Nationaliste Social et Ethniciste

Nationaliste Social et Ethniciste

Le Levant s'embrase

"Et pendant ce temps-là, la guerre continue au Proche-Orient" pourrait-on écrire à la fin de chaque article. Ainsi, après avoir écrasé Gaza sous les bombes - sans libérer beaucoup d'otages ni détruire le Hamas - Israël a eu semble-t-il plus de réussite en s'attaquant au Hezbollah chiite pro-iranien selon la formule consacrée. Le commandement du mouvement chiite libanais a été décapité, et même son chef suprême, Hassan Nasrallah lui-même, a été pulvérisé par les bombes de Tsahal. C'est d'ailleurs un peu étrange: l'attaque du 7 octobre 2023 a été menée par le Hamas et des groupes palestiniens alliés, notamment le Jihad islamique et le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) d'obédience marxiste. Certes, le Hezbollah avait aussitôt proclamé sa solidarité avec le Hamas et les Palestiniens de Gaza, on aurait d'ailleurs été surpris du contraire... mais force est de constater que le "Parti de Dieu" libanais a mollement soutenu son allié sunnite. Il ne s'agit pas de minimiser le danger que représentent les roquettes tirées sur le nord d'Israël, mais tous les spécialistes, en tout cas ceux que j'ai entendus, s'accordent à dire que le Hezbollah s'est bien gardé d'utiliser ses armements les plus dangereux. Et pourtant, depuis les 17 et 18 septembre (explosion des bipeurs et talkies-walkies de membres du Hezbollah), l'armée israélienne s'acharne avec une rare violence sur la milice chiite libanaise. Vous me direz, Nasrallah et ses partisans sont loin d'être des enfants de choeur, et c'est vrai. Il est néanmoins surprenant que le Hezbollah, qui ne semble pas avoir pris part aux événements du 7 octobre 2023 - on se demande même s'il était au courant des intentions du Hamas - fasse l'objet d'une telle offensive. Beaucoup de gens se réjouissent, peut-être un peu vite, du déchaînement de violence auquel se livre Israël et son armée, une violence, je le dis comme je le pense, qui surpasse largement, par les pertes et les destructions qu'elle occasionne, celle subie par l'Etat hébreu le 7 octobre 2024. Dans cet article, à nouveau, je vais aller à l'encontre du discours dominant dans une bonne partie de la droite et de l'extrême droite, particulièrement dans les milieux nationalistes et identitaires, qu'ils soient plutôt lepénistes ou zemmouriens, où, pourvu que des Arabes musulmans meurent, on considère qu'il y a matière à soutenir Israël et "son droit légitime à se défendre". 

 

Le 7 octobre 2023 et ses conséquences

Rappelons brièvement les faits: au cours d'une incursion aussi brève que sanglante, les combattants du Hamas et d'autres groupes armés palestiniens venus de la bande de Gaza sèment la terreur, tuant près de 1200 Israéliens et prenant 250 otages. Emoi et stupeur en Israël devant cet acte terroriste, ce carnage sans précédent. L'Etat hébreu, face à une telle attaque - et à la faillite de son système de renseignement - ne pouvait faire autrement que de riposter. Cela n'empêche pas que j'entends des sottises répétées comme des vérités depuis presque un an. D'abord, l'utilisation du mot "pogrom" me paraît abusive et je m'étonne que des gens si attentifs au bon usage des mots, comme Alain Finkielkraut, se soient laissés aveugler par l'émotion au point de reprendre ce terme. Eh bien non, ce qui s'est passé le 7 octobre 2023 n'est pas un pogrom. Rappelons que les pogroms désignent les flambées de violence antisémites tristement courantes en Europe orientale, particulièrement dans l'Empire russe, au XIX° et au début du XX° siècle. Ces violences étaient le fait d'une population majoritaire, non-juive (et généralement chrétienne), qui s'en prenait à la minorité juive considérée comme un bouc émissaire commode. Il y a eu, dans la Palestine mandataire des années 20 et 30, des violences comparables à des pogroms, à une époque où l'Etat d'Israël n'existait pas et où les juifs sionistes ne représentaient qu'une petite partie de la population locale. Mais je suis désolé, ce qui s'est produit le 7 octobre 2023 ne correspond nullement à ce schéma: dans ce cas, des Palestiniens ont pénétré sur le territoire israélien, c'est-à-dire sur un territoire où les juifs sont désormais majoritaires, pour y commettre des meurtres et des enlèvements. Oui, c'est un crime abominable, oui c'est un acte terroriste révoltant, mais non, ce n'est pas un "pogrom". Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde.

 

Ensuite, depuis le 7 octobre 2023, j'entends, comme un slogan mille fois rabâché mais jamais critiqué cette phrase: "Israël joue sa survie dans cette guerre". Je l'ai entendue il y a peu dans la bouche d'un journaliste qui s'adressait à Nicolas Sarkozy, lequel acquiesçait sans discuter. Comment peut-on à ce point perdre toute rationalité et s'abaisser à reprendre des formules toutes faites sans les interroger? Non, non et mille fois non, l'attaque terroriste - car moi je n'ai aucun problème à la qualifier ainsi - du 7 octobre 2023 n'a pas "mis en péril l'existence d'Israël". Dire cela, c'est faire de la mauvaise propagande. Ni le Hamas, ni le Hezbollah n'ont jamais eu les moyens de menacer l'existence de l'Etat hébreu. Cela ne veut pas dire qu'ils n'essaieraient pas de détruire Israël s'ils le pouvaient. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas les moyens de faire d'importants dégâts (le 7 octobre l'a montré justement). Mais de là à menacer l'existence d'Israël il y a un pas. Les attentats de Charlie, du Bataclan et de Nice, si terribles qu'ils aient été, n'ont pas menacé l'existence de la France en tant qu'Etat-nation. Si, demain, des groupes armés luxembourgeois pénétraient sur le sol français, tuaient mille ou deux mille Français et en enlevaient cinq cents autres avant de retourner au Luxembourg, ce serait terrible [1]. Notre pays serait frappé de stupeur. Mais cela ne suffirait pas à mettre en péril l'existence de la France comme Etat. Là encore, il faut se garder de ces expressions toutes faites, de ces facilités de langage, qui exemptent de chercher à penser la complexité du monde. Accessoirement, ce genre de propos reprend le "narratif" (on ne dit plus "propagande", terme un peu galvaudé, même si c'est de cela dont il s'agit en réalité) israélien et permet de justifier a priori tous les crimes et les actes terroristes menés par Tsahal. Parce que, dans cette affaire, l'armée israélienne ne se conduit pas beaucoup mieux que les terroristes qu'elle dit combattre, et la violence dont elle use excède largement la "riposte légitime".

 

En effet, Benyamin Netanyahou et son armée semblent confondre les verbes "se défendre" et "se venger". Vouloir se venger après les atrocités du 7 octobre 2023, c'est humain, c'est compréhensible. La colère, la rage, la haine même des Israéliens, je l'entends. Mais là, c'était à nous, pays d'Occident, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne de dire avec fermeté aux Israéliens que certaines choses ne seraient pas tolérées, que la riposte devrait être mesurée, proportionnée. Et nous avons été incapables d'arrêter le bras vengeur d'un Etat d'Israël rendu fou par le traumatisme. Face à cet échec, nous ne pouvons nous contenter de hausser les épaules: en ne faisant rien pour contenir la fureur vengeresse de l'Etat hébreu, nous nous retrouvons complices des crimes qu'il commet, en utilisant des armes que peut-être même nous lui avons vendues. Et tôt ou tard, cette attitude nous sera reprochée. L'histoire nous jugera. Le 7 octobre 2023, le Hamas a tué près de 1200 Israéliens. Aujourd'hui, à cette heure, plus de 41 000 Palestiniens ont été tués par des bombardements dans la bande de Gaza, près de deux millions de Palestiniens vivent au milieu des ruines, sans eau potable, sans électricité, avec trop peu de nourriture. Parler de "génocide" comme le font certains me paraît contestable, mais "crime de guerre" semble être une accusation recevable. Mais ni Netanyahou ni ses généraux ne comparaîtront jamais devant une Cour de justice internationale. Ils sont dans le camp du Bien. Au Liban, en quelques jours, 1 750 personnes ont péri dans les bombardements israéliens, et pas seulement des cadres du Hezbollah. Un million de Libanais ont dû abandonné leur foyer pour que 80 000 Israéliens puissent regagner le leur. Nos gouvernements, eux, regardent pudiquement ailleurs. De temps à autre retentit un vague appel à un cessez-le-feu ou à une "trêve humanitaire", mais plus personne n'y croit. Le problème est que dans cette affaire, la France et d'autres pays auraient pu faire quelque chose. Les Etats-Unis pourraient menacer de couper les subsides à l'Etat hébreu, mais ils ne le font pas. Et, insensiblement, ils vont se retrouver impliqués dans le conflit, avec des risques aux conséquences incalculables.

 

Pas de perspectives de paix: la faute à qui?

Voilà encore un argument qui devient lassant dans le "narratif" pro-israélien: l'idée selon laquelle Israël est entraîné dans un engrenage de violence faute d'interlocuteur crédible côté palestinien pour négocier une paix de compromis. Je suis désolé, mais cet argument est fallacieux. Pourquoi? Parce que l'Etat d'Israël a fait le nécessaire pour affaiblir et décrédibiliser les instances palestiniennes qui étaient disposées à négocier un accord. Le Fatah et l'Autorité palestinienne avaient renoncé au terrorisme et étaient prêts à discuter. Les Israéliens ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour miner l'autorité de Yasser Arafat puis de Mahmoud Abbas, afin de pouvoir dire ensuite: "on ne négocie pas avec ses gens-là qui ne représentent rien". Arafat et Abbas n'ont quasiment rien obtenu, à part des miettes: un contrôle territorial très limité, une organisation étatique à l'état larvaire, et surtout, jamais Israël n'a mis fin à la colonisation en Cisjordanie, jamais Israël n'a réellement pris de mesures pour démanteler les colonies existantes, colonies dont la présence contrevient au droit international et aux résolutions de l'ONU. Quand Pierre Lellouche, atlantiste et pro-israélien, explique qu'il y avait une résolution de l'ONU qui exigeait que le Hezbollah évacue le sud du Liban jusqu'au fleuve Litani, et qu'Israël a frappé parce que la milice chiite n'a pas respecté les décisions internationales, on ne sait s'il faut rire ou pleurer. Mais on serait tenté de rappeler à M. Lellouche que des résolutions de l'ONU condamnent la colonisation israélienne... Est-ce que le Hamas ou le Hezbollah ont le droit de frapper Israël au motif que l'Etat hébreu ne respecte pas les décisions internationales? Apparemment non. Les résolutions de l'ONU sont applicables quand elles vont dans le sens des intérêts d'Israël. Si ça n'est pas le cas, d'aucuns trouvent normal qu'elles restent lettre morte.

 

L'histoire des relations israélo-palestiniennes ne commence pas le 7 octobre 2023. Peut-être n'est-il pas inutile de revenir en arrière. Je passe sur la création de l'Etat d'Israël qui, pour réparer une injustice, en a engendré une nouvelle. En 2006, le Hamas remporte les élections palestiniennes face au Fatah. Ce résultat s'explique en partie par la politique israélienne qui a consisté à humilier l'Autorité palestinienne et à refuser toute concession pouvant laisser entrevoir la naissance d'un Etat palestinien. Ne voyant rien venir, les Palestiniens, las d'attendre, se tournent vers le Hamas, plus radical. Mahmoud Abbas demande logiquement à Ismaël Haniyeh, chef du Hamas (récemment assassiné en Iran), de former un gouvernement. Israël et les Etats-Unis font savoir qu'il n'est pas question de négocier avec une Autorité palestinienne dominée par le Hamas. On l'a oublié depuis, mais au moment où il gagne les élections et où il se trouve aux portes du pouvoir, le Hamas a été confronté à un dilemme: s'arcbouter sur ses principes (la destruction de l' "Etat sioniste") ou bien devenir réaliste (discuter avec les Israéliens). Et certaines déclarations à l'époque laissent à penser que les dirigeants du Hamas auraient été prêts à faire évoluer la ligne politique de leur mouvement. Etait-ce sincère? La suite des événements fait qu'on ne le saura jamais, Israël ayant fermé la porte à toute possible discussion au motif que le Hamas est un mouvement terroriste (ce que le Fatah a aussi été, mais passons). La situation est bloquée et évolue vers une quasi-guerre civile entre Hamas et Fatah. Tandis que le Hamas évince le Fatah de la bande de Gaza, le Fatah prend le contrôle de la Cisjordanie (enfin des parcelles qu'Israël a laissées aux mains de l'Autorité palestinienne). A ce moment, rappelons-le, Israël s'est frotté les mains: l'unité des Palestiniens ayant volé en éclat, il n'y a aucune raison de négocier quoi que ce soit avec qui que ce soit, puisque aucun mouvement n'est représentatif du peuple palestinien. Pas de concession, aucune raison d'arrêter l'implantation de colonies en Cisjordanie.

 

Jusqu'en octobre 2023, cette situation a parfaitement fait l'affaire des autorités israéliennes: à Ramallah, une Autorité palestinienne diminuée, aux mains d'un Fatah miné par la corruption, sans réelle légitimité et bien incapable de s'opposer à la multiplication des colonies en Cisjordanie; à Gaza, un Hamas tout-puissant, mais isolé, sous embargo, plus ou moins sous contrôle - du moins le croyait-on - avec des affrontements sporadiques qui permettent de justifier le développement et l'entretien d'un coûteux dispositif de sécurité côté israélien, et quelques campagnes de bombardement de temps à autre. Pendant ce temps-là, champagne et petits fours dans les ministères israéliens. Et comme buisness is buisness, Israël en profite pour "normaliser" ses relations avec un certain nombre de pays musulmans, le Maroc, les Emirats Arabes Unis, et peut-être même un beau jour l'Arabie Saoudite. Les Palestiniens? Après avoir été instrumentalisés pendant des décennies par les gouvernements arabes, ils n'intéressent plus personne. En Israël et ailleurs, on finit par adopter le célèbre raisonnement des Shadoks: "s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème". Seulement voilà, un beau matin, Israël s'est retrouvé pris au piège de l'apprenti-sorcier qui a contribué à créer un monstre: celui-ci a échappé à tout contrôle, et les massacres du 7 octobre 2023 se sont produits. Les rafales de kalachnikov et les hurlements des mourants ont noyé l'espoir de poursuivre paisiblement une ligne politique qui avait fini par considérer que les Palestiniens n'existaient pas.

 

Je pense que l'argument sur l'absence d'interlocuteur palestinien crédible est en réalité un prétexte. Aujourd'hui, Israël ne veut tout simplement pas la paix. Et cela se comprend: conclure une paix avec les Palestiniens, cela signifierait faire des concessions, démanteler des colonies, donner de réelles prérogatives sécuritaires et administratives à l'Autorité palestinienne. Et Israël n'en veut pas. L'Etat hébreu s'accommode fort bien du protectorat brutal qu'il exerce sur la Cisjordanie. Des colons extrémistes chassent des Arabes de chez eux, avec la bienveillance des autorités israéliennes, et dans une relative indifférence de la communauté internationale. Ils auraient bien tort de se priver! De temps à autre, on entend ici ou là un rescapé de la gauche israélienne qui fait part de sa consternation. Seulement il faut regarder la réalité en face: aujourd'hui, en Israël, les partisans d'une paix de compromis sont inaudibles, parce qu'une majorité de la société israélienne rejette la solution à deux états. Le Likoud de Netanyahou ne veut pas d'Etat palestinien. Ses alliés, Bezalel Smotrich (chef d'un parti sioniste religieux) et Itamar Ben-Gvir (dirigeant d'un parti religieux extrémiste) rêvent quant à eux de se débarrasser purement et simplement des Palestiniens. J'en profite pour rappeler que ces deux individus ont tenu des propos sur les Arabes (mais aussi sur les homosexuels) qui, dans certains pays comme la France, leur vaudraient des condamnations lourdes; des propos qui, pardon de le dire, feraient passer Jean-Marie le Pen pour un gentil plaisantin. D'ailleurs Ben-Gvir a été condamné dans son propre pays. Et pourtant, lui et Smotrich obtiennent des voix aux élections, et leurs partis ont des élus à la Knesset. Il faut bien conclure qu'une partie de la société israélienne partage leurs idées... Et qu'une autre partie, peut-être plus importante encore, ne voit pas d'inconvénient à ce que ces messieurs participent au gouvernement de l'Etat hébreu. Certains, en France et ailleurs, s'obstinent à voir les Israéliens comme de malheureux survivants tout juste sortis des camps de la mort du III° Reich. Mais les temps ont changé. Israël aujourd'hui est un pays sûr de sa force et convaincu que la violence est la solution. A force de se prendre pour David, Israël ne s'est pas rendu compte qu'il était devenu Goliath...    

 

Israël se bat-il vraiment pour nous?

Voilà un autre leitmotiv qu'on entend parfois et qui a le don de m'exaspérer: Israël mènerait une guerre de défense de l'Occident, en bref "Israël se bat pour nous" comme dirait Manuel Valls, qui espère peut-être accomplir enfin une belle carrière politique en Israël après ses échecs en France et en Espagne. C'est faux et archi-faux, et de ce point de vue je suis assez effaré du raisonnement simpliste que font certains, notamment parmi les nationalistes: "Nous avons un problème avec les musulmans en France. Israël tue des musulmans. Il faut donc soutenir Israël". Je le dis en toute franchise: je suis vent debout contre une telle vision des choses. Pour plusieurs raisons: d'abord, les Arabes musulmans que massacre l'Etat d'Israël ne sont pas les Arabes musulmans qui posent problème en France. Les nôtres viennent pour l'essentiel du Maghreb et ont un contentieux historique avec la France, ancienne puissance coloniale. Les Palestiniens n'ont aucune raison de nous en vouloir, et ils n'émigrent pas massivement chez nous. Ensuite, parmi les états musulmans qui représentent un réel danger pour la France, il faut citer la Turquie, l'Algérie ou certains états du Golfe qui ne se privent pas de faire de l'ingérence dans nos affaires. Est-ce qu'Israël bombarde la Turquie? L'Algérie? L'Arabie Saoudite? Non. Tsahal attaque la bande de Gaza et le Liban, deux territoires exsangues, dont la population est confrontée à des difficultés économiques et sociales très importantes, deux territoires qui ne représentent pas le moindre danger pour la France. Il faudrait rappeler d'ailleurs qu'Israël affronte des milices irrégulières, qui prospèrent du fait de la misère et du désespoir des populations, et non des armées régulières pouvant s'appuyer sur des Etats-nations solides.

 

Ensuite, il n'y a aucune raison, je dis bien aucune, de considérer Israël comme un état ami ou allié de la France. Depuis des années, l'Etat hébreu, et Netanyahou tout particulièrement, instrumentalise l'antisémitisme pour essayer de vider la France de ses juifs - la plus grosse communauté d'Europe - à son profit. Israël ne cesse d'exacerber le communautarisme ethnico-religieux des juifs de France, et de favoriser leur paranoïa. Israël ne cesse de faire du lobbying par le biais de ses agents, parfois même élus de la nation française, comme l'ex-député Meyer Habib que j'entends encore déclarer "il ne peut pas y avoir de colons juifs en Judée-Samarie". Quelqu'un peut-il expliquer à M. Habib que l'époque du roi Hérode est révolue? Que depuis des siècles, des musulmans et des chrétiens vivent, à côté des juifs, en "Judée-Samarie"? Le chantage à l'antisémitisme devient insupportable, comme l'arrogance et la prétention de certains partisans d'Israël. Révisionnisme historique assumé, culte de la violence, mépris de la vie humaine, sentiment de supériorité confinant au racisme, voilà les "valeurs" qui fondent de plus en plus le modèle israélien. Ah, il faut l'admettre, on est aux antipodes du petit blanc repentant qui est à la mode chez nous, mais enfin, est-ce qu'Israël ne sombre pas dans l'excès inverse? S'il faut défendre un pays aussi détestable au nom de la démocratie et de l'Occident, je le dis sans détour, ce sera sans moi. C'est d'ailleurs un point qui me semble particulièrement malsain: parmi les défenseurs de la cause israélienne, il y a parfois une forme d'admiration morbide pour l'usage décomplexé de la force et de la violence. On sent chez certains impuissants de chez nous une espèce de fascination devant la vigueur militaire - oserais-je dire la virilité - de l'Etat d'Israël. D'une certaine façon, Israël ose faire ce que nous autres n'avons pas le courage d'accomplir. Là encore, je dois dire que je m'inscris en faux contre ce discours. D'autant que, je le répète, Israël ne mène absolument pas "notre guerre" par procuration.

 

Certains, je le pressens, vont pointer chez moi d'apparentes incohérences: "Comment? Voilà plus de quinze ans que, sur ce blog, vous dénoncez avec virulence l'islamisation de la France, l'immigration maghrébine, turque et subsaharienne, les progrès des groupes islamistes qui ont réussi à imposer leur vision de l'islam dans les banlieues. Vous ne cessez de pointer la "tentation de la radicalisation" qui serait au coeur de l'évolution pluriséculaire de l'islam. Israël combat vaillamment le Hamas, filiale palestinienne des Frères musulmans, et le Hezbollah, émanation libanaise de l'idéologie islamiste des ayatollahs iraniens. Alors? Pourquoi ne pas applaudir aux coups que l'Etat hébreu porte aux intégristes de tout poil?". Je vais répondre à cela. D'abord, il me paraît très important de le souligner: Israël ne combat absolument pas l'islamisation de la France. Israël combat pour défendre ses intérêts et sa sécurité, et c'est bien normal. Le gouvernement israélien se fiche éperdument que les barbus contrôlent certaines banlieues françaises. Nous autres Français n'avons rien, strictement rien, à attendre d'Israël. Les succès israéliens n'auront aucun effet bénéfique pour nous. D'ailleurs, Israël ne combat pas l'islam et encore moins "l'islam radical" car, je le répète, l'Etat hébreu espère demain avoir des relations avec l'Arabie Saoudite, avec le Qatar, etc. Israël est obnubilé par l'Iran. Or l'Iran est un pays chiite. Et, personnellement, je pense qu'il est préférable de s'entendre avec les chiites qu'avec les sunnites. En effet, les chiites sont minoritaires dans le monde musulman, et ce sont eux qui ont le plus à craindre du développement de l'islam radical sunnite, or c'est ce dernier qui pose problème en France. De surcroît, le chiisme est doté d'un véritable clergé et forme un ensemble plus organisé, plus structuré, que le sunnisme. Pour ma part, je redoute moins l'Iran que la Turquie ou l'Arabie Saoudite qui, étant officiellement des "amies" de l'Occident, distillent en toute quiétude le poison de l'islamisme dans nos pays. D'autant que les pays occidentaux ont eu la bonne idée de chercher à détruire tous les régimes nationalistes de tendance laïque dans le monde arabe, à commencer par les états baathistes d'Irak et de Syrie, sur les décombres desquels prospèrent toutes sortes de mouvements extrémistes sunnites dont l'Etat Islamique (EI) ne fut que le plus emblématique.

 

Je n'ai bien sûr aucune tendresse pour le régime iranien. Mais je ne partage pas non plus l'hostilité fanatique dont l'Iran est l'objet. Je ne suis pas convaincu que les autorités iraniennes aient commandité les massacres du 7 octobre 2023. J'ai plutôt l'impression que l'Iran s'est retrouvé embarqué dans un conflit qu'il n'avait ni prévu, ni forcément souhaité [2]. La mort des dirigeants du Hezbollah lors des frappes israéliennes a mis l'Iran dans une situation intenable: ne pas répliquer, c'est perdre la face et toute crédibilité dans la région; répliquer, c'est s'exposer à des représailles encore plus dures (selon la méthode israélienne qui consiste à lancer des ripostes disproportionnées). Quand j'entends que l'Iran "prévient" les Etats-Unis avant de lancer des missiles sur Israël, je me dis quand même que les autorités de Téhéran ne manifestent pas une volonté débordante d'en découdre. Israël n'a pas ces égards: je doute que Nasrallah et ses lieutenants aient reçu un quelconque SMS les avertissant du largage imminent de centaines de kilos de bombe sur leurs positions... J'en profite d'ailleurs pour dire que je trouve cette méthode des "assassinats ciblés" exécrable. Ne soyons pas naïfs: tous les pays recourent à ce genre de procédés peu recommandables. Mais je trouve qu'Israël en abuse largement: tuer des scientifiques iraniens, par exemple, qui ne font que travailler selon les instructions de leur gouvernement me paraît éminemment discutable. Assassiner de manière répétée ses ennemis, sans vraiment se préoccuper du coût humain (les fameux "dommages collatéraux") des bombardements "ciblés" pose un réel problème... que personne ne veut voir. La "sécurité d'Israël" a bon dos, je trouve. Je suis désolé, mais Israël répond à la menace terroriste par une politique de terrorisme d'Etat. Et il convient de s'interroger sur l'efficacité de cette politique: a-t-elle permis à l'Etat hébreu de prévenir toutes les menaces? La réponse est non. A part semer la haine et le désir de vengeance, qu'a fait le Mossad? Si l'on était cohérent, le Mossad, au même titre que le Hamas et le Hezbollah, devrait être classé comme "organisation terroriste"... 

 

Je veux répondre également à ceux qui ne manqueront pas de me reprocher de "tenir le même discours que La France Insoumise (LFI)". L'honnêteté m'oblige à le dire: je n'aime pas la politique que mène depuis plus de deux décennies l'Etat d'Israël. Je n'aime pas le culte de la force, le goût de la violence et le mépris des ennemis qui irriguent la société israélienne. Je trouve détestable le fait d'instrumentaliser la Shoah pour déposséder de sa terre un peuple entier, comme de se poser en victime éternelle quand on commet autant d'injustices. Car si le Hamas est bel et bien une organisation islamiste et terroriste, cela n'excuse en rien les agissements de l'Etat hébreu qui tendent à pousser dans les bras des extrémistes une partie de la jeunesse palestinienne. Répondre à l'horreur en commettant des atrocités bien pires encore - mais sans images et avec peu de témoignages - n'est pas une solution. Au risque cependant de décevoir les fervents antisionistes, je ne souhaite aucunement la destruction d'Israël et encore moins du peuple israélien. Je dis simplement que faire de la bande de Gaza et de certaines enclaves de Cisjordanie des camps de concentration à ciel ouvert, ce n'est pas digne du peuple de Jacob, si longtemps persécuté. Et autant je comprends le désir d'avoir un chez-soi et d'y être en sécurité - d'où le fait que je ne conteste pas l'existence d'Israël - autant je suis révolté par le coût que les Israéliens exige des Palestiniens [3] pour une sécurité bien illusoire. Ma critique d'Israël n'a pas le même objectif que celle formulée par LFI. Les Insoumis sont dans une logique d'alliance politique avec des mouvements islamistes (ou proches de ceux-ci) et de récupération afin de courtiser l'électorat musulman des banlieues françaises. On ne pourra pas m'accuser d'en faire autant. Par contre, je suis sensible à la souffrance que peuvent ressentir les Palestiniens confrontés à la dépossession de leur terre et de leur identité. Bien sûr, je n'ai pas l'outrecuidance de prétendre me trouver dans la situation des Gazaouis. Mais la colonisation de la Cisjordanie, n'est-ce pas une forme de Grand Remplacement? 

 

Le Liban dans la tourmente

Je ne suis pas pour autant un militant de la cause palestinienne, et encore moins un soutien du Hamas. Je n'oublie pas que ce dernier, comme tous les mouvements islamistes, brime les chrétiens. On l'a oublié mais, il y a un siècle, environ 10 % de la population vivant en Palestine était chrétienne. Beaucoup de chrétiens ont émigré depuis. Mais surtout, la Palestine se trouvait sous mandat britannique après 1918, et les liens historiques de cette région avec la France sont ténus, à moins de remonter à l'époque des Croisades! Il en va tout autrement pour le Liban, qui est une création française. Rappelons brièvement l'histoire: au lendemain de la Première Guerre Mondiale, la France se voit attribuer par la Société des Nations (SDN) un mandat sur la Syrie, ancien territoire de l'Empire ottoman démantelé par les alliés. De la Syrie, la France "détache" le Liban pour en faire, non pas un état chrétien, mais un état à majorité chrétienne. Il n'y avait plus eu de pays majoritairement chrétien au Levant depuis la disparition du royaume arménien de Cilicie sous les coups des Ottomans en 1375. La France a depuis gardé des liens assez forts avec le Liban. Beaucoup de Libanais, notamment chrétiens, apprenaient et pratiquaient le français. Après la Seconde Guerre Mondiale, lorsque le Liban devint indépendant, on put croire que la France avait eu raison et le pays du Cèdre connut son époque de prospérité. Mais à partir de 1975, le Liban plongea dans une effroyable guerre civile. Si l'arrivée de réfugiés palestiniens a contribué à destabiliser le pays, il serait injuste de faire d'Israël le seul responsable de la crise. Le système communautaire libanais avait sans doute ses limites. Je ne me lancerai pas dans un résumé de la guerre civile libanaise, tant il est vrai que cet épisode donne raison à l'expression "l'Orient, c'est compliqué". Car ce conflit n'a pas opposé les chrétiens aux musulmans, mais différentes factions à l'intérieur desquelles pouvaient se rencontrer des gens de confession différente. Des meurtres et des atrocités ont été commis par toutes les parties, et les chrétiens y ont pris leur part, comme victimes et comme bourreaux.

 

Depuis la fin de la guerre civile, en 1990, le Liban est un état faible qui a longtemps vécu sous protectorat syrien. C'en est fait de la domination des chrétiens: ils ne représentent désormais qu'un peu plus de 30 % de la population et, il faut le rappeler, ils sont divisés en communautés parfois rivales (maronite, grecque-orthodoxe, melkite). En face, les musulmans, qui sont près de 60 % - en comptant les druzes - sont eux divisés entre sunnites et chiites. C'est au cours de la guerre civile qu'a émergé le Hezbollah, milice chiite fondée avec le soutien de l'Iran, trop heureux de trouver un relais pour son influence au Levant. L'incapacité des différentes communautés à s'entendre après le retrait syrien a pour ainsi dire favorisé l'ascension du Parti de Dieu. Face à un Etat libanais inefficace et une armée libanaise impuissante, le Hezbollah, dont Hassan Nasrallah prend la tête en 1992, devient un Etat dans l'Etat. Il est militairement plus puissant que les forces armées nationales. Ses députés pèsent lourd dans la politique du pays. La milice chiite, forte du soutien iranien, de la faiblesse du Liban, du charisme de son chef et de ses stocks de missiles, paraissait incontournable. Pourtant, en quelques jours, le Hezbollah a reçu des coups dont on peut se demander s'il pourra se relever. Les Israéliens ont réussi à décapiter l'organisation. Quelques jours après son état-major, Hassan Nasrallah lui-même, malgré d'infinies précautions - il se savait être une cible de l'Etat hébreu - a été pulvérisé à son quartier général. Il est certain qu'une page se tourne au Proche-Orient, et au Liban où le Parti de Dieu faisait un peu la pluie et le beau temps depuis de longues années. Israël semble déterminé à "finir le travail" et a entamé une incursion au Sud-Liban pour neutraliser les groupes de combattants et les postes de tir du Hezbollah. Les bombardements se poursuivent également. 

 

Alors faut-il se réjouir de la mort de Nasrallah? Certains me diront qu'Israël nous venge de l'attentat du Drakkar, à Beyrouth, qui coûta la vie à cinquante-huit parachutistes français le 23 octobre 1983. De forts soupçons ont toujours pesé sur le Hezbollah - ou des organisations proches - bien que l'affaire conserve une part de mystère. Je n'ai pas plus de tendresse pour Nasrallah que pour ses suzerains de Téhéran. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que sa mort soit nécessairement une bonne nouvelle. D'abord, comme je l'ai dit, la méthode israélienne me pose problème, je n'y reviens pas. Ensuite, la nature a horreur du vide: la destruction du Hezbollah - comme du Hamas - ne risque-t-elle pas de favoriser à terme l'apparition de mouvements encore plus radicaux? J'entends qu'Israël espère garantir sa sécurité pour une dizaine d'années en laissant un champ de ruines à Gaza comme au Liban. Mais est-ce la bonne méthode? J'ai quelques doutes. Israël se fera craindre, c'est certain, mais risque fort de se faire encore plus détester. Et les enfants qui vont grandir au milieu de ces ruines nourriront, je le crains, un fort ressentiment envers l'Etat hébreu. Ils pourraient bien devenir les terroristes de demain, ces fameux terroristes que l'Etat d'Israël rêve d'éradiquer depuis si longtemps... Quant aux Libanais, il est certain que beaucoup, parmi les chrétiens et les sunnites, ne pleurent pas la disparition de Nasrallah. Le risque de guerre civile existe cependant. Les chiites seront-ils tentés de se venger sur les autres communautés? Ou bien ces dernières voudront-elles prendre leur revanche sur une milice longtemps toute-puissante?

 

En attendant, les bombes israéliennes continuent de tomber, semant la mort et la dévastation. Près de deux mille Libanais ont déjà été tués. Plus d'un million ont dû quitter leur foyer. Je ne sais pas si la sécurité d'Israël est à ce prix, mais je doute qu'une telle politique mène à la paix...  

 

[1] C'est juste un exemple. Je précise que je ne nourris pas la moindre hostilité à l'encontre de nos voisins luxembourgeois.

 

[2] Je me demande si le Hamas lui-même n'a pas été dépassé par son macabre "succès". Les chefs du Hamas pensaient semble-t-il que les 250 otages leur permettraient de négocier en position de force, mais le nombre considérable de morts a levé toutes les inhibitions de l'Etat hébreu quant à l'usage de la violence. On n'entend pratiquement plus parler des otages (quand on n'apprend pas, incidemment, que certains ont été tués par des tirs israéliens). Il aurait sans doute mieux valu pour le Hamas tuer 250 personnes et emmener 1200 otages... 

 

[3] 1200 morts israéliens le 7 octobre 2024, 41 000 morts palestiniens dans les bombardements à Gaza depuis cette date. Le calcul est simple: la vie d'un Israélien vaut les vies de trente-quatre Palestiniens. A méditer.



03/10/2024
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