Nationaliste Social et Ethniciste

Nationaliste Social et Ethniciste

La France est-elle en déclin?

Avant toute chose, je souhaite présenter mes meilleurs voeux pour cette année 2023 à tous mes lecteurs, réguliers ou occasionnels, voire aux égarés qui arrivent ici pour la première fois ou aux adversaires politiques qui ont le courage de me lire. Et nous entamons l'année avec une question centrale du débat public, celle du déclin (ou non) de notre pays.

 

De nos jours, il est mal vu de parler de "déclin de la France", et pour plusieurs raisons. D'abord, historiquement, c'est l'extrême droite qui agite le spectre du déclin. Effectivement, Eric Zemmour ou Marine Le Pen expriment plus d'inquiétude pour l'avenir qu'Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Mais, en réalité, c'est moins lié à un pessimisme qui serait consubstantielle à la droite dure qu'au fait que Zemmour et Le Pen représentent des secteurs de la population qui sont inquiets pour l'avenir de notre pays. C'est un point très important, et il faut le répéter, le marteler: la rhétorique de Zemmour, Le Pen et d'autres ne crée pas le malaise ou la peur, leur discours ne fait que rencontrer l'angoisse d'une part grandissante de la population française. J'en veux pour preuve les résultats électoraux obtenus par le Front National: quand tout allait relativement bien, quand l'Etat-Providence fonctionnait convenablement et que la plupart des gens avait confiance en l'avenir, dans les années 70 et jusqu'au début des années 80, Jean-Marie Le Pen faisait des scores très faibles. A partir du milieu des années 80, lorsque les politiques libérales ont commencé à porter leurs fruits (souvenez-vous du "tournant de la rigueur" de 1983), comme par hasard, Le Pen a commencé à engranger les succès électoraux. Alors on me dira que François Mitterrand a instrumentalisé le FN, jouant d'un côté la carte SOS-Racisme et ouvrant de l'autre les médias à Le Pen, ce qui aurait fait artificiellement monter le parti d'extrême droite. Cela n'a joué qu'à la marge. En réalité, la désindustrialisation, le chômage de masse, la perte de souveraineté et l'immigration incontrôlée ont été - et sont toujours - les meilleurs carburants du lepénisme, bien plus que les intrigues florentines ourdies par Mitterrand. Il y aura un jour une histoire à écrire de la décennie 1983-1992, depuis la conversion des socialistes au libéralisme jusqu'à la ratification du Traité de Maastricht. Si tout ne s'est pas joué à ce moment là, force est de reconnaître que nous payons jusqu'à aujourd'hui le chemin emprunté lors de cette funeste décennie.

 

Ensuite, il est mal vu de parler des problèmes. Les élites, les journalistes, les intellectuels, la plupart du temps, ne veulent pas entendre que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou plutôt, pour être précis, les classes dominantes ne veulent pas entendre parler des problèmes qu'on pourrait essayer de régler. Parce que la fonte des glaciers en Antarctique, l'extinction des baleines et des perroquets, la souffrance occasionnée par la colonisation et l'esclavage, de cela on nous rebat les oreilles. Or, comme par hasard, ce sont des problèmes que l'Etat français ne peut pas régler: le changement climatique et les menaces sur la biodiversité appellent des réponses à l'échelle mondiale, la France seule ne pouvant sauver la planète, même en intensifiant ses efforts - mais allez expliquer cela aux écologistes - tandis que la colonisation et l'esclavage font partie de l'histoire et on ne changera pas le passé. Dans les deux cas, il n'y a pas vraiment de solution. En revanche, réguler l'immigration, lutter - réellement - contre le communautarisme, mettre un coup d'arrêt aux transferts de souveraineté à l'Union européenne, réindustrialiser la France (ne serait-ce qu'en relançant un programme nucléaire), tout cela est possible, tout cela serait faisable à l'échelle nationale. Mais là, silence radio. Circulez braves gens, il n'y a rien à voir. Et si vous persistez à essayer d'alerter l'opinion sur ces sujets, on vous accusera de "faire le jeu de l'extrême droite". On vous traitera de "décliniste", autant dire de crypto-fasciste, et on vous clouera le bec en vous disant que la France n'a jamais été aussi riche, aussi innovante, et que la "diversité" se déploie harmonieusement sur cette vieille terre d'immigration qu'est la France, pour le plus grand profit de tous. Qui a raison? Se pourrait-il après tout que les déclinistes montent en épingle des faits isolés, interprètent tendancieusement la réalité et finalement dépeignent une France en crise qui n'existerait que dans leur esprit dérangé?

 

Une France plus riche?

Les anti-déclinistes nous expliquent que la France n'a jamais été aussi riche dans son histoire. Les Français vivent en moyenne plus longtemps, en meilleure santé et avec un confort inconnu des précédentes générations: tout le monde ou presque a l'électricité et l'eau courante. Quand on connaît les conditions de vie de millions d'êtres humains en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, n'y a-t-il pas une forme d'indécence à se plaindre et à prétendre que la France serait entrée en décadence? A cela on peut objecter plusieurs choses. D'abord, il convient de se méfier des moyennes. Il y a en effet, en France, une partie minoritaire mais pas tout à fait négligeable de la population qui s'est enrichie depuis une quarantaine d'années, et qui parfois continue à s'enrichir. Il s'agit des gagnants de la mondialisation: bourgeoisie convertie à la finance, cadres des grandes entreprises, professions libérales, titulaires d'emplois protégés (fonctionnaires des catégories moyennes et supérieures, artistes). Ces gens-là existent, ce sont eux qui ont porté Macron au pouvoir, ce sont eux qui n'ont aucune envie qu'on parle des problèmes du pays. Puisque eux sont heureux, c'est donc que la France va bien... Pourquoi écouter les rabat-joie, les pleurnichards? Seulement voilà: ces Français de la mondialisation heureuse ne constituent pas la majorité de la population, il y a les autres, les ouvriers (il s'en trouve encore), les simples employés, les petits fonctionnaires, les petits artisans, une part importante des agriculteurs et, bien sûr, les chômeurs. Et pour tous ceux là, l'amélioration de la vie depuis les années 80 est déjà moins évidente. Une partie de cette population s'est paupérisée, notamment les membres de la classe ouvrière tombés au chômage. Beaucoup doivent vivre grâce à des transferts opérés par l'Etat. Nombreux sont ceux qui sont au SMIC, et de plus en plus nombreux ceux qui sont juste au-dessus. Alors certains rétorqueront qu'avec un SMIC de 2023, on vit bien mieux qu'avec un SMIC de 1985. A voir. Est-ce aujourd'hui un confort d'avoir un téléphone portable, internet et un ordinateur, ou une nécessité, compte tenu du fait que de nombreuses démarches, professionnelles ou administratives, sont "dématérialisées" comme on dit?

 

Ensuite, il y a la question géographique, avec une fracture entre la France des métropoles et la France périphérique pour reprendre la terminologie de Christophe Guilluy. Quand vous avez un emploi bien rémunéré et de réelles perspectives professionnelles, que vous vivez dans le centre ou la proche périphérie d'une grande métropole, avec un accès privilégié aux transports en commun, aux services publics, aux installations sportives et culturelles, il est évident que vous ne voyez pas de problème. Lorsque vous habitez dans une ancienne région industrielle sinistrée, avec peu d'emplois et encore moins de perspectives de progresser, ou dans le périurbain très excentré, dans une petite ville de province ("la France des sous-préfectures") ou dans les zones rurales isolées, c'est une autre chanson. Car, dans cette situation, vous êtes affecté par le prix du carburant, la voiture étant une nécessité. Les lieux de culture sont rares, les commerces et les services publics ferment les uns après les autres, il devient difficile de trouver un médecin généraliste, et ne parlons pas d'un spécialiste. Alors bien sûr, cela vaut toujours mieux que de vivre au Bangladesh ou en Ouganda. Pour autant, peut-on vraiment reprocher aux habitants de ces espaces d'être inquiets et mécontents, de se sentir laissés-pour-compte de la mondialisation et de son corollaire, la construction européenne? N'y aurait-il pas, pour le coup, une certaine indécence à dire à ces gens-là "contentez-vous de ce que vous avez, et arrêtez de vous plaindre, enfants gâtés que vous êtes"? D'autant que les gens ont de la mémoire, surtout dans ces contrées où les personnes âgées sont nombreuses, et ils se souviennent d'un temps où l'on ne vivait pas si mal dans les sous-préfectures et les zones rurales, d'un temps où l'Etat aménageait le territoire français de manière à limiter les inégalités territoriales.

 

Parlons maintenant de la désindustrialisation, conséquence d'une mondialisation libérale qui a mis l'ouvrier français en concurrence avec l'ouvrier chinois ou indien. Dans ce contexte, il y a deux solutions: soit on paie les ouvriers français aux tarifs de leurs concurrents, ce qui n'est pas possible; soit on pratique le protectionnisme ou une forme de "préférence nationale" qui n'est qu'un protectionnisme déguisé (les Allemands, les Américains et les Japonais savent très bien faire). Les sacro-saints traités européens ont gravé dans le marbre la "concurrence libre et non-faussée". Et la France applique loyalement les traités, avec pour résultat un affaiblissement considérable de son industrie. Certains vont me parler de l'aéronautique (Airbus), de la métallurgie de pointe, du secteur du luxe et de quelques autres qui se portent bien. C'est de la poudre aux yeux: où sont passées nos usines automobiles? Qu'est devenu le secteur de la sidérurgie, de la machine-outil? Fabriquons-nous des téléviseurs, des ordinateurs, des iphones? A ceux qui me répondront que les autres pays d'Europe n'en produisent pas non plus, je dis que c'est faux: les Allemands ont conservé une industrie automobile digne de ce nom, et ils restent performants dans le secteur des machines-outils. Il y a une vingtaine d'années, les européistes et autres partisans de la mondialisation nous ont vendu le concept d' "économie post-industrielle". Tout le monde sait aujourd'hui que c'était une fumisterie. Tout simplement parce que l'industrie tire derrière elle nombre de secteurs du "tertiaire": services aux entreprises, innovation, recherche et développement, etc. Sans industrie, que reste-t-il en dehors de l'agriculture? Le commerce (de produits importés...), les "services à la personne" et le tourisme. Notre perte de savoir-faire en matière industrielle est illustrée par les difficultés que rencontre le chantier de l'EPR de Flamanville. Il n'y a guère que dans le domaine militaire que notre industrie tient la route, et pour combien de temps?

 

Il ne suffit donc pas de produire des services et d'être un musée ou un parc d'attractions. Il faut produire des biens. Nos élites commencent tout juste à s'en apercevoir et Emmanuel Macron l'a admis lors de la pandémie. Mais il y a loin des paroles aux actes! Nos dirigeants n'ont pas de culture industrielle, et cette lacune ne va pas se combler si facilement, après plus de trente ans de discours anti-industrie, auquel s'ajoute la rhétorique technophobe des écologistes. Retrouver des compétences ne sera pas aisé, après tant d'années à répéter à nos jeunes que la réussite passe par le fait d'entrer à HEC, de devenir footballeur professionnel ou, plus récemment, youtubeur. De ce mépris pour l'industrie, du désengagement de l'Etat dans un pays de tradition colbertiste, la puissance économique de la France a pâti. Et il n'est que de regarder le classement des économies nationales en 2022: la France est en 7ème position. On pourrait arguer que l'arrivée des puissances émergentes, la Chine (2ème position) et l'Inde (6ème position), change la donne. C'est discutable: le Japon et l'Allemagne, anciens pays industriels confrontés à des problèmes démographiques et soumis eux aussi à la concurrence, se placent respectivement en 3ème et 4ème position. Le Royaume-Uni est 5ème, avec une population comparable à celle de notre pays. Ceux qui nous répètent que la France est condamnée à être une puissance de seconde zone mentent. Le Canada est 9ème, avec une population d'un tiers moins nombreuse que la nôtre... Je me permets quand même de rappeler que la France a été longtemps la 5ème puissance économique du monde. Bien sûr, être 7ème, ça reste correct, c'est mieux que le Nigeria ou que le Pakistan. Mais nous reculons, quand d'autres pays se maintiennent. Et quand on regarde la balance commerciale [1], il n'y a pas de quoi être optimiste.

 

Vivons-nous dans une France plus riche? En apparence sans doute. Les Français, même modestes, ont une vie globalement plus confortable que leurs prédécesseurs des années 60-70. Le problème est que la France vit à crédit, en consommant le capital accumulé lors de la période de forte croissance des Trente Glorieuses. Et comme à partir des années 80 [2], il n'y a pas eu - ou pas assez - d'investissement pour préparer l'avenir, comme on a laissé se déliter les secteurs stratégiques qui avaient assuré à la France sa place parmi les grandes puissances économiques, le réveil risque d'être douloureux. Mais tout cela est progressif, parce que, en dehors d'une crise violente - guerre accompagnée de destructions - il y a une inertie qui fait qu'on ne se rend pas forcément compte du déclin économique de la France. La vitrine reste séduisante mais si vous entrez, une fois passé les premiers rayons, ce que vous verrez au fond du magasin est nettement moins reluisant.    

 

Un rayonnement culturel inchangé?

La France, patrie des arts et des lettres, pays littéraire par excellence, est-elle encore cette grande puissance culturelle tant admirée dans le passé? Rien n'est moins sûr. La langue française voit sa situation se dégrader. Là encore, les optimistes nous diront que c'est faux, que le nombre de francophones ne cesse d'augmenter - du fait de la croissance démographique de l'Afrique subsaharienne - et que beaucoup d'écrivains francophones sont traduits de par le monde. Ce à quoi on répondra que la quantité n'est pas synonyme de qualité. La France regorge d'écrivains mais qui ne sont pour beaucoup que des écrivaillons dont le principal mérite est, soit de coller à l'air du temps, soit d'avoir les réseaux dans le monde de l'édition. Beaucoup seront oubliés dans cinquante ans. Bien sûr, quelques uns passeront à la postérité, mais je ne suis pas sûr que notre époque ait produit des Balzac, des Zola, des Baudelaire ou même des Péguy et des Bernanos. Comme pour l'économie, il y a un effet d'inertie: un pays qui produisait il y a encore un demi-siècle de grands noms comme Aragon, Malraux ou Sartre ne devient pas brutalement une nation analphabète dénuée de toute ambition littéraire. Mais pour produire de grands écrivains, il faut un terreau propice à leur éclosion. Autrement dit, il faut un système éducatif exigeant, parce que la maîtrise d'une langue, de toutes ses facettes, de toutes ses subtilités est un apprentissage difficile. On le voit dans l'enseignement: beaucoup d'élèves ont des idées, mais pas le vocabulaire pour les exprimer, et c'est un vrai problème. L'orthographe, la grammaire, la conjugaison ont été classées - à la suite des mathématiques - comme des éléments pénibles à maîtriser, des savoirs "discriminants", voire superflus, qui naturellement empêchent les enfants de s'épanouir à l'école. Il est tellement plus important de lutter contre le racisme et de s'interroger sur son identité sexuelle...

 

Ce renoncement a des conséquences catastrophiques: un vocabulaire d'une pauvreté consternante, une syntaxe approximative, un mépris total de la ponctuation, avec au final une incapacité à fréquenter les grands textes. Et attention, le mal ne touche pas que les enfants immigrés ou de milieux défavorisés, certains jeunes de classe moyenne voire supérieure manifestent le même dédain pour la langue française, quoiqu'il se matérialise différemment: les jeunes racisés de banlieue - et parfois même leurs voisins autochtones - mêlent au français de l'arabe mal parlé (ainsi les "wesh", "inch'Allah" qui ponctuent leurs phrases) quand leurs homologues des beaux quartiers trouvent chic d'utiliser des anglicismes à tort et à travers. Il arrive même que les deux tendances se rencontrent dans un jeu de massacre du français. Quant aux élites... On se moquait en son temps de Nicolas Sarkozy pour ses fautes de français, mais François Hollande, tout énarque qu'il était, ne parlait pas une langue beaucoup plus châtiée. Emmanuel Macron passe pour un amoureux de la littérature française. Si c'est le cas, on ne peut pas dire que ça transparaisse dans ses discours, même si sa syntaxe est généralement correcte.

 

A l'international, ce n'est guère mieux. Certes, sur le papier, la francophonie reste un ensemble impressionnant par son étendue et son nombre de locuteurs. Mais là encore, nous vivons sur un héritage qui s'érode lentement mais sûrement: au Liban comme dans certains pays d'Afrique, le français recule face à l'anglais. Le processus est parfois renforcé par la haine de la France, ancienne puissance coloniale, à qui l'on reproche le fiasco des indépendances - survenues, faut-il le rappeler, il y a plus de soixante ans - l'incapacité des peuples africains à "faire nation" et à bâtir des institutions stables et solides, mais il est toujours plus commode de mettre ses échecs sur le compte des autres. En Occident, il y a beau temps que les élites étrangères ne font plus de l'apprentissage du français un signe de distinction. A tout cela, il faut évidemment ajouter les coupes budgétaires affectant les organismes chargés de promouvoir la langue et la culture françaises. Et c'est logique: comment les classes dominantes qui portent au pouvoir un homme affirmant qu' "il n'y a pas de culture française" pourraient-elles tenter de faire aimer ce qu'elles-mêmes ont renoncé à aimer quand elles ne s'acharnent pas à le déconstruire?

 

Il n'y a pas que la question de la langue, on peut aussi évoquer la science. Manque d'ambition, manque de moyens, absence d'application des découvertes à cause de la désindustrialisation - eh oui, tout se tient - tout concourt à la faillite de la recherche scientifique française. On l'a bien vu lors de la pandémie: ni l'institut Pasteur ni aucun laboratoire français n'a été capable de mettre au point un vaccin, que les Anglais, les Chinois ou les Russes ont été en mesure, eux, de créer. En France, le débat s'est limité au fait de savoir si le traitement du druide marseillais Didier Raoult, administré en dehors de tout protocole scientifique, était ou non fiable. C'est dire le niveau. Et Raoult, qui s'est trompé sur tout ou presque [3], trouve encore des défenseurs, même si beaucoup se sont faits discrets. Plus généralement, on voit bien que les prix Nobel dans les sciences "dures" ne sont pas légion pour les chercheurs français, et ceux qui en obtiennent ne travaillent pas toujours en France. La culture scientifique et le rationalisme en général s'étiolent en France, au pays de Descartes, et des théories délirantes qu'on aurait cru réservées à ces idiots d'Américains fleurissent et prospèrent désormais dans notre beau pays. Non seulement trop de Français délaissent les sciences, mais certains dirigeants politiques jettent l'anathème sur celles-ci. Et je dois ici accorder une mention spéciale aux écologistes: qu'une enseignante du supérieure en économie proclame qu'elle préfère "les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR" sans être sanctionnée, et que cette personne soit élue à la députation par les habitants des beaux quartiers devrait nous faire réfléchir. Est-ce avec ce genre de discours qu'on bâtit l'avenir d'une nation? Les élites n'échappent pas à la tentation obscurantiste, à la méfiance vis-à-vis de la science et de la technique, pire, elles les encouragent. Le poisson pourrit par la tête comme on dit. 

 

Une influence internationale intacte?

En matière de politique étrangère, là encore, il est indéniable que la France n'est plus ce qu'elle a été. Et pas seulement parce que les autres se sont renforcés, mais par manque de volonté, d'ambition, de moyens et peut-être plus encore par absence de vision. Comme tout est lié, cette perte d'influence alimente le déclin culturel qui, à son tour, vient conforter l'affaiblissement géopolitique, dans un cercle vicieux. Cela me paraît être un point très important. Quand on dit que l'on défend la culture et l'identité de la France, beaucoup de gens - en France - vous rient au nez, car ils s'imaginent que cette démarche consiste simplement à défendre l'accent circonflexe, le fromage, des vieilles pierres, en même temps que la mémoire de quelques personnages historiques poussiéreux et, au fond, pas très reluisants. Ils nous traitent de ringards (pardon de "has been") et de nostalgiques. Mais ces gens, pardon de le dire, n'ont rien compris à la marche du monde: la politique culturelle est un élément important de la géopolitique, ce qu'on appelle le soft power. Quand Vladimir Poutine célèbre les racines orthodoxes de la Sainte Russie, ce n'est pas de la nostalgie, et il fait construire des cathédrales russes à l'étranger (à Paris par exemple) en les accompagnant de centres culturels russes. Quand Recep Tayyip Erdogan célèbre l'islamité de la Turquie, commémore la bataille de Mantzikert (1071) ou refait de Sainte-Sophie une mosquée, cela n'a rien de ringard et cette politique a des conséquences sur la diaspora turque: réislamisation des Turcs vivant en Europe, organisation d'événements nationalistes, présentation de candidats binationaux liés à l'AKP, le parti du président turc - par exemple aux législatives en France - sans oublier un contrôle étroit des mosquées turques. C'est d'ailleurs un des problèmes de la laïcité en France: nos dirigeants et beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas que la religion est aussi un instrument de politique extérieure. Mais allez expliquer cela à un mélenchonien...

 

Un des résultats de cette laïcité est qu'aucune grande puissance aujourd'hui ne défend une culture d'essence catholique. Les Etats-Unis promeuvent une culture protestante, la Russie une culture orthodoxe, mais les anciens grands pays catholiques (France, Espagne) sont incapables de porter une vision "catholique" du monde. Et je précise que je parle de culture, pas de foi. Il s'agit moins de défendre le catholicisme comme religion que de défendre une vision du monde imprégnée de l'héritage catholique. Pendant tout le XIX° siècle, la France a appuyé sa politique d'expansion coloniale par l'envoi de missions catholiques. Et même après la loi de 1905, la III° République a laissé le champ libre - quand elle ne les a pas encouragés en sous-main - aux missionnaires dans les colonies et protectorats. Les dirigeants républicains, tout anticléricaux qu'ils étaient, savaient que l'Eglise pouvait jouer un rôle dans la diffusion de la culture française. Ironie de l'histoire, un siècle après, les anciennes colonies envoient parfois en France les prêtres catholiques que la crise des vocations consécutive à l'effondrement de la pratique ne permet plus de recruter sur place! Le problème de la "laïcité à la française", c'est son aspect très anticatholique. Cela s'explique bien sûr pour des raisons historiques et, au fond, ce n'était pas un problème tant que l'Eglise était forte et représentait la religion constituée. Mais dans un contexte où l'Eglise est faible et où une nouvelle religion très agressive se développe sur notre territoire, l'anticatholicisme qui se maintient, voire qui s'accentue chez une certaine gauche radicale, devient gênant. Il contribue à éloigner de nombreux Français d'un pan important de la culture nationale et, in fine, affaiblit l'identité française, la rendant floue, mouvante et instable.

 

Pour illustrer le déclin de la France dans le concert des nations, je me bornerai à deux exemples. Le premier concerne notre relation avec la puissance hégémonique en Occident, les Etats-Unis d'Amérique. Le général de Gaulle avait réussi à tracer une voie pour la France, permettant à notre pays d'avoir sa propre politique étrangère tout en étant un allié - et un allié fidèle quoi qu'on en dise - des Américains. Après la fin de la Guerre Froide, certains dirigeants français ont rêvé d'une Europe qui parlerait d'égal à égal avec l'Oncle Sam. Le rêve a fait long feu. Les pays d'Europe de l'est ont adhéré à l'UE et à l'OTAN, trop heureux de recevoir l'argent des Européens de l'Ouest et la protection militaire des Américains. Après un temps d'hésitation, de rebuffade parfois - opposition de Jacques Chirac à l'invasion de l'Irak en 2003 - les élites françaises ont choisi un atlantisme décomplexé: Nicolas Sarkozy nous a fait rentrer dans le "commandement intégré" de l'OTAN et une nouvelle étape a été franchie avec la guerre en Ukraine. Emmanuel Macron a bien tenté, au début, de jouer sa partition, de garder le contact avec Moscou. Ce petit jeu n'a pas duré, et bien vite, la France est rentrée dans le rang, réclamant et appliquant des sanctions contre la Russie. Le conflit russo-ukrainien montre à quel point la France est aujourd'hui vassalisée par un pays qui, rappelons-le, torpille nos contrats d'armement, nous espionne sans vergogne, use et abuse de l'extra-territorialité de son droit pour menacer nos entreprises. Et malgré cela, les Etats-Unis nous feront payer la tentative de Macron de se poser en médiateur: lorsque la reconstruction de l'Ukraine sera à l'ordre du jour, vous verrez que la France paiera et que les entreprises américaines signeront les contrats. Je conçois qu'on me taxe de cynisme, alors même que des Ukrainiens meurent sous les bombes russes (et moralement je compatis à la souffrance du peuple ukrainien qui défend sa terre), mais il y a des vérités désagréables qu'il faut garder à l'esprit.

 

Le deuxième exemple fera ma transition avec la partie suivante, puisqu'il concerne l'immigration. Là encore, c'est un point que beaucoup de dirigeants français refusent d'évoquer, du moins publiquement. Et pourtant, la question mérite d'être posée: est-ce que l'immigration - en particulier l'immigration musulmane - ne limite pas la liberté d'action de la France sur le plan international? Il y a quelques temps, j'en discutais avec un ami. Nous évoquions les accords de défense conclus par la France avec la Grèce et Chypre, et clairement dirigés contre la politique agressive de la Turquie (par ailleurs membre de l'OTAN). On sait que les relations franco-turques sont exécrables, que Erdogan a nommément insulté Macron, qu'il y a eu des incidents navals. Mon ami me faisait part de ses doutes sur la capacité de la France à tenir ses engagements vis-à-vis de la Grèce, au cas où celle-ci se retrouverait en conflit ouvert avec la Turquie. Au-delà des problèmes d'équipements de l'armée française, il soulignait, à juste titre, la présence d'une "5ème colonne" sur notre sol: la communauté turque en France approche le million de personnes, et beaucoup de Turcs ou de Franco-turcs sont acquis à Erdogan. Comme par ailleurs les autorités françaises, avec une légèreté consternante, laissent le gouvernement turc envoyer des imams à la solde d'Ankara prêcher un peu partout en France, cet ami me disait redouter l'influence turque sur les autres communautés musulmanes, notamment maghrébines. Il convient peut-être de relativiser: je ne doute pas que nos services de renseignement gardent un oeil sur les imams envoyés par la Turquie et sur les associations affiliées à l'AKP du président Erdogan; par ailleurs, l'unité des musulmans de France est loin d'être acquise. Cependant, qu'arriverait-il si la France devait mener des opérations militaires, même limitées, contre des unités turques? N'y aurait-il pas un risque sérieux d'émeutes voire d'attentats commis par des ressortissants turcs (ou binationaux) vivant en France?

 

Une société "unie dans la diversité"?

Ce qui m'amène à mon dernier point: la fameuse "diversité" censée nous enrichir et nous "ouvrir sur le monde" est en réalité un ferment de division et une des causes de notre affaiblissement en tant que nation. Ce n'est pas seulement une question d'immigration: après tout, la France a accueilli et assimilé des Italiens, des Belges, des Polonais, des juifs d'Europe orientale, des Espagnols, des Portugais. Mais il s'agissait d'Européens, majoritairement de culture catholique, et même si ce ne fut pas simple, l'assimilation s'est faite. Aujourd'hui, nous nous heurtons en fait à un triple problème: une immigration majoritairement extra-européenne, principalement africaine et/ou musulmane, une immigration de masse et des élites qui ont tourné le dos à notre culture ancestrale, à notre civilisation, ce qui rend impossible une éventuelle politique d'assimilation. Cette trahison des élites est moins due à une méchanceté gratuite qu'à un mélange de naïveté, de lâcheté et d'intérêt, puisque les immigrés constituent éventuellement "l'armée de réserve" du capitalisme. Mais pour moi, relancer une politique d'assimilation ne suffirait pas à régler le problème. En effet, beaucoup d'immigrés proviennent des anciennes colonies et protectorats français, c'est-à-dire de populations qui ont un contentieux historique lourd avec la France, parfois exacerbé, comme je le disais, par le fiasco des indépendances. De surcroît, nombre d'immigrés arrivent avec une culture islamique, c'est-à-dire une culture qui n'a pas l'habitude des accommodements et des compromis, pas plus que de la séparation du civil et du religieux. Ne parlons même pas de la laïcité. Ces immigrés extra-européens, musulmans, sont à mes yeux inassimilables.

 

C'est là mon grand désaccord, je le redis ici, avec les "républicains patriotes" défenseurs de l'universalisme des Lumières et de la laïcité. Contrairement à eux, je pense que l'universalisme républicain a ses limites et ne peut pas changer le plomb en or. Et je crois aussi que des questions comme la couleur de peau (oui, oui, j'ose) et la religion ne sont pas de celles qu'on peut évacuer d'un revers de main ou confiner dans la sphère privée. Les tenants de l'assimilation et de la laïcité conçoivent difficilement que ce qui a été possible - non sans peine - avec le christianisme ne l'est peut-être pas avec l'islam. La culture musulmane connaît une radicalisation alimentée par une haine de l'Occident. Et ce n'est pas qu'une question de pauvreté ou d'absence de liberté: la Malaisie est un pays fédéral doté d'un régime parlementaire, relativement prospère, qui bénéficie d'une croissance économique enviable, et pourtant, comme ailleurs, l'islam connaît un raidissement soutenu par une large partie de la classe politique. L'islam n'est tout simplement pas soluble dans l'universalisme républicain, d'autant que c'est une culture elle aussi à vocation universelle et à tendance assimilationniste à sa façon.

 

La faillite du vivre-ensemble est patente, et les exemples ne manquent pas. Je me bornerai à en citer deux pris dans l'actualité récente. L'équipe de football du Maroc a réalisé un très beau parcours lors de la coupe du monde 2022 organisée au Qatar. On a pu mesurer le poids démographique des immigrés marocains lors des manifestations de supporters enthousiastes. Il y a eu de regrettables débordements, des attitudes peu respectueuses du pays d'accueil, mais on peut sans doute estimer qu'ils sont le fait d'une minorité d'excités. Les médias en ont parlé. Mais là n'est pas l'essentiel: le plus important et le plus inquiétant est qu'aujourd'hui en France, un grand nombre d'habitants sont prêts à défiler en brandissant des drapeaux autres que celui de la France. Les mêmes drapeaux que certains agitent lors des mariages, comme ces deux enfoulardées, l'été dernier, qui, le corps à moitié sorti de la voiture, m'ont secoué un drapeau algérien sous le nez et semblaient surprises que je ne partage pas leur allégresse... Et après cela, des politicards LFI ou écolo viennent m'expliquer que je dois considérer ces gens-là comme des compatriotes, égaux en droit. Jamais. Ces gens ne seront jamais français à mes yeux, ni demain, ni dans vingt générations. On tend à l'oublier en France, mais le drapeau est un symbole fort. Maintenant, changeons les rôles: imaginons que deux à trois millions de Scandinaves émigrent au Maroc en l'espace d'un demi-siècle. Ces gens s'installent, font comme chez eux, bâtissent leurs églises luthériennes dans les banlieues marocaines, développent leurs commerces communautaires, exigent le respect de leurs coutumes. L'équipe de Suède se qualifie pour les demi-finales. Explosion de joie dans les rues de Rabat, Fès, Marrakech, Casablanca. Des drapeaux suédois envahissent l'espace public. Quelques débordements sont à déplorer. Les Marocains de souche trouveraient-ils cela normal?

 

Evoquons pour finir les Kurdes. Autant le dire tout de suite, je n'ai aucune affection pour les Kurdes. En tant que vassaux et supplétifs de l'Empire ottoman, ils ont largement participé au génocide arménien de 1915. Ce qu'ils subissent aujourd'hui en Turquie n'est qu'un juste retour de bâton: après avoir contribué au nettoyage ethnico-religieux de l'Anatolie orchestré par les autorités ottomanes puis turques [4], ils en sont à présent les victimes. L'Etat turc veut une parfaite homogénéité ethnique et religieuse sur son sol, et il est prêt à tout pour y parvenir. Je ferme cette parenthèse. Le vendredi 23 décembre, un homme a ouvert le feu devant un centre culturel kurde à Paris, tuant trois personnes d'origine kurde et en blessant plusieurs autres. Je m'étonne de lire partout qu'il s'agit d'une "fusillade". L'homme ayant manifestement prémédité son acte et ayant visé spécifiquement une communauté étrangère - ici kurde - je pense qu'on peut parler d'un attentat. Soyons honnête: si un musulman avait tiré sur des gens à la sortie d'une église ou d'une synagogue, tout le monde parlerait d'un attentat. La tristesse, l'incompréhension, la colère même des Kurdes peut s'entendre. Mais les affrontements avec la police (sur place pour mener l'enquête), ainsi que les accusations portées contre l'Etat de ne "pas avoir assez protégé la communauté kurde" sont inacceptables. Protéger les Kurdes contre quoi d'ailleurs? L'auteur de l'attaque est un Français de souche qui dit avoir agi par "haine des étrangers". Rien ne permet de conclure que l'attentat a été organisé par l'Etat turc. Mais surtout, la réaction des Kurdes est symptomatique de ce qui se développe en France: chaque minorité, chaque communauté immigrée cherche à faire pression sur l'Etat, au besoin par la violence, pour exiger ceci ou cela. L'objectif est de se faire respecter en faisant peur aux autorités. Avons-nous envie de vivre dans une telle société?

 

Conclusion

Au terme de ce panorama qui ne prétend nullement à l'exhaustivité, il me paraît difficile de nier que la France connaît un déclin relatif. Certes, il y a de beaux restes car, comme j'ai essayé de l'expliquer, il existe une forme d'inertie qui fait qu'un pays ayant accumulé un important capital économique, culturel, géopolitique ne perd pas tout du jour au lendemain, sauf crise violente. Le déclin est un processus qui peut s'étaler sur un temps assez long. Les anti-déclinistes ont donc beau jeu de citer des exemples de choses "qui marchent". Mais, si l'on regarde honnêtement un certain nombre d'indicateurs, on voit bien que la France peine de plus en plus à tenir le rang qui fut le sien avant 1991.

Et puis, il y a des éléments qui sont difficilement quantifiables, des éléments qu'on peine à insérer dans les statistiques. Comment mesurer par exemple la qualité de vie liée au fait d'évoluer dans une société relativement homogène, de partager avec ses voisins les mêmes références culturelles et religieuses? Un Français de souche modeste habitant en banlieue possède peut-être une voiture, vit dans un appartement avec électricité et eau courante, mais est-il plus heureux que l'ouvrier des années 60, quand sa cage d'escalier est squattée par des petites frappes qui dealent au vu et au su de tous, quand sa voiture peut être brûlée à la prochaine Saint-Sylvestre ou au prochain match de l'équipe d'Algérie, quand son enfant à l'école est le seul blanc au milieu des racisés?

Enfin je souhaite faire un sort à une accusation fréquente: celui qui parle de déclin de la France, non seulement provoquerait ledit déclin, mais en plus n'aimerait pas son pays. Je m'insurge contre une telle allégation. Oui, je pense que la France est en déclin, mais je le dis pour dénoncer cet état de fait et non pour m'en réjouir. Je ne me satisfais pas de cette situation, et si je porte un diagnostic sévère - trop peut-être, on peut en discuter - c'est parce que je nourris l'espoir qu'on peut redresser ce grand pays, que la nation française vaut mieux, bien mieux, que ce qu'elle est en train de devenir. Parce que, pour moi, au-delà de la tristesse, du désespoir, au-delà de la haine, de la souffrance, il y a cette grande et belle chose qu'on appelle la France, un rayon de lumière au milieu des ténèbres, une goutte de raison dans un océan de folie.

Et ceux qui nous accusent, en réalité, sont ceux-là mêmes qui se résignent au déclin.

 

[1] La France importe plus qu'elle exporte, et ce depuis des années. Le tourisme ne compense que partiellement ce déficit. Une preuve supplémentaire, s'il en fallait une, que le passage à l'euro n'a apporté aucun bénéfice à l'économie française. Certains Français en profitent, certaines entreprises aussi, mais le bilan global est négatif.

 

[2] Rappelons-nous du modèle de l'homme d'affaires des "années fric": Bernard Tapie, un affairiste véreux dont l'activité consistait à racheter des entreprises en difficultés pour en tirer profit, quitte à laisser les salariés sur le carreau. Qu'est-ce que cet homme-là a produit? Rien, il s'est enrichi en magouillant, en opérant des montages financiers à la limite de la légalité. Ce n'est pas avec ce type d'activités qu'on fonde la puissance économique d'un pays.

 

[3] Il a successivement affirmé que la Covid ne représentait aucun danger (au moment où la maladie émergeait en Asie) avant de prédire la fin de l'épidémie, après la 1ère ou la 2ème vague. Nous en sommes à la 9ème je crois. Je sais que, par haine de l'Etat, de Paris, des élites, Raoult est considéré comme un héros, y compris dans le camp nationaliste. Pour moi, c'est un charlot. 

 

[4] Je renvoie à cet article sur la question.



01/01/2023
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