Fallait-il lancer les Croisades?
Lorsque le courant historiographique déconstructiviste rencontre le paradigme du "suprémacisme blanc" et l'anticatholicisme primaire inhérent à une certaine gauche, on pourrait considérer que c'est une forme... d' "intersectionnalité progressiste", une "convergence des luttes". Le résultat, est-il besoin de le préciser, est un désastre pour l'intelligence. Les Croisades? Un crime de plus sur la liste interminable des forfaits commis par l'homme blanc occidental. L'affaire est entendue: des hordes d'Occidentaux illettrés, fanatisés, d'une rare brutalité, se sont jetés sur le merveilleux, le raffiné, l'admirable monde musulman, comme l'ignoble pervers violant l'innocente pucelle. Expédition militaire, démonstration de violence sans précédent, les Croisades annoncent avec quelques siècles d'avance les péchés de l'Occident: la tentation coloniale, le mépris de l'Autre, et tout particulièrement du musulman et du juif, qui prendra plus tard la forme bien connue du racisme et débouchera, comme chacun sait, sur la Shoah. D'ailleurs, les croisés ne se sont pas privés de massacrer des juifs avant de partir occire les Sarrasins. Colonialisme, antisémitisme, islamophobie, c'est dire à quel point, dès le Moyen Âge, l'Occident montre déjà les signes de ses penchants aussi ataviques que maléfiques.
Cet article sera donc consacré aux Croisades, ces expéditions épiques qui jadis firent la fierté de l'Europe occidentale (et de la France en particulier) et qu'aujourd'hui on n'évoque plus qu'à voix basse après avoir fait acte de contrition. Baisser la tête, mettre un genou à terre, parce que "Muslim lives matter" évidemment. Mon propos ne sera pas de raconter dans le menu le déroulement des Croisades, car il existe d'excellents bouquins qui narrent cela bien mieux que moi. Je ne peux que conseiller L'Epopée des Croisades de René Grousset (voir bibliographie commentée en fin d'article). Certes, c'est de la vieille historiographie, l'auteur détaillant surtout les aventures, militaires aussi bien que sentimentales, des chefs croisés et des principaux dirigeants des états latins du Levant. Il fait clairement l'apologie de l'action des croisés, y voyant précisément le prémice de la grande oeuvre coloniale européenne, et particulièrement française (point de vue d'ailleurs repris aujourd'hui par certains, mais pour en faire le reproche à l'Occident honni). Les questions sociales et économiques sont à peine effleurées, et le quotidien dans les états croisés reste peu abordé (pas de chapitre sur la condition des femmes à Antioche et à Jérusalem au XII° siècle...). Mais, au-delà de cette vision positive des Croisades, qu'on peut contester (ou du moins nuancer) et dont il faut être conscient, René Grousset est un véritable érudit. Il connaît bien les sources, surtout occidentales, il les maîtrise parfaitement et propose donc un bon récit chronologique des événements politiques et militaires. Et surtout, Grousset est une plume: son ouvrage est très agréable à lire, on se laisse facilement emporter par son récit, dans lequel pointe l'enthousiasme, parfois un peu excessif, de l'auteur. Cela étant, je ne suis pas sûr que les livres d'aujourd'hui, écrits comme des réquisitoires par des intellectuels aussi pétris d'idéologie (voire plus!) que Grousset en son temps, mais qui eux criminalisent le passé et affichent un mépris ostensible pour les grandes figures de l'histoire, soient très agréables à lire. Je pense pour ma part qu'il faut éprouver un minimum d'affection et de tendresse pour son objet d'étude, même s'il ne faut pas se laisser aveugler par celles-ci (1). J'ai du mal à croire qu'on puisse écrire un bon livre sur les Croisades si l'on pense qu'elles ne sont que crimes et exactions.
Plus récente et plus au fait des progrès de l'historiographie, on peut citer la somme rédigée par Michel Balard, Les Latins en Orient XI°-XV° siècle. L'ouvrage, qui ne parle pas que des Croisades, y consacre néanmoins de longues pages, ainsi qu'à l'histoire des états latins d'Orient. Mais ici, toutes les dimensions sont traitées: économique, sociale, culturelle, administrative. Pour ceux que la lecture de gros pavés rebute, ce que je peux comprendre, je conseille l'excellent Atlas des croisades de Jonathan Riley-Smith, préfacé par Michel Balard pour l'édition française. Beaucoup de cartes (évidemment dans un atlas), mais également beaucoup d'illustrations, de plans, de reconstitutions, de schémas, en bref une vue d'ensemble du sujet, et même finalement du monde méditerranéen en général dans la 2ème moitié du Moyen Âge.
L'objet de cet article sera de s'interroger sur l'intérêt des Croisades pour le monde occidental, en laissant de côté la question théologique. Il est évident que la foi a joué un grand rôle dans le phénomène des Croisades, et on oublie trop souvent que la Croisade est d'abord un pèlerinage armé, une façon d'obtenir la rémission des péchés. Risquer sa vie pour aller fouler le sol sur lequel le Christ a marché, a souffert, est mort et ressuscité, afin d'obtenir le Salut, nous semble aujourd'hui à peine compréhensible, mais il faut accepter que la mentalité des hommes du Moyen Âge différait de la nôtre. Mon point est de rechercher d'éventuelles causes "rationnelles", le mot est sans doute mal choisi, disons des raisons qui pourraient apparaître valables aux yeux des froids cartésiens allergiques à toute transcendance que nous sommes devenus. Il s'agit également de s'interroger sur les conséquences des Croisades pour l'Occident: en-dehors d'une réputation de brutalité et de sauvagerie solidement établie dans le monde arabo-musulman (et amplifiée depuis par l'épisode colonial), les Croisades ont-elles rapporté quelque chose aux Occidentaux? Nous ont-elles appris autre chose que la haine et le mépris?
L'islam médiéval: "la civilisation la plus avancée du monde"(2)?
Dans son ouvrage très intéressant et fort bien écrit, quoique discutable dans sa vision des choses, intitulé Les Croisades vues par les Arabes, Amin Maalouf parle d'une civilisation arabo-musulmane qui, au XI° siècle, a perdu sa combativité pour sombrer dans une sorte de torpeur, en troquant le sabre du moudjahid pour la plume du savant, de l'intellectuel. Or cette vision est en grande partie fausse, et la seule lecture attentive de Maalouf suffit à le prouver. En 1096, les Turcs seldjoukides sont aux portes de Constantinople, et leur arrivée est fort récente: Maalouf ne dit quasiment rien de la bataille de Mantzikert qui s'est déroulée en 1071, et qui a ouvert l'Anatolie, vieille terre christianisée et hellénisée depuis des siècles, à la conquête turque. Recep Tayyip Erdogan, lui, ne s'y est pas trompé en célébrant en grande pompe cet événement qui marque rien de moins que le début d'un véritable Grand Remplacement qui devait s'achever au XX° siècle, au lendemain de la Grande Guerre et de la défaite grecque face aux kémalistes (3) et qu'Erdogan poursuit symboliquement en reconvertissant Sainte-Sophie et Saint-Sauveur-in-Chora en mosquées. Le multiculturalisme, c'est bon pour ces cochons d'Occidentaux, n'est-ce pas. Mais revenons au Moyen Âge. Le premier dirigeant que les croisés vont affronter, à savoir le sultan seldjoukide Kilij Arslan, est lui-même un envahisseur. Sa capitale, Nicée, est une ville byzantine. A Antioche, en Syrie du nord, qui deviendra le centre d'un important état croisé, la situation n'est pas très différente: la ville n'est tombée aux mains des musulmans qu'en 1084, soit dix-sept ans avant le siège des croisés. De nombreux habitants sont d'ailleurs encore chrétiens, et le gouverneur musulman prendra soin d'en expulser une bonne partie avant l'attaque des Occidentaux, ce qui est "moins acte de discrimination religieuse que mesure frappant, en temps de guerre, les ressortissants d'une puissance ennemie" (4). Mille ans après, des musulmans considèrent encore les chrétiens d'Orient comme le cheval de Troie de l'Occident, et c'est pourquoi ils cherchent à les faire disparaître (5). Par contre, si vous accusez les musulmans de nos contrées d'être la cinquième colonne de l'hydre islamiste, vous commettrez là un amalgame offensant.
On en vient à la question de la "tolérance" durant les premiers siècles de l'islam, un lieu commun qui mérite d'être nuancé. Nuancé, parce qu'il est clair qu'au Moyen Âge, le monde arabo-musulman est davantage multiconfessionnel que l'Occident catholique. Les chrétiens en terre d'islam sont nombreux, très nombreux, peut-être même majoritaires en Egypte jusqu'au XII° siècle par exemple. Ils ne sont pas, loin s'en faut, systématiquement maltraités. En revanche, et il faut le dire avec vigueur, les chrétiens sont systématiquement discriminés (comme d'ailleurs tous les non-musulmans): ils ont le statut de dhimmis, ils paient un impôt spécifique, la jizyah (ou capitation), leur témoignage vaut moins que celui d'un musulman, un homme chrétien ne peut épouser une musulmane (le contraire est possible, et les enfants sont évidemment musulmans... un peu comme en France aujourd'hui). Certains historiens soulignent que le rappel incessant de ces règles juridiques prouverait qu'elles étaient peu voire rarement respectées et que le fossé séparant musulmans et dhimmis ne doit pas être exagéré. C'est possible, mais sur le temps long, il faut quand même constater plusieurs faits indiscutables. D'abord, partout en terre d'islam, les communautés chrétiennes connaissent tôt ou tard un déclin, et ce déclin est à mettre sur le compte d'un processus continu de conversions étalé sur plusieurs siècles. Même si le statut de dhimmi n'est pas insupportable et offre certaines garanties, être musulman reste manifestement un avantage, et cela apporte la preuve que le système de discriminations décrit plus haut existe bel et bien quoi qu'en disent les partisans d'une vision irénique des sociétés musulmanes médiévales. Les coptes, s'ils étaient majoritaires en Egypte au moment de la 1ère Croisade, représentent aujourd'hui 8 à 10 % de la population égyptienne. L'islam a certes permis aux Gens du Livre de subsister, parfois jusqu'à nos jours, mais dans le cadre de communautés progressivement marginalisées, repliées sur elles-mêmes et connaissant une véritable hémorragie vers l'Oumma islamique. Ensuite, le degré de tolérance varie grandement selon les lieux et les époques. Beaucoup de régions ont connu des poussées de violence et de persécution à l'encontre des chrétiens, parfois même des juifs, pourtant nettement mieux traités en terre d'islam qu'en terre chrétienne.
J'ai grandi à la toute fin du XX° siècle où avait encore cours le "mythe d'al-Andalus". Les musulmans commençaient à constituer de grosses communautés dans les pays d'Europe occidentale, et devenaient visibles. Il fallait impérativement "vendre" aux Français et aux autres Européens le multiculturalisme. Tout allait très bien se passer, et d'ailleurs, il y avait des exemples probants dans l'histoire: l'Espagne musulmane avait été un "paradis multiculturel" avant l'heure, où chrétiens et musulmans jouaient paisiblement aux échecs dans une atmosphère de respect mutuel.
C'est ce qu'on pourrait penser en regardant cette illustration fameuse qui jadis traînait dans tous les manuels du secondaire traitant du Moyen Âge:
Source: Wikipédia, article "Al-Andalus"
Mais quand on y regarde de plus près, on observe tout de même que le musulman (à droite) porte une épée bien visible alors que le chrétien (à gauche) est désarmé. Et alors? me direz-vous, à quoi bon faire tout un drame pour un coupe-chou? Mais l'épée au Moyen Âge est l'arme par excellence, ce que la kalachnikov, symboliquement, est aujourd'hui. Transposons cette image à notre époque: un chrétien joue aux échecs avec un musulman qui a une kalachnikov posée à côté de lui. Je ne suis pas certain qu'on interpréterait cela comme la preuve irréfutable d'une cohabitation harmonieuse...
De fait, même al-Andalus a connu un processus d'islamisation et d'arabisation, accompagné d'une marginalisation de la communauté chrétienne pourtant elle-même arabisée, et c'est la Reconquista qui rechristianisera véritablement le sud de la péninsule ibérique. En Egypte, le calife fatimide (donc chiite) Al-Hâkim qui règne de 996 à 1021 se signale par une persécution très violente des chrétiens, provoquant émigration et conversions forcées. Il va jusqu'à détruire l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem (qui à ce moment est contrôlée par les Fatimides). Or Al-Hâkim était de mère chrétienne! Même si le calife paraît s'être nettement radouci dans les dernières années de son règne, la politique qu'il a menée montre bien que la "tolérance" en terre d'islam reste précaire et souvent transitoire. Le fanatisme, la violence, les persécutions n'en sont point absents, et l'agressivité occidentale n'en est pas forcément la cause. Plus récemment, les massacres de chrétiens du Mont Liban et de Damas par les Druzes en 1860 ou des chrétiens arméniens et assyriens par les Turcs (et leurs auxiliaires kurdes...) à partir de 1915 en témoignent.
A la fin du XI° siècle, le monde musulman n'est donc pas un monde où règnent partout la tolérance et l'harmonie. L'offensive occidentale ne s'est pas portée contre un monde pacifique ou sur la défensive. Au contraire, l'islam poursuit son expansion commencée dès l'époque de Mahomet. Car il faut revenir quelques siècles en arrière: depuis le début du VIII° siècle, ce sont les Occidentaux qui sont sur la défensive. Après la conquête de la péninsule ibérique en 711, le sud de la Gaule est menacé à son tour. Dans le même temps, Constantinople - déjà - subit les assauts du Croissant. Et il s'en est peut-être fallu de peu que ne se produise en 717-718 ce que les Turcs ottomans réussiront en 1453. L'énergie de l'empereur byzantin Léon III l'Isaurien et le feu grégeois brisent le siège de la ville pourtant méthodiquement organisé par les armées arabes du calife omeyyade. Quinze ans plus tard, près de Poitiers, le maire du palais Charles Martel, à la tête d'une armée franque, vainc une armée musulmane. Cette bataille n'a pas bonne presse, et les déconstructivistes prennent un malin plaisir à en réduire la portée, à en faire un "non-événement", voire, pour une minorité, à regretter ouvertement l'issue du combat! Mais ils auront beau faire, ils auront beau dire, la bataille de Poitiers s'inscrit dans cette série de coups d'arrêt portés à l'expansion arabo-musulmane. La menace, pour autant, n'est pas écartée: les pirates maures et sarrasins écument la Méditerranée durant les siècles qui suivent, et un avant-poste est même installé à la Garde-Freinet, sur la côte provençale, au X° siècle. A la fin du XI° siècle, la Reconquista ibérique enregistre ses premiers succès notables avec la prise de Tolède en 1085, tandis que la dernière place forte musulmane en Sicile tombe aux mains des Normands en 1091. Si les Arabes ont perdu de leur combativité, si le calife abbasside se prélasse paresseusement dans son palais des Mille et une nuits, entouré de savants et de poètes, ce n'est certes pas le cas des Turcs seldjoukides qui sont les véritables dirigeants politiques et militaires de l'Orient musulman. Leur avidité, leur désir de conquête, leur cruauté n'ont pas grand chose à envier à ceux que les auteurs musulmans reprocheront aux croisés. Je ne développerai pas ce point, mais je rappelle quand même que cette civilisation brillante et raffinée est également une société esclavagiste, avec par exemple des plantations dans le sud de l'Iraq. Eh oui, la traite négrière est aussi une histoire arabo-musulmane (6)... mais chut!
D'un point de vue géopolitique, l'islam demeure donc une menace très sérieuse à la veille de la 1ère Croisade. Les princes musulmans d'al-Andalus, au lendemain de la chute de Tolède, appellent à l'aide les Almoravides, puissante dynastie berbère qui gouverne alors l'actuel Maroc. Débarquant en Espagne avec leur armée, les Almoravides remportent une brillante victoire dès 1086. Ils ne reprennent pas Tolède, mais la progression chrétienne est jugulée et al-Andalus à nouveau unifiée après une période d'anarchie. S'il recule en Méditerranée occidentale, l'islam avance encore en Anatolie, comme on l'a vu. L'empereur byzantin Alexis Comnène (1081-1118) est bien conscient du danger et le schisme entre catholiques et orthodoxes consommé en 1054 ne l'empêche nullement de réclamer de l'aide à l'Occident. Lorsque le pape Urbain II commence à prêcher la Croisade en 1095, il donne aussi comme raison la nécessité d'apporter un soutien militaire aux Byzantins. Et quoi qu'on en ait dit, cette aide sera efficace: avec l'appui des croisés, Alexis Comnène reprend Nicée, avant de reconquérir l'ouest, le nord et la côte sud de l'Anatolie, confinant les Turcs au plateau central. Certes, la IV° Croisade de 1204, qui voit les catholiques s'emparer de Constantinople et démembrer l'empire byzantin, annulera en grande partie les bénéfices de la 1ère, précipitant le monde byzantin dans un déclin inexorable qui le laissera affaibli face aux Ottomans. Mais l'action des Occidentaux n'a pas été systématiquement nuisible aux intérêts byzantins. De leur côté, les Byzantins n'ont pas toujours soutenu avec ardeur les entreprises des Latins (ainsi qu'on appelle les Occidentaux de rite catholique) quand ils n'ont pas appuyé en sous-main les musulmans.
L'Occident s'ouvre au monde
Au XI° siècle, l'Occident catholique est en mutation. La fin de l'empire carolingien, partagé entre les petits-fils de Charlemagne au traité de Verdun de 843, avait entraîné une période de repli et de faiblesse, aggravés par les attaques des Vikings, des Hongrois et des musulmans. Vers l'an mille, la situation s'améliore. Les Vikings et les Hongrois s'assagissent et se christianisent à leur tour. La population augmente. Les villes se développent à nouveau, surtout en Italie du nord. Ce n'est pas un essor fulgurant, mais les prémices de quelque chose. La féodalité atteint son équilibre. De nos jours, le système féodal a mauvaise presse, parce qu'il est mal compris, et parce que l'Etat moderne s'est construit contre lui. Il est en réalité très efficace pour l'époque: la féodalité a permis un encadrement politique et social des campagnes qui n'a pas entravé leur développement, elle a permis la création d'une catégorie de combattants professionnels, entraînés et performants, les chevaliers (qui feront merveille durant les Croisades, lesquelles contribueront en retour à renforcer le prestige de la chevalerie). La féodalité, contrairement à une idée reçue, régule la violence plus qu'elle ne l'encourage. Ne brossons pas un tableau trop idyllique de la situation: oui, le monde féodal reste violent. Mais l'est-il beaucoup plus que le monde musulman où les querelles de succession, la lutte pour le pouvoir, les contentieux religieux entre chiites et sunnites se règlent assez souvent par l'assassinat? Les Assassins, parlons-en justement: cette secte chiite extrémiste fondée en 1090, juste avant la 1ère Croisade donc, fait peser une menace mortelle sur les dirigeants sunnites... même si certains ne répugnent pas à utiliser leurs services! En tout cas, à l'heure d'organiser les territoires conquis par les croisés, le système féodal donnera la preuve de ses indéniables qualités: minoritaires dans le territoire qu'ils dominent, confrontés à un environnement hostile, entourés de musulmans, peu soutenus par les Byzantins, les Occidentaux vont tenir Jérusalem pendant près d'un siècle, Antioche et Tripoli plus longtemps encore. On souligne à raison l'échec final des Croisades, mais on tend à oublier l'exploit qu'a représenté le maintien de la domination latine au Levant pendant des décennies, face à une civilisation considérée comme supérieure.
En fait, les Croisades ont eu une grande vertu, en obligeant les Occidentaux à se confronter à l'autre, au musulman, au Byzantin aussi (même si ce dernier est plus familier). Bien sûr, il n'est pas question de nier l'aspect militaire des Croisades: ce sont des expéditions de conquête (ou de reconquête après la perte de Jérusalem en 1187). Mais combattre l'ennemi n'empêche pas de l'observer, et de regarder s'il a quelque chose à nous apprendre. Et les Occidentaux, ces barbares grossiers et incultes, ont bien vu qu'il y avait matière à apprendre du monde musulman. Les moines commencent à traduire en latin les traités scientifiques et philosophiques des savants arabes. Autant il est excessif, je pense, d'attribuer au seul monde musulman le mérite d'avoir transmis à l'Occident l'héritage grec antique, autant il paraît malhonnête de nier son apport scientifique et technologique à l'Europe catholique. En fait, et Amin Maalouf lui-même le reconnaît dans l'épilogue de son ouvrage, l'Occident est allé à l'école du monde musulman. Le monde catholique médiéval a su faire preuve de curiosité, cette même curiosité qui avait fait le génie grec dans l'Antiquité. Les musulmans eux, s'étaient aussi montrés curieux au début de leur histoire - et encore, signalons quand même que le calife Omar fit brûler la grande bibliothèque des Sassanides à Ctésiphon en 637, arguant qu'un seul livre, le Coran, lui suffisait - en assimilant des connaissances venues des civilisations grecque, perse, chinoise et indienne. Mais cette curiosité s'est tarie. Lorsque les croisés prennent Jérusalem en 1099, les apparences sont brillantes mais le marasme guette. Le monde musulman vit déjà sur ses acquis. Et en 1258, les Mongols infligeront aux Abbassides ce que le calife Omar avait fait subir aux Sassanides: la Maison de la Sagesse de Bagdad, ce temple de la connaissance, sera incendiée et sa bibliothèque détruite. Maalouf donne une étrange explication au déclin intellectuel du monde musulman: il incrimine la classe dirigeante des XI°-XIII° siècles, essentiellement composée de Turcs, de Kurdes, voire de chrétiens convertis. Et alors? Il le reconnaît lui-même, beaucoup de ces hommes sont arabisés, certains sont lettrés. Non, Maalouf se trompe de coupable. Et l'exemple de l'Occident en témoigne: les invasions germaniques de l'Antiquité tardive ont certes porté un coup à la vie intellectuelle (7), mais la chrétienté latine connaît un nouvel essor dans la 2ème moitié du Moyen Âge. Le problème de l'Orient, c'est l'islam, ou, pour être précis, la conception de l'islam qui s'est imposée dans le courant du Moyen Âge: une conception rigoriste, traditionaliste, qui se ferme progressivement à l'audace intellectuelle, à la science, à la raison pour s'en tenir à la lettre de la loi divine.
Pendant ce temps, l'Occident a fait le chemin inverse. Alors que l'Orient musulman a fini par ne plus produire que des madrasas où l'on apprenait seulement à réciter le Coran, l'Eglise catholique a créé les universités dès le Moyen Âge, et plus tard les collèges des Jésuites et des Oratoriens. Je ne dis pas que les choses se sont faites sans peine, ni que la menace intellectuelle du protestantisme et les progrès de la connaissance n'ont pas contraint l'Eglise à s'adapter, mais le constat est là: le catholicisme a accompagné, peut-être de mauvaise grâce, l'essor scientifique et intellectuel de l'Occident. Au commencement, je dirais même qu'il l'a favorisé. L'islam, au contraire, après des débuts prometteurs, a fini par entraver puis arrêter le développement intellectuel de l'Orient, avec des conséquences qui se font sentir jusqu'à nos jours, et dont l'Etat Islamique n'est que la forme la plus extrême et la plus caricaturale. Tout en développant à son tour un complexe de supériorité, l'Occident n'a jamais abandonné sa curiosité acquise au temps des Croisades. Et ni la traite négrière, ni la colonisation n'ont empêché les Occidentaux de s'intéresser aux autres, de les observer, là où le monde musulman, par orgueil, s'est enfoncé dans un superbe isolement. Certes, l' "Orient éternel" a son charme, indéniable, qui a exercé une forme de séduction sur nombre d'Occidentaux, mais il a aussi ses limites. D'ailleurs, c'est probablement cette image d'un monde immuable offerte par l'Orient musulman qui a tant fasciné les Européens du XIX° siècle, confrontés aux bouleversements de l'âge industriel. A force de vivre en ignorant le reste de la planète, le monde musulman s'est réveillé un jour avec sous les yeux l'étendue du retard accumulé.
Les Croisades ont également eu un impact économique considérable: elles ont donné aux Occidentaux la maîtrise des mers, et pour longtemps. Pendant tout le Haut Moyen Âge, la Méditerranée est dominée par la flotte byzantine d'abord, puis par la flotte arabo-musulmane ensuite. Aux temps mérovingiens, le commerce avec l'Orient est aux mains des Grecs, des Syriens, des juifs éventuellement. Tout change avec les Croisades. Certes, la 1ère Croisade a essentiellement emprunté la voie terrestre, mais l'Occident latin au XI° siècle revient en force sur la scène méditerranéenne: pour conquérir la Sicile, les Normands ont déjà dû développer une force navale (qu'ils n'ont d'ailleurs pas hésité à tourner contre les Byzantins). Surtout, les grandes cités maritimes d'Italie du nord, Venise, mais surtout Gênes et Pise ont entrepris de faire la chasse aux pirates musulmans qui infestent la Méditerranée occidentale. Ces Italiens prennent l'habitude de combattre sur mer, de construire et réparer des navires, de les perfectionner aussi. Ils deviennent des marins, eux aussi pirates à l'occasion, mais aussi marchands, car ils peuvent désormais profiter de la sécurité partiellement retrouvée des routes maritimes. Après la prise de Jérusalem en 1099, l'afflux de croisés et de pèlerins ne cessent pas. La voie terrestre est longue et dangereuse. La voie maritime est également dangereuse, mais plus courte. Génois, Pisans et Vénitiens vont transporter les croisés en route pour la Terre sainte, joignant le lucratif au charitable. A partir du XII° siècle, le commerce méditerranéen passe aux mains des marchands italiens. Ils contrôlent les échanges dans le monde byzantin, au fur et à mesure des concessions accordées par les empereurs pour obtenir leur soutien. Les Vénitiens et les Génois finiront même par coloniser une partie du monde byzantin, dominant les îles et les principaux ports, après la IV° Croisade. Et les marchands italiens ne s'installent pas qu'en terre chrétienne: en 1154, le vizir de l'Egypte fatimide autorise les Pisans à disposer d'un entrepôt à Alexandrie et à commercer librement et en sécurité en terre égyptienne. Même lorsque les Occidentaux sont chassés de la côte levantine à la fin du XIII° siècle, le commerce méditerranéen reste dominé par les Vénitiens et les Génois. Il faut attendre la chute de Constantinople en 1453 et l'essor ottoman pour que les républiques maritimes italiennes refluent.
Et ce recul, en réalité, est illusoire: au moment où les musulmans, par l'intermédiaire des Ottomans, reprennent le contrôle de la Méditerranée orientale (et menacent sérieusement la partie occidentale par le biais des pirates barbaresques d'Alger qui sont leurs vassaux), le gros du commerce maritime ne se joue plus en Méditerranée. Les Portugais contournent bientôt l'Afrique et atteignent l'Océan Indien. Désormais, l'Occident peut établir des relations directes avec l'Inde et la Chine sans plus passer par l'intermédiaire des Turcs et du monde arabo-musulman. Les Ottomans tentent bien de combattre l'irruption des Occidentaux dans l'Océan Indien au XVI° siècle, mais même Soliman le Magnifique (1520-1566) ne peut affronter efficacement Charles Quint et ses alliés en Méditerranée, et les Portugais au large de la péninsule arabique. Jusqu'aux Croisades, le monde musulman contrôlait donc le grand commerce, et ce n'est plus le cas ensuite. Le transport de marchandises en Méditerranée est désormais effectué par les navires des cités maritimes italiennes. Du coup, le progrès des techniques de construction navale et de navigation se passe désormais en Occident, avec les résultats que l'on connaît: les voyages de Christophe Colomb, Vasco de Gama, Magellan. Le monde musulman conserve cependant son rôle d'intermédiaire avec le reste de l'Asie jusqu'à la fin du Moyen Âge. Mais lorsque les Ottomans font de la Mer Noire et de la Méditerranée orientale des "lacs turcs", le monde musulman perd en réalité sa place centrale dans le commerce mondial. Et ce n'est pas un hasard si Colomb (au service des rois d'Espagne) est Génois et les Cabot (au service de l'Angleterre) sont Vénitiens: ils sont les héritiers directs des marins italiens qui ont fait leurs armes durant les Croisades.
Enfin, je pense que les Croisades ont eu des conséquences sur la pratique administrative dans les états occidentaux. En effet, il a fallu mettre sur pied, financer, rassembler des armées importantes, qui partaient pour une longue période. Les grands seigneurs, les rois et les empereurs ont dû lever des fonds, institutionnaliser des impôts, gérer également leurs absences. De ce point de vue, ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordonnance de Philippe Auguste fixant les tâches des baillis date de la veille de son départ pour la III° Croisade en 1190. Les Croisades ont certainement incité les souverains à perfectionner leur outil administratif et à penser le fonctionnement du royaume sans la personne royale, qui est la clé de voûte du système. La défense des territoires conquis en Orient a également mobilisé des ressources importantes dont il a fallu organiser la collecte et le transfert en direction de la Terre sainte et autres possessions latines d'outre-mer. Il est intéressant par exemple d'observer la remarquable organisation mise sur pied par les différents ordres religieux militaires, les Templiers, les Hospitaliers, les Teutoniques et quelques autres, avec son système hiérarchisé de commanderies, de provinces, de "langues" (au sens territorial) qui a permis à ces confréries de combattants du Christ de drainer des moyens importants dans tout l'Occident afin d'accomplir leur oeuvre militaire en Orient jusqu'à une date tardive: rappelons que les Hospitaliers sont chassés de Rhodes en 1522 par Soliman le Magnifique. Les Croisades ont certainement contribué à donner aux Occidentaux une expérience dans la projection et l'entretien d'un corps expéditionnaire important, agissant loin de ses bases, sur un territoire hostile, avec toute la logistique, notamment navale, que cela suppose. Les défaites de Saint Louis (1226-1270) en Egypte et à Tunis montrent bien la difficulté de telles expéditions. Mais on apprend aussi de ses échecs.
L'échec des Croisades: l'entrée dans la modernité
Car il faut bien l'admettre, les Croisades se finissent mal: en 1291, le sultan mamelouk d'Egypte, Khalil, prend Saint-Jean-d'Acre, la principale place forte chrétienne en Palestine, et capitale du "royaume de Jérusalem" depuis sa reconquête par Philippe Auguste et Richard Coeur-de-Lion un siècle plus tôt. Aucune des Croisades organisée au XIII° siècle n'était parvenue à reprendre la ville sainte. Saint Louis, le dernier souverain occidental à s'être vraiment investi dans la Croisade (de fait, il mène les deux dernières), avait subi de cuisants revers en Egypte en 1250 avant de mourir de la peste sous les murs de Tunis en 1270. A partir du XIV° siècle, quelques expéditions baptisées "Croisades" tenteront de soutenir un empire byzantin moribond, sans pourtant réussir à enrayer l'inéluctable ascension ottomane. Au regard de la violence et de la brutalité des croisés, qui ont durablement terni l'image des Occidentaux aux yeux des musulmans et des Grecs orthodoxes, au vu de la débâcle finale, on serait tenté de se dire "tout ça pour ça? Les Croisades étaient-elles bien utiles?". Je pense avoir montré que les Croisades ont été utiles à l'Occident, militairement, économiquement, culturellement, intellectuellement. Et même leur échec final a eu, à mon sens, une vertu: c'est précisément de vacciner l'Occident contre la guerre sainte. Les musulmans au contraire ont gagné et ce fut leur malheur: sept cents après, on parle encore de djihad dans le monde islamique... L'échec des Croisades ouvre en quelque sorte la voie à Machiavel, à la raison d'Etat, à la Realpolitik. François 1er (1515-1547), le Très-Chrétien, n'hésitera pas à conclure une alliance avec Soliman le Magnifique dans sa lutte contre Charles Quint. Louis XIV (1643-1715) sera tout autant l'allié du sultan ottoman. Bien sûr, cette entrée dans la modernité se fait au détriment de l'unité de la Chrétienté voulue par la papauté, et René Grousset le regrette. C'était pourtant inévitable, le prix à payer pour séparer le politique du religieux (qui est selon moi l'essence du christianisme), pour penser la souveraineté du roi, puis de la nation.
J'irai plus loin encore: la division de l'Occident en royaumes (et plus tard en états-nations) rivaux a été la condition de sa prodigieuse vitalité. C'est l'émulation entre les pays occidentaux, grands et petits (songeons à l'activité prodigieuse développée par le Portugal ou les Provinces-Unies), qui a poussé chacun d'eux à l'innovation et à l'excellence dans les sciences, les arts, les techniques, les voyages d'exploration, les pratiques administratives, commerciales, militaires. Alors bien sûr, on parle là de puissance, de conquête, de domination, d'exploitation, de guerre aussi, et ça ne va pas plaire aux décoloniaux et autres contempteurs de l'Occident. C'est pourtant le prix de la grandeur et du progrès. Ce que j'affirme se vérifie pour partie à notre époque: depuis que les nations européennes cherchent à se réunir dans une entité à demi-fédérale, nos pays ne créent plus rien, ne pèsent plus grand-chose, perdent toute ambition. Contrairement à ce que pensent les européistes, l'UE ne fera jamais ce que la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou même le Portugal ou les Pays-Bas seraient individuellement capables de faire. Pour la bonne et simple raison que, dans une structure comme celle de l'Union, les décisions sont toujours prises dans l'intérêt de certains pays, jamais de tous. Dans une telle situation, la politique menée ne peut qu'être frileuse et manquer singulièrement d'enthousiasme. Et pendant qu'on use son énergie à défendre son bifteck à Bruxelles, on ne l'utilise pas pour porter des projets nationaux qui seraient bien plus profitables. Une communauté politique restreinte mais homogène et unie est toujours plus puissante qu'un vaste ensemble hétérogène. C'est ainsi que la Macédoine d'Alexandre le Grand a conquis le vaste empire perse.
En se détournant de Jérusalem, les Occidentaux ont fini par regarder au-delà des mers, vers l'Amérique, l'Afrique subsaharienne, l'Extrême-Orient. Ils ont embrassé le monde entier. Faut-il s'en plaindre? Pas sûr quand on voit le destin du monde arabo-musulman qui lui a gardé les yeux rivés sur La Mecque, Médine, Jérusalem...
(1) Je parle là pour ceux qui travaillent sur les périodes autres que l'histoire contemporaine; je ne prétends évidemment pas qu'il est nécessaire d'apprécier Adolf Hitler pour écrire une biographie de qualité du Führer... Cela étant dit, je reste convaincu que la haine à l'égard des Hitler, Staline, Mussolini, Mao et d'autres, qui imprègne profondément nos sociétés, empêche de produire de bons travaux sur ces figures du XX° siècle. A mon avis, il faudra encore attendre plusieurs décennies (et notamment, pardon de le dire brutalement, la mort de toutes leurs victimes encore en vie) pour qu'une analyse dépassionnée puisse s'effectuer sur ces sulfureuses personnalités. Pour moi, le XX° siècle ne relève pas du domaine de l'histoire, mais encore trop souvent de la mémoire. Et comme l'époque est à la victimisation, on voit bien que cela mène à lister les crimes et les génocides, à collecter les témoignages et à désigner des coupables. Tout cela est affaire de juristes, pas d'historiens.
(2) J'emprunte l'expression à Amin Maalouf.
(3) Cet exemple historique de "Grand Remplacement" a été développé dans cet article. Au vu du destin de l'Anatolie, on peut comprendre les espoirs du président turc et de ses amis Frères musulmans de voir le même processus se dérouler en Europe de l'Ouest. Déjà, la peur de la communauté turque dicte une partie de la politique étrangère allemande. Et comme l'Allemagne dirige de facto l'UE...
(4) Maalouf, p.35
(5) J'avais évoqué le sort de ces populations chrétiennes dans cet article. Le déclin de ces communautés se poursuit dans l'indifférence quasi-générale.
(6) Le sud de l'Iraq est d'ailleurs le théâtre d'une violente révolte d'esclaves noirs de 869 à 883, la révolte des Zendj. Il faut dire aussi que la traite négrière n'est pas la seule à alimenter les marchés d'esclaves du monde islamique: Occidentaux razziés en Méditerranée, Slaves d'Europe orientale (les Saqaliba) qu'on retrouve jusqu'en Espagne et Turcs d'Asie centrale acheminés depuis le nord de la Mer Noire et de la Caspienne.
(7) Il y a un débat entre historiens à ce sujet: le triomphe du christianisme et les invasions/migrations barbares ont-elles entraîné une mutation ou une crise du monde romain tardif? C'est une question difficile. Personnellement, je persiste à croire que la transition entre l'Antiquité et le Moyen Âge en Occident s'accompagne d'une forme de déclin économique, technique, culturel et intellectuel. Le monde byzantin connaît un phénomène comparable aux VII°-VIII° siècles, lorsque les attaques arabes et bulgares mettent l'empire en péril. La "Renaissance carolingienne" en Occident, s'il ne faut pas l'exagérer, témoigne tout de même du déclin antérieur. Cela étant, la filiation gréco-romaine ne s'est pas complètement perdue à l'époque mérovingienne, et il faut se méfier du mythe des "âges obscurs".
Bibliographie:
Balard Michel, Les Latins en Orient XI°-XV° siècle, PUF, 2006
L'ouvrage, qui fait le point des connaissances universitaire sur les Croisades, est rédigé par un professeur de la Sorbonne, spécialiste reconnu de l'implantation occidentale en Méditerranée orientale au Moyen Âge.
Barbero Alessandro, Histoire des croisades, Flammarion, 2010
L'auteur est un universitaire italien qui s'est beaucoup intéressé à la période des "grandes invasions" et à la situation des Barbares dans l'empire romain. L'ouvrage, dont le titre est à mon avis mal choisi, ne propose pas un récit des Croisades, mais plutôt une réflexion sur le concept de Croisade et de djihad. Intéressant, court et agréable à lire, mais il est conseillé d'avoir déjà des connaissances sur la question.
Grousset René, L'Epopée des Croisades, 1939
L'histoire racontée à l'ancienne, dans un style littéraire. L'ouvrage donne envie d'être chevalier chrétien au XII° siècle, c'est sûr. L'auteur est un bon conteur, mais il se laisse aveugler par son parti pris en faveur des croisés.
Maalouf Amin, Les Croisades vues par les Arabes, J'ai lu, 1983
Ce n'est pas l'ouvrage d'un universitaire mais celui d'un écrivain franco-libanais de confession chrétienne, avec certains partis pris contestables. Le livre a cependant des qualités: il se lit fort bien et l'auteur a pris soin de réunir une documentation importante, s'appuyant sur les principaux chroniqueurs musulmans de la période des Croisades. Il montre bien la perplexité initiale du monde arabo-musulman face à l'irruption des croisés en Orient. Et sa conclusion sur la victoire en trompe-l'oeil de l'islam, le déplacement du centre de gravité politique et intellectuel vers l'ouest de la Méditerranée et la meilleure capacité des Occidentaux à bâtir des institutions stables me paraît très pertinente. Pour autant, il n'échappe pas à la tentation victimiste, présentant parfois les musulmans comme d'innocentes victimes des croisés. Il tend également à opposer les dirigeants musulmans (non-arabes pour la plupart) à la population, prêtant à la seconde moult vertus dont les premiers seraient dépourvus. Il est permis de se demander jusqu'à quel point la population musulmane du Levant ne partageait pas l'opportunisme de ses chefs...
Riley-Smith Jonathan, Atlas des croisades, Autrement, 2005 (1990 pour la 1ère édition originale)
L'auteur est professeur à l'université de Londres. Comme je l'ai dit, cet ouvrage me paraît idéal pour quelqu'un qui ne connaît pas grand-chose aux Croisades et qui n'a pas le temps (ou l'envie) de lire un ouvrage plus épais. Non moins que son intérêt scientifique, il faut souligner le caractère pédagogique de ce livre qui est de plus visuellement très agréable.
Pouvoirs en islam X°-XV° siècle, La documentation photographique, n°8103, janvier-février 2015
La documentation photographique est une revue essentiellement à destination des enseignants, dans laquelle des universitaires (ici deux professeurs de la Sorbonne, Anne-Marie Eddé et Annliese Nef) font, de manière synthétique, le point des connaissances sur une question. L'avantage de cette revue réside dans la qualité des documents proposés. Les pages 24-25 sont consacrées au calife fatimide al-Hâkim que j'évoque dans l'article.