Nationaliste Social et Ethniciste

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Réforme territoriale: qu'en penser?

En ce qui me concerne, beaucoup de mal. Non point que je sois hostile par principe à un redécoupage des régions administratives, mais la question pour moi est moins de savoir à quoi la nouvelle carte de France ressemblera que de connaître les finalités d’une telle remise à plat. La réforme territoriale est un vieux serpent de mer qui refait surface régulièrement. Pour moi, un redécoupage des régions ne présente un intérêt que s’il s’opère selon deux axes bien définis : a) empêcher par tous les moyens que se reconstituent les provinces d’Ancien Régime ; b) affaiblir l’échelon régionale qui est historiquement une strate administrative à l’efficacité contestable et plutôt dangereuse pour l’unité de la République. Or la réforme Hollande est bien évidemment loin, très loin de ces objectifs. Mon inquiétude principale est la disparition des Conseils généraux. Pourquoi ? D’abord parce que, c’est vrai, je suis plutôt conservateur, et je me méfie des grands chamboulements. Ensuite, le Conseil général est un héritage de la Révolution française, et pour cela il est cher à mon cœur de jacobin. De manière plus pragmatique, je pense que le département est un échelon administratif pertinent. D’ailleurs, dans une bonne partie de la France qui n’a jamais connu de grands états « régionaux » comme la Bretagne ou la Provence médiévales, le département peut ici ou là, recouvrir assez fréquemment une ancienne circonscription (cité antique, pagus, comté médiéval). C’est le cas de ma région natale, la Touraine, qui correspond assez bien à l’actuel département d’Indre-et-Loire. Bien sûr, il n’est pas question officiellement de supprimer le département en tant que territoire où s’exerce l’action de l’Etat, mais chacun sait que le département privé du Conseil général, ce ne sera plus vraiment le département. J’ajoute qu’il est assez paradoxal de prétendre « rapprocher » les centres de décision des citoyens tout en agrandissant les régions, en augmentant leurs prérogatives et en supprimant une assemblée, le Conseil général, qui est plutôt proche des citoyens, en tout cas plus proche que les actuels Conseils régionaux. Quand vous habitez au fin fond de l’Aveyron, il est plus facile de se tenir au courant des décisions prises à Rodez que de celles prises à Toulouse. Ce que j’apprécie aussi dans nos départements, c’est qu’ils sont bien souvent de taille comparable. Le département symbolise pour moi le principe d’égalité inscrit dans notre devise républicaine. La région, au contraire, m’évoque la mise en concurrence des territoires. Et ce n’est pas qu’un fantasme : la promotion de l’échelon régional est liée à la construction européenne, laquelle, faut-il le rappeler, repose sur « la concurrence libre et non faussée », des entreprises, des salariés, des Etats, des régions aussi. Le département contre la région, c’est un peu la tradition républicaine française contre la « modernité » européiste et libérale, le principe de solidarité nationale contre les égoïsmes locaux. Aucun département français n’est en mesure de tenir tête à l’Etat, si riche soit-il. Mais les régions ? Lorsque certaines seront assez vastes, assez riches et disposeront de suffisamment de prérogatives, qui peut nous assurer que des dirigeants ambitieux ne chercheront pas à provoquer la sécession ? Ou du moins à réduire la contribution de leur territoire à la solidarité nationale ? Quand j’entends certains « bonnets rouges », je ne suis pas très sûr d’avoir envie d’une Bretagne « réunifiée ». Quand je vois ce qui se passe en Catalogne, en Flandre, en Ecosse, je ne suis pas rassuré. Et une éventuelle ratification de la Charte européenne des langues régionales n’est certainement pas de nature à faire taire les revendications régionalistes [1].

 

Ce discours régionaliste, provincialiste même pourrait-on dire, vient de loin. Et il n’est pas inutile de retracer rapidement sa genèse et ses origines. On en revient toujours aux mêmes : gouverner un pays sans une connaissance approfondie de son histoire, c’est confier un paquebot à un plaisancier tout juste bon à piloter son petit voilier par temps calme. La France est un Etat centralisé de par son histoire. Certains vous diront que c’est parce que l’Etat français est de toute éternité un suppôt de Satan, un serviteur du mal. C’est faux, bien entendu. Jadis, au Moyen Âge, notre pays fut divisé en principautés autonomes et il fallut de longs siècles aux rois de France pour briser les grands féodaux, qui se recrutaient jusque dans la famille royale : les ducs de Bourgogne du XV° siècle sont de souche capétienne, tout comme le prince de Condé, un des chefs de la Fronde, est un cousin de Louis XIV. Louis XI a longtemps dû lutter contre son frère Charles et son cousin Louis d’Orléans (le futur Louis XII), Louis XIII contre son frère Gaston d’Orléans. Là réside une constante de l’histoire nationale, le pivot de la politique française depuis le commencement : briser les féodalités, les réduire à néant, imposer l’unité politique, voilà la trame de la construction nationale française (là où la construction nationale allemande a fédéré ces féodalités en les respectant). Depuis 1792, la République a fidèlement poursuivi la même politique. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ni Louis XVIII, ni Charles X n’ont supprimé les départements et les préfets, trop heureux de récupérer un pays doté d’une organisation administrative assurant un contrôle efficace de l’ensemble du territoire par le pouvoir central. A la fin du XIX° siècle, la III° République s’implante solidement, et à ce moment, une droite réactionnaire, monarchiste et catholique émerge. Par haine de la République, cette droite va chercher ses références dans une France monarchique totalement idéalisée, une France des provinces, des campagnes, des vieilles hiérarchies « naturelles », dont le roi serait le garant immuable. Or ces réactionnaires, Maurras et ses disciples pour ne pas les nommer, se méprennent sur la politique menée par les rois de France. Certes les monarques d’Ancien Régime sont parties prenantes d’un ordre qu’ils n’ont pas cherché à détruire, mais ils avaient commencé à le bousculer. En favorisant la diffusion de la langue française, en rabaissant les grands féodaux, en nommant des baillis et des sénéchaux dès le Moyen Âge, plus tard des intendants et des gouverneurs à l’époque moderne, tous révocables et non-héréditaires, en choisissant des ministres parmi les bourgeois plutôt que parmi la haute noblesse au temps de Louis XIV, en unifiant progressivement le droit, les rois de France avaient déjà porté de rudes coups à « nos vieilles provinces ». Les rois n’ont pas cherché à préserver les particularismes locaux, pas plus qu’ils n’ont voulu systématiquement les détruire. Les rois ont œuvré à l’édification d’un Etat central fort et incontesté. Et cela aurait amené tôt ou tard un effacement de certains particularismes… Les révolutionnaires et peut-être plus encore Napoléon n’ont fait qu’accélérer un processus déjà bien entamé. La « France des provinces » telle que la rêvent les régionalistes n’est certainement pas la France rêvée de Richelieu, de Louis XIV ou de Turgot.

 

Ce provincialisme maurrassien est perceptible dans la politique du Maréchal Pétain, qui voulut recréer les provinces d’antan. A partir de 1968, peut-être en réaction au centralisme et à l’étatisme gaullien, le régionalisme refait surface, mais change en partie de bord : jusqu’à présent marqué très à droite, il passe à gauche. Du coup, de réactionnaire et passéiste, l’idéologie régionaliste devient bientôt moderne, progressiste, tendance. L’enrobage a certes changé, mais la camelote reste la même : haine et rejet de l’Etat, méfiance vis-à-vis de la ville et de l’industrie, technophobie, retour à la terre, à l’authenticité de nos terroirs. Cela ne vous rappelle rien ? C’est bien évidemment la rhétorique d’Europe Ecologie-les Verts et de diverses associations et partis gravitant dans la nébuleuse écolo-régionaliste. Je ne dis pas qu’il ne faut pas défendre nos terroirs, nos traditions, ni que l’Etat doit être nécessairement omniprésent dans tous les domaines. Mais nous vivons au XXI° siècle, dans une France urbaine et industrielle (du moins elle le fut). Je défends notre agriculture et nos agriculteurs, mais il faut être lucide : nous n’allons pas retourner par millions dans les campagnes, que nos grands-parents ont quitté, pour redevenir des paysans. Ce n’est pas possible, pour plusieurs raisons, et ce n’est même pas souhaitable : nous vivons dans une société complexe, avec une technologie avancée, qui demande beaucoup de professions différentes ; l’agriculture n’a plus besoin d’autant de bras grâce au progrès technique, même s’il faut bien sûr corriger certains excès du productivisme, et c’est possible. Aujourd’hui, le Parti Socialiste, longtemps jacobin, progressiste, défenseur du progrès technique, est victime d’un retournement des valeurs : le PS ne contrôle plus ses « grands féodaux » locaux, dont Georges Frêche n’était que l’exemple le plus caricatural (il est intéressant de noter que ses fidélités personnelles lui ont permis de résister à sa mise au ban du PS, et je rappelle que la féodalité se définit par la force des liens d’hommes à hommes qui en viennent à primer sur le respect des institutions…), le PS est devenu un chantre de la décentralisation, ce qui va de pair avec ce qui précède, il se moque de l’industrie comme des conditions de vie des travailleurs modestes. Le PS n’a d’yeux que pour les homosexuels et les intermittents du spectacle.

 

Mais venons-en à la nouvelle carte des régions françaises que François Hollande propose :

régions hollande.jpg

 

D’abord, les points positifs. A vrai dire, je n’en vois qu’un : le refus de « donner » la Loire-Atlantique à la Bretagne. Cette « réunification » aurait été une récompense accordée aux « bonnets rouges » dont beaucoup vomissent la France et la République avec une telle haine que je pense qu’elle laissera des traces. Si la crise continue à jeter des centaines de milliers de Bretons au chômage, il ne faudra pas trop compter sur moi pour verser une larme… ni pour aller dépenser mes économies chez ces factieux. J’invite d’ailleurs mes compatriotes à bien réfléchir avant de se rendre en Bretagne pour les vacances. Puisque nous sommes des « salauds de Français », d’infâmes colons, d’indignes exploiteurs de la pauvre Bretagne, pourquoi irions-nous alimenter avec notre fric le secteur du tourisme dans cette région ? Et si vous connaissez des Bretons installés dans votre région (il y en a beaucoup dans la mienne) et plutôt bienveillants à l’égard des « bonnets rouges », n’hésitez pas à leur exprimer courtoisement votre mécontentement. Et à leur poser la question suivante : si la Bretagne devenait indépendante, sont-ils prêts à être chassés manu militari de leur maison afin de retourner vivre sur la terre de leurs ancêtres ? Parce que c’est ce qui pourrait bien leur arriver.

 

Passons maintenant aux points négatifs. Cette carte, c’est n’importe quoi. Il n’y a aucune cohérence. Si je regarde ma région, qui réunirait les actuelles régions Centre, Limousin et Poitou-Charentes, qu’est-ce qui ferait l’unité de cette construction improbable ? Aucune grande métropole, aucune continuité de peuplement, aucune identité économique. Pas un fleuve qui relie les différents espaces. Voilà une région qui s’étendrait des marges de l’agglomération parisienne jusqu’à la Rochelle, en englobant l’ouest du Massif Central. Une région immense qui ne ferait guère qu’agréger des espaces marginaux peu dynamiques (Berry, Limousin, Angoumois, Gâtinais) et bientôt dévitalisés : imaginez ce qu’une ville comme Limoges perdra en étant privé de son statut de capitale régionale, sans compter la suppression des Conseils généraux, catastrophiques pour des localités comme Tulle ou Guéret. Il aurait été plus cohérent, peut-être, d’associer Poitou-Charentes avec une autre région atlantique, Aquitaine ou Pays-de-la-Loire. De ce point de vue, le projet de Ségolène Royal de fusionner précisément Poitou-Charentes et Pays-de-la-Loire était plus pertinent, car Nantes a la stature pour dominer deux régions administratives. Pour ma part, je n’aurais pas été fâché d’une fusion Bretagne-Pays-de-la-Loire, qui aurait eu le mérite de « noyer » la Bretagne dans un ensemble plus large, et d’ailleurs assez cohérent, qu’on aurait pu nommer « Grand Ouest-Armorique », avec Nantes comme capitale, qui présente l’avantage en outre d’être moins « bretonne » que Rennes. La réunion des Haute et Basse Normandie peut se justifier pour des raisons historiques, mais d’un point de vue économique et territorial, cela me paraît très discutable. La Haute Normandie, en réalité, fait partie de la région parisienne. L’axe Le Havre-Rouen-Paris de la vallée de la Seine constitue un véritable territoire et une grande zone économique, peuplée, prospère et dynamique. Bien loin des départements, ruraux, paisibles et charmants de l’Orne ou de la Manche… La Haute-Normandie n’est rien d’autre que la façade maritime de l’Île-de-France et les deux espaces sont étroitement imbriqués. Le Havre et Rouen regardent clairement vers Paris, plus que vers Caen. La Basse-Normandie, plus rurale, fait partie de ce Grand Ouest que j’évoquais et aurait pu rejoindre Bretagne-Pays-de-la-Loire.

 

Au nord, la Picardie et la Champagne-Ardenne se marient en dépit du bon sens. Voilà deux régions en crise, désindustrialisées, sans réelle métropole qui serait le moteur économique du territoire. Reims, la ville la plus dynamique de Champagne, n’est même pas préfecture ! Comme le faisait remarquer un article que je lisais il y a quelques temps : « en associant deux régions faibles, on n’obtient nullement une région forte, mais simplement une grande région faible… ». Il aurait été plus intelligent d’arrimer la Picardie à Lille, et Champagne-Ardenne à Paris. L’Île-de-France reste inchangée, alors que la logique aurait voulu qu’elle devienne le centre d’une vaste région Bassin Parisien. Voilà une région de taille européenne qui aurait pesé ! Mais on voit que les arguments du redécoupage sont fallacieux, et vite oubliés lorsqu’il s’agit de ne point fâcher tel ou tel baron local. Associer l’Alsace et la Lorraine à l’est, pourquoi pas. Mais je note encore une fois l’incohérence inquiétante du discours présidentiel. François Hollande a affirmé que certaines régions demeureraient telles qu’elles sont « pour des raisons historiques ou culturelles ». Pays-de-la-Loire et Aquitaine n’ont guère de consistance historique, mais on n’y touche pas. Etrange. Evidemment, pas de modification pour la Corse qui de mon point de vue devrait être rattachée à Provence-Alpes-Côte d’Azur, car il ne faut pas offenser les encagoulés du maquis, les courageux mitrailleurs nocturnes de gendarmerie. Mais l’Alsace, elle, a une consistance historique, et pour l’avoir visitée, je peux affirmer qu’il y a un certain particularisme alsacien (en dépit d’une totale absence d’unité politique avant l’annexion française, qui fait de l’Alsace en tant qu’unité territoriale une création française soit dit en passant…). Mais la région Alsace est à droite et il n’y a pas d’encagoulés vosgiens à ménager. Quant à la fusion Bourgogne-Franche-Comté, je ne vois pas quoi en dire. Je n’y suis pas spécialement hostile, mais comme pour Champagne-Ardenne et Picardie, je pense que l’association de ces deux régions ne produira aucune amélioration : la Bourgogne est peu peuplée, rurale et manque de dynamisme, et la Franche-Comté est une région en phase de désindustrialisation, autrement dit la « super-région » cumulera davantage les difficultés que les atouts, à mon humble avis.

 

Disons un mot du sud pour terminer. La fusion projetée entre Rhône-Alpes et l’Auvergne risque de mettre en difficulté Clermont-Ferrand, devenu un centre important, qui va se retrouver marginalisé au sein d’un espace dominé par l’axe Lyon-Grenoble. Les Auvergnats apprécieront. Enfin, je redoute la fusion prévue entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Cette région aurait l’avantage, j’en conviens, de disposer d’une seule métropole régionale, puissante et relativement bien placée : Toulouse. Le problème est ici politique : cette région sera considérée, n’en doutons pas, comme le « Piémont » d’une future Occitanie autonome, voire indépendante, puisqu’elle réunira deux régions dans lesquelles l’identité occitane cherche le plus à s’affirmer, à savoir Midi-Pyrénées, qui regroupe une bonne partie de l’ancien domaine des comtes de Toulouse, et Languedoc-Roussillon, de par son nom même et de par le souvenir (totalement fantasmé, j’ai pu m’en rendre compte) des fameux cathares. De quoi faire saliver les « nationalistes » occitans. Je conclurai en disant ceci : cette réforme est improvisée, bâclée, sera parfaitement inutile et inefficace pour les territoires en crise, et pourrait s’avérer dangereuse. C’est pourquoi il faut la combattre. Les arguments des défenseurs de la réforme ne tiennent pas : les régions françaises ne sont pas « plus petites » ou « moins peuplées » qu’ailleurs en Europe [2], cette réforme n’entraînera que bien peu d’économies et la France ne sera certainement pas mieux administrée, ni les Français plus heureux. Pour faire des économies, supprimons les régions, redistribuons les pouvoirs entre départements et Etat, et instaurons éventuellement des « conférences inter-départementales » chargées de mutualiser les moyens des départements pour financer les grands chantiers, le tout sous le contrôle et avec le soutien de l’Etat. Les contrats Etat-département peuvent aussi être une solution pour l’aménagement du territoire (parce que c’est de cela qu’il s’agit au fond). Mais nous n’avons aucunement besoin de « monstres » régionaux qui sont contraires à notre histoire et à notre tradition politique.

 

[1] Sujet évoqué dans cet article et dans celui-ci.

 

[2] Ce que j’ai expliqué dans cet article.

 

Pour ceux qui découvriraient ce blog, j’ai déjà vilipendé à plusieurs reprises le régionalisme, notamment dans cet article (sur la Corse) ou encore celui-là (sur l’Occitanie).



05/07/2014
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