Quelques définitions politiques
L'incompréhension entre citoyens provient souvent d'un problème de vocabulaire: employant le même mot, nous pensons parler de la même chose. Rien n'est plus faux, et tel terme n'a pas la même valeur dans la bouche de tout le monde. Il n'y a qu'à songer un instant à ce mot: France. Il est clair qu'il ne signifie pas la même chose pour un monarchiste que pour un républicain, pour un citoyen de gauche que pour un citoyen de droite, pour un nationaliste que pour un anarchiste ou encore pour un natif que pour un immigré. Et comme on peut cumuler plusieurs états énumérés ci-dessus, la conception de la France pour chaque citoyen est en elle-même la somme de plusieurs visions... parfois contradictoires! Cet article a pour seul but de préciser quelques termes souvent utilisés dans ce blog.
La nation
Je l'ai déjà évoquée. Je rappellerai simplement qu'il s'agit d'une communauté humaine unie par une culture et un passé commun. La nation, du moins, à la française, est une notion compliquée. C'est une nation volontariste et non naturelle, car il n'y avait pas de déterminisme géographique (quelqu'un voit une frontière naturelle au nord-est de notre pays?) ni culturel (sans quoi les Alsaciens et Mosellans devraient effectivement être allemands... et les Wallons devraient être français). La nation française s'est affirmée politiquement à partir de la Révolution. Cette nation n'est pas éternelle: il fut un temps où elle n'existait pas. Elle s'est constituée lentement et difficilement. Elle n'est pas parfaite. Elle n'est pas immortelle non plus: un jour peut venir où il n'y aura plus de nation française. Certains le souhaitent. Leurs armes: la construction européenne, la régionalisation, le libéralisme économique, l'immigration et le métissage. En affaiblissant l'identité de la nation, on en vide le concept même. Mais la nation française est forte, elle l'a montrée dans le passé. Malgré le discours dominant, le sentiment national demeure et il a des défenseurs, souvent anonymes et d'autant plus méritants, qui maintiennent la flamme. La nation transcende les individus dans le sens où elle unit dans un même destin les générations passées, présentes et futures, chaque génération se considérant comme l'héritière des précédentes. Si cet héritage est brisé, si la France de 2050, métissée et multiculturelle, ne se considère plus comme l'héritière de la France de 1850, il n'y a plus de nation française quand bien même la France survivrait comme circonscription administrative. C'est pourquoi la nation ne peut survivre que s'il y a une relative continuité de population et de culture. En cas de substitution de population ou de triomphe d'une culture étrangère, la nation disparaîtrait.
Le corps civique
Ce que j'appelle le corps civique, c'est l'expression politique de la nation, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens français à un instant T. La nation française de 1900 est la même nation française que celle de 2000. En revanche, le corps civique de 1900 est différent de celui de 2000. La nation englobe toutes les personnes qui se reconnaissent et sont reconnus comme français. Le corps civique ne comprend que les Français disposant de leurs droits politiques. On peut être exclus du corps civique, jamais de la nation (à moins de la quitter volontairement). A noter que le corps civique français fut exclusivement masculin jusqu'en 1944. Comme le corps civique représente la nation à un instant donné, il est dépositaire de sa souveraineté, qu'il exerce lors des élections.
La patrie
Mot à mot, il s'agit de la "terre des pères", c'est-à-dire des ancêtres (Vaterland en allemand). Cela nous rappelle qu'une nation ne peut exister sans l'enracinement de sa population. C'est tout le problème de l'Etat d'Israël: une nation de déracinés qui travaille activement à se créer en Palestine une patrie pour l'essentiel fictive, notamment en convoquant les textes sacrés et en défendant contre l'évidence une origine ethnique des juifs qui relève du mythe. La plupart des Israéliens descendent d'Européens et n'ont quasiment pas une goutte de sang hébreu dans les veines. La patrie peut s'entendre dans plusieurs sens: le territoire national mais aussi la "petite patrie", sa région, son département. Les deux conceptions, loin de s'opposer systématiquement, peuvent au contraire s'entre-pénétrer au bénéfice d'une identité riche et cohérente. Pour résumer, la patrie est le territoire où s'enracine la communauté humaine qu'est la nation. Rien d'étonnant donc à ce que patrie et nation soient intimement liées. Le patriotisme, attachement à la patrie, est plus naturel que le nationalisme parce que la patrie est plus concrète que la nation. Que m'évoque la nation française? 64 millions d'individus que pour la plupart je ne connais pas et que je ne connaîtrai jamais. Sa vie durant, on ne côtoie que quelques dizaines de personnes, maigre échantillon de la nation. La nation est une communauté bien abstraite. Mais si je pense à la patrie, j'ai des images qui me viennent en tête: un village du centre de la France, une vieille tombe aux noms presque effacés, une maison, un champ... On pourrait dire que la patrie est du domaine de l'émotionnel et du concret alors que la nation relève plutôt du rationnel et de la théorie.
La République
Une bonne fois pour toutes, la République n'est pas la France, et c'est un républicain qui le dit. La France préexiste à la République. Cette dernière est née de la rupture entre la nation et le roi, qui était dépositaire de la souveraineté. La République est le régime qui a permis le transfert de la souveraineté nationale du roi au corps civique. Comme cela s'est fait dans des conditions difficiles et, il faut le dire, dans un climat de guerre civile, la République est contestée jusqu'à nos jours. Certains n'ont pas fait le deuil du transfert de souveraineté. Pourtant, il est totalement irréversible, et je ne vois pas comment on pourrait inverser le cours des choses. D'ailleurs, j'invite mes compatriotes monarchistes à considérer la situation des monarchies en Europe. Si les monarques sont le symbole d'unités nationales parfois chancelantes (Espagne, Royaume-Uni, et je ne parle pas de la Belgique), cela fait un certain temps qu'ils ne sont plus les dépositaires de la souveraineté. Simplement, dans ces pays, le transfert de souveraineté au corps civique s'est fait dans une relative douceur, sans révolution et sans abolition de la monarchie. Mieux: en Espagne, c'est le roi qui a rendu la souveraineté, confisquée par Franco, au corps civique. La République française se fonde sur un certain nombre de valeurs dans lesquelles on peut voir, me semble-t-il, un substitut à la religion qui fondait la monarchie. La République a développé son propre système de références, une véritable religion civique à bien des égards, adossée au patriotisme. On a coutume de dire que les principes de la République sont universels. Je tiens à préciser qu'une interprétation erronée de cette expression circule: il faut entendre l'universalisme de la République française comme des valeurs que la France propose à l'univers (au monde entier en fait) mais il n'a jamais été question pour les révolutionnaires et pour la plupart des républicains jusque récemment d'inviter l'univers tout entier à venir s'installer en France! D'autant que l'universalisme des valeurs prônées par certains immigrés et descendants d'immigrés laisse songeur...
République, nation, patrie: la France est tout cela à la fois et c'est pourquoi tout le monde ne parle pas de la même chose lorsqu'il évoque ce terme. La France n'a pas toujours intégré ces trois notions simultanément. Je pense qu'elle a d'abord été une patrie, puis une nation s'est constituée à travers la loyauté à la monarchie, enfin la République, au moment de la Révolution, a permis à la nation, depuis longtemps en gestation, d'éclore et de s'affirmer politiquement, en acquérant la plénitude de sa souveraineté.