Faut-il croire au "Grand Remplacement"?
C'est l'un des sujets qui divisent la France en deux camps irréconciliables. C'est une expression sulfureuse puisque le meurtrier de Christchurch (Nouvelle-Zélande), récemment condamné à la perpétuité sans aucune remise de peine (1), s'est réclamé de cette idée de "Grand Remplacement". Evidence que refuseraient de voir les "collabos" progressistes aux yeux des uns, mythe défendu par des racistes paranoïaques et complotistes selon les autres, on entend tout et n'importe quoi sur le "Grand Remplacement". Il est temps de revenir sur la définition de cette expression devenue le croque-mitaine de la pensée.
Qui est Renaud Camus?
L'expression "Grand Remplacement" est inséparable de l'homme qui en revendique la paternité, l'écrivain Renaud Camus. Il faut d'ailleurs noter que l'expression est autant connue que son auteur est discret. Ce dernier est un homme blanc d'un certain âge, homme de lettres de son état, et homosexuel assumé. Je donne cette dernière précision non point pour stigmatiser l'homme mais pour signaler qu'a priori il aurait pu susciter la sympathie dans les milieux progressistes, en tant que membre d'une minorité opprimée. Il n'en est rien: l'idée de "Grand Remplacement" et quelques contacts avec des mouvements très à droite ont définitivement marginalisé l'homme, devenu un paria couvert d'opprobre et d'anathèmes. Pourtant, il est peu probable que ceux qui le vouent aux gémonies l'aient lu, ou simplement écouté. Et c'est bien dommage, car quand on prend la peine d'écouter les gens condamnés par la bienpensance, on s'aperçoit assez souvent que leur pensée est plus élaborée et plus complexe - en un mot plus intéressante - que ce que leurs détracteurs veulent bien dire. Mais c'est le propre des progressistes, semble-t-il, que d'être incapables de nuance, tant dans leur propre idéologie que dans la façon dont ils conçoivent celle des autres. Honnêtement, je n'ai pas lu Renaud Camus dont l'oeuvre, précisons-le, n'est pas toute entière consacrée au thème du "Grand Remplacement", loin s'en faut. Lorsque j'ai voulu savoir, non pas ce que les autres font dire à Renaud Camus, mais ce que lui-même entend par "Grand Remplacement", j'ai trouvé deux interventions fort éclairantes: l'une est un débat organisé par Alain Finkielkraut dans son émission "Répliques" sur France Culture (2), au cours duquel Renaud Camus s'est confronté au démographe Hervé Le Bras, un des opposants les plus farouches à la thèse du "Grand Remplacement", l'autre étant un entretien de près d'une heure avec Philippe Bilger. J'invite les lecteurs intéressés à écouter tout particulièrement le second, certes un peu long, mais qui est très intéressant parce que Renaud Camus prend le temps d'y développer ses positions, et sur lequel je m'appuie pour ce qui suit.
Pour résumer, Renaud Camus appelle "Grand Remplacement" le processus qui amène, sur le sol français, le remplacement d'un peuple européen de culture française par un autre peuple, de souche arabo-africaine et de culture musulmane. Ce phénomène s'inscrit selon l'écrivain dans un paradigme plus vaste qu'il nomme le "remplacisme global". Renaud Camus soutient ainsi que les principes du taylorisme industriel sont aujourd'hui appliqués à l'homme, faisant de ce dernier un produit, standardisé, indifférencié, interchangeable... et in fine remplaçable. Et en effet, on peut observer que cette idée a entraîné l'instauration de la libre-circulation des travailleurs voulue par le patronat: s'il y a pénurie de travailleurs français, ou si le travailleur français refuse d'effectuer telle ou telle tâche pour un salaire indécent, il est tentant de le remplacer par des travailleurs immigrés, plus dociles, plus facilement exploitables, et peu importe au fond les conséquences démographiques et culturelles. Cette taylorisation de l'humanité, pourrait-on dire, a, aux yeux de Renaud Camus, conclu une allaince avec un antiracisme qui a sombré dans le relativisme et qui, arguant que toutes les cultures, toutes les religions, toutes les civilisations se valent, permet au final une colonisation en règle du territoire français, bien plus profonde que celle exercée par la France dans la plupart de ses colonies (sur le plan démographique, je suis d'accord avec Renaud Camus, mais sur les plans politique, intellectuel et culturel, je pense que l'empreinte de la colonisation française reste prégnante dans beaucoup de pays d'Afrique). L'écrivain nomme "remplacistes" les gens, intellectuels, dirigeants politiques ou économiques, figures médiatiques, qui encourageraient le "Grand Remplacement", notamment en favorisant l'immigration de masse. Enfin, il dénonce le conditionnement des "remplacés" par la télévision, l'école, les médias, le consumérisme effréné.
Renaud Camus se défend de proposer une vision complotiste du monde: il semble penser que des apprentis-sorciers ont lancé une machine qu'ils sont au final incapables de contrôler. Il n'y aurait donc pas d'organisation secrète qui supervise le "Grand Remplacement" dans le dos des citoyens, simplement une conjonction d'intérêts et de prises de position idéologiques. En effet, on peut remarquer qu'un certain nombre de groupes socio-économiques (le patronat, certains agriculteurs, les classes moyennes urbaines friandes de services bon marché) et les partis politiques qui représentent leurs intérêts (du centre-droit libéral à l'extrême gauche) sont ouvertement favorables à l'immigration, même si ce n'est pas exactement pour les mêmes raisons. Quand les progressistes célèbrent la diversité, les quotas ethniques, le multiculturalisme, quand ils nous expliquent que la France a changé, que ce n'est pas grave, que c'est même très bien et qu'il faut que ça continue, les choses sont parfaitement claires. Pourquoi dès lors accuser ces gens d'agir dans l'ombre? La volonté d'en finir avec la France en tant que nation, en tant que civilisation, en tant qu'Etat souverain est explicitement assumée par la plupart des progressistes. Quand des écologistes ou des "insoumis" manifestent avec des islamistes, n'importe quelle personne sensée peut en tirer les conclusions qui s'imposent. Pour terminer ce point, je pense qu'il faut relativiser l'influence de Renaud Camus, car s'il est bien l'auteur de l'expression à succès "Grand remplacement", remarquons tout de même que le phénomène en lui-même est dénoncé depuis bien longtemps avec d'autres expressions comme "submersion migratoire" ou "invasion migratoire". Qu'on apprécie ou qu'on déteste Renaud Camus, je trouve très injuste de voir en lui le responsable de la montée d'une idéologie anti-immigration. Son expression bien trouvée a simplement rencontré l'inquiétude grandissante d'une partie de la population française qui se sent dépossédée de son pays et de son identité. Mais faire de cet écrivain à l'élégance bourgeoise un peu désuète le responsable, ou à tout le moins le complice, des tueries de Christchurch est ignoble.
Je dirais également que les opposants à la théorie du "Grand Remplacement" se trompent sur un point fondamental: ils imaginent que les partisans de cette thèse, en bons néo-nazis qu'ils sont, pensent nécessairement à un remplacement purement biologique, racial, où les blancs sont remplacés par des non-blancs. Mais le "Grand Remplacement", si on écoute attentivement Renaud Camus (et d'autres), n'est pas qu'une question de couleur de peau, c'est aussi une question de civilisation. Quand Hervé Le Bras explique que le "Grand Remplacement" est un fantasme parce que, simplement, la population française, qui avait jusqu'au milieu du XX° siècle une origine assez homogène, va désormais avoir des racines plus diverses, autrement dit qu'une majorité de la population aura à la fois des origines étrangères mêlées à des racines françaises, notre distingué démographe oublie un paramètre, celui de l'identité: quelle sera la culture de ces "Français de sang mêlé"? S'appelleront-ils Damien ou Youssef, Adeline ou Cheïma? Seront-ils chrétiens, athées ou musulmans? Se réclameront-ils de Philippe Auguste, de Louis XIV, de Napoléon, ou bien d'Abdelkader, de Malcolm X et de Erdogan? Parce que, selon le cas, le résultat n'est pas tout à fait le même. Compte tenu de ce que j'observe, à tous les niveaux de la société, depuis mes élèves portant leur origine en bandoulière jusqu'à un ministre "de sang-mêlé" (ce sont ses mots) qui évoque sans cesse ses origines italiennes sans jamais avoir un seul mot pour ses racines françaises, j'ai ma petite idée sur les réponses aux questions que je viens de poser. Enfin, les détracteurs du "Grand Remplacement" font généralement un contresens, à mon avis volontaire, en considérant que les partisans de cette théorie parlent d'un fait accompli, alors que le "Grand Remplacement" est bien évidemment un processus en cours, qui a commencé, mais qui n'est pas achevé, et qui peut durer des décennies voire des siècles.
Que disent les chiffres?
La joute verbale entre Renaud Camus et Hervé Le Bras sur France Culture a rapidement tourné au dialogue de sourds, puisque le premier a opposé la sensibilité, l'expérience, le regard aux chiffres dégainés par le second. Et de ce point de vue, j'aurais tendance à penser que Renaud Camus est dans le vrai. Il y a tout un discours ambiant qui nous explique que nos sens nous mentent, que le ressenti n'est pas la réalité. Il faut certes se méfier des impressions. Mais est-ce que la réalité réside pour autant dans les chiffres qu'alignent méthodiquement Hervé Le Bras et ses amis démographes à l'appui de leur thèse? Je n'en suis pas convaincu. Lorsque je circule dans mon quartier et que je croise un nombre croissant de femmes voilées ou vêtues à l'africaine, des hommes en gandoura parlant des langues étrangères, mes sens me disent que quelque chose cloche. Quand j'emprunte le tramway au Mans pour traverser la ville et que, dans la rue comme dans le transport en commun, je constate la présence d'une importante population noire, ce n'est pas simplement l'expression de ma paranoïa xénophobe. Lorsque je constate, dans la classe de mon enfant, qu'une minorité de fillettes porte des prénoms qui ne sont pas à consonance arabo-musulmane, ça dit quand même quelque chose sur la société dans laquelle je vis (3). Je pense que les questions d'identité, de culture, de sociabilité, de pratiques vestimentaires ou alimentaires, bref tout un ensemble de détails et de petits riens qui constitue un mode de vie, sont difficilement mesurables en valeur chiffrée. Pour prendre un exemple, j'ai lu à plusieurs reprises que l'intégration des Maghrébins se passait très bien, la preuve étant que la moitié des hommes d'origine maghrébine vit en couple avait une conjointe non-maghrébine (c'est-à-dire généralement d'ascendance européenne). Mais ce critère est-il vraiment pertinent? Ne faudrait-il pas, par exemple, évaluer quelle proportion de ces femmes européennes se convertissent ou non à l'islam pour mesurer le degré d'islamisation ou de francisation de ces foyers? Ne faudrait-il pas se pencher sur la proportion de prénoms européens donnés aux enfants de ces familles soi-disant mixtes? Ne faudrait-il pas étudier dans quelle religion sont élevés les enfants nés d'un père musulman et d'une mère non-musulmane?
Le problème du chiffre ne tient pas seulement à sa pertinence. Il y a aussi la question de la fiabilité des chiffres, dans un pays où, rappelons-le, on s'interdit les statistiques ethniques et confessionnelles, du moins officiellement. Les simples sondages n'ont pas grande valeur, puisque prétendre qu'un millier de personnes pourrait être représentatif de soixante-sept millions d'habitants m'a toujours paru suspect. Certes, les instituts de sondage se vantent d'utiliser des méthodes sérieuses, personnellement, je n'y crois pas. Il y a donc une réelle difficulté à obtenir des chiffres fiables sur les questions d'origine, d'ethnie, de religion en France. Ensuite, le travail d'interprétation du démographe n'est pas une mince affaire. Je me souviens il y a quelques années avoir voulu lire un livre de Michèle Tribalat (qui n'est pas vraiment sur la même ligne optimiste que son collègue Hervé Le Bras) sur l'immigration en France justement. J'ai dû abandonner face à la complexité du propos car "l'homme sage connaît ses limites" comme dit l'inspecteur Harry. Pour autant, ces réserves étant posées, je ne dis pas qu'il faut systématiquement s'interdire de recourir aux chiffres. Alors que disent-ils, ces fameux chiffres? Eh bien, d'abord, dans son ouvrage "L'archipel français", Jérôme Fourquet indique qu'environ 19 % des enfants nés en France à la fin des années 2010 reçoivent un prénom musulman (mais compte-t-il les prénoms de l'Afrique sahélienne musulmane? Mystère). C'était 2 % il y a quarante ou cinquante ans (4). Ce chiffre peut donc être retenu comme un indice d'une islamisation croissante de la population vivant en France. Parmi ces enfants, on peut supposer que l'immense majorité est issue, au moins partiellement, de l'immigration maghrébine, subsaharienne, levantine et turque (encore faudrait-il savoir si tous les prénoms turcs sont classés parmi les "prénoms musulmans"). En outre, certains Subsahariens étant chrétiens tandis que les Chinois sont éventuellement bouddhistes, on peut raisonnablement en conclure que le poids démographique des populations immigrées extra-européennes (musulmanes ou non) est en train d'augmenter de manière importante.
A l'appui de cette hypothèse, le site de France Stratégie ("institution autonome placée auprès du Premier ministre") fournit par exemple des chiffres sur la part des 0-18 ans immigrés ou issus de deux parents immigrés extra-européens dans les principales unités urbaines françaises. Au-delà des disparités, on arrive fréquemment à une moyenne d'environ 10 % (et souvent la proportion de jeunes ayant un seul parent immigré extra-européen est comparable), hors région parisienne où, sans grande surprise, on approche les 20%, mais les valeurs sont nettement plus fortes dans les communes centres: les villes françaises semblent connaître une évolution à l'américaine avec une ghettoïsation de nombreux quartiers des coeurs d'agglomération, que ne compensent pas les phénomènes de gentrification. Les Français de souche, et plus généralement d'ascendance européenne, constituent une population plutôt vieillissante. Il est toujours très périlleux de se risquer à des projections, mais on peut avancer l'hypothèse raisonnable que les "racisés" représenteront entre 20 et 30 % de la population des principales agglomérations françaises, grandes et moyennes (qui regroupent l'essentiel de la population du pays) au milieu du XXI° siècle, peut-être plus si les flux migratoires venaient à s'intensifier. Par comparaison, les Afro-américains représentaient 12,6 % de la population des Etats-Unis en 2010, et les Hispaniques 17,6 % en 2015. D'ici quelques années, la situation des blancs européens en France pourrait être comparable à celle de leurs congénères aux Etats-Unis. Or les démographes prévoient que les blancs non hispaniques seront minoritaires aux Etats-Unis d'ici 2050...
Ensuite, il faut prendre en compte les questions de fécondité. Les démographes optimistes nous expliquent qu'au bout d'une ou deux générations, les descendants d'immigrés extra-européens ont un taux de fécondité quasiment identique à celui des blancs européens. Soit, mais il faut prendre en compte trois éléments importants: d'abord, les flux migratoires ne se tarissent pas, donc la France connaît en permanence l'implantation de populations à forte fécondité; ensuite, la population issue de l'immigration est globalement jeune, ce qui lui donne un avantage; enfin, la poussée d'un islam rigoriste tend à encourager la natalité parmi les musulmans. Est-ce à dire que tout est joué, que la population blanche européenne va inexorablement se rétracter, en laissant la place à des populations extra-européennes et principalement musulmanes? En fait, il est difficile de le dire, car on ne sait pas ce que réserve l'avenir. La politique migratoire de la France pourrait évoluer, sa politique familiale aussi. Certaines populations peuvent être poussées au départ pour des raisons diverses (crise économique ou politique en France, violences inter-communautaires, essor économique des pays d'origine ou d'une autre région du monde plus accueillante...). On peut aussi imaginer un sursaut nataliste chez certains blancs. Les paramètres sont donc très nombreux et l'honnêteté oblige à conclure qu'on ne sait pas de quoi sera fait demain. Ce que l'on peut dire tout de même, c'est qu'en l'état actuel des choses et sauf retournement spectaculaire de conjoncture, la proportion de non-blancs dans la population française va augmenter de manière significative. Jusqu'à quel point? Impossible à dire mais je pense que les deux prochaines décennies seront décisives.
J'ai consacré un deuxième article, plus précis, à l'analyse fouillée des chiffres fournis par le site France Stratégie, complétés par quelques autres indicateurs donnés par l'INSEE.
Existe-t-il dans l'histoire des exemples de "Grand Remplacement"?
Maintenant qu'on a présenté la théorie, passons à la pratique: y a-t-il eu, dans l'histoire, des "Grands Remplacements"? Il semble bien que la réponse à cette question soit positive. D'abord, nous mêmes, les blancs européens, sommes selon toute vraisemblance issus d'un "Grand Remplacement" voire de deux: l'homme de Cro-Magnon, premier homo sapiens à s'être implanté durablement en Europe, paraît bien avoir remplacé Neandertal, avant d'être lui-même supplanté au cours du néolithique par des populations d'agriculteurs venues du Proche-Orient (l'héritage de la lignée Cro-Magnon compterait pour 10 à 15 % du patrimoine génétique des Européens modernes). Sans remonter jusqu'à la préhistoire, on peut évoquer ce qui s'est produit aux Amériques: les populations indigènes ont régressé voire disparu au profit des colons européens bientôt suivis de leurs esclaves africains. Sur le plateau central du Mexique, les historiens estiment qu'il y avait entre 10 et 15 millions d'habitants en 1500, avant l'arrivée de Cortés (débarqué en 1519). En 1600, il restait un million d'habitants sur le même territoire... Le dominicain Bartolomé de Las Casas avait parfaitement conscience, dès le XVI° siècle, de la dépopulation engendrée par l'arrivée des Espagnols. Et les massacres, bien réels, commis par les conquistadores n'expliquent pas tout. En bien des endroits, le choc bactériologique a provoqué des épidémies qui ont décimé les populations indigènes, facilitant ensuite la conquête et la colonisation. Toutefois, le "Grand Remplacement" n'est pas total aux Amériques (sauf dans les Caraïbes): dans la plupart des pays, des descendants des populations indigènes subsistent, parfois de manière très résiduelle (aux Etats-Unis) mais aussi de façon plus vigoureuse ailleurs (en Bolivie ou au Paraguay). En général, des efforts sont faits pour tenter de préserver les cultures indigènes, avec parfois des méthodes (les "réserves indiennes") et des résultats (la reconstruction d'une identité indigène artificielle) assez douteux.
Mais je voudrais développer un exemple qui me semble particulièrement pertinent, parce qu'il s'agit d'un "Grand Remplacement" quasi-total et qui, de plus, s'est déroulé sur une très longue période: la "turquisation" de l'Anatolie entre le XI° et le XX° siècle, où comment un espace "multiculturel" et "pluriconfessionnel" est parvenu à une certaine homogénéité ethnoculturelle au profit de la population arrivée la dernière. Les Turcs d'Anatolie sont un peuple de race touranienne originaire d'Asie centrale. Ils appartiennent au groupe des Touraniens occidentaux (vivant à l'ouest de la Caspienne) comme les Azéris et les Turcomans de Mésopotamie, par opposition aux Touraniens orientaux (Turkmènes, Ouzbeks, Kazakhs, Kirghizes, Ouïghours du Xinjiang) restés en Asie centrale. Une grande partie des Turcs s'islamise progressivement au Moyen Âge au contact du monde arabo-perse auquel ils fournissent des soldats, jusqu'à ce qu'un de leur clan, les Seldjoukides, reçoive le pouvoir (et le titre de sultan) des mains du calife abbasside réduit à l'impuissance. Les Turcs reprennent avec vigueur la guerre sainte contre les Byzantins, et en 1071, à Mantzikert, les Seldjoukides infligent une sévère défaite au basileus (titre grec de l'empereur de Constantinople). Vingt ans plus tard, l'Anatolie est subjuguée et Alexis Comnène, empereur depuis 1081, appelle les chrétiens d'Occident à la rescousse. C'est l'une des causes de la 1ère Croisade. Avec l'aide des croisés, Alexis reprend pied en Anatolie, qui devient un champ de bataille entre Turcs et Byzantins jusqu'au début du XIV° siècle. Mais si les Byzantins reprennent le contrôle de l'ouest et des zones littorales (c'est-à-dire les régions les plus fortement et les plus anciennement hellénisées), le plateau anatolien reste lui aux mains des Turcs.
A partir de ce moment, un phénomène de turquisation va se produire: à l'arrivée régulière de nouveaux groupes turcs s'ajoute l'islamisation progressive des vieilles populations anatoliennes, christianisées depuis les premiers siècles de notre ère. Le processus s'accompagne de métissage: les Turcs prennent des femmes indigènes, tandis que des locaux convertis à l'islam rejoignent les rangs turcs, ce qui explique que les actuels Turcs d'Anatolie ont un patrimoine génétique assez différent de celui des Touraniens orientaux. En fait, une majorité de Turcs descend probablement d'unions mixtes et d'indigènes renégats, mais il ne faut pas le dire trop fort. Après l'éclatement de l'empire seldjoukide, l'Anatolie turque se divise en une foule de petites principautés. A l'aube du XIV° siècle émerge parmi ces dernières celle des Osmanlis ou Ottomans dans ce qui était la Bithynie antique (nord-ouest de l'Anatolie). Cet Etat va connaître une prodigieuse expansion, soumettant toutes les autres principautés turques d'Anatolie avant de se lancer à la conquête des Balkans chrétiens et du Moyen Orient arabe. Les sultans ottomans ne manifestent aucune volonté de purification ethnique ou religieuse: certes l'islam, en tant que religion du pouvoir, exerce un attrait certain, mais les chrétiens comme les juifs sont laissés libres de pratiquer leur religion moyennant quelques vexations et le paiement de l'impôt. L'empire ottoman est multiculturel, et on y parle turc, arabe, grec, arménien, bulgare, serbe, albanais, etc. Des colons turcs sont installés en Grèce, en Macédoine, en Bulgarie. Malgré la relative tolérance des sultans, l'Anatolie devient une terre de plus en plus turque et musulmane. Les Grecs orthodoxes restent cependant nombreux dans la région de Smyrne (l'antique Ionie, terre grecque depuis 1000 av. J.-C. au moins), dans celle de Trébizonde (région du Pont) et à Constantinople même (on emploie rarement le toponyme "Istanbul" avant le XX° siècle). Néanmoins le déclin de l'empire ottoman au XIX° siècle, marqué par la renaissance des nations chrétiennes balkaniques, entraîne l'apparition d'un nationalisme turc qui commence à regarder avec méfiance les minorités non musulmanes (Grecs, Arméniens).
Tout bascule après 1918: au terme de la Grande Guerre, l'empire ottoman, qui avait pris fait et cause pour les empires centraux, est dépecé au profit des Grecs et des puissances coloniales française et britannique. Il faudra toute l'énergie d'un Mustafa Kémal pour assurer une assise territoriale à la nation turque désormais orpheline du rêve impérial ottoman. Après de durs affrontements, les Grecs sont vaincus et en 1922, de nouveaux traités sont signés. Pour les Grecs, c'est une catastrophe: plus de 1,5 million de Grecs anatoliens doivent quitter une terre qu'ils occupent depuis près de 3 000 ans. Dans le même temps, 400 000 Turcs abandonnent leurs foyers dans les territoires européens passés aux mains de la Grèce, notamment lors des guerres balkaniques de 1912-1913. Après 1922, il ne reste quasiment aucun Grec en Anatolie, et ceux qui choisissent d'y demeurer deviennent musulmans et adoptent la langue turque (il semble en effet que des descendants de Grecs convertis parlaient encore un dialecte hellénique, notamment dans le Pont). Toutefois, la communauté grecque d'Istanbul (qui n'est pas en Anatolie) est épargnée. Pour peu de temps: au début du mois de septembre 1955, un pogrom entraîne l'exode des Grecs stambouliotes. On comptait 135 000 Grecs sur les rivages du Bosphore avant ces événements, il n'en reste que 7 000 à la fin des années 70, autour de 2 000 aujourd'hui, essentiellement des personnes âgées. L'unique séminaire du patriarcat oecuménique de Constantinople est fermé, et à terme ce prestigieux siège de la chrétienté orthodoxe est menacé. Le "Grand Remplacement" est pour ainsi dire achevé: le territoire turc a été nettoyé de toute présence grecque, alors même que les Turcs sont arrivés en Anatolie presque deux mille ans après les Grecs. Ce "Grand Remplacement" n'est pas seulement démographique, il est également symbolique: alors que Mustafa Kémal avait fait de la basilique Sainte-Sophie un musée, le président Recep Tayyip Erdogan l'a réaffectée au culte musulman. Après tout, on peut comprendre la volonté du président de réaffirmer la domination turque sur ce prestigieux monument. Mais lorsqu'il fait de même avec une autre église orthodoxe plus modeste, celle de Saint-Sauveur-in-Chora, lorsqu'il proclame que "Sainte-Sophie est à nous depuis toujours", on voit bien qu'il s'agit de nier purement et simplement l'ancienne présence grecque, de chasser cette dernière de l'histoire d'Istanbul et de tout le territoire turc. Non seulement les Grecs ne sont plus là, mais ils n'ont jamais été là...
Conclusion
Je ne porte pas de jugement moral sur le "Grand Remplacement", après tout le phénomène n'est pas nouveau. Si j'étais issu de l'immigration maghrébine ou subsaharienne, j'y serais sans doute favorable. Peut-être même y verrais-je une forme de revanche sur la colonisation. Mais voilà, je suis un Français de souche, blanc et catholique, et l'idée de voir ma lignée disparaître ou s'intégrer par métissage et acculturation aux populations d'origine extra-européenne (ce qui revient à peu près au même) n'arrive pas à me soulever d'enthousiasme. Oui, je dois le confesser, le fait d'être remplacé m'est plutôt désagréable.
Je pense que le "Grand Remplacement" est bel et bien en marche: dans la classe de maternelle de mon enfant, les blancs non musulmans représentent à peine 50 % de l'effectif. Dans une autre école de mon quartier, les petits blancs sont ultra-minoritaires. Bien sûr, on ne peut pas tirer des conclusions générales de ces observations, mais les chiffres que j'ai cités plus haut montrent une tendance claire dans beaucoup de villes, grandes ou moyennes: la population blanche vieillit et décline, et, parmi les enfants, la proportion de non-blancs est de plus en plus importante. Je partage l'angoisse et l'horreur de Renaud Camus devant ce qui advient. Je pense que ces données démographiques devraient ouvrir les yeux des Républicains patriotes qui croient encore au miracle de l'assimilation.
Contrairement à ce que laissent entendre certains savants, c'est un bouleversement considérable qui se prépare dans notre pays, plus ample encore que celui qui s'est produit à la fin de l'Antiquité (christianisation puis barbarisation partielle de la Gaule). Non seulement beaucoup - peut-être une majorité? - de Français, à la fin de ce siècle, ont des chances de ne pas être blancs, mais en plus notre belle culture française risque fort d'être pour eux une civilisation morte devenue étrangère.
(1) Ce verdict ne me choque nullement. Je me plais toutefois à espérer que les djihadistes condamnés pour des faits comparables en France seront traités avec la même rigueur, la même absence totale de mansuétude, sans quoi d'aucuns pourraient en conclure qu'aller tuer des musulmans dans une mosquée est un crime plus grave que de mitrailler les gens au Bataclan ou à la terrasse des cafés parisiens...
(2) Alain Finkielkraut a justement observé que le "Grand Remplacement" était évoqué partout et que Renaud Camus, le père de l'expression, était complètement absent du débat. Il a voulu permettre à l'écrivain de s'expliquer, et face à un contradicteur digne de ce nom, Hervé Le Bras n'étant pas n'importe qui. Il est à peine besoin de préciser que Finkielkraut a été traîné dans la boue au motif qu'il avait donné la parole à la "Bête immonde", en témoigne notamment un reportage à charge de l'émission "Quotidien" dont l'équipe défend la liberté d'expression à condition que les gens qui ne lui plaisent pas aient le bon goût de se taire. Alain Finkielkraut connaissait trop le milieu médiatique pour ignorer le tollé qu'il allait provoquer. Son courage face à la meute doit être salué.
(3) Contrairement à beaucoup de gens qui louent l'immigration et ses incomparables bénéfices, je vis personnellement dans un quartier où les immigrés de culture musulmane sont nombreux pour ne pas dire envahissants. J'ai l'occasion, régulièrement, de voir devant le local des "Restos du Coeur" des files d'attente de femmes voilées jusqu'aux chevilles venues chercher la charité des "koufars" pour nourrir leur marmaille de futurs salafistes. Le "séparatisme" qui paraît-il inquiète tant le sommet de l'Etat, je l'observe au quotidien. C'est que, voyez-vous, il est fort aisé d'aimer les immigrés quand on habite les quartiers un peu chics ou les petites communes périurbaines peuplées à 98 % de blancs. Pour paraphraser les personnages de Leone dans le Bon, la Brute et le Truand, "le monde se divise en deux": les gens qui aiment les immigrés, et ceux qui vivent avec. Je fais partie de ceux qui vivent avec, ou plus précisément à côté.
(4) J'ai entendu l'argument selon lequel auparavant, les immigrés en provenance des pays musulmans auraient plus facilement donné des prénoms français à leurs enfants. Cet argument ne tient pas: en-dehors d'une tout petite minorité (quelques harkis, une poignée d'athées ou de convertis), la plupart des immigrés maghrébins donnaient déjà des prénoms musulmans à leurs enfants dans les années 70 et 80. A la fin des années 80, tous les petits Arabes que j'ai connus à l'école portaient des prénoms arabes, y compris ceux qui étaient nés en France.