Allemagne, France, Angleterre: pourquoi les régions industrielles basculent-elles à l'extrême droite?
En l'espace de quelques décennies, nous avons assisté à une recomposition politique majeure dans plusieurs pays européens, avec la poussée des partis dits "d'extrême droite", "populistes", "nationalistes" ou encore "souverainistes", la terminologie variant suivant le degré de rejet chez le commentateur. Un vent de populisme xénophobe semble souffler sur l'Europe de l'Ouest. Mais il est à noter que ces partis nationalistes - je les appellerai ainsi, parce que c'est le terme que je préfère et qui n'est évidemment pas une injure pour moi - ne s'implantent pas n'importe où. Les grandes métropoles leur sont pour l'essentiel très hostiles. Les campagnes imprégnées de conservatisme traditionnel sont peu perméables à leur discours, du moins pour l'instant. Ce sont plutôt les vieilles régions industrielles qui, les unes après les autres, basculent dans le vote nationaliste. Je n'y vois pour ma part aucune résurgence du fascisme ou du nazisme à proprement parler, même si, bien sûr, certains néofascistes et néonazis cherchent à surfer sur la vague avec plus ou moins de bonheur. Mais il me paraît très important de distinguer, au sein des partis nationalistes, un noyau de militants et de sympathisants, parfois très radicaux, de la masse des électeurs, souvent beaucoup plus modérés, ou nuancés. Je vais m'intéresser dans cet article à trois espaces géographiques: actualité oblige, je commencerai par évoquer la Saxe et la Thuringe, en Allemagne orientale, où viennent de se dérouler des élections régionales riches d'enseignement. Ensuite, je me pencherai sur les Hauts-de-France, et plus précisément sur ce qui constituait l'ancien Nord-Pas-de-Calais. Enfin, on s'intéressera aux événements qui ont secoué l'Angleterre cet été.
Saxe et Thuringe, bastions de l'AfD
Les résultats sont donc tombés: lors des élections visant à renouveler les parlements régionaux dans les Länder de Thuringe et de Saxe qui se sont déroulées le 1er septembre 2024, l'Alternative für Deutschland (AfD) a réalisé un score historique, au-dessus de 30 %. L'AfD arrive en tête en Thuringe en obtenant 32,8 % des voix (presque dix points devant la CDU qui arrive 2ème!), et en 2ème position en Saxe (avec 30,6 % des suffrages) juste derrière la CDU, à peine à 32 %. La percée de l'AfD dans les régions de l'ex-RDA n'est pas nouvelle. Avec près de 16 % des voix aux élections européennes de juin 2024, l'AfD a d'ailleurs montré qu'elle pouvait conquérir des voix même dans l'Ouest de l'Allemagne, qui lui est traditionnellement moins favorable. Néanmoins, les Länder de l'est restent sa terre d'élection. Tous ceux qui qualifient l'AfD de "parti nazi" ou "néonazi" devraient quand même s'interroger, quand on regarde un peu le profil des territoires où cette formation politique triomphe. A côté des très bons résultats de l'AfD, il faut aussi relever le score relativement élevé d'une toute jeune formation de gauche conduite par une certaine Sahra Wagenknecht, ancienne cadre du parti Die Linke, qui est un peu l'équivalent allemand de La France Insoumise (LFI) chez nous. Or Sahra Wagenknecht a non seulement rompu avec son parti d'origine mais, outre des mesures de gauche - je serais tenté de dire "des bonnes mesures de gauche" - comme la défense des services publics, la lutte contre la désertification médicale ou encore la hausse des salaires, mais son programme contient des mesures visant à limiter l'immigration, mais aussi à cesser d'alimenter le bourbier ukrainien en arrêtant les livraisons d'armes au gouvernement de Kiev. C'est très intéressant parce que ce genre de mesures n'est pas vraiment du ressort des Länder. Et malgré cette forme de "nationalisation" des scrutins régionaux, le parti de Sahra Wagenknecht - qu'elle a baptisé, en toute modestie, "l'Alliance Sahra Wagenknecht" - a enregistré des résultats plus qu'encourageants, avec 11,8 % des suffrages en Saxe et 15,8 % en Thuringe, ce qui le propulse au rang de 3ème force politique dans ces deux régions. Dans le même temps, les écologistes et les sociaux-démocrates du SPD sont laminés.
Comme toujours, l'histoire nous permet d'y voir plus clair. Le Land de Saxe correspond à peu de chose près à l'ancien royaume de Saxe créé en 1806, en remplacement du vieil Electorat de Saxe dont la raison d'être disparut lorsque Napoléon 1er empereur des Français décréta cette même année la fin du Saint Empire romain germanique. Rappelons que ce dernier était une monarchie élective d'où cette appellation d'Electorat pour les principautés dont le souverain participait à la désignation de l'empereur. A partir des années 1830, la Saxe entame un processus d'industrialisation qui va faire de cet état allemand le plus densément peuplé du Reich à la fin du XIX° siècle, et l'un des états les plus industrialisés d'Europe avec la Belgique. C'est aussi une terre où s'implante solidement le SPD: aux élections de 1903, les Saxons envoient au Reichstag 23 députés sociaux-démocrates sur les 24 sièges à pourvoir par le royaume de Saxe au parlement impérial. La Saxe, contrairement à la Bavière, ne semble pas avoir cultivé un particularisme culturel susceptible de l'opposer à la Prusse: la population est majoritairement luthérienne, comme dans toute la partie orientale de l'Empire allemand - exception faite de la minorité polonaise - à l'exception notable de la famille régnante, devenue catholique à la fin du XVII° siècle pour occuper le trône (lui aussi électif) de Pologne-Lituanie, et qui semble-t-il le demeura puisque la cathédrale catholique de Dresde servit de nécropole à la famille royale de Saxe jusqu'en 1918, date de l'abolition des monarchies allemandes. La Saxe partage les déboires de l'Allemagne jusqu'en 1945. Située dans la zone soviétique, elle fait partie des territoires constitutifs de la République Démocratique Allemande (RDA) à partir de 1949. Il n'est pas inutile de rappeler que la dénazification menée par les communistes est-allemands a été plus poussée qu'en République Fédérale d'Allemagne (RFA) où, au nom de la lutte contre le communisme pendant la Guerre froide, bon nombre d'anciens nazis ont pu se recycler, sans trop de peine, dans l'administration, dans les services de sécurité et jusque dans les rangs des cadres chrétiens-démocrates de la CDU...
C'est pourquoi je me méfie de ceux qui nous expliquent que l'AfD serait une résurgence du nazisme. Entendons-nous bien: il y a certainement des nazillons en Saxe, en Thuringe et ailleurs en Allemagne, dont le pouvoir de nuisance n'est pas négligeable. Il est aussi difficilement contestable que certains dirigeants de l'AfD, comme Björn Höcke, chef de la section thuringienne du parti, usent et peut-être abusent d'une rhétorique provocatrice qui n'hésite pas à puiser parmi les slogans sulfureux employés à l'époque des "heures sombres". La question de savoir si Höcke et ses petits camarades sont nazis est pourtant assez secondaire. La vraie question est de comprendre pourquoi les Saxons et les Thuringiens, après avoir voté massivement pour le SPD au début du XIX° siècle, après avoir connu le communisme pendant quarante ans, se sont soudain mis à voter pour l'AfD. Et ne croyons pas que la RDA ne suscite que haine et rejet dans ces Länder. Il faut comprendre ce qui s'est passé en 1989-1990 au moment de la réunification. Tout n'était pas rose en RDA, loin de là. Il y avait des pénuries, un manque chronique de biens de consommation, comme ailleurs dans le bloc de l'est. La Stasi, la redoutable police politique est-allemande, faisait régner la terreur. Mais il y avait aussi une protection sociale, un droit du travail, des services publics qui n'étaient pas complètement nuls. Or la réunification, quoi qu'on en dise, a pris les allures d'une annexion et d'une revanche. Le capitalisme ouest-allemand a voulu liquider ce que le communisme avait fait: l'industrie est-allemande a été démantelée, la politique sociale supprimée (ou du moins restreinte), et on n'a pas manqué de faire comprendre aux Allemands de l'Est qu'ils devaient s'estimer heureux que la RFA paie de ses deniers la coûteuse politique de réunification. Résultat? Une forme de mépris à peine voilé pour les habitants des Länder de l'Est. En-dehors de Berlin, capitale fédérale et métropole boboïsée, l'ex-RDA est confrontée à la désindustrialisation, à un important chômage, à la concurrence de travailleurs immigrés (venus parfois d'Europe orientale, et depuis 2015 de plus en plus du monde musulman) sur fond de crise démographique avec un effondrement de la natalité associé à un exode des jeunes, surtout diplômés, vers les Länder de l'Ouest.
Quand on y songe, ce qui est étonnant, c'est que la situation politique en Saxe et en Thuringe surprenne encore certains observateurs. Les habitants de ces Länder, pour la plupart, ne se sont pas convertis à la doctrine raciste hitlérienne. Simplement, ce sont des gens qui, confrontés à des difficultés économiques et sociales, s'interrogent sur l'utilité et la nécessité d'accueillir des immigrés. Or, je suis désolé, mais ce questionnement n'est pas illégitime, pas plus qu'il n'est indécent. Peut-être que ces gens font un raisonnement un peu simpliste, mais sur le fond, ont-ils tort? Je sais qu'il est de bon ton de condamner sans appel la xénophobie, en l'assimilant à une forme de racisme. Je ne suis pas d'accord: la xénophobie, c'est-à-dire l'hostilité envers les étrangers, si elle peut avoir des fondements racistes, a bien souvent une origine économique, l'étranger étant vu comme un concurrent au sein d'un espace, l'espace national, dans lequel celui qui appartient à la communauté nationale devrait bénéficier de la priorité dans l'accès à l'emploi et aux services. Tous les bienpensants hurlent contre la "préférence nationale" défendue par le Rassemblement National (RN), et pourtant la "préférence nationale", c'est un peu la raison d'être de la nation. A quoi bon appartenir à une nation si cette appartenance ne procure pas certains avantages - et je dis bien avantages et non privilèges? Si n'importe qui, indépendamment de sa nationalité, obtient les emplois, les aides, etc, en France ou en Allemagne, quel intérêt d'être Français ou Allemand? Il est par ailleurs de notoriété publique que le patronat a toujours essayé d'avoir recours à de la main-d'oeuvre immigrée, jugée plus docile et moins coûteuse, pour faire pression sur les salaires. Déjà au XIX° siècle, lors des grèves, les manufacturiers du nord de l'Angleterre faisaient venir des ouvriers irlandais; les patrons des mines du nord de la France appelaient des Belges. Là encore, le sans-frontiérisme ambiant doit être passé au crible: même un cadre de LFI devrait comprendre, s'il faisait un effort, que l'immigrationnisme, qui est un faux internationalisme, met les travailleurs en concurrence et génère de fait la xénophobie qu'il croit combattre [1]. Quant à l'argument qu'on nous ressert à l'envi sur "le déclin démographique qui rend inévitable le recours à l'immigration", il doit être combattu en invoquant le principe démocratique: si les citoyens ne veulent pas de l'immigration, alors il faut trouver d'autres solutions pour enrayer le "déclin démographique de l'Europe". A-t-on vraiment réfléchi, par exemple, aux moyens de relancer la natalité? De donner à la jeunesse de Saxe, de Thuringe et d'ailleurs des raisons d'espérer, de croire suffisamment en l'avenir pour fonder une famille?
Mais poser ces questions vous place directement dans le camp des infréquentables. Sahra Wagenknecht en fait d'ailleurs les frais. J'ai entendu le qualificatif étrange de "gauche conservatrice" pour définir son positionnement. Mais "gauche nationale", voire "gauche nationaliste" conviendrait tout aussi bien. Sahra Wagenknecht semble avoir compris qu'on fait de la politique à partir de ce que les gens ont dans la tête, et que le boulot du politique, c'est de prendre en compte les inquiétudes des citoyens, non pas de leur répéter inlassablement: "mais non! puisqu'on vous dit que tout va bien, que l'immigration est une richesse, les chiffres le montrent; mais pourquoi les gens votent AfD? Ils n'ont rien compris!". Wagenknecht, elle, a surtout compris que le désarroi identitaire est un vrai problème, qui préoccupe beaucoup plus les Allemands de Saxe et de Thuringe que les droits LGBTQIA+ ou les "marches pour le climat". La machine à diaboliser s'est d'ailleurs mise en marche: outre l'accusation de "reprendre les thèmes de l'AfD", Sahra Wagenknecht est critiquée pour sa position sur le conflit ukrainien. Résumons cette position: l'agression russe est certes condamnable, mais livrer des armes à l'Ukraine ne fait que prolonger la guerre sans possibilité d'entrevoir une fin des hostilités; en cessant de livrer des armes à l'Ukraine, l'Allemagne incitera les belligérants à négocier une issue diplomatique au conflit. Ce raisonnement est criticable, mais de là, comme j'ai entendu un journaliste le faire, à reprocher à Sahra Wagenknecht de "vouloir se rapprocher de Poutine", il y a une marge! Notre monde politico-médiatique a sombré dans un manichéisme directement inspiré du protestantisme anglo-saxon: soit on soutient de manière inconditionnelle "les gentils" (les Ukrainiens ou les Israéliens aujourd'hui, hier les Kosovars), soit on est du côté des méchants, des fascistes, des dictatures. Tentez d'expliquer que la situation est très complexe, et vous voilà rangés parmi les soutiens du Hamas. Essayez de dire "oui mais", et déjà on vous soupçonne d'être un affidé de Vladimir Poutine. Se rend-on compte à quel point cette simplification du monde alimente un jusqu'au-boutisme lourd de menaces?
Le Nord ou la France industrielle déclassée
J'ai terminé il y a peu un roman de René Bazin, un de ces derniers, dont l'action se passe à Roubaix, dans le milieu des ouvriers tisserands. Il faut lire René Bazin, un auteur moins sulfureux que d'autres - étant mort avant la Seconde Guerre Mondiale, il n'a pas eu à choisir un camp - mais en partie tombé dans l'oubli. Il faut dire que Bazin est un écrivain catholique, originaire d'Anjou. Et aujourd'hui, il devient très difficile de lire des auteurs catholiques, d'une part parce que la gauche, arbitre des élégances artistiques et littéraires, est anticatholique comme d'autres furent en leur temps antisémites [2], et surtout parce que, entre autre sous l'action d'une Education Nationale passée depuis des décennies sous la coupe des libres-penseurs anticléricaux, de nombreux Français n'ont tout simplement pas la culture religieuse pour comprendre une oeuvre imprégnée de catholicisme, de la même façon que la plupart des gens regardent les vitraux des églises comme ils contempleraient une inscription en arabe dans une mosquée: c'est beau, mais ils ne savent pas ce que cela signifie. Lire Bernanos, Péguy ou Bazin est une gageure par les temps qui courent. Et pourtant il faut lire les oeuvres de René Bazin dont l'action se déroule dans le monde ouvrier, parce que la vision de Bazin prend le contrepied de celle de Zola. Emile Zola est connu pour être le chef de file du mouvement naturaliste. En fait, Zola n'est pas un écrivain "scientifique" comme il le prétend, mais un tragédien. Et quel tragédien! Car, bien sûr, loin de moi l'idée de nier l'immense talent de Zola. Le problème est que sa vision du monde ouvrier, empreinte de pessimisme et de misérabilisme, a forgé une certaine vision de l'ouvrier, vision largement partagée par l'extrême gauche dont l'essentiel des militants, il faut bien le dire, ne connaissent le monde ouvrier que dans les livres. Pour Zola, quoi que fasse Gervaise ou Lantier, la déchéance et l'échec sont inévitables. Un destin cruel se joue des personnages zoliens.
René Bazin, lui, est un partisan du catholicisme social, là où Emile Zola penche pour le socialisme. Zola, dans Germinal, étudie les mineurs du Nord, quand Bazin, dans Le Roi des archers, s'intéresse à une catégorie moins célèbre mais historiquement aussi importante, les ouvriers du textile. Zola parle de la situation à la fin du XIX° siècle, alors que Bazin dépeint le monde ouvrier de l'Entre-deux-guerres, et si la vie reste difficile - le roman se déroule avant le Front Populaire, Bazin étant mort en 1932 - on sent quand même qu'il y a eu quelques améliorations de la condition ouvrière au début du XX° siècle. D'ailleurs, une des filles du personnage principal, qui est ouvrier tisserand, est institutrice (à l'école publique!), et on voit qu'un début de timide ascension sociale est possible pour les enfants d'ouvriers. Pour le coup, on pourrait reprocher à Bazin une vision un brin idyllique, notamment du patronat du textile. Le catholicisme social est un mouvement qui a existé, et dont il ne faut pas sous-estimer la vigueur ni l'influence, y compris sur des personnages comme Charles de Gaulle. Il n'en demeure pas moins qu'un patron, si sensible qu'il pût être au sort de ses ouvriers, devait quand même avoir d'autres objectifs que le bonheur du prolétariat. Le roman de Bazin baigne également dans une spiritualité de sensibilité sulpicienne [3], qui paraîtra sans doute moralisante à certains. Mais Bazin est le produit de son époque.
Malgré ces défauts, Le Roi des archers m'a beaucoup intéressé, parce que Bazin, comme Zola, est un écrivain sérieux: il s'est rendu dans le Nord, il a beaucoup observé les gens et les moeurs, et il les décrit assez finement. En ce qui me concerne, ce roman m'a éclairé sur une région et un milieu que je ne connaissais pas. Victime comme beaucoup de l'oeuvre de Zola comme de la belle chanson interprétée par Pierre Bachelet, je voyais le Nord comme un "pays noir", terre des mineurs de fond. Mais la mine ne représente qu'un aspect de l'épopée industrielle du Nord, et à certains égards le plus récent. Comme le rappelle Bazin, l'industrie textile, dans les Flandres, est une vieille histoire, qui remonte au Moyen Âge. Et ce point est particulièrement intéressant: j'avais cette image, un peu simpliste, d'un monde ouvrier composé presque uniquement de déracinés, de gens chassés des campagnes par la pauvreté, d'immigrés de l'intérieur ou d'origine étrangère. Des immigrés, il y en avait à Roubaix à la fin des années 20, mais ils étaient à peine étrangers puisque Belges pour la plupart. Il y a une scène du roman où l'on voit les travailleurs transfrontaliers rentrer en Belgique au crépuscule. Mais la frontière culturelle ne correspond pas tout à fait à la frontière politique car, des deux côtés, c'est la Flandre. D'ailleurs, la famille ouvrière qui est au coeur du roman est d'origine immigrée - bien qu'on ignore à quand remonte la migration - de Tournai et de Bruges, pour être précis. Flandre française et Flandre belge partagent de nombreux points communs, la tradition textile, mais aussi certaines formes de sociabilité comme les compagnies de tir à l'arc qui regroupent des ouvriers tisserands autour de concours d'adresse dont les plus anciennes mentions remontent au Moyen Âge! Enracinement, tradition, forte identité culturelle, Bazin dépeint un monde ouvrier en décalage avec ce qu'on imagine habituellement. Peut-être force-t-il le trait, lui qui aimait décrire les terroirs, et qui est un homme de tradition, mais il y a certainement un fond de vérité dans cette vision.
Evidemment, cette image de Roubaix - qui a à peine un siècle, le roman date de 1929 - contraste dramatiquement avec ce qu'est devenue cette ville aujourd'hui. Car Roubaix a cessé d'être française comme elle a cessé d'être flamande pour devenir un ghetto d'immigrés maghrébins et subsahariens travaillés par l'islamisme. Alfred Demeester, l'ouvrier tisserand du roman, ne reconnaîtrait probablement pas sa ville, aujourd'hui asservie par des imams comme Boussenna déjà évoqué dans un article, ni le Nord en général devenu la proie des intégristes de tout poil comme le fameux "imam" Hassan Iquioussen lequel, rappelons-le, et cela n'a pas été suffisamment souligné, est né en France, ce qui montre bien que l'assimilation des desendants de Maghrébins est sujette à caution, parce qu'un musulman reste d'abord et avant tout un musulman, c'est-à-dire un ennemi de la tradition chrétienne, et donc de la France, dont l'histoire et la culture sont indissociablement liées à cette tradition [4]. Cette immigration invasive et menaçante n'est pas sans expliquer la montée du vote RN dans le Nord, devenu une des terres d'élection de l'extrême droite au point que sa figure de proue, Marine le Pen s'y est solidement implantée et s'y fait réélire, élection après élection, avec de confortables scores. Mais il n'y a pas que ça: si les immigrés et leurs descendants sont restés, les emplois industriels, eux, sont partis. Les mines de charbon ont fermé les unes après les autres, dans les années 70 et 80. Les usines textiles, derniers bastions d'une tradition productive pluriséculaire, ont déménagé en Chine ou au Bangladesh. Avec la désindustrialisation, le Nord n'a pas seulement perdu ses emplois et sa prospérité, il a aussi perdu une part de son âme et de son identité. Et c'est terrible parce que, lorsqu'on se promène aujourd'hui dans la Nord, le souvenir de l'âge industriel est partout: des terrils aux chevalements en passant par d'immenses friches industrielles. Des décennies voire des siècles de savoir-faire, de techniques, de tradition professionnelle, de sociabilité liée à l'esprit de corps des métiers, ont été mis à la poubelle. Comme partout, on muséifie pour glorifier une histoire que, d'une certaine façon, on a honte d'avoir interrompue. Une histoire sacrifiée sur l'autel du capitalisme mondialisé.
Comme les habitants de Saxe et de Thuringe, même si leur histoire est un peu différente, les "gens du Nord" eux aussi ont fini par se sentir déclassés, un peu méprisés, presque étrangers dans ce monde post-industriel. Leur région, jadis un des moteurs de l'économie française, est à présent considérée comme une terre paupérisée, où règnent le chômage, la misère, l'alcoolisme. Une régions d'assistés. Voilà l'image peu reluisante qui s'est diffusée dans une partie de la population française. Cette image est en partie fausse, bien sûr, mais elle dit quelque chose du regard condescendant que nos élites portent aujourd'hui sur les anciennes régions industrielles désormais sinistrées. La situation du Nord présente des points communs avec celle de la Thuringe et de la Saxe. Privés d'une identité socio-économique, presque d'une identité de classe pourrait-on dire, par la fin de l'industrie, privés d'une identité tout court par l'afflux d'immigrés extra-européens, souvent musulmans, comment s'étonner que les habitants de ces contrées se tournent vers les seuls partis qui semblent entendre leur angoisse et leur désarroi?
L'Angleterre, entre islamisation et désindustrialisation
Cet été, tout le monde ou presque communiait en France autour des Jeux Olympiques (JO), tant ceux-ci paraissaient apporter de l'eau au moulin des tenants de la "diversité" ("Ah mais regardez tous ces immigrés, tous ces gens de couleur qui nous rapportent des médailles") car chacun sait que la grandeur d'un pays européen se mesure, non point au nombre de médailles ramenées, mais au nombre de médailles gagnées par les "racisés". Si seulement cela pouvait faire taire, une bonne fois pour toute, les fachos, les aigris, les identitaires, les ethnicistes, etc. Que nenni, nous sommes toujours là. Et le Grand Remplacement soft qu'on nous promet ne nous enthousiasme pas plus après les JO qu'avant. Comme je l'ai expliqué dans mon précédent article, la cérémonie d'ouverture a montré clairement la volonté de récupération politique des Jeux par un groupe de gens qui mènent une croisade impitoyable contre les blancs catholiques. Même si tout cela s'est fait sans que les athlètes aient leur mot à dire, le fait est qu'ils se sont tous prêtés à cette mascarade. Quand on choisit de participer, à un moment, on encourt l'accusation de cautionner.
Au même moment, l'Angleterre, elle, s'est embrasée. Soudainement, violemment. Et pour une fois, ce sont les blancs natifs qui se sont livrés à des émeutes. Le prétexte? L'assassinat de plusieurs fillettes par un "racisé", un peu hâtivement qualifié de "musulman" par les réseaux sociaux. En réalité, le suspect est né en Grande-Bretagne de parents rwandais. Son geste ne semble pas lié à une quelconque adhésion à l'islam radical. Mais la cause de ces émeutes est bien plus profonde. Il faut dire que le politiquement correct nous vient tout droit du monde anglo-saxon, comme la théorie selon laquelle le multiculturalisme nous promet le paradis sur Terre. Ainsi, au nom de la lutte contre les discriminations, pour ne pas stigmatiser les communautés issues de l'immigration, les autorités britanniques ont il y a quelques années fermé les yeux sur un sordide trafic d'êtres humains: des gangs pakistanais mettaient la main sur des jeunes filles blanches, issues de familles ouvrières en déshérence, pour les violer et les prostituer. Apparemment la police savait, ou du moins avait des indices, mais s'est bien gardée de trop creuser. Est-ce la réalité? Quand on voit un responsable de la police britannique s'adresser directement aux musulmans, entouré de barbus en qamis, on se dit que tout est possible. Aujourd'hui, dans nos sociétés occidentales, les blancs sont priés de se taire, d'accepter que leurs droits soient violés (pardon, "qu'on leur retire leurs privilèges") et que les minorités ethniques leur crachent dessus. Et comme les riches ont les moyens de vivre à l'abri des joies que procure le voisinage des gangs et des islamistes, je vous laisse deviner à quelle catégorie sociale appartiennent les blancs qui font les frais de cette idéologie de la repentance, laquelle alimente un racisme bien réel que nos élites refusent de voir. J'ai été très frappé par le témoignage d'une Anglaise entre deux âges qui disait: "nous, les blancs de la classe ouvrière, on nous somme en permanence d'avoir honte de ce que nous sommes. Il y en a assez. Moi, je suis fière d'être blanche et d'appartenir à la classe ouvrière (white and worker)".
Certains Anglais en ont eu assez. Manifestations, émeutes, véhicules en feu, face-à-face tendu avec la police. Les élites anglaises ont eu un moment de sidération. Le premier ministre travailliste fraîchement nommé, Keir Starmer, a connu un début de mandat pour le moins agité. Mais rapidement, la machine ou plutôt le rouleau compresseur, là-bas comme ailleurs, s'est mis en marche. Implacable et bien rodé. D'abord, les émeutiers ont été diabolisés. Médias et gouvernement ont expliqué que des groupuscules fascistes étaient à la manoeuvre, notamment la fameuse English Defence League (EDL). Peu importe que toutes les manifestations ne se soient pas terminées dans la violence. Peu importe que tous les manifestants n'aient pas été des crânes rasés, des hooligans. Les médias, chez nous comme en Grande-Bretagne, n'ont parlé que des émeutes, des violences, et ont accusé les fascistes. Deuxième étape, le discours de fermeté et la répression. Les autorités britanniques manquent de place de prison pour les membres des gangs pakistanais ou pour les islamistes qui appellent à noyer dans le sang l'Occident, mais elles en ont libérées pour incarcérer les séditieux d'extrême droite. La police britannique renâcle à donner l'identité d'un assassin d'enfants pour éviter la stigmatisation, mais les portraits des émeutiers arrêtés - tous des hommes blancs, cela va sans dire - ont été diffusés à la télévision. Le message est clair: on tolère de la part des minorités ethniques des comportements qui ne seront pas tolérés de la part des blancs. Et c'est la même chose en France: quand Nahel, cet ange innocent, est mort, TOUTE la police était coupable. Les gauchistes et les racailles des cités scandaient à l'unisson "la police tue!". Il fallait être compréhensif avec les "jeunes" qui cassaient tout. En tout cas, les islamogauchistes ont été très compréhensifs. Mais quand un gendarme se fait tuer par un délinquant multirécidiviste, suite là encore à un refus d'obtempérer, les mêmes nous expliquent qu'il faut garder son sang-froid, qu'on ne doit pas surréagir à un fait divers. Lorsque le refus d'obtempérer entraîne hélas la mort d'un des protagonistes, vaut-il mieux au final que ce soit le policier ou le voyou qui perde la vie? Les Insoumis ont répondu à la question. La vie d'un jeune voyou - surtout s'il est issu des minorités - est précieuse pour ne pas dire sacrée. Par contre un policier ou un gendarme, a fortiori s'il est blanc, est payé pour se faire tuer. Et comme en plus il est potentiellement un électeur de le Pen ou de Zemmour... Cela fera toujours un facho de moins, n'est-ce pas?
En Angleterre, les bienpensants ont rapidement repris la main: des manifestations bisounours ("on est tous différents, c'est super, c'est une richesse, et ça se passe super bien") ont été organisés un peu partout dans le pays. La police a fait son boulot: protéger les musulmans et les mosquées. Devant la fermeté des autorités, les Anglais en colère comme les militants extrémistes ont prudemment battu en retraite. Tout peut recommencer comme avant. Le modèle communautariste est sauf, les musulmans peuvent parader dans les villes anglaises comme en terrain conquis. Les Anglais blancs de la classe ouvrière n'ont plus qu'à retourner à leur misère économique et identitaire...
Conclusion
Les régions d'Europe de l'Ouest qui furent à la pointe de la Révolution industrielle et leurs habitants sont clairement les grands perdants de notre société mondialisée, post-nationale et post-industrielle. Non seulement la désindustrialisation prive ces espaces de tout dynamisme mais le passé industriel est à présent mis au banc des accusés: n'est-il pas responsable du réchauffement climatique? Or la puissance et la grandeur des pays d'Europe sont intimement liées à leur développement industriel. Il ne faut donc pas s'étonner que le déclin industriel ait accompagné le déclin géopolitique des nations d'Europe. Aux difficultés économiques, s'ajoute pour les populations une angoisse identitaire. Non seulement il y a moins d'emplois disponibles, non seulement ces emplois sont peu valorisants, mais en plus il faut les disputer aux immigrés, véritable "armée de réserve du capital", protégés par toute la mouvance gauchiste qui pousse le vice jusqu'à prendre parti pour les délinquants et manifester avec des islamistes. Comment s'étonner dans ces conditions que les discours xénophobes et identitaires trouvent un terrain propice parmi des populations laissées-pour-compte de la mondialisation heureuse et de l'immigration "qui nous enrichit tant"? [5]
[1] J'entends parfois l'argument statistique suivant: "l'immigration de travail ne représente qu'une infime proportion de l'immigration légale". A cela, deux remarques: la première est que l'immigration au titre du regroupement familial ou même des études (car nombre d'étudiants ne retournent pas dans le cher pays d'origine) met quand même des gens sur le marché du travail. Le conjoint qui rejoint un travailleur immigré peut fort bien chercher du travail; les enfants mineurs que l'immigré fait venir sont de futurs travailleurs. La deuxième chose qui me paraît importante est qu'une bonne partie de l'immigration de travail est en fait illégale, car non seulement le travailleur immigré est économiquement plus intéressant que le travailleur natif, mais parmi les immigrés, le clandestin a l'avantage, du point de vue patronal, d'être taillable et corvéable à merci... Ce n'est pas l'extrême droite qui met les travailleurs en concurrence, c'est le capitalisme mondialisé. Et c'est pourquoi la libre-circulation des capitaux ET des personnes est un article du dogme néolibéral. Mais allez expliquer à un gauchiste qu'il est au fond un idiot utile du capitalisme...
[2] Vous trouvez que j'exagère? Pourtant on entend de plus en plus la petite ritournelle "il y en a marre des blancs catholiques!". Personne ne s'inquiète, pas grand monde ne s'indigne de ce genre de slogans. Il faudrait pourtant se demander où cela peut nous mener. Aujourd'hui, les "blancs catholiques" sont encore un peu trop nombreux, et ils font trop partie du paysage pour qu'on ose s'en prendre à eux. Mais d'ici la fin du siècle, ils pourraient bien être minoritaires face aux musulmans et à leurs alliés islamogauchistes.
[3] Le style sulpicien, très en vogue à la fin du XIX° siècle et au début du XX° siècle, met en avant une spiritualité empreinte de sensiblerie et de sentimentalisme, à travers notamment toute une iconographie d'images pieuses, de statuettes, qui vantent une forme de dévotion extatique, ainsi que les valeurs de l'amour et de la famille. Le style sulpicien, taxé de mièvrerie, décline dès le deuxième tiers du XX° siècle.
[4] On a là je pense l'explication de cette étrange alliance entre gauchistes et islamistes: une haine absolue, fanatique et totale de la culture chrétienne qui demeure la quintessence de l'identité occidentale en générale, et française en particulier. Aujourd'hui ces gens manifestent ensemble, demain qui sait s'ils ne brûleront pas des églises et s'ils ne massacreront pas des chrétiens, ensemble?
[5] Une ancienne région industrielle ouest-européenne reste cependant un mystère pour moi: la Wallonie. Alors que la déprise industrielle est forte et que le Grand Remplacement est à l'oeuvre comme ailleurs, les Belges francophones restent apparemment imperméables aux discours d'extrême droite. Un exemple à suivre?