Nationaliste Social et Ethniciste

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Gérard Noiriel et le mythe de Pandore

Ô Schadenfreude, ténébreuse et cruelle,

quand de ta main moite et sensuelle,

nos pauvres âmes tu étreins,

nous jouissons d'un plaisir malsain.

 

Auteur anonyme (et qui ferait bien de le rester).

 

 

Je veux vous conter l'histoire d'un vieux monsieur, âgé de 73 ans. Il fut en son temps un pionnier, un héros adulé, un savant respecté. Aujourd'hui, il n'est plus grand-chose et promène un regard amer sur un monde qu'il a très largement contribué à bâtir. Ce monsieur s'appelle Gérard Noiriel, docteur en histoire et directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS, un intitulé étrange quand on y pense: y aurait-il de "Basses Etudes"?). Au début des années 1990, il publie un ouvrage majeur, Le Creuset français, la première somme sur l'histoire de l'immigration en France. Noiriel est alors un précurseur, un visionnaire, qui reçoit les louanges de toute la bienpensance. Comme beaucoup d'historiens spécialistes de la période contemporaine, Gérard Noiriel ne dissocie pas la production scientifique de l'engagement "civique". D'historien de l'immigration, cet homme de gauche devient rapidement fervent militant immigrationniste. Il est l'une des grandes figures du mouvement déconstructiviste, l'un de ceux qui, depuis plus de trois décennies, instillent l'idée que "la France doit tout à l'immigration", et que notre pays ne serait rien sans l'apport des immigrés de toute provenance. Dès le commencement, Noiriel a été partie prenante de ce monument antifrançais qu'est la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration (CNHI) appelé aussi musée de l'immigration. Hélas pour le pauvre Gérard, il se retrouve au coeur des heures sombres de notre histoire, je veux parler du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy (2007-2012). Indigné par la création du Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale - qui, rappelons-le, n'a pas plus régulé l'immigration qu'il n'a cherché à défendre l'identité nationale - Noiriel et ses amis démissionnent avec fracas du Conseil scientifique de la CNHI. Le nazisme étant de retour, le choix de la résistance s'impose. La suite devient savoureuse.

 

Avant de poursuivre, je voudrais rappeler dans les grandes lignes le mythe grec de Pandore. Pour punir les hommes, les dieux créent... la femme (eh oui) qu'ils nomment Pandore ("tous les dons" en grec). Elle est belle, séduisante, irrésistible. Epiméthée, le frère de Prométhée (le bienfaiteur qui a donné le feu aux hommes), en tombe amoureux et l'épouse. Les dieux, malicieux, donnent à la jeune femme une boîte qui, elle l'ignore, recèle tous les malheurs du monde. Comme parmi ses dons, Pandore a reçu la curiosité, elle ne peut s'empêcher d'ouvrir la boîte, comme Eve n'a pu s'empêcher de goûter le fruit interdit sur les conseils du Malin. La catastrophe se produit donc et les malheurs se répandent sur la Terre. Quel rapport avec Noiriel me direz-vous? Eh bien Gérard Noiriel a ouvert la boîte de Pandore des problématiques identitaires, et il se désole aujourd'hui d'en voir les conséquences les moins agréables, conséquences que son grand esprit n'avait pas vu venir. Dans un article récent, Noiriel s'épanche et se lamente sur la tournure que prennent les événements. Entendons-nous bien: je ne reproche pas à Gérard Noiriel d'avoir défriché la question de l'immigration en histoire. Ce travail scientifique était sans doute utile et nécessaire, on ne peut pas faire comme si l'immigration n'existait pas. Ce que je ne lui pardonne pas, c'est d'avoir fait de son travail universitaire la base d'un projet idéologique, d'un engagement militant visant à donner à sa propre personne la dimension d'une autorité morale incontestée. Ce projet, faut-il le rappeler, a amené Gérard Noiriel à faire la tournée des universités au temps de Sarkozy pour faire campagne - il n'y a pas d'autre mot - contre la politique du gouvernement de l'époque. Cette ambition - cette hubris auraient dit les anciens Grecs - l'a amené à rédiger en 2019 un ouvrage polémique, Le Venin dans la plume, dont l'objectif est de bâtir un parallèle pour le moins discutable entre Edouard Drumont, l'idéologue antisémite de la fin du XIX° siècle, et Eric Zemmour ou, pour le dire autrement, d'établir une équivalence entre l'antisémitisme passé et l'islamophobie actuelle, qui est une antienne de la gauche antiraciste depuis un certain temps maintenant.

 

Gérard Noiriel n'a d'ailleurs jamais nié que son objectif était politique. Il le dit lui-même dans l'article auquel je me réfère:  "La CNHI a vu le jour pour intégrer dans le champ mémoriel les apports de ces recherches nouvelles [sur l'immigration]". L'objectif était clair: faire de l'immigration, jusqu'alors question marginale dans le récit national, un élément central d'une refondation identitaire. Il s'agissait rien de moins que de rebâtir un nouveau "roman" faisant la part belle à l'autre, à l'étranger, à la diversité. L'entreprise en elle-même est condamnable, mais il est probable que la démarche de Gérard Noiriel (et de quelques autres) était sincère. La CNHI devait, selon lui, favoriser un "rassemblement tourné vers l'avenir, autour d'une histoire commune que tous étaient susceptibles de s'approprier". De plus, Noiriel, malgré ses errements, restait fidèle à une certaine méthodologie héritée de sa formation intellectuelle reçue à une époque où la rigueur restait de mise dans les études historiques. Ses émules n'ont pas ces scrupules... A présent, Noiriel est dépassé par le courant "post-colonial" avec lequel il est en désaccord mais auquel il a largement déroulé le tapis rouge. Le pauvre Gérard a trouvé plus radical et plus "progressiste" que lui! Et il semble en être fort marri. Encore une fois, quel bonheur, quel régal de voir les donneurs de leçon d'hier se prendre en pleine figure le résultat de leur action. Noiriel a été bien naïf s'il a cru pouvoir impunément mélanger science et idéologie, car les deux ne font pas bon ménage et ce qui devait arriver arriva: l'idéologie l'emporta. La rigueur, le sérieux, le respect de la méthodologie, l'honnêteté la plus élémentaire, tout cela a été remisé au placard des vieilleries inventées par "l'homme blanc occidental".

 

La CNHI a récemment fait "le buzz", comme on dit, en placardant dans tout Paris une affiche sur laquelle on voit le célèbre portrait du Roi-soleil peint par Rigaud (en 1701 je crois), avec ces mots: " Louis XIV (mère espagnole, grand-mère autrichienne): c'est fou tous ces étrangers qui ont fait l'histoire de France". Précisons d'ailleurs qu'une sournoise discrimination s'est glissée dans le propos: au nom de quoi Marie de Médicis, grand-mère italienne de Louis XIV du côté paternel, est-elle exclue de ce concours généalogique? Mais l'essentiel n'est pas là. D'abord, on voit mal en quoi le fait d'avoir une mère et une grand-mère "étrangères" ferait de Louis XIV lui-même un étranger: en lignée paternelle, Louis descend directement d'Hugues Capet (dont la mère, il est vrai, était une princesse saxonne), de Philippe Auguste, de Saint Louis, et indirectement, rappelons-le, de Charlemagne, il appartient donc bel et bien à l'une des plus anciennes maisons aristocratiques du royaume de France. Louis est né en France. Ensuite, il faut se pencher un peu sur le discours et sur les actes de Louis XIV: le Roi-soleil s'est-il jamais réclamé d'une autre culture, d'une autre tradition, que celle de la dynastie française des Capétiens? Je ne crois pas. Oui, c'est vrai, Louis est le descendant de Charles Quint et de Philippe II - ce qui lui permettra d'ailleurs de réclamer le trône de Madrid pour son petit-fils Philippe V - comme de Charles le Téméraire et d'Anne de Kiev. Il est à noter d'ailleurs que l'affiche omet de signaler que la "mère espagnole" et la "grand-mère autrichienne", toutes deux de la maison des Habsbourg, ont elles-mêmes du sang français dans les veines, en tant que descendantes de Marie de Bourgogne, héritière d'une branche cadette des Valois issue du roi de France Jean II le Bon (1350-1364). Mais c'est tellement plus simple et plus vendeur de raconter n'importe quoi et de tordre les faits, n'est-ce pas? Je note d'ailleurs que, lorsqu'Eric Zemmour ou Lorànt Deutsch se laissent aller à une approximation ou à une interprétation discutable, immédiatement ils sont taxés de mensonge, de révisionnisme, parce qu'ils sont de droite; mais lorsque le même procédé est utilisé par des historiens bien sous tout rapport et pour une bonne cause, là ça passe crème.

 

Le principal argument contre le message colporté par cette affiche racoleuse est donné par Gérard Noiriel lui-même: l'affiche "renvoie à une définition de l'étranger qui n'était pas la même [au XVII° siècle] qu'aujourd'hui". On pourrait ajouter que les mariages royaux et princiers, depuis le Moyen Âge, se concevaient comme des instruments diplomatiques et géopolitiques, et relevaient en quelque sorte de circonstances exceptionnelles. Les unions étaient des gages de paix, d'alliance ou de réconciliation. Et il faut rappeler que les princesses n'étaient nullement consultées: Anne d'Autriche n'a pas choisi son mari Louis XIII, pas plus qu'elle n'a choisi la France, même si elle s'est montrée soucieuse des intérêts de son pays d'adoption, ce qui est tout à son honneur. Comme le relève Noiriel, "le musée de l'immigration a ainsi repris à son compte le discours actuellement dominant dans l'espace public qui confond migrations et immigration." Là où Noiriel s'en tenait à une définition restrictive de l'immigration qu'il mettait en relation avec l'achèvement de la construction nationale à partir de la Révolution, conduisant effectivement à une distinction juridique de plus en plus précise entre le "national" et l'étranger, ses héritiers ne s'embarrassent point de ces finasseries: l'important, l'essentiel, c'est la diversité, l'altérite, la pluralité en tout lieu et en tout temps. Les différences de contexte historique entre un Etat bâti autour du principe dynastique et religieux, et une nation moderne tendant à une relative unification culturelle et linguistique? Ce sont là des querelles byzantines qui n'intéressent pas la nouvelle génération d' "historiens militants". On sent bien que le pauvre Noiriel est un peu dépité de voir son bébé, la CNHI, lui échapper et s'éloigner de l'objectif qu'il lui avait fixé. Mais que s'est-il passé?

 

Après la démission de Gérard Noiriel et de ses amis du Conseil scientifique de la CNHI, Benjamin Stora, autre "historien militant" spécialiste de la Guerre d'Algérie et de ses "mémoires", a récupéré le bébé. Mais Noiriel paraît surtout en vouloir à Patrick Boucheron, qui est devenu ces dernières années l'historien à la mode, la coqueluche des médias. Boucheron a dirigé le dernier avatar du "contre-roman national" à savoir l'Histoire mondiale de la France [1] parue en 2017. Depuis, il est l'égal de Michelet et de Lavisse, le maître d'oeuvre du récit officiel qui convient à nos élites européistes et mondialistes. Au demeurant, l'homme est brillant: reçu premier à l'Ecole Normale Supérieure (ENS) en 1985 et premier également à l'agrégation d'histoire en 1988 [2], il est un spécialiste reconnu de l'Italie du Moyen Âge et de la Renaissance. Sa chaire au Collège de France n'est pas imméritée. Boucheron parle bien, il a de réels qualités de pédagogue et de vulgarisateur, c'est indéniable. Mais il a aussi un ego surdimensionné et son succès lui est monté à la tête. Surtout il est, tout comme Noiriel, embarqué dans une histoire militante, même si chez lui, c'est un peu moins visible, car il s'est montré plus prudent dans ses engagements comme dans ses rapports avec le pouvoir. Dans un rapport publié en 2019 portant justement sur la réorientation du musée de l'immigration, Patrick Boucheron a écrit que le projet initial (celui porté par Noiriel et consorts donc) était "né de l'historiographie de son époque, loin d'être aussi riche et structurée qu'aujourd'hui". On conçoit que Noiriel - qui reste malgré tout un des pionniers de l'histoire de l'immigration en France - ait peu apprécié cette remarque. Avec un mépris à peine voilé, Boucheron explique à Noiriel qu'il est dépassé! Et Noiriel de découvrir l'ingratitude qui règne à gauche, en regrettant à demi-mot qu'un article de Libération tresse des lauriers à Stora et à Boucheron en se montrant assez critique de sa propre action, et notamment de sa démission du Conseil scientifique de la CNHI.

 

Au-delà des désaccords de fond, il y a très certainement des inimitiés personnelles. Gérard Noiriel sent la fin venir (je parle au niveau de l'activité intellectuelle, car je lui souhaite par ailleurs longue vie). Il n'est pas professeur au Collège de France, où il n'a pas eu droit à une chaire "histoire de l'immigration". Plus engagé mais beaucoup moins médiatique que l'opportuniste Boucheron, Noiriel doit se contenter d'une petite chronique dans l'émission d'histoire de France Culture. Bien qu'il fasse toujours figure de pionnier de l'histoire de l'immigration, il est trop intelligent pour ne pas se rendre compte que la nouvelle génération d'historiens, obsédée par la race et les questions identitaires que lui-même avait cru pouvoir tenir à distance, est en train d'instrumentaliser la recherche historique pour en faire une arme idéologique dans une ambiance délétère de guerre civile. Tout cela, Gérard Noiriel ne l'a sans doute pas voulu, mais il n'a pas su voir que sa démarche intellectuelle ouvrait la voie à de dangereuses dérives. Quand les dieux veulent vous punir, ils vous exaucent. Noiriel a voulu "légitimer" l'étude de l'immigration, il a voulu en faire un point central de la recherche historique en France. Il a réussi au-delà de toutes ses espérances. Mais le monstre qu'il a nourri finira par le dévorer et, à mon avis, il ne s'écoulera que peu de temps avant que Noiriel, accusé lui-même d'être un "homme blanc", ne soit rejeté par les nouveaux adeptes des black studies et les chercheurs spécialistes des minorités [3]. Comment un homme blanc peut-il oser retracer le parcours du clown Chocolat et comprendre les discriminations dont les noirs sont victimes depuis l'aube des temps?

 

Il reste qu'il est jouissif de voir les intellectuels de gauche ringardisés les uns après les autres par une génération qu'ils ont élevée dans la haine de la France et du roman national, et dans le culte de l'Autre et de la diversité. Gérard Noiriel récolte ce qu'il a semé...

 

[1] Comme souvent avec les ouvrages collectifs, le résultat est très inégal. Certaines dates sont judicieuses et les notices de bonne qualité. D'autres choix sont plus abracadabrantesques.

 

[2] L'auteur de ces lignes ayant tenté le concours d'entrée à l'ENS et l'agrégation d'histoire, il est bien placé pour apprécier le niveau de connaissances et l'envergure intellectuelle nécessaires à la réussite desdits concours.  

 

[3] Je renvoie à cet article humoristique sur la recherche française en sciences sociales. Il se pourrait que la réalité s'en rapproche d'ici peu! 



15/07/2023
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