Flandre, Ecosse: fièvre séparatiste et désunion européenne
Je propose une nouvelle devise pour l’Union Européenne. Vous ne le savez peut-être pas, mais le Saint Empire Européen en possède déjà une : « L’unité dans la diversité ». Je la remplacerai par : « L’union dans la division », ce qui serait une bonne définition… de la Désunion Européenne qu’est devenue la « belle idée » du Traité de Rome. Oui, l’Europe nous divise : pays du nord contre pays du sud, pays de l’ouest contre pays de l’est, pays latins contre pays germaniques. L’Europe a permis des ingérences inimaginables il y a encore quelques décennies, en Grèce, en Italie, en Irlande, demain – qui sait ? – en France peut-être. Mais il y a mieux : dans ce paradis pacifique, récompensé par le Nobel, qu’est devenu l’Europe, les divisions internes aux vieux Etats-nations ne cessent de s’exacerber. Régions riches contre régions pauvres, régions centrales contre régions périphériques, minorités contre majorité, partout, avec son exaltation des différences, de la diversité, du multiculturalisme, la prétendue « Union » européenne encourage tout simplement une des plus grandes œuvres de destruction que le monde ait connu. L’Etat-nation, né en Europe et imité sur tous les continents, l’Etat-nation socle de la démocratie et du progrès social en dépit de ses imperfections et de ses crimes, l’Etat-nation est en train de mourir en Europe. L’UE laisse faire quand elle n’applaudit pas. Ce que l’UE et ses thuriféraires oublient un peu vite, c’est qu’elle est elle-même une création des Etats-nations et qu’elle ne leur survivra guère. L’ « Europe des régions » est une utopie en complète contradiction avec un des piliers du régionalisme politique, à savoir le refus de la solidarité. Or les fervents européistes conçoivent l’Europe comme une nation d’un nouveau type, fondé sur la solidarité, comme un Etat-nation.
Il faut, autant que faire se peut, se garder de défaire ce que l’histoire a fait. C’est tentant parfois, et désastreux souvent. On pourrait multiplier les exemples. Après 1918, nous (je dis « nous » car la France y a activement participé) avons détruit l’Empire d’Autriche-Hongrie. Avec le recul, je suis d’accord pour dire, comme Churchill le remarquait judicieusement, que ce fut une erreur. Parce qu’à la place de cet Empire, rien de stable n’a vu le jour depuis 1918. Avec un tel enchevêtrement de peuples et de nationalités, c’était une gageure de créer ou de construire des Etats-nations homogènes dans cette région. Et depuis 1918, quand on y réfléchit, nous n’avons jamais cessé de payer les conséquences de la destruction de l’édifice habsbourgeois : Anschluss (réunion) de l’Autriche avec l’Allemagne nazie en 1938, question des Sudètes, annexés par le III° Reich, et dépècement de la Slovaquie la même année, jusqu’à la dislocation de la Yougoslavie dans les années 90, la question des minorités hongroises en Serbie et Roumanie qui reste d’actualité. Hormis la parenthèse, on n’ose dire bénie, de l’époque communiste de 1945 à 1990, cette région d’Europe n’a connu que divisions, guerres, chaos et finalement mise sous tutelle. On le voit bien aujourd’hui avec l’état fantoche du Kosovo qui devrait quasiment faire partie des Etats-Unis d’Amérique. En Bosnie, c’est l’OTAN et l’UE qui décident de tout ou presque, comme en Macédoine voire en Serbie. A quoi bon donner l’indépendance à des peuples si c’est pour les traiter ensuite en vassaux ? Les Macédoniens sont-ils plus riches et plus puissants qu’à l’époque de la Yougoslavie ?
Les constructions historiques sont bien plus légitimes que les frontières idéales marquées par les limites linguistiques ou ethniques. Ces dernières ont leur raison d’être, je ne le conteste pas, mais elles ne suffisent pas à rendre compte de la complexité des sociétés humaines et de leur évolution, qui amène parfois des groupes ethniquement et linguistiquement différents à s’associer pour construire une nation, pour des raisons politiques ou économiques. C’est ce qui fait que les Lillois appartiennent à la même nation que les Toulousains ou les Marseillais alors que, d’un point de vue purement culturel et ethnique, ils sont sans doute plus proches des Belges de Tournai ou de Namur. De la même façon, les Alsaciens sont français alors qu’ils parlent un dialecte germanique, tandis que les Genevois francophones sont suisses. L’histoire est étrangère aux déterminismes un peu simplistes que certains voudraient nous imposer comme seule grille de lecture. Je veux parler bien sûr de l’engeance régionaliste, dont les sinistres représentants entendent faire table rase du passé pour ressusciter des territoires… qui, à bien y regarder, n’ont jamais existé ou très peu de temps, et dont l’identité ou l’unité sont largement fantasmées. J’ai évoqué déjà le cas de la Catalogne (1) et de l’Occitanie (2). Pourtant, malgré ses méfaits observables (songeons à la Yougoslavie justement) et prévisibles, le séparatisme a le vent en poupe. Comme d’autres populismes, dont il n’est au fond qu’un avatar, il surfe sur le désarroi engendré par la crise. Une crise provoquée pour une part par le carcan européen et qui plombe les Etats-nations, raison pour laquelle les régionalistes chantent les louanges de la Sainte Europe depuis toujours. Europe et régions ont le même ennemi, mais pas le même objectif. Le populisme régionaliste est le pire de tous, celui des gens obtus aux horizons étriqués, crispés sur leur clocher. Je préfère de loin un populisme national qui a le mérite de convoquer les grands hommes et de se référer aux grandes heures, tout en affirmant sa foi en un destin collectif. Le nationalisme, c’est de la grande tragédie, le régionalisme c’est une farce, lourde et grasse. Malgré ses défauts et ses crimes, le premier voit loin, et il tente de fédérer les hommes autour d’un projet porté par un idéal de grandeur. Le régionalisme, c’est le contraire : il s’agit de réduire l’horizon, de se fermer, de se replier, de se complaire dans un localisme stérile. On rétrécit la communauté et on cultive l’entre-soi. On sacralise des archaïsmes. Le régionalisme est de ce point de vue antimoderne. On me rétorquera que Barcelone est une superbe métropole du XXI° siècle. Sans doute, mais l’argumentaire des « nationalistes » catalans s’appuie sur le Moyen-Âge, les privilèges traditionnels d’une société d’ordres,… La modernité de façade, économique et architecturale, ne préjuge en rien des archaïsmes véhiculés par une idéologie. Il n’y a qu’à regarder certains pays arabes du Golfe : à Dubaï, on trouve architecture futuriste et derniers gadgets à la mode. Et pourtant…
Victoire des indépendantistes en Flandres
La menace d’un éclatement de la Belgique n’est pas nouvelle. Ce pays bilingue, relativement jeune puisque né en 1830, serait « artificiel ». Je rappelle que tous les états du monde sont « artificiels », car ce sont des constructions humaines. Il n’existe pas de pays « naturel », sauf chez les nazis et certains régionalistes dont la rhétorique, parfois, adopte des accents volkisch digne de l’extrême-droite allemande des années 30 (je me réfère au baratin sur les « patries charnelles »). Les populations qui s’implantent sur un territoire se l’approprient et finissent par considérer, le temps aidant, qu’elles ont toujours été là et que ce territoire leur appartient « naturellement ». Parfois même, Dieu justifie l’appropriation, il n’y a qu’à voir comment des juifs du XX° siècle, dont la plupart n’avait pas une goutte de sang hébreu dans les veines, ont créé l’état moderne d’Israël en s’appuyant sur un livre écrit il y a 2 500 ou 3 000 ans, et dont la remarquable qualité littéraire et la valeur spirituelle n’empêchent pas que bon nombre des passages « historiques » de la Bible n’ont guère plus de valeur que l’Iliade d’Homère ou l’Enéide de Virgile. Les peuples se fabriquent des mythes, c’est humain, et cela embellit l’histoire. Mais quand le mythe se substitue complètement à la réalité historique (et c’est ce qui se passe pour une part en Israël), cela devient très dangereux. Mais revenons à la Belgique : ce pays n’est pas plus artificiel qu’un autre. Son ciment n’était pas linguistique (ce n’est que très rarement le cas d’ailleurs) mais religieux et historique : la Belgique était un état catholique en face des Pays-Bas protestants, héritage d’une domination espagnole pluriséculaire. Non seulement Flamands et Wallons sont unis depuis longtemps, bien avant 1830, mais de plus ni la Wallonie, ni la Flandre n’ont été véritablement indépendantes au cours de l’histoire. Mieux encore, la partie flamande, qui manifeste une phobie quasi-maladive des francophones, a longtemps fait partie… du royaume de France ! Tandis que les Wallons francophones relevaient pour l’essentiel du Saint Empire. J’avoue que, en tant que Français, je ne saisis pas très bien les causes d’un tel rejet. Je veux bien que les Flamands aient été laissés pour compte au XIX° siècle mais la balance a nettement penché en leur faveur au cours du XX°.
Les résultats des récentes élections communales et provinciales du 14 octobre 2012 sont pourtant sans appel : les indépendantistes flamands marquent des points. L’Alliance Néo-Flamande (N-VA) a conquis la mairie d’Anvers, le grand port et le poumon économique du pays, tout un symbole. Elle a réalisé près de 20 % des voix dans l’ensemble de la Flandre. La N-VA a également siphonné les voix de l’extrême droite flamande, le Vlaams Belang, et a réalisé de bons scores un peu partout, alors que c’est un parti récent. L’indépendantisme flamand n’est pas le fait d’une poignée d’illuminés. Ses thèses sont largement partagées par une part croissante de l’électorat flamand. Tout le monde s’accorde à dire que l’autosatisfaction de Bart de Wever n’est pas excessive : c’est un triomphe. Cela étant, 20 % n’est pas une majorité absolue et la N-VA n’est pas encore en mesure de gouverner seule la Flandre avec un tel score.
Pour autant, faut-il envisager sérieusement une partition de la Belgique ? Je le crains, bien que j’y sois fermement opposé. Pour plusieurs raisons : d’abord, la valeur d’exemple qui fait que les indépendantistes de tout poil, catalans, bretons, basques, corses, vont s’agiter de plus belle. Les Catalans et les Basques ont le plus de chances d’aboutir. Et les conséquences pour la France seront très néfastes car, il faut le rappeler, Catalans et Basques revendiquent ouvertement des portions de notre territoire. La Flandre elle-même ne manquera pas sans doute de réclamer quelques territoires du nord. Une Catalogne indépendante dépensera encore plus d’argent pour renforcer la « catalanité » des Pyrénées-Orientales (ce que la Généralité fait déjà en finançant des programmes d’enseignement du catalan) et dresser ses habitants, français depuis 1659, contre leur propre nation. Et les Basques ne se priveront pas de faire de même. La France est un état unitaire où la tradition jacobine est forte, y compris dans les périphéries. Loin de moi l’idée d’accuser tous mes compatriotes bretons, corses, provençaux, alsaciens, basques, etc. d’être des indépendantistes. Mais en période de crise, les discours populistes rencontrent un certain succès, et le régionalisme est une forme de populisme qui flatte les « racines » plus encore que le nationalisme. De plus, la décentralisation et la régionalisation croissantes dans notre pays, processus coûteux dont l’efficacité reste à démontrer, ont donné aux collectivités régionales peu de prérogatives sans doute en comparaison de leurs voisines espagnoles ou allemandes, mais des moyens considérables pour « communiquer » et développer un discours « identitaire » visant à légitimer l’action des Conseils régionaux, mais qui aboutit surtout à servir les desseins sécessionnistes d’une minorité. La régionalisation porte en germe le poison du régionalisme. Et une partition de la Belgique risque d’ouvrir la boîte de Pandore.
Il est très intéressant de regarder les raisons avancées par la mouvance indépendantiste pour réclamer la partition. Au-delà des questions linguistiques et ethniques, le principal argument reste économique. Bart de Wever a fait campagne sur le refus des impôts décidés par le gouvernement belge, qui plus est dirigé par un francophone Elio di Rupo. On voit là ce qui est la pierre de touche de la grande majorité des mouvements régionalistes en Europe : le refus pur et simple de la solidarité entre régions riches et régions pauvres. Cet argument est repris partout, en Catalogne, en « Padanie » (Italie du Nord), en Ecosse. Ajoutons que ce même argument a été utilisé en Yougoslavie, lorsque Slovénie et Croatie, largement aidées dans leur développement par l’Allemagne, se sont dits qu’il valait mieux pour elles prendre le large plutôt que de contribuer à l’enrichissement de régions serbes ou macédoniennes plus modestes. De la même manière, l’indépendance du Monténégro ne s’explique pas autrement : grâce à son débouché maritime et débarrassé du « poids mort » de la Serbie, le nouvel état ambitionne d’être le Monaco de l’Adriatique. Il faut d’ailleurs souligner combien le « syndrome de Monaco » qu’on pourrait aussi appeler « syndrome du Luxembourg » est une constante de l’argumentaire régionaliste. Régulièrement, lorsqu’il m’arrive de débattre avec des régionalistes, on me sort inévitablement l’argument du : « Monaco s’en sort très bien, pourquoi pas nous ? ». C’est parfaitement ridicule. D’abord, ces gens ne semblent pas vraiment conscients du degré de dépendance de Monaco à l’égard de la France, ou de San Marin à l’égard de l’Italie. Ensuite, Monaco et le Luxembourg « s’en sortent » parce qu’ils sont l’exception, et non la règle. Si demain l’Europe est composée de cent Monaco ou cent Luxembourg, il est à peu près certain que la concurrence entraînera un écrémage impitoyable. Et comme plus personne ne paiera pour les régions « perdantes »… Ce qui est aussi très intéressant, c’est de constater l’inanité du sentiment d’appartenance européen. Il n’y a que les élites françaises qui croient (ou font semblant de croire) à l’Europe. Je l’ai déjà dit, désolé, mais j’insiste lourdement : qui est assez naïf pour croire que les Flamands, qui refusent de payer pour les Wallons aujourd’hui, accepteront de payer demain pour les Epirotes, les Calabrais, les Andalous, les Transylvaniens, etc. ? Le régionalisme, c’est la négation de la solidarité nationale. Dans ces conditions, on voit mal comment une « Europe des régions » pourrait fonctionner. Il serait bon que nos dirigeants, qui poussent à la régionalisation, réfléchissent à cela. Et que plus d’hommes politiques dénoncent vigoureusement les discours régionalistes.
Maintenant, quelle attitude adopter si la Belgique éclate demain ? Comme je l’ai dit déjà, je ne suis guère enthousiaste à l’idée d’intégrer la Wallonie dans la République française. Ce n’est pas par hostilité envers nos voisins, loin de là. Mais je crains que personne n’y trouve son compte. Les Wallons, bien que francophones, n’ont été que fort peu français dans le passé, environ deux décennies lors de la Révolution et de l’Empire, ce qui ne leur a pas forcément laissé un très bon souvenir. Je crois qu’on sous-estime le fossé culturel entre nous. Les Wallons ont longtemps appartenu à des ennemis de la France (Espagne, Autriche). Depuis 1830, ils vivent dans un état fondé sur la monarchie et le catholicisme, même si les socialistes forment le premier parti de Wallonie. Je crains que l’intégration de la Wallonie n’oblige la France à créer un « statut spécial » pour les nouveaux venus. Or, pour quelqu’un qui, comme moi, est partisan de l’abolition du régime particulier d’Alsace-Moselle, ce ne serait pas une bonne chose. Entériner les particularismes reviendrait de fait à affaiblir la République qui repose sur l’unité nationale et la loi commune. En tant que jacobin, je ne veux pas que les « régimes spéciaux » deviennent la règle. En d’autres termes, je crains que l’annexion de la Wallonie n’entraîne une fédéralisation de la France. Ce serait la meilleure façon de préparer son éclatement. D’un autre côté, intégrer la Wallonie limiterait la fragmentation régionaliste à nos frontières et renforcerait notre poids démographique en Europe. La Wallonie présente un intérêt stratégique certain, car elle est située dans la mégalopole européenne, et elle nous donnerait une frontière avec les Pays-Bas. De plus, si nous étions amenés à perdre certaines portions de notre territoire, l’acquisition de la Wallonie pourrait apparaître comme une compensation. Maigre consolation à mes yeux, cependant.
Référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014
Le premier ministre britannique, David Cameron, a signé le 15 octobre à Edimbourg, avec Alex Salmond, premier ministre écossais et indépendantiste, un accord qui prévoit la tenue d’un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014. Comme la Flandre, l’Ecosse est une région relativement riche du Royaume-Uni. Pour plusieurs raisons. D’abord, l’Ecosse est peu peuplée avec seulement 5,2 millions d’habitants. Il est probable que la proportion d’immigrés est plus faible qu’en Angleterre. Et l’on sait que les populations immigrées sont souvent, en moyenne, plus défavorisées que les autres. Ensuite l’Ecosse bénéficie de l’exploitation du pétrole en Mer du Nord. Je pense que l’Ecosse a très envie de devenir une Norvège bis, cette dernière comptant d’ailleurs à peine 5 millions d’habitants, moins que l’Ecosse. Les nationalistes écossais ayant gagné les dernières élections, le premier ministre Cameron, personnellement hostile à la sécession, a dû accepter le principe d’un référendum. Le cas de l’Ecosse est différent de celui de la Flandre ou de la Catalogne. Jusqu’en 1707, il y avait en effet un royaume d’Ecosse, avec son histoire et son identité, ce que nul ne conteste. C’est d’ailleurs le roi d’Ecosse, Jacques Stuart, qui ceignit la couronne d’Angleterre. L’Angleterre (habituée depuis toujours, soit dit en passant, aux rois étrangers, français, écossais ou allemands) n’est bien sûr pas devenue écossaise. Mais l’Ecosse n’est pas non plus devenue anglaise. Le Royaume-Uni a véritablement constitué une association, certes dominée par les Anglais, mais à laquelle les Ecossais ont pris une part privilégiée, contrairement aux Gallois et aux Irlandais. Les Ecossais ont fourni soldats, marins et colons à l’Empire britannique, ils ont largement pris part à l’expansion britannique et en ont profité. Le Royaume-Uni n’a jamais rechigné à donner des commandements ou des postes lucratifs à des Ecossais. Si l’on ajoute à cela que l’union des deux pays s’est faite sans guerre, et d’une manière plutôt flatteuse pour l’Ecosse, puisque c’est un Ecossais qui a été couronné à Londres, on s’explique mal cette poussée de fièvre indépendantiste.
Comme pour la Flandre, la seule explication qui vaille est d’ordre économique : il s’agit de ne plus payer pour les régions sinistrées du nord de l’Angleterre, et de laisser Londres et sa city seules pour contribuer à la solidarité nationale. Comme de bien entendu, Salmond et les nationalistes se réclament de l’ « Europe », mais comme pour les autres séparatistes et régionalistes de tout poil, cela relève de l’incantation. L’Europe dont on rêve à Anvers ou à Edimbourg est une Europe des égoïsmes locaux où chaque région, au sein d’une union aux liens lâches, fera ce que bon lui semble. Et chanter le petit couplet sur « l’amour de l’Europe » n’empêchera pas chacun de tenir sa bourse soigneusement fermée pour les « frères » européens. Voilà la vérité. Il semblerait toutefois que les indépendantistes écossais ne soient pas du tout assurés de l’emporter en cas de référendum. C’est tant mieux, car l’indépendance de l’Ecosse serait un mauvais signal. Au fond, peu importe que ce soit la Flandre, la Catalogne ou l’Ecosse qui obtienne la première son indépendance. Ce qu’il faut comprendre, c’est que dès que l’une aura obtenu gain de cause, un processus néfaste s’enclenchera dans toute l’Europe. Les régionalistes le savent, et ils attendent avec impatience que l’une ou l’autre franchisse le pas. Une seule sécession, une seule indépendance, et toutes les revendications indépendantistes et séparatistes se trouveront légitimées et confortées.
Je comprends les impératifs de M. Cameron. Il était obligé de tenir compte des élections écossaises. Même si le référendum maintient l’Ecosse dans le Royaume-Uni, je pense que c’est une mauvaise idée de l’organiser. On criera au déni de démocratie. Je suis profondément attaché à la démocratie, mais, pour moi, la continuité de l’Etat est nécessaire. Ce que je veux dire par là, c’est qu’un pays n’est pas gérable s’il se trouve sans cesse sous la menace d’un référendum qui d’un coup le priverait d’une partie de son territoire, de sa population et de sa richesse. Un état se gouverne sur le long terme, de même que son territoire s’aménage sur le long terme. L’Espagne, le Royaume-Uni ou la France ne peuvent pas être pris en otage par telle ou telle minorité régionale faisant planer la menace d’une sécession. C’est inadmissible, même si cela nous rappelle que les régionalistes se conduisent souvent avec une immaturité impressionnante, comme des enfants capricieux. A se demander même si l’indépendance ne les frustrerait pas, puisqu’ils ne pourraient plus faire trembler l’Etat-nation dont ils prétendent se détacher. L’appartenance à un Etat-nation repose certes sur le consentement de tous, mais le renouvellement de ce consentement est, et doit demeurer tacite. Si, tous les vingt ans, on organise dans chaque région un référendum pour demander aux gens : « voulez-vous rester français ? », cela n’aura aucun sens. Le pays vivra uniquement dans l’attente de son éclatement inéluctable. C’est pourquoi le référendum doit être utilisé avec précaution. Si les indépendantistes écossais perdent en 2014, leur lecture de la consultation est toute trouvée : « Nous prenons acte de la décision du peuple écossais, qui n’a pas souhaité pour le moment accéder à l’indépendance. Les Ecossais ne se sentent pas encore prêts. Nous allons travailler pour les convaincre que l’indépendance est souhaitable, inéluctable, dans une Europe fraternelle des peuples libres ». Autrement dit : rendez-vous dans dix ou quinze ans pour un nouveau référendum… Jusqu’à ce que les Ecossais disent « oui ». Alors que les précédents « non » auront tous été provisoires, étrangement ce « oui » sera définitif. Allez savoir pourquoi. Les indépendantistes et les régionalistes se fichent du résultat d’un référendum quand il leur est défavorable. Un seul référendum sera valable pour eux : celui où les électeurs auront fait le « bon » choix. C’est une démocratie de carnaval, qui de fait place une épée de Damoclès au-dessus de tous les grands états d’Europe occidentale, Allemagne exceptée.
Conclusion
L’Allemagne, parlons-en justement. Son système fédéral paraît équilibré et sain. Aucun Land ne réclame son indépendance. Nul ne conteste que les Allemands forment une nation. N’est-ce pas le modèle à imiter ? Eh bien non. Le modèle allemand ne convient qu’à l’Allemagne pour des raisons historiques et culturelles. Les exemples de la Flandre, de l’Ecosse et de la Catalogne doivent nous enseigner une chose : la régionalisation, l’autonomie, la fédéralisation sont parfaitement incapables d’endiguer le séparatisme, elles ne font que le renforcer. Pour les régionalistes, le système fédéral ou l’autonomie ne sont que des phases transitoires, des étapes, avant ce qui reste le seul et unique but : l’indépendance. La Catalogne est aujourd’hui autonome et dotée de larges prérogatives, la Flandre aussi dans une Belgique fédérale et l’Ecosse de même a gagné en autonomie. Tout cela a-t-il affaibli le séparatisme ? Non, bien au contraire, il l’a conforté. Croire que l’on va affaiblir les mouvements sécessionnistes en institutionnalisant les particularismes, c’est faire preuve de bêtise, ou ignorer sottement les ressorts du discours régionaliste. Ainsi, certains, comme Marylise Lebranchu (ministre de la décentralisation, ça promet), déclarent, sans rire, que la France sera plus unie et solidaire en ratifiant la Charte européenne des langues régionales. C’est une blague. Et c’est la raison pour laquelle il faut se battre pour que cette Charte ne soit pas ratifiée, comme c’est prévu dans le programme de François Hollande (3).
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