurs propres enfants fréquentent des établissements où les basanés (qu’ils aiment tant par ailleurs) sont peu nombreux. Ajoutez à cela qu’ils sont les premiers à se plaindre du laxisme lorsque les « incivilités » commencent à les importuner eux…
L’erreur serait de généraliser. Parmi plus de 800 000 enseignants, la vérité est qu’il y a de tout : des communistes, des gauchistes, des bobos, des patriotes, des conservateurs, des réactionnaires, des xénophobes, des catholiques, des athées, des bouddhistes, etc. Il y a aussi beaucoup de femmes qui sont politiquement assez tièdes, c’est-à-dire sans conviction vraiment affirmée. Politiquement, disons que le centre mou et la gauche modérée dominent, mais de manière moins écrasante qu’autrefois. Et il y a des minorités de gauchistes et d’écologistes assez militants.
La circulaire du 1er décembre 1950, en théorie et en pratique
Les obligations de service des professeurs du secondaire sont définies par la fameuse circulaire de 1950, à laquelle Nicolas Sarkozy a fait référence, alors qu’il ne l’a manifestement pas lue, pas plus que ses conseillers, M. Henri Guaino, le patriote au service du fossoyeur de la France, ou M. Patrick Buisson, ancien proche du FN (2). En effet, ladite circulaire ne définit pas le « temps de travail » d’un enseignant du secondaire, mais le « temps de service » réglementaire, effectué en classe, devant les élèves. Or le temps passé devant les élèves n’est qu’une partie du travail de l’enseignant. Près de la moitié (et souvent plus) des tâches se passent en dehors des heures de cours, et une bonne partie du travail se déroule chez soi. Les enseignants ont en fait été les premiers à pratiquer le « télétravail ». Dans notre profession, cela représente une part importante de notre besogne.
Les rédacteurs de la circulaire de 1950 (à une époque où les 35h n’existaient pas) n’avaient pas du tout pour objectif de créer une classe de privilégiés paresseux, simplement ils étaient nettement plus au courant du travail d’enseignement que Nicola Sarkozy, ses conseillers, ou encore Ségolène Royal : ils savaient, eux, qu’une bonne partie du travail se fait hors cours, qu’un cours, ça se prépare, que les copies, ça se corrige. Procédons à un rapide calcul : disons que la préparation d’une heure de cours réclame une heure de travail. C’est raisonnable. Les premières années, c’est une heure et demie, parfois plus. Ensuite, on gagne en maîtrise, l’expérience aidant. 18 heures de cours équivalent donc en moyenne à 18 heures de préparation, soit 36 heures de travail hebdomadaire. Mais ce n’est pas tout : il faut corriger les copies. En collège, les chapitres sont, dans ma matière, assez courts : trois à quatre heures. Cela représente une semaine à une semaine et demi, puisque l’horaire est de trois heures d’histoire-géographie (et éducation civique) par semaine, trois heures et demi pour les troisièmes. Par conséquent, une semaine sur deux en moyenne, je donne un devoir ou une activité ramassée et notée. A 18 heures, un certifié a six classes, et avec un paquet de copies une semaine sur deux par classe, cela représente une moyenne de trois paquets de copies par semaine. Un paquet de 25 copies de sixième se corrige assez rapidement : en général, en une heure c’est fait. Il faut compter une heure et demie pour des troisièmes ou des quatrièmes (quoique… c’est parfois bien léger, à mon grand regret). On arrive à 3-4 heures de correction hebdomadaire. A noter qu’en lycée, c’est beaucoup plus long d’une part, et que d’autre part, la hausse des effectifs a un impact sur le temps de travail hors cours des enseignants : 22 copies ou 30 à corriger, ce n’est pas la même chose. 36 + 4 = 40. Nous arrivons à une moyenne de 40h de travail hebdomadaire. C’est un peu différent de ce que M. Sarkozy a déclaré au micro de M. Bourdin… Naturellement, ceci est une moyenne, car une séquence (soit plusieurs heures de cours) se prépare d’un trait. Il y aura des semaines où je ne devrai corriger qu’un ou deux paquets de copies, d’autres où il y en aura cinq. 40h en moyenne, cela signifie des semaines à 30h, d’autres à 50.
D’autre part, le travail de l’enseignant n’est pas régulièrement réparti sur l’année, car nous avons les vacances, bien sûr. En période de vacances, les enseignants « ne font pas rien » comme le pensent les ignares, mais il est bien évident que le rythme de travail est nettement moins soutenu. Mais je tiens à dire que mes lectures de vacances en rapport avec ma matière, la visite de monuments, de musées, eh bien tout cela fait aussi partie de mon métier. Parce que, c’est vrai, les enseignants ont un avantage par rapport à tous les minables qui les jalousent : nous avons, nous, un boulot intéressant, stimulant intellectuellement. Mais c’est un métier nerveusement fatigant. Passer près de 20h par semaine devant des classes de 25 à 30 élèves, dont beaucoup sont mal élevés, il faut le dire, à essayer de capter leur attention, à faire la police, à les contenir tout en répondant à leurs questions (et ils en ont !), c’est éreintant, je le dis franchement. Demandez donc à un chanteur comment il se sent après trois heures de concerts, ou à un comédien après une représentation. Chaque heure de cours est une petite pièce de théâtre à jouer, seul, face à un public exigeant… et impitoyable si le comédien n’est pas à la hauteur. Nous sommes debout, nous devons parler fort (surtout quand ça bavarde…), et être sans cesse aux aguets. Faites cela quatre ou cinq heures par jour pour voir. Contrairement à une idée reçue, le travail d’enseignant est assez physique. C’est autre chose que les planqués qui ont leur petit derrière confortablement assis sur une chaise derrière leur bureau, et qui ont le temps, sur Orange ou sur le Figaro.fr, de baver à longueur de journée sur les fonctionnaires en général, et sur les enseignants en particulier.
40h de travail hebdomadaire pour un certifié effectuant son service réglementaire de 18h de cours. Mais il faut bien comprendre que rares sont les professeurs qui font uniquement leur service réglementaire. Les heures supplémentaires se multiplient depuis quelques années, et il devient très difficile de refuser, même au-delà de l’heure sup obligatoire. De fait, beaucoup de certifiés effectuent un service de 20h de cours, voire plus. Les 40h ne prennent pas non plus en compte la charge de professeur principal, qui concerne beaucoup d’entre nous. Plusieurs situations sont possibles : une classe qui ne pose pas de problème particulier, pas trop de parents à rencontrer, bon, la charge de travail supplémentaire n’a rien de rebutant. Mais pour certains professeurs principaux, si la classe pose problème, si c’est une classe de troisième, pour laquelle les responsabilités sont importantes (le stage en entreprise, l’orientation, la validation B2i et du socle commun en général), le surplus de travail n’est pas négligeable. Il faut multiplier les heures de vie de classe, il faut rencontrer les parents, etc. Ainsi, certains collègues de mon établissement, en ce moment, font plus de sept heures supplémentaires, du fait des réunions, de la préparation de l’histoire des arts, des conseils de discipline, commission éducatives, etc… Un autre collègue s’occupe du réseau informatique, ce qui lui demande 5 à 10 heures supplémentaires chaque semaine, dont une petite partie seulement est payée. Et les chefs d’établissement comptent de plus en plus sur le bénévolat. Récemment, il a été demandé à certains collègues de donner du temps pour développer le site internet de l’établissement. C’est une tâche prenante. Au cours de la réunion, la question est posée : « quid de la rémunération ? ». Réponse : « on verra en fin d’années avec les moyens qui restent ». Il n’étonnera personne que les professeurs hésitent à s’engager dans ce type de « projet »…
40h de travail hebdomadaire, c’est sans compter aussi les réunions, qui se multiplient ces derniers temps. Certains chefs d’établissement ont la « réunionite ». Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire de réunion, mais quand on en arrive à pratiquement une réunion par semaine, ça fait beaucoup, d’autant que souvent ça ne sert à rien. Une ou deux heures de plus, par-ci par-là. Les enseignants sont également invités à travailler en concertation. Ce n’est pas une mauvaise idée, loin de là. Mais il faut prendre le temps. Et une ou deux heures par-ci par-là. Alors bien sûr, prises séparément, ces obligations ne paraissent pas très lourdes. Mais quand on les met bout-à-bout… Alors, c’est vrai, il y a des paresseux, des enseignants peu consciencieux. Mais globalement, pour observer la réalité sur le terrain depuis quelques années, je peux vous dire que, pour des fainéants, c’est dingue ce que les profs bossent. Je ne prétends pas faire partie des plus zélés et des plus investis, mais en faisant consciencieusement mon travail, j’ai largement de quoi occuper mes semaines, soirées et week-ends compris. Par conséquent, je ne vois pas bien pourquoi je serais un « privilégié ».
La préparation des cours : un travail à part entière
Le temps passé devant les élèves et la correction des copies ne soulèvent pas de contestation dans la population. En revanche, le travail de préparation des cours donnent lieu, d’après ce que je lis ici ou là, à toutes formes de fantasmes. Il est temps de rétablir un minimum de vérité, et de tordre le coup à quelques idées reçues. Allons-y gaiement.
Première idée reçue : Les professeurs trouvent leurs cours sur internet.
C’est faux. Beaucoup de professeurs mettent leurs cours sur internet, c’est vrai, pour aider éventuellement un collègue en mal d’inspiration. Mais il faut savoir qu’il est très difficile de se sentir à l’aise avec un cours que l’on n’a pas conçu soi-même. De plus, le monde enseignant est plutôt individualiste, et si cela génère certaines faiblesses, il y a aussi un avantage : chacun fait l’effort d’aborder son métier avec originalité. Si un professeur veut trouver le cours idéal sur internet, il lui faudra sans doute le chercher pendant des heures… Il est en fait plus rapide de bâtir sa propre séquence !
Deuxième idée reçue : Un professeur prépare ses cours les premières années, puis se contentent de les reprendre ensuite.
C’est faux la plupart du temps. D’abord, lorsqu’un changement de programme survient, il faut tout refaire. Comme le premier jet est rarement le bon, il est nécessaire de reprendre les cours pendant les deux ou trois années qui suivent. Une fois qu’on est rodé, il arrive fréquemment (c’est mon cas, et je ne suis pas le seul) d’avoir envie de changer une étude de cas ou la structure d’un cours. En géographie et en éducation civique, nous essayons souvent de coller au plus près de l’actualité. Par exemple, en sixième, au moment des jeux olympiques de Vancouver, avec un autre collègue, nous avions choisi d’étudier cette ville en géographie urbaine. Pour la géographie des risques en cinquième, nous avons utilisé Haïti au moment du tremblement de terre, puis Fukushima l’année dernière. A chaque fois, il faut reprendre la séquence, trouver les documents. Et c’est tant mieux, parce que cela rend notre travail passionnant. Il faut ajouter que nous sommes amenés, en cette époque de progrès technologique inouï, à intégrer sans cesse de nouveaux outils dans notre enseignement. Un exemple ? Depuis l’année dernière, je me suis mis au vidéoprojecteur : il m’a fallu refaire tous les cours en diaporama, en modifiant ici ou là quelques éléments, en rajoutant des illustrations, des documents.
Troisième idée reçue : Les professeurs n’ont pas grand-chose à faire, tout est préparé dans les manuels.
C’est généralement faux. D’abord, beaucoup de manuels sont mal faits, non point à cause de leurs concepteurs (qui sont des enseignants souvent compétents) mais parce qu’ils sont faits dans l’urgence. Depuis que j’enseigne, je n’ai jamais repris tel quel le cours d’un manuel. En revanche, il m’arrive de reprendre le plan du cours, ou plus fréquemment une activité trouvée dans un manuel. Mais, trois fois sur quatre, je conçois ma propre activité. Un exemple ? Cette année, en sixième, j’avais envie d’étudier une nouvelle ville américaine. La plupart des manuels me proposait Chicago. Moi, j’avais envie de travailler sur Los Angeles, parce que… Parce que j’avais envie, c’est tout (oui, c’est un métier où le désir a sa place). Eh bien, je crée moi-même mon activité. D’abord, je relis le programme (ce qui est rapide), puis je consulte les accompagnements du programme sur le site Eduscol (ce qui est un peu plus long, vu qu’ils doivent être rédigés par des universitaires). Ensuite, je liste les documents dont j’ai besoin : une ou deux photographies de paysage urbain, un tableau ou un graphique, un ou deux textes, car il faut varier le type de documents, tout en évitant d’en proposer plus de quatre ou cinq. Cela ne se fait pas en un claquement de doigt. Ensuite, il faut rédiger le questionnaire. Cela paraît anodin, et pourtant ! Tout en prenant en compte les compétences du socle commun, il faut adapter chaque question au niveau des élèves. Pour des sixièmes, on évitera les questions trop longues ou les mots trop complexes, tout en essayant d’être précis… Pas toujours facile. Mais ce métier est une école de rigueur. A l’arrivée, j’ai passé près de deux heures pour concevoir une activité que mes meilleurs élèves auront terminée en quarante minutes. C’est peut-être difficile à croire, c’est pourtant la réalité.
Quatrième idée reçue : Les professeurs ne font rien durant les vacances, et en plus ils sont payés !
Vrai et faux. Notre métier étant ce qu’il est, il arrive en effet que les débuts de vacances soient très « cools », on oublie un peu le boulot. C’est nécessaire. Mais une partie des vacances est consacrée à la correction de copies et à la préparation de cours. Certains collègues travaillent une partie des vacances d’été, j’avoue que ce n’est pas mon cas. Oui l’été, pendant plusieurs semaines, je ne touche pas un manuel. Je préfère attendre la rentrée, me retrouver dans le bain, avec le stress qui motive (car le stress n’a pas seulement un impact négatif). Nous sommes payés durant les vacances et c’est bien normal : comme le reste du temps, nous travaillons en moyenne plus qu’un salarié normal aux 35h, les vacances compensent simplement ce surplus de travail pendant les semaines ouvrables. Si ça choque certains, on ne peut y voir qu’un fond de jalousie, en tout état de cause, il n’y a rien d’injuste. De plus, comme je l’ai dit (mais les gens qui détestent les profs ont la tête dure), durant les vacances, nous lisons, nous visitons, bref nous apprenons, et tout cela nous sert ensuite, d’une manière ou d’une autre dans notre enseignement. Tel château servira d’exemple sur le Moyen Âge, tel musée fournira des anecdotes ou des informations qui seront exploitées en classe… Le problème des ignares et des envieux, c’est qu’ils ont une vision très réductrice de notre métier. Tenez, pas plus tard qu’hier, je voyais Titanic en 3D (une 3D nulle, mais passons) au cinéma et je me disais : magnifique ce film pour résumer l’âge industriel ! On voit au début les machines à vapeur, le travail difficile des machinistes, l’organisation rationnelle du travail pour faire fonctionner le bateau. En même temps, on a un aperçu de la société industrielle : les riches bourgeois dans les salons dorés, picolant du brandy en fumant des cigares, tandis que les prolos s’entassent au troisième pont, dans la promiscuité et avec les rats. Eh oui ! Au cinéma, avec mes lunettes 3D sur le nez, j’étais en train de penser à l’éventuelle utilisation d’extraits de Titanic pour mon cours…
Conclusion
Pourquoi cet article ? Certainement pas pour me plaindre. Ou plutôt pas pour me plaindre de ce qu’on pourrait penser. Contrairement à beaucoup de métiers, l’enseignement présente des avantages incomparables : une certaine liberté pédagogique, des tâches intellectuellement stimulantes, un travail souvent passionnant, des moments étonnants passés avec les élèves, l’avenir de notre nation. Oui, c’est un beau métier, et c’est une noble mission qui nous est confiée. Personnellement, j’apprécie ce que je fais. Il y a aussi les vacances, qui ne sont pas désagréables, je ne le nie pas. Je pense que les qualités du métier génèrent une certaine jalousie chez des gens de toute qualification, contraints à des tâches répétitives et abêtissantes. Je les invite à passer les concours s’ils veulent rompre avec leur vie ennuyeuse, au lieu de casser du sucre sur le dos des enseignants, attitude mesquine.
Ce qui est un peu gênant (mais, je le répète, ça ne m’empêche pas de dormir), c’est le manque de considération dont nous faisons l’objet, manque de considération qui engendre la démotivation. Les « privilèges » n’ont rien à voir. Nous n’avons aucun privilège, juste des avantages en tant que fonctionnaires d’Etat représentant la République française. Notre travail s’organise différemment, voilà tout. Faire l’objet de tant de critiques, de mépris, de haine même, finit par affecter des membres du corps enseignant. Parfois, moi-même, je me dis : eh bien, après tout, pourquoi ne pas ressembler à la caricature qu’on fait de nous ? Pourquoi se décarcasser si c’est pour être traité de paresseux ? D’autres, je pense, font ce raisonnement. A cela s’ajoute le refus d’apprendre des élèves, et le rejet de l’école par les parents. Quand vous avez bossé trois heures sur une activité, en tâchant de la rendre intéressante, pour vous entendre dire : « mais Monsieur, ça sert à rien », le tout accompagné de soupirs, vous vous interrogez. Quand, devant vous, un parent félicite son enfant pour avoir sept de moyenne (sur vingt) ce trimestre, au prétexte qu’il avait six l’année d’avant, vous vous interrogez. Et vous finissez par vous dire : est-ce que j’ai vraiment envie de travailler une bonne partie de mes week-ends pour ces gens-là ? Ces gens-là qui, rappelons-le, nous mettrons l’échec de leur petit chéri sur le dos. Le mépris de la connaissance, de la transmission, de l’école est répandu dans la société, et malheureusement nos dirigeants donnent souvent le mauvais exemple. Ce que beaucoup de professeurs voudraient, c’est simplement un peu de reconnaissance. Un « merci, Monsieur » ou « merci, Madame » après une sortie scolaire (qui en général a demandé des heures de préparation, fixer les créneaux horaires, appeler le transporteur,…). Un peu de gratitude pour les profs de langue qui organisent les échanges linguistiques. Au lieu de cela, vous avez droit à un de vos élèves qui vole la famille d’accueil… Les collègues se lassent et je les comprends. Elèves et parents s’imaginent que tout leur est dû. Il est temps que ça change.
Je suis un peu fatigué d’entendre que les professeurs sont surpayés. J’ai quelques années de métier et, hors heures supplémentaires, je touche autour de 1700 € mensuel. C’est très convenable, et je ne me plains pas. Par ailleurs, je ne vois pas l’intérêt de gagner plus si je n’ai même plus le temps de profiter de ce que je gagne. Il y a des gens qui vivent pour travailler, moi je travaille pour vivre. Je ne souhaite pas gagner plus, et je ne veux pas travailler plus. J’estime que je bosse suffisamment pour le salaire que je touche. J’ai des loisirs peu coûteux. 1700 €, ce n’est pas exceptionnel quand on sait que les sénateurs, en plus de leur indemnité parlementaire et frais divers, touchent une « prime informatique » mensuelle de 1000 € pour « s’équiper en matériel informatique ». 12 000 € par an pour s’équiper d’un ordinateur (allez, un deuxième pour le proche collaborateur) et payer l’abonnement internet ! On se fiche de qui ? Où sont-ils les vrais privilégiés ? Alors quand on vient me dire que nos salaires sont abusifs… Les gens de droite ne se plaignent jamais des primes qui sont versés aux militaires et CRS lorsqu’ils sont, les uns à l’étranger, les autres en déplacement. Pourtant, ils ne font jamais que le métier pour lequel on les a embauchés… Etrangement, le Français de droite anti-enseignant a le gaspillage sélectif. Mais, si j’étais aussi bête, je pourrais dire qu’être gardien de la paix, ce n’est pas très dur dans certains quartiers, hein, ils n’ont qu’à se promener en uniforme, de jour, dans des quartiers tranquilles, ou patrouiller en voiture en attendant la fin du service. Toute profession, avec de la mauvaise foi, peut-être caricaturée. Pourquoi la mienne plus que les autres ?
Il ne serait pas honnête de nous exonérer d’une part de responsabilité dans les difficultés de l’institution scolaire. Il est tout autant malhonnête de nous imputer toutes les failles du système. Je l’ai dit, la transmission n’est plus une valeur dans la société française, aujourd’hui. Elle va le redevenir, c’est probable, parce qu’on est en train de s’apercevoir que, sans transmission, une société se casse la figure. Et les Français sont suffisamment intelligents pour s’en rendre compte. Mais le mal est grand et bien enraciné. Il va falloir du temps pour reconstruire une école respectée, qui instruit et qui exige, au lieu d’une école méprisée, qui édulcore et qui habitue à l’assistanat. Vaste chantier. Il est dommage que la droite soi-disant « républicaine », au lieu de rétablir l’autorité (comme le Président s’y était engagé), ait persisté dans la démagogie. Il est dommage qu’elle prétexte les ennuis financiers du pays pour dégrader les conditions de travail des professeurs. Enfin, il est dommage que la droite s’en prenne systématiquement aux enseignants pour mobiliser son électorat. Le mépris de l’institution scolaire s’explique aussi parce que nos dirigeants montent nos concitoyens contre les professeurs… Mais il faut apparemment être plus subtil que Nicolas Sarkozy et ses conseillers pour le comprendre.
(1) La vidéo n’est plus disponible sur le site de BFM.tv. Etrangement, je ne la trouve pas sur Dailymotion, ni sur Youtube. Si quelqu’un la retrouve et qu’il peut me communiquer le lien. Il faut écouter à partir de 14:00.
Merci au commentateur totor qui a retrouvé la vidéo, disponible en cliquant ici.
(2) Je le dis parce que, dans un ouvrage, Nathalie Kosciuszko-Morizet nous explique que la droite républicaine « n’a rien à voir » avec l’extrême droite. Outre qu’elle se garde bien d’évoquer les parcours de MM. Longuet, Goasguen, Devedjian, Novelli et quelques autres, la réalité est un peu plus compliquée que ce que « NKM », avec son sourire de bonne Samaritaine, veut nous faire croire. Comme souvent à droite (mais pas seulement), les politiciens nous prennent vraiment pour des imbéciles…