Je fais partie des riches
Eh oui ! Je le confesse, ça m’a fait un choc en l’apprenant. En effet, je fais partie des 9 % de titulaires d’un Livret A qui atteignent le plafond des 15 300 €. Raison pour laquelle les banques font des pieds et des mains pour que le plafond du Livret A ne soit pas doublé, comme François Hollande s’y est engagé durant la campagne. En effet, le Livret A deviendrait, je cite, « une niche fiscale pour les ménages les plus aisés ». Dont je suis, par conséquent. Cela m’amuse un peu : je possède une petite voiture d’occasion, je loue un appartement de taille convenable dans une ville de province où l’immobilier reste abordable, mais je ne suis pas propriétaire d’un palais suburbain. J’ai un peu d’argent de côté. Et je fais partie « des ménages les plus aisés ». Oui, c’est assez marrant.
Bien sûr, je ne suis pas naïf : pour alimenter un Livret A, il faut un revenu convenable, ce qui est mon cas en tant qu’enseignant. Je l’ai dit déjà : contrairement à beaucoup de collègues qui se plaignent d’être sous-payés, j’estime que notre rémunération est tout à fait correcte. Nous avons la sécurité de l’emploi et des congés supplémentaires par rapport aux autres salariés, ainsi qu’une grande liberté dans l’organisation de notre travail, puisque la moitié voire plus se fait en dehors des heures de cours. Le Livret A, j’en suis bien conscient, ne profite pas prioritairement aux plus modestes, il profite surtout aux classes moyennes, dont je suis. J’avais aperçu la mesure du doublement du plafond du Livret A dans le programme du candidat socialiste. Mais comme je suis un membre indiscipliné de la classe moyenne, plus préoccupé par l’amour de la France, ce sentiment vieillot et démodé, que par mon « intérêt de classe » bien compris comme diraient certains, cette mesure, que j’ai réclamée dans l’un des premiers articles de ce blog (1), n’a pas suffi à me faire glisser un bulletin « François Hollande » aux élections présidentielles.
Pour autant, soyons honnête : je reste favorable à cette mesure. Pour plusieurs raisons. D’abord, disons-le, parce que je suis concerné, et qu’un relèvement du plafond m’intéresse beaucoup. Les produits que mon banquier essaie de me refourguer ne m’inspirent aucune confiance, et je dirai même que son zèle accentue ma méfiance. Je soupçonne toujours que ces placements sont plus avantageux pour ma banque que pour moi. D’autre part, l’argent du Livret A sert à construire des logements sociaux, ce qui, après tout, ne peut que donner du travail au secteur du bâtiment. Et « quand le bâtiment va, tout va », comme on dit. Mais au-delà des raisons égoïstes maladroitement justifiées par une philanthropie feinte, je pense que le relèvement du plafond du Livret A est une mesure équitable. A l’origine, ce plafond était de 100 000 francs, ce qui a été converti en 15 300 € lors du changement de monnaie. Or, avec le passage à l’euro et l’inflation, ces 15 300 € valent aujourd’hui bien moins que les 100 000 francs d’origine.
François Hollande est en train de montrer sa force de caractère : il s’apprête à reculer en « cédant au lobbying des banques » (2). D’abord, la mesure, prévue pour juillet, est repoussée à la rentrée, voire à l’automne. Peut-être sine die, qui sait ? Je n’ai pas voté Hollande, je le répète, mais par principe j’estime que les promesses doivent être tenues. Je constate que le gouvernement est beaucoup moins timoré pour distribuer les deniers publics en augmentant par exemple l’allocation de rentrée, que beaucoup de familles de la plèbe utilisent pour s’acheter portable, i-pod et cigarettes. Et je suis bien placé pour le savoir, car les élèves qui n’ont pas tout le matériel nécessaire en classe, malgré les listes de fournitures transmises l’année précédente, ce n’est pas ce qui manque. J’entends bien que tout le monde doit faire un effort en période de crise. Il serait juste dans ce cas que toute une partie de la population cesse de vivre aux crochets de l’Etat ou à crédit. Deuxième preuve de la machine arrière opérée par les socialistes : le plafond ne serait pas immédiatement relevé à 30 600 €, mais d’abord à 20 000 €, étape transitoire, dont les effets seraient évalués avant de continuer… Autant dire qu’on aura beaucoup de chance si, d’ici décembre 2012, le plafond du Livret A passe déjà à 20 000 €… Mais je ne vous cache pas qu’il est possible que la mesure soit « oubliée » ou que le gouvernement se découvre bien d’autres priorités d’ici là.
François Pérol, patron du groupe bancaire BPCE, a affirmé que le doublement du plafond du Livret A serait coûteux pour l’Etat puisque ce placement est défiscalisé (3). On pourrait répondre à cela que si seulement 9 % des Livrets A sont pleins, les fonds drainés par un relèvement du plafond ne devraient pas non plus atteindre des sommes astronomiques. Mieux vaudrait se demander si le manque à gagner ne va pas plutôt toucher nos chères banques, car l’argent du Livret A les intéresse moins. Du coup, le récent zèle de mon banquier prend tout son sens. Au fond, je peux comprendre que le relèvement du plafond du Livret A ne soit pas une priorité. Il est clair que les classes populaires n’en seront pas les premières bénéficiaires. Mais ce que j’admets mal, c’est que les banques viennent donner la leçon en claironnant que « ça va profiter aux riches ». Les mêmes banques dont le comportement avec les clients est parfois plus que contestable, et je ne parle pas là des grandes opérations financières, mais du quotidien d’un client qui possède quelques économies qu’il tâche de mettre à l’abri : relances fréquentes pour vous faire acquérir un produit alors que vous avez clairement dit « non », clients jugés peu intéressants parce que prenant trop peu de risques, de crédits, etc…, tarifs des services bancaires très élevés eu égard au coût réel de gestion, et j’en passe. Les mêmes banques ont perdu des sommes faramineuses dans des placements douteux et des opérations risquées. Je ne suis pas convaincu que M. Pérol soit le mieux placé pour donner un cours de finance aux dirigeants de notre pays.
J’ignore si les banques gouvernaient la France du temps de Nicolas Sarkozy. En tout cas, si certains électeurs de gauche ont cru sincèrement que François Hollande allait imposer ses volontés au monde de la finance, ils peuvent déjà préparer leurs mouchoirs…
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