Europe des régions: les dessous d'un projet anti-français
Récemment, je suis tombé par hasard, sur un site appelé eurominority, grâce (ou à cause, c'est selon) d'un lien trouvé sur le site d'un militant régionaliste breton de l'UDB (Union Démocratique Bretonne si j'ai bonne mémoire). Et là, oh surprise! je découvre émerveillé qu'eurominority propose un poster de l'Europe idéale, intitulé nations of europe(1). Je clique pour agrandissement et contemple bientôt, un peu désemparé, une Europe découpée au scalpel, une Europe baroque aux frontières inattendues. La France existe toujours (ouf!) mais amputée de la Bretagne, de l'Alsace-Moselle, de l'Occitanie, de la Savoie et bien sûr de la Corse. L'Espagne est évidemment disloquée, comme le Royaume-Uni. L'Irlande, chanceuse, est réunifiée et l'Italie ne perd que la Sardaigne, le Frioul et l'Aoste (eurominority n'est sans doute pas en bon terme avec Umberto Bossi). La Silésie est séparée de la Pologne et la Moravie de la République tchèque. Une nation laponne tient fièrement les immensités polaires de la Scandinavie septentrionale. On pourrait rire de tout cela mais il n'y a pas de quoi. Etrangement, l'Allemagne demeure quasi-intacte et l'Albanie se voit gratifiée du Kosovo... Hasard? Certainement pas.
Qu'est-ce que l'UFCE?
Il paraitrait qu'en Allemagne circulent des atlas proposant des cartes de l'Europe de demain. Et ces cartes ressembleraient à celle que j'ai trouvé sur eurominority. Sur ces cartes, on constate généralement la disparition des grandes nations d'Europe occidentale (et même d'Europe orientale) à une exception près: l'Allemagne. Tout ceci est le résultat du soutien constant dont le gouvernement allemand fait preuve à l'égard des officines de protection des minorités, paravent sympathique qui masque des menées régionalistes (qualifiées de "nationalistes" par ceux qui les défendent). Une de ces officines se nomme l'Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes (UFCE). Le nom laisse rêveur. On croirait une obscure association de la mouvance identitaire, une des composantes de l'extrême-droite. Détrompez-vous! L'UFCE est une organisation très respectable, bien introduite auprès de certaines autorités, comme elle le rappelle. Je conseille de lire la page de présentation disponible en français(2). L'organisation y présente ses saintes valeurs: paix, dialogue, diversité culturelle, pour résumer. Il faut dire que le nom en lui-même est évocateur et annonce la couleur: l'UFCE est clairement pour une Europe fédérale des "communautés ethniques", c'est-à-dire en fait des régions conçues comme les "patries charnelles" chères à la mouvance identitaire. L'idéologie de l'UFCE a par conséquent de fortes similitudes avec les identitaires (la violence en moins). Il suffit de poursuivre la lecture pour voir qui tire les ficelles de l'UFCE: "le siège de son secrétariat général est à Flensburg, le centre politique et culturel de la minorité danoise en Allemagne". Quelle surprise! L'UFCE est basée sur le territoire allemand. Plus loin, l'association précise la provenance de ses subventions: Suisse, Danemark, région autonome de Trentin-Tyrol du sud, province autonome de Tyrol du sud, Land de Schleswig-Holstein, Land de Carinthie, canton des Grisons, la province de Frise (? difficile à lire), les Pays-Bas et la République fédérale d'Allemagne. Immédiatement, le caractère très germanique (je n'ose dire "pangermaniste") de l'UFCE transparaît. Parmi les généreux contributeurs publics (au nombre de dix), sept sont germanophones. L'Allemagne est l'un des quatre Etats à financer l'organisation (et les autres sont frontaliers de la République fédérale), et de plus, un de ses Länder fait de même (Flensburg se trouve sans doute au Schleswig-Holstein). On apprend également que "l'UFCE est sponsorisée par la "Fondation Hermann-Niermann d'utilité publique" de Düsseldorf", en Allemagne toujours. De là à soutenir que l'UFCE est pilotée par l'Allemagne... Non, c'est un vil procès d'intention!
Intéressons-nous à présent aux objectifs affichés de l'UFCE: "au service des communautés ethniques, [l'UFCE] vise le maintien et le soutien de leur identité nationale, de la langue, de la culture et histoire des minorités nationales". L'UFCE considère donc que dès qu'il y a identité, langue ou culture particulière, on a affaire automatiquement à une nation. Il s'agit donc de légitimer les revendications culturelles des régionalistes qui sont bien souvent la première étape avant les revendications politiques d'autonomie voire d'indépendance. Nulle doute que l'UFCE (et donc l'Allemagne) est derrière la Charte européenne des langues régionales. De plus, au lieu de parler de "régionalisme" et d' "identité régionale" comme le font certains identitaires, l'UFCE adopte d'emblée un vocabulaire plus fort: "identité nationale", "minorités nationales". La Bretagne mise sur le même pied que la France! On y reviendra. Après cela, proclamer qu'on est pour le dialogue pacifique et la bonne entente entre "minorité" et "majorité" alors même qu'on enferme des populations dans un statut "minoritaire", arc-boutées sur des langues inusitées (et parfois reconstruites), au lieu de les laisser se fondre dans la majorité, relève de la mauvaise foi. C'est une vision sclérosée des choses, une vision ethniciste qui nie l'histoire. Ou plutôt qui l'utilise à son gré. Pourquoi les Bavarois et les Hessois ne sont-ils pas des minorités en Allemagne? Pourquoi ne forment-ils pas une nation indépendante? La Bavière a intégré l'Allemagne unifiée en 1870, bien après que la Bretagne ou l'Occitanie soient devenues françaises... La carte d'eurominority, que ne désavouerait sans doute pas l'UFCE, éclaire le projet européen de l'Allemagne: une Europe balkanisée sous hégémonie allemande. Les frontières farfelues dessinées par je ne sais qui sont d'ailleurs contradictoires: la France est divisée en terres de langue d'oïl (France proprement dite) et terres de langue d'oc (Occitanie) mais l'Allemagne n'est pas séparée en terres de haut-allemand (sud) et terres de bas-allemand (nord, dialectes se rapprochant pour certains du néerlandais). Troublant... L'histoire? Il y a longtemps que Tchèques et Moraves partagent un destin commun au sein du royaume de "Bohême et de Moravie". La Galice ou l'Andalousie n'ont aucun passé indépendant. Et les Andalous parlent le castillan si je ne m'abuse... L'argument historique ou linguistique est donc à géométrie variable, selon les besoins!
La "nation" bretonne: quelle consistance?
Que les choses soient claires: je ne condamne aucunement l'attachement légitime à la région, la province ou au département d'où l'on est originaire. Que les Bretons se sentent bretons ne me gêne pas. Qu'ils soient fiers d'être bretons ne m'offusque point. Qu'ils prétendent que la Bretagne n'est pas française et forme une nation, voilà qui est plus problématique. Considérons d'abord l'histoire: des Bretons, venus de (Grande-)Bretagne se sont effectivement installés en nombre en Armorique au V° siècle, mais aussi ailleurs en Gaule. La Bretagne idéale des régionalistes n'a été unifiée que tardivement, et l'unité a toujours été fragile. Les seigneurs de Bretagne se sont battus pour le pouvoir (comme ailleurs) et ce n'est que progressivement que des ducs bretons sont apparus. Cette unité toute relative s'est faite par le fer, et les Bretons seraient bien inspirés de ne pas reprocher à l'Etat français sa violence (l'annexion de la Bretagne s'est faite en douceur par un mariage... et même deux, ceux de la duchesse Anne avec Charles VIII puis Louis XII). L'absorption du duché de Bretagne s'est faite légalement et les rois capétiens n'ont pas procédé à une "francisation" brutale de la péninsule. Considérons ensuite la langue: l'ensemble de la Bretagne historique n'a jamais été de langue celte. Tout l'est, et notamment les régions de Nantes et de Rennes (les capitales historiques), parle le gallo, un dialecte roman de langue d'oïl! Or ces régions orientales, centre du pouvoir, furent les plus tôt francisées. Certains ducs de Bretagne étaient plus français que bien des régionalistes contemporains... De plus, différents dialectes celtiques se partageaient la Bretagne "bretonnante" et ce n'est que récemment que les groupes Diwan ont construit artificiellement une langue bretonne, support de revendications politiques, et qui n'a pas grand-chose à voir avec le patrimoine historique de la Bretagne. Enfin, il faut dire que la III° République n'a pas violemment réprimé la langue et la culture bretonne. L'apprentissage du français s'est fait plus volontairement qu'on ne le croit, par souci de promotion sociale et, j'ose le dire, d'intégration nationale. Tous ces Bretons "montés" à Paris n'ont pas été déportés, que je sache! Dans le cadre de l'achèvement de la construction nationale, la Bretagne s'est logiquement ouverte à l'identité nationale. Sans pour autant perdre sa spécificité. Et j'ai une pensée émue pour tous ces jeunes Bretons tombés entre 1914 et 1918 sur les marches de l'est, car du fait de sa vitalité démographique, la Bretagne a fourni un contingent très fourni. Je suis allé en Bretagne. Dans chaque village que j'ai visité, j'ai salué la mémoire de ces combattants morts trop tôt. Des paysans bretons pour la plupart. Des citoyens français aussi. Mes compatriotes.
La "nation" occitane: une pure aberration
Si les Bretons peuvent au moins avancer l'argument d'un duché de Bretagne qui a historiquement existé, je suis stupéfait devant ceux qui revendiquent l'existence d'une nation occitane. Je cherche désespérément dans mes livres, atlas et encyclopédies, la trace, même fugace, de cette Occitanie mythique. Je n'ai rien trouvé. Le Midi a une histoire complexe. Qu'ont à voir les Toulousains, dont le comte est vassal du roi de France dès 843, avec les Provençaux, sujets du royaume d'Arles intégré au Saint Empire et qui n'entrent dans le royaume de France qu'à la fin du XV° siècle (là encore sans coup férir, par héritage cette fois)? Quoi de commun entre l'Auvergne, annexée au domaine royal dès le XIII° siècle par Philippe Auguste, et le Béarn, devenu français au temps d'Henri IV? Rien. Rien du tout. Et on pourrait multiplier les exemples. Certaines régions de langue d'oc sont entrées dans le domaine royal bien avant certaines contrées de langue d'oïl. Alors? Les Cathares? Mais les Méridionaux n'ont jamais été "tous cathares". La violence des Français du nord? Là encore, la grande variété des situations ne permet pas d'établir une règle. Si les Français du nord ont commis des exactions durant la Croisade des Albigeois au XIII° siècle, Gascons et Armagnacs se sont rendus célèbres par leur cruauté durant la Guerre de Cent ans, au nord du royaume cette fois. Quant à l'argument linguistique, la même remarque que pour le breton est d'autant plus valable, vu l'étendue de l'Occitanie. Il y a des dialectes de langue d'oc et non une langue d'oc. Et le franco-provençal est un groupe particulier. Le concept de "nation occitane" est donc né dans le cerveau d'incultes et d'ignares qui n'ont apparemment rien trouvé de mieux pour exprimer leur haine de la France.
Souhaitons donc que les citoyens français ouvrent les yeux sur les menées régionalistes que soutient l'Allemagne et préservent ce qui fait la force de notre nation: son unité.
(1) http://www.eurominority.eu/version/fra/projects-shop-buy.asp
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