Nationaliste Social et Ethniciste

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Hommage à la France de Marcel Boiteux

Je voudrais revenir un instant sur les images que j'ai choisies pour le bandeau de présentation de ce blog, et leur signification. A gauche, il y a la statue d'un Poilu de la Grande Guerre, sur un des innombrables monuments aux morts qui parsèment notre territoire. Pour moi, cela symbolise le sacrifice héroïque des Français pour défendre leur patrie, depuis la levée en masse de l'époque révolutionnaire jusqu'aux tranchées de 1914-1918. Mais cela remonte à plus loin encore: ce Poilu est le lointain héritier des milices communales qui combattirent à Bouvines en 1214. Ce Poilu est aussi à mes yeux le symbole de la vieille paysannerie française qui n'a pas été avare de son sang lors de la Grande Guerre. Il témoigne que les Français n'ont pas laissé les étrangers et les ressortissants des colonies mourir à leur place, contrairement à ce qu'on entend parfois. Allez dans les villages de France, et lisez les noms sur les monuments aux morts: quasiment tous les noms sont à consonance française, ce sont des gars du pays qui sont morts pour la France. A droite, j'ai mis un détail d'un tableau de Gérard montrant Napoléon au soir d'Austerlitz. Ce choix fait référence au rôle des "grands hommes" dans notre histoire nationale, un rôle aujourd'hui minoré voire vilipendé. Et pourtant il a fallu de grands hommes visionnaires pour guider ce peuple de paysans, souvent rétif aux grandes aventures, pour le pousser à se surpasser, à se sublimer, pour lui donner un Etat fort et centralisé qui fit l'admiration du monde. Le Poilu et Napoléon nous rappellent aussi que la France est fille de Mars, dieu de la guerre. Plus sans doute que pour bien des nations, la guerre a façonné nos institutions, fortifié notre Etat, soudé notre peuple. Mais la France est aussi une vieille terre catholique, fille aînée de l'Eglise, et c'est ce que symbolise l'église de Saint-Nectaire, joyau de l'architecture romane auvergnate, placée à droite du Poilu. Partout dans nos villes et nos campagnes, cet héritage catholique est omniprésent: grandes cathédrales ou modestes églises de village, calvaires et chapelles, nous rappellent que des siècles durant, dans l'adversité et dans la précarité, nos ancêtres ont placé leurs espoirs dans le christianisme, et accepté de laisser la Sainte Eglise catholique, romaine et apostolique les conduire vers le Salut. Le catholicisme, c'est notre héritage chrétien, c'est aussi notre part de romanité, le souverain pontife étant le successeur de Saint Pierre mais aussi, un peu, l'héritier des Césars. Il n'y a qu'à voir comment les dignités du Vatican reprennent parfois la hiérarchie aulique de l'empire romain finissant. Et je le redis: le fait qu'un nombre croissant de Français natifs perdent tout lien, spirituel, culturel ou affectif, avec cet héritage religieux est aussi tragique que l'implantation d'un islam conquérant sur notre sol.

 

Reste la quatrième image, celle qui prend place entre l'église, symbole de tradition, et Napoléon triomphant, archétype du chef charismatique qui entraîne la nation: une des deux tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-eaux, située non loin de chez moi, en région Centre-Val-de-Loire. Pourquoi ce choix? Eh bien pour rappeler que la France a été, aussi, une grande puissance industrielle et scientifique [1]. Il est vrai que j'aborde moins souvent le monde industriel dans mes textes, pour des raisons géographiques et familiales: je n'ai pas d'attaches personnelles dans les grandes régions industrielles du Nord et de l'Est, ou dans les grandes villes. Toutes les branches de ma famille ont leurs racines dans la France rurale. Il est vrai aussi que dans ma famille, on est généralement passé assez rapidement de la terre ou de l'artisanat au service de l'Etat ou de ses entreprises (armée, enseignement, PTT, chemins de fer), et les ouvriers de l'industrie (je laisse de côté les ouvriers agricoles) sont peu nombreux dans la famille. Mais je ne méprise nullement le monde ouvrier ou le secteur industriel, même si effectivement je ne lui accorde pas autant d'importance que les patriotes ayant une formation marxiste, et les militants de gauche en général. Le seul exemple que j'ai est particulier: une de mes grands-mères, ayant quitté la campagne pour la ville après la guerre, lors de la phase principale de l'exode rural, a travaillé de longues années à l'usine. Seulement il s'agissait d'un monde ouvrier essentiellement féminin d'une part, et d'autre part ma grand-mère est toujours restée dans son coeur une paysanne, attirée d'abord par les choses de la terre, jusqu'à consacrer ses maigres économies à l'acquisition d'un champ et d'un jardin dans le village d'origine plutôt que de se contenter d'un jardin ouvrier qui pourtant aurait été plus proche du HLM où elle habitait. Et tant qu'elle le put - c'est-à-dire jusqu'à un âge assez avancé car elle était de cette race robuste qui avait survécu à la guerre, aux privations, à la pauvreté - son plaisir était d'aller passer une bonne partie de son été sur son domaine, semer, désherber, arroser, récolter.

 

Tout ça pour dire qu'en dépit de la réelle curiosité qu'il suscite chez moi, le monde ouvrier et industriel me reste très largement étranger [2]. Il faut ajouter à cela qu'en tant qu'historien, la période contemporaine, celle de l'industrialisation, n'est pas vraiment ma période de prédilection. Pour couronner le tout, ma culture en matière d'économie est plus que rudimentaire. La seule chose qui me rapproche de la question industrielle est mon intérêt pour l'histoire des sciences et des techniques (un thème que j'ai d'ailleurs toujours trouvé trop mis de côté dans les programmes scolaires).

 

Marcel Boiteux, lui, était familier du monde scientifique et industriel. Par sa formation d'abord, puisqu'il était normalien, agrégé de mathématiques et diplômé d'économie. Il connaissait son sujet. Son savoir-faire, Marcel Boiteux aurait sans doute pu le mettre au service du secteur privé. Seulement voilà, il vivait au temps des Trente Glorieuses, à une époque où les esprits les plus brillants trouvaient honorable de servir la nation. Il avait déjà montré son patriotisme en rejoignant la France Libre pendant la guerre, et il participa à la campagne d'Italie - à laquelle, pour l'anecdote, mon autre grand-mère prit part elle aussi. Alors, après la Libération, Marcel Boiteux intègre Electricité De France (EDF) où il effectuera une longue et riche carrière, devenant PDG de l'entreprise en 1979, et sera le maître d'oeuvre du programme nucléaire français, permettant à notre pays de produire une électricité bon marché, abondante, émettant peu de gaz à effet de serre. Ce programme nucléaire montre l'efficacité économique de l'étatisme à la française. Alain Madelin aurait dit qu' "EDF est la seule entreprise soviétique qui marche" (ou "c'est l'URSS qui a réussi"), et de la part de Madelin le néolibéral, c'est l'hommage du vice à la vertu. Et le fait est qu'EDF a réussi à survivre malgré la lâcheté et la politique d'abandon de nos dirigeants depuis près de quatre décennies [3]. La belle machine finira par se gripper si l'on n'y prend garde. Emmanuel Macron parle de relancer le nucléaire, et semble bien s'être fâché avec l'Allemagne sur cette question. C'est un début, mais avec ce genre de personnage, il y a loin des paroles aux actes. De toute façon, la relance du nucléaire n'aura de sens que si elle s'inscrit dans un programme ambitieux de réindustrialisation de notre pays, et on est loin d'avoir cette volonté, que ce soit chez les macroniens ou chez la gauche écolo-diversitaire.

 

Marcel Boiteux s'est éteint à 101 ans, le 6 septembre 2023. La France perd un de ses grands commis de l'Etat qui, depuis Jacques Coeur et Colbert, ont fait la grandeur de la France, en donnant aux "grands hommes" les moyens de leur politique. Il n'a pas fait l'objet d'un hommage national comme en ont reçu Johnny Hallyday et Jean-Paul Belmondo. Je ne méprise pas Hallyday ni Belmondo, mais j'apprécierais qu'à côté des artistes - qui ont leur rôle dans le rayonnement de la France - on honore davantage les scientifiques et les grands serviteurs de l'Etat, et qu'on les hisse au rang de modèle pour notre jeunesse. Car Marcel Boiteux n'est pas allé pantoufler dans le privé comme le font de plus en plus de hauts fonctionnaires. Non content d'avoir reçu peu de gratitude, Marcel Boiteux essuie même des reproches, la gauche écolo-diversitaire ne lui pardonnant pas d'avoir doté la France de centrales nucléaires plutôt que de centrales à charbon ou au gaz comme ont fait les Allemands. Et puis, Marcel Boiteux joue de malchance: homme blanc, vraisemblablement Français de souche, ne se revendiquant d'aucune minorité sexuelle, religieuse ou régionale... Pas le profil à attirer les louanges de nos jours. Ceux qui lui crachent dessus aujourd'hui pourraient être d'ailleurs les héritiers de ceux qui tentèrent de le tuer voici plusieurs décennies: en juillet 1977, une bombe explose devant le domicile de Marcel Boiteux. Les dégâts sont considérables, mais heureusement la famille du dirigeant d'EDF est indemne... parce que la Providence a fait que ses membres se trouvaient à ce moment à l'autre bout de la maison! Un mystérieux "Comité d'Action contre les Crapules Atomiques" revendique l'attentat. Cela nous rappelle que le mouvement antinucléaire et écologiste, du moins dans certaines de ses ramifications, peut être violent et meurtrier. Par conséquent, considérer les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ou les excités de Sainte-Soline comme de doux rêveurs est une erreur. Lorsque les adversaires de ces militants les qualifient de "khmers verts", certains crient à l'abus de langage. Eh bien moi, je pense que le rapprochement est loin d'être injustifié.

 

Alors certains me diront qu'il y a dans ma position idéologique une forme d'incohérence, jamais vraiment résolue: peut-on vraiment concilier l'attachement à la tradition, à la vieille France rurale et catholique, et une forme d'adhésion à la modernité, au monde industriel, au progrès technique et scientifique? C'est une vraie question, qui a finalement donné naissance historiquement à deux écoles du nationalisme français. Un nationalisme qu'on pourrait qualifier de "patrimonial", celui qui défend la tradition, l'héritage catholique, les vieilles pierres, les terroirs, la gastronomie, "l'art de vivre à la française" pourrait-on dire. Ce nationalisme, identitaire, souvent réactionnaire, se rencontre à droite et à l'extrême droite. Et il y a le nationalisme qu'on pourrait appeler "progressiste" ou "de gauche", celui qui vise l'excellence scientifique et technique, l'efficacité productive, celui qui voit au-delà du village ou de la petite ville de province. C'est le nationalisme chevènementiste et de certains communistes. Bref, c'est la vieille opposition entre la "Petite France" qu'on taxera aisément de chauvinisme, de vision du monde rabougrie, de fermeture d'esprit, et la "Grande France" qu'on accusera non moins facilement d'être "déconnectée", éloignée des réalités locales, portée par des élites "hors-sol". Eh bien moi, je défends un nationalisme syncrétique qui concilie la tradition et la modernité. De Gaulle l'avait compris, lui qui disait qu'il y a toujours en France deux partis, celui du mouvement et celui de la stabilité. Nous avons besoin des deux, il en était convaincu. La stabilité, l'enracinement, le patrimoine, c'est ce qui nous rassure, ce qui nous inscrit dans une filiation, dans une continuité. Cela nous dit d'où nous venons. Le mouvement, le progrès, la modernité, c'est ce qui nous permet de nous développer, de nous enrichir, de tenir notre rang dans le concert des nations. Cela nous dit où nous voulons aller. La France est capable de réussir cette synthèse, j'en suis sûr. Comme je le disais dans mon précédent article, j'ai séjourné à Paris cet été. J'ai visité l'Opéra Garnier et le Sacré-Coeur, je suis passé devant le Grand Palais et le Petit Palais, des monuments tous construits dans la deuxième moitié du XIX° siècle. Je trouve que ces édifices illustrent très bien, architecturalement parlant, le mariage entre tradition et modernité: l'utilisation de techniques modernes (pour l'époque) pour créer un style à la fois original mais qui s'inspire clairement des mouvements artistiques du passé (roman, byzantin, baroque, classique). Je retrouve cela dans l'architecture de certaines gares comme celle de Tours ou d'Orsay.

 

Finalement, Marcel Boiteux et ma grand-mère - ils avaient cinq ans d'écart - sont les deux facettes d'une même France. Une France dans laquelle tout n'était pas rose, loin de là: c'était un monde dur, brutal, dans lequel la guerre, mondiale ou coloniale, faisait encore partie de l'horizon quotidien. Un monde où les difficultés sociales étaient bien réelles, et les divisions politiques féroces. Mais les gens se plaignaient moins. Les féministes pleurnichardes qu'on entend sur France Culture et ailleurs n'ont pour la plupart pas connu le tiers des difficultés que ma grand-mère a rencontré dans sa vie. L' "oppression patriarcale", elle l'a vécue. Seulement voilà, ma grand-mère avait quelque chose que les néoféministes n'ont pas: elle avait du caractère et de l'amour-propre, de la volonté et de la ténacité. Et je ne parle pas de mon autre grand-mère qui risquait sa vie sur les routes escarpées du Monte Cassino, au milieu des obus allemands, pendant la guerre. C'est la différence majeure: aujourd'hui, les gens veulent simplement qu'on les plaigne, ils veulent jouir du malheur qu'ils exposent à la face du monde. C'est lamentable. Mais la France de Marcel Boiteux et de ma grand-mère était une France qui allait de l'avant, une France qui voulait construire et améliorer la vie. Une France où il y avait des immigrés - à l'usine, ma grand-mère a côtoyé des Espagnoles, des Portugaises, des gens d'origine italienne - mais où l'immigration n'était pas une obsession malsaine. Une France où l'identité n'était pas un sujet parce qu'être Français allait de soi. Une France qui pouvait s'enorgueillir de ses ponts, ses autoroutes, son réseau de téléphonie, et bien sûr ses centrales nucléaires. A l'époque, on n'avait pas besoin de vanter le "made in France", parce que les produits français étaient de bonne qualité et compétitifs. Et au-delà de tout ça, je dirais que c'était une France où on avait simplement confiance: confiance dans l'avenir, confiance dans nos ingénieurs et nos médecins, confiance dans notre Etat et notre élite dirigeante. Et nos élites avaient confiance dans notre peuple.     

 

Je sais, je parle comme un vieux c... Mais la France de mes grands-mères, c'était quelque chose, quand même. Et quelque chose de beau, de grand, d'aimable (au sens de "digne d'être aimé"). Et c'était grâce à des gens comme Marcel Boiteux. Reposez en paix Monsieur Boiteux.

 

[1] J'avais déjà dans un ancien article rendu hommage à Serge Haroche, prix Nobel de Physique en 2012.

 

[2] Indépendamment de mon passé familial, j'ai tendance à penser que l'identité ouvrière est nettement moins prononcée en France qu'en Angleterre ou en Allemagne. Je pense qu'en France, plus qu'ailleurs, l'identité ouvrière a une dimension essentiellement régionale ou locale: le Nord, la Lorraine, le Creusot... Ailleurs, il ne faut pas l'oublier, le pays a connu un phénomène particulier: le développement de l'industrie en zone rurale, avec cette catégorie sociale originale qu'on pourrait appeler "paysans-ouvriers". Cette industrie diffuse, rurale, dont les travailleurs ont conservé des liens étroits avec la paysannerie est très négligée dans les représentations du monde ouvrier de l'époque "classique" (XIX°- première moitié du XX° siècle). C'est un tort. 

 

[3] Politique qui a conduit à une aberration consistant à obliger EDF à vendre une partie de sa production à un faible prix à ses concurrents privés qui la revendent plus cher au consommateur... J'en avais fais un article.



17/09/2023
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