Place au népotisme et à la censure!
Je m'inquiétais dernièrement des critiques récurrentes formulées par des personnalités politiques (y compris au plus haut niveau de l'Etat) contre la sélection au mérite, principe républicain hérité de la Révolution ("tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents", article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). Et je suggérais que le piston remplacerait probablement le classement au mérite. Eh bien, la machine est en marche...
L'affaire
Elle a été révélée par le site d'information Rue89 en février: un secrétaire d'Etat du gouvernement Fillon, "se serait arrangé" pour que sa fille chérie obtienne le poste convoité de maître de conférences à la prestigieuse université de la Sorbonne, emploi dont rêvent de nombreux étudiants sérieux et travailleurs, qui passent des années à rédiger une thèse pour finir (parfois) livreur de pizzas... Soyons honnête: le piston mine de toute manière l'université, chaque ponte s'efforçant d'obtenir les postes pour ses poulains. Mais ces derniers se sont souvent illustrés par un travail remarquable et digne d'intérêt. Favoriser des gens talentueux passe encore (bien que les meilleurs ne soient pas forcément promus). Dans le cas qui nous occupe, l'affaire est plus grave: une personnalité politique, un membre du gouvernement a manifestement profité de sa position éminente pour assurer la place convoitée à sa tendre progéniture. L'information ébruitée, la Sorbonne fit piteusement amende honorable en renonçant à cette embauche de connivence. Comme quoi, je suis d'accord avec notre président sur un point: la transparence a du bon...
Les retombées de l'affaire
On aurait pu en rester là. Seulement voilà: les membres du gouvernement ont apparemment l'instinct tribal (je n'ose dire "communautaire"). Qui offense un homme du clan offense tout le clan! Sans doute ému par les chaudes larmes de son rejeton déçu, le pauvre secrétaire d'Etat a peut-être réclamé à corps et à cris la faide, la terrible vengeance d'honneur des anciennes sociétés germaniques. L'appel fut entendu. Comme l'information circule vite de nos jours (pour le meilleur et pour le pire), la fiche biographique du secrétaire d'Etat sur Wikipédia était déjà mise à jour, le malheureux incident étant signalé avec un lien vers l'article accusateur du site Rue89. Et voilà que les modérateurs de Wikipédia s'aperçoivent qu'on a tenté de supprimer le paragraphe évoquant la péripétie susdite, ainsi que le lien vers l'article de Rue89! La traçabilité étant garantie, comme sur la viande bovine, les modérateurs recherchent l'origine de cette intervention qu'on ne saurait qualifier de providentielle. Et là, oh surprise! L'origine de la manipulation est... le ministère de l'Intérieur! Ainsi, non seulement les membres du gouvernement abusent de leur position pour "caser" leurs proches (pratique au vrai peu nouvelle) mais de surcroît, lorsqu'ils sont surpris en flagrant délit de népotisme, ils essaient de faire en sorte que cela ne se sache pas! Ce ne serait rien si les mêmes personnes ne nous vantaient pas régulièrement leur amour fervent de la "transparence"...
Conclusion
Le gouvernement devrait répondre à plusieurs questions. Mme Alliot-Marie, tout d'abord, serait bien inspirée de nous expliquer si les fonctionnaires de son ministère n'ont pas mieux à faire que de censurer l'encyclopédie en ligne Wikipédia. Trop de lois ne sont pas respectées, parce qu'imparfaitement appliquées, en France. Mme la ministre ferait bien d'assurer la sécurité des biens et des personnes avant d'envoyer son personnel s'amuser sur internet. Quant à Eric Woerth qui, pas plus tard qu'aujourd'hui, évoquant le déficit abyssal de l'Etat français, disait: "il faut nous interroger sur nos dépenses publiques et les réduire" (alors que l'augmentation de la dette n'est pas due aux fonctionnaires qui voient des postes supprimés tous les ans, mais bien aux cadeaux fiscaux et subventions accordés aux élites libérales, aux entreprises et aux banques), je lui suggère d'alléger nos dépenses en virant quelques fonctionnaires de la place Beauvau. Il est à peine croyable que l'on supprime des emplois dans les hôpitaux et les écoles, alors que la natalité et la population augmentent, et que dans le même temps l'Etat paie (et fort bien je gage) des agents à jouer les censeurs. Si le gouvernement conteste les faits, qu'il s'explique dans un communiqué officiel. Décidément, ce gouvernement est de moins en moins républicain dans ses objectifs comme dans ses méthodes... J'ajoute que j'ai souri (amèrement) aujourd'hui en entendant un économiste déclarer que la crise est moins forte en France, la consommation se maintenant à un niveau convenable grâce aux retraités et... aux "nombreux fonctionnaires"! Comme quoi, nous ne sommes pas si inutiles que cela. Non content de travailler au service de la collectivité, les fonctionnaires dépensent l'essentiel de leur argent en France et contribuent ainsi à l'économie de leur pays. Je n'en dirai pas autant des riches élites libérales à qui on fait des cadeaux fiscaux... Souhaitons que les traîtres de l'UMP, qui oeuvrent largement à l'édification d'une détestable société de connivence, soient sanctionnés comme ils le méritent aux prochaines échéances électorales!
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