La Bulgarie des origines à nos jours (1)
Ayant séjourné dans la péninsule balkanique récemment, j’entame une série d’articles consacrée à cette région d’Europe qui m’a toujours beaucoup intéressé. Comme passionné d’histoire antique, la civilisation grecque, bien sûr, occupe une place importante dans mes préoccupations. Mais les civilisations byzantine et slaves suscitent également ma curiosité depuis longtemps. Sur ce blog, il a plusieurs fois été question de la Serbie, un pays qui a beaucoup défrayé l’actualité dans les années 90 et 2000. L’essentiel de mon périple dans les Balkans s’est déroulé dans un pays voisin, la Bulgarie, un état discret et plutôt méconnu en France. Pourtant, on verra que la Bulgarie a joué un rôle important au Moyen-Âge, et que l’ensemble des peuples slaves lui doit au final beaucoup. Bien que très influencée par ses voisins au cours de l’histoire, la Bulgarie a cependant un fort particularisme, même au sein des peuples slaves. Plus méditerranéen, très proche du monde grec et longtemps arrimé à l’empire ottoman, le pays a certes subi l’influence russe au XIX° siècle, dans le cadre du panslavisme, puis au XX° sous la domination communiste (qui a revêtu une certaine forme d’impérialisme russe malgré tout), mais entretient des rapports complexes avec le « grand frère » russe, auquel elle disputait la direction du monde slave et orthodoxe du temps de sa splendeur. En tout cas, les liens tissés par l’histoire sont moins fraternels que ceux que le voisin serbe entretient avec la Sainte Russie. Tout le monde sait que la Bulgarie fait partie de l’Union européenne depuis 2007. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle est membre de l’Organisation internationale de la francophonie depuis 1993. Et j’ai pu constater à quel point la francophonie est négligée par nos dirigeants. La France pourrait, je crois, travailler à renforcer ses liens avec des pays comme la Bulgarie, mais j’ai l’impression qu’elle ne fait pas grand-chose. D’ailleurs l’enseignement du français se serait effondré en Bulgarie, du moins dans le secondaire, depuis l’adhésion du pays à la francophonie ! Et ce malgré la présentation optimiste du site de l’Ambassade de Bulgarie en France. Bien sûr, les raisons dépassent largement la seule question des choix politiques français, mais nos gouvernants manquent de volonté pour assurer le rayonnement culturel de notre pays. On nous bassine sans arrêt avec la sacro-sainte « amitié franco-allemande ». Je suis favorable à une bonne entente entre les peuples allemand et français, mais je trouve que ce rapport privilégié tend à inhiber nos relations avec les autres nations d’Europe. Il n’y a pas que l’Allemagne en Europe. C’est pourquoi je suis partisan d’une réorientation partielle de notre diplomatie vers l’Europe du Sud, en particulier l’Italie avec laquelle nous avons des intérêts communs, et l’Europe de l’Est. La Roumanie, la Bulgarie, la Moldavie, la Grèce, la Macédoine et l’Albanie sont membres de la francophonie. Pourquoi ne pas utiliser cet instrument pour approfondir nos relations avec ces pays ? Parallèlement, je pense que ces peuples devraient être plus étudiés et mieux connus en France. On nous parle d’Europe à longueur de temps. Comment se fait-il que les seules langues européennes proposées dans l’enseignement secondaire soient l’anglais, l’espagnol et l’allemand, et dans une moindre mesure l’italien et le portugais ? Je suis favorable à une amélioration du panel de langues vivantes européennes proposées dans l’enseignement. Il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir des sections de bulgare et de roumain dans tous les collèges de France. Mais on pourrait, par exemple, fixer une règle pour que, dans chaque département, une petite dizaine de langues européennes soit proposée. Après, il faudrait sans doute envisager que certains professeurs enseignent plusieurs langues. Et pour donner envie d’apprendre ces langues, moins courantes, moins utiles à première vue, il y aurait tout un travail à mener pour faire connaître ces pays et leurs cultures. Tout cela constitue un vaste chantier.
I/ Origine et composition de la population bulgare
La population bulgare a une genèse complexe, comme à peu près tous les peuples du monde d’ailleurs. Dès le néolithique, la région est occupée par des populations dont on ne sait pas grand-chose. La Bulgarie est un pays bien arrosé, donc propre à l’agriculture comme à l’élevage, bien plus que la Grèce voisine. L’autre fortune de la contrée viendra de sa richesse prodigieuse en métaux, et particulièrement le plus précieux d’entre eux, l’or. Au chalcolithique ou âge du cuivre (V° millénaire avant notre ère) s’épanouit une civilisation préhistorique relativement brillante : la nécropole de Varna datée de cette époque a livré des tombes très riches, y compris en or, qui laissent supposer l’existence d’une société très hiérarchisée, dominée par de riches élites. A l’âge du bronze et du fer, des populations indo-européennes s’installent dans ce qui sera la Bulgarie. Le plus important de ces peuples est celui des Thraces, qui donne son nom à la région pour longtemps. Les Thraces sont divisés en de nombreuses tribus. La plus importante est celle des Odryses qui créent un royaume relativement puissant et durable, puisqu’il existe du V° siècle avant Jésus-Christ jusqu’à son annexion par les Romains, sous l’empereur Claude en 46 de notre ère. Citons également les Serdi qui donnent leur nom à la cité de Serdica, l’antique Sofia, ou encore la tribu des Mèdes (à ne pas confondre avec le peuple iranien homonyme) dont serait issu le fameux Spartacus qui fit trembler Rome au premier siècle avant notre ère. Les Thraces sont réputés pour leurs chevaux (les juments de Diomède), leur passion de la guerre et du vin (on dit que les dieux grecs Arès et Dionysos seraient plus ou moins originaires de Thrace) et leur intérêt pour la musique (Orphée est un Thrace). L’histoire a été écrite par les Grecs, et les Thraces n’ont pas laissé de textes, mais il est clair que le monde thrace a grandement influencé le monde grec. D’ailleurs la présence fréquente des Thraces dans les récits mythologiques grecs n’est pas un hasard. Société guerrière et aristocratique, les Thraces devaient avoir de nombreux points communs avec les peuples de Grèce septentrionale comme les Epirotes, les Macédoniens et les Thessaliens, ces derniers aussi réputés pour leurs chevaux. Pour les Grecs, les Thraces sont des barbares certes, mais des barbares très familiers, et finalement assez proches. L’influence a été réciproque, d’autant que les Grecs n’ont pas tardé à investir les côtes de la Thrace. Sur la Mer Noire, le Pont-Euxin des Grecs, les colons ioniens de Milet fondent Odessos (future Varna) et Apollonia du Pont (actuelle Sozopol) au VI° siècle avant notre ère, tandis que les Doriens de Mégare, déjà installés à Byzance et Chalcédoine, des sites promis à un grand avenir, s’établissent à Mésembria (aujourd’hui Nessebar). Conflits, alliances et échanges commerciaux opposent ou lient Thraces et Grecs selon les époques. Troisième peuple indo-européen à imposer sa marque dans la région, les Celtes. Si les Galates les plus connus sont bien ceux d’Asie Mineure, qui ont donné leur nom à la Galatie au centre du plateau anatolien, il ne faut pas oublier que d’autres contingents celtes se sont établis en Thrace où ils se sont mêlés aux autochtones. On le voit donc, le peuplement de la future Bulgarie durant la haute Antiquité est déjà complexe.
Et les choses ne se simplifient pas à l’époque romaine. La Thrace fut la dernière région annexée par Rome au sud du Danube, bien que ses rois soient clients de Rome depuis le premier siècle avant notre ère. Sous l’empire, trois provinces se partagent le territoire de la future Bulgarie : la Mésie s’étend du Danube aux monts Balkans, la Thrace proprement dite des monts Balkans à la mer Egée et la Macédoine au sud-est. Durant la Tétrarchie (fin du III° siècle-début du IV° siècle), ces provinces sont redécoupées. Ce qui nous importe ici est que ces provinces vont connaître un important brassage de population à partir du IV° siècle surtout : Goths, Hérules, Gépides, Huns, Alains s’installent en Thrace, parfois provisoirement, plus durablement d’autres fois. Les trois premiers sont des peuples germaniques, les Alains appartiennent au rameau iranien et les Huns… on débat encore de leurs origines ! Ainsi les Goths Mineurs, fraction du peuple gothique, s’implante durablement dans l’actuelle Bulgarie. De leurs rangs est issu le fameux Ulfila, l’apôtre des Goths, qui traduit la Bible en gothique. Au VI° siècle, au temps de Justinien, de nouvelles populations font leur apparition au nord du Danube : les Slaves. Ils ne vont pas tarder à franchir le fleuve et à s’infiltrer progressivement en Mésie, en Thrace, en Macédoine, en Thessalie et jusque dans le Péloponnèse, au cours des VII° et VIII° siècles. Cette énième invasion ou migration, selon le point de vue qu’on adopte, aura des conséquences considérables pour la future Bulgarie. Avançant dans une région manifestement désertée du fait des précédentes guerres mais aussi des épidémies (on sous-estime souvent l’impact des pestes des VI° et VII° siècles qui ont durement frappé le monde byzantin), les Slaves deviennent probablement majoritaires dans de nombreux secteurs de la future Bulgarie. Et leur langue deviendra l’idiome principal de la contrée, puisque le bulgare moderne est sans conteste une langue indo-européenne du rameau slave. Néanmoins, les Slaves ne sont pas seuls en ce début du Moyen Âge : au sud de la Thrace et sur les côtes de la Mer Noire, les Grecs restent nombreux. Philippopolis, l’actuelle Plovdiv, resta longtemps une ville grecque. Mais surtout, les Balkans et le Rhodope sont parcourus par une étrange population de pâtres et de bergers, de langue latine : les Valaques, présents dans toutes les montagnes au sud du Danube, et même dans les Carpates au nord du grand fleuve. Ces Valaques ont été fort nombreux au Moyen Âge en Bulgarie, mais aussi en Grèce, dans la chaîne du Pinde et en Thessalie surtout. On les rencontrait également en Albanie, Macédoine et Serbie. Aujourd’hui appelés Aroumains, ils ne sont plus que quelques milliers en Grèce, Albanie et Serbie. En Bulgarie, ils semblent s’être assimilés. Au nord du Danube, ils ont constitué la nation roumaine. Etrange destinée que celle de ces populations latinisées et non hellénisés, qui maintiennent le souvenir de la romanité à l’est de l’Europe. En Roumanie, Ovide et Trajan sont des prénoms courants…
Au VII° siècle font irruption dans la région du Danube de nouveaux venus, originaires des steppes d’Asie centrale : les « vrais » Bulgares, ceux qui vont donner leur nom à la Bulgarie, et qu’on appelle par commodité « Proto-Bulgares » pour éviter la confusion avec le peuple bulgare moderne, de langue slave. Car ces Proto-Bulgares ne sont pas slaves, eux. En fait, il est arrivé à la Bulgarie la même chose qu’à la France : une population peu nombreuse a constitué un état et donné son nom à un pays dans lequel elle était minoritaire. Chez nous, ce furent les Francs, peuplade germanique alors que la population était majoritairement de langue romane, là-bas ce furent les Bulgares, tribu asiatique, alors que la majorité des habitants était de langue slave. Et l’on retrouve le même schéma en Russie, « Rous » désignant les Varègues suédois qui ont fondé la principauté de Kiev. Etonnantes similarités en dépit de la distance. Qui étaient ces Proto-Bulgares ? La question reste controversée. Pendant longtemps, on a pensé que c’était un peuple du groupe turc. A présent, les scientifiques pencheraient plutôt pour un rattachement au rameau iranien, les Proto-Bulgares pourraient être (conditionnel de rigueur) liés aux ancêtres des actuels Tadjiks. Pour appuyer cette thèse, les chercheurs font remarquer que les noms des premiers khans bulgares sont à consonance iranienne, et non turc. Le problème est qu’on ne sait rien de la langue bulgare originelle, aucun écrit n’ayant été conservé. On ne peut non plus écarter l’hypothèse que les Proto-Bulgares soient tout simplement un agrégat hétéroclite de tribus iraniennes, turques et finno-ougriennes. En attendant de nouvelles recherches plus probantes, la prudence est de mise. On peut simplement souligner que la steppe eurasienne a de tout temps été un espace de brassage entre populations d’origine variée. Ainsi, l’étude des tombes hunniques a montré la diversité ethnique des compatriotes d’Attila.
Pour les Romains d’Orient, les Bulgares apparaissent à l’horizon de la fin du V° siècle. Au début du VII° siècle, ils nomadisent au nord de la Mer Noire, autour de la Mer d’Azov. Leur khan, Koubrat, fonde un puissant état dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine. Il ne verra jamais la Bulgarie, pourtant il est considéré comme un « grand ancêtre » par les Bulgares modernes. A son époque, les Bulgares s’adjoignent des Avars, dont l’origine est toute aussi problématique. A la mort de Koubrat, les Bulgares se divisent en deux principaux groupes. Les uns migrent vers le nord et fondent la Bulgarie de la Volga, état qui s’islamise plus tard avant d’être détruit au XIII° siècle par les Mongols. Les autres, dirigés par Asparoukh, se dirigent vers l’Ouest et créent la Bulgarie du Danube – l’ancêtre de la Bulgarie moderne. La plaine du Danube est donc le théâtre d’une nouvelle invasion. Les Proto-Bulgares se sédentarisent et vont s’assimiler aux Slaves locaux, dont ils prennent la langue mais auxquels ils donnent leur nom. Désormais, les Slaves de Mésie, de Thrace et de Macédoine s’appelleront « Bulgares ». Les Valaques en revanche gardent plus longtemps une identité distincte puisqu’au XIII° siècle, les rois du « Second empire bulgare » s’intitulent en fait « roi des Bulgares et des Valaques », ce que les Bulgares modernes oublient assez facilement… Au cours du Moyen Âge, des Arméniens s’implantent également dans ce qui sera la Bulgarie. Parfois, cette installation est encouragée, voire imposée, par l’empereur byzantin. Ainsi, des soldats de la secte des Pauliciens, d’origine arménienne, sont signalés dans les garnisons de la région de Philippopolis. Autre groupe qui contribue à définir le paysage ethnique de la Bulgarie, les Tziganes sont signalés, venant de l’est, au XIV° siècle dans toute la péninsule balkanique. Enfin, il est un dernier apport qu’il faut signaler : celui des Coumans, aussi appelés Polovtses par les Russes, un peuple turc venu lui aussi de la steppe. Au XI° siècle, les Coumans occupent un vaste espace, de l’Ukraine au Danube (actuelle Roumanie). Ils guerroient contre les Russes, les Byzantins, les Hongrois, les Bulgares. Mais ils s’installent également dans ces pays le cas échéant. Ils paraissent avoir été assez nombreux à s’installer en Hongrie, en Valachie roumaine et en Bulgarie, où certains rois sont signalés comme étant d’origine coumane, par exemple Georges Terter à la fin du XIII° siècle. Tout cela nous permet de dire que la Bulgarie médiévale constitue une mosaïque ethnique. Il est impossible de quantifier chaque ethnie, et de toute façon les effectifs ont évolué tandis que des groupes disparaissaient, absorbés par le processus d’ethnogenèse bulgare. Ainsi, les Proto-Bulgares représentaient peut-être 10 ou 20 % de la population en Mésie à la fin du VII° siècle. Lors de la fondation du Second empire bulgare en 1185, il n’y a plus de Proto-Bulgares : leurs descendants se sont fondus dans la masse des Slaves et des Valaques. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que l’élément slave était majoritaire, et a finalement imposé sa marque linguistique aux autres groupes. Les Tziganes sont restés à part. Au moment de la conquête ottomane, l’ethnogenèse bulgare est déjà bien avancée, j’entends par là qu’on nomme « Bulgares » des populations de langue slave et de religion orthodoxe. Pourtant, les brassages ont été peut-être plus importants en Bulgarie que dans la plupart des autres pays slaves : des études génétiques, m’a-t-on dit, montreraient que le patrimoine génétique des Bulgares est « moins slave » que celui des Serbes, Tchèques ou Polonais.
Mais la conquête turque ouvre un nouveau chapitre de l’histoire bulgare… un chapitre dont les Bulgares n’aiment pas trop se souvenir, j’ai pu m’en rendre compte. Pour être juste, il faut reconnaître qu’ils ont de bonnes raisons, la domination ottomane n’ayant pas toujours été tendre. La période turque va à nouveau modifier le profil ethnique de la Bulgarie. Le paysage religieux bulgare au Moyen Âge est loin d’être homogène : si le christianisme orthodoxe s’impose assez tôt, on le verra, l’Eglise bulgare balance parfois entre Constantinople et Rome (plus lointaine, donc moins apte à exercer son contrôle) et se trouve confrontée à des hérésies, comme celle des Pauliciens mais surtout celle des Bogomiles, à tel point qu’au Moyen Âge « bougre », c’est-à-dire « bulgare » est synonyme d’hérétique. Les progrès de l’islam en Bulgarie revêtent deux aspects : d’abord l’installation de Turcs, ensuite la conversion des locaux. La Thrace a été la première région conquise par les Turcs en Europe, dès le milieu du XIV° siècle. A la fin du siècle, la Bulgarie septentrionale est ottomane. Les Turcs s’installent surtout dans la plaine de Thrace et les montagnes voisines du Rhodope. Cet espace est stratégique depuis la fondation de Constantinople au IV° siècle, parce que la Thrace est un grenier de la capitale, et que les Monts du Rhodope, par leurs cols, contrôlent les routes qui mènent à Constantinople, devenue Istanbul après 1453. Les Turcs s’installent également au nord, dans la plaine du Danube, à proximité de la Dobroudja. Le Danube est la frontière de l’Empire ottoman, car au nord, Valachie et Moldavie, les principautés roumaines, sont vassales de la Sublime Porte, et non provinces ottomanes. Il se peut donc que les sultans aient installé des colons militaires dans cette région. Certains Bulgares se sont convertis à l’islam. Pour l’historiographie bulgare, ce phénomène est un gros problème et la thèse officielle est qu’il s’agit de « conversions forcées ». C’est ce que vous lirez dans tous les musées, c’est ce que répètent tous les guides. Mais je suis tenté de penser que la réalité fut un peu différente : la religion du vainqueur, du maître, pouvait légitimement séduire des chrétiens. Le phénomène s’est rencontré aussi en Albanie et en Bosnie. Les sultans ottomans n’ont jamais été des enfants de chœur, et ils ont ostensiblement brandi la bannière de l’islam et du djihad au cours de leurs conquêtes. Mais on ne peut en aucun cas prétendre que les Turcs ont mené une politique d’islamisation forcée. Le sultan a reconnu le patriarcat de Constantinople et la hiérarchie ecclésiastique, il a protégé des monastères orthodoxes en Bulgarie comme en Grèce, où le Mont Athos a pu continuer à fonctionner. Le contexte politique a clairement favorisé les conversions à l’islam. Pour autant, je ne suis pas convaincu par cette thèse des conversions forcées. En revanche, certains historiens ont fait remarquer que les zones d’islamisation dans les Balkans correspondent assez souvent aux régions touchées par les hérésies, en particulier celle des Bogomiles. Des chrétiens en conflit avec l’Eglise qui ont pu trouver une échappatoire dans la conversion (puisque le sultan ne reconnaissait que l’orthodoxie comme christianisme officiel). Les musulmans bulgarophones sont appelés Pomaks, et ils existent toujours.
En 2013, la Bulgarie compte environ 7,3 millions d’habitants. En 2001, elle en comptait 7,9 millions. Le pays a perdu près de 600 000 habitants en une décennie, soit une diminution de plus de 8 %. Cet effondrement a plusieurs causes. D’abord, l’accroissement naturel est négatif en Bulgarie depuis les années 80 (en 1990, il y avait 8,5 millions de Bulgares), la natalité est faible et inférieure à la mortalité. L’indice de fécondité est de 1,5 enfants/femme, et il faut remarquer qu’il a légèrement remonté ces dernières années, car il était descendu à 1,2 au début des années 2000. La population bulgare est assez vieille et le vieillissement s’accentue. Le profil démographique de la Bulgarie est de fait plutôt inquiétant. Il s’explique entre autres par vingt années de crise économique, le pays ayant connu une difficile transition entre le communisme et le capitalisme. Cette crise nourrit une importante émigration des jeunes Bulgares, notamment les plus diplômés, ce qui accentue encore le vieillissement de la population restante, même si l’on peut espérer qu’une partie des émigrés regagne la Bulgarie si l’horizon économique venait à s’éclaircir. L’immigration est encore peu importante dans le pays, qui ne compte guère plus de 100 000 immigrés. Les Bulgares au sens ethnique du terme (entendez par là les Slaves bulgarophones, chrétiens ou musulmans) représentent 85 % de la population, les Turcs environ 9 % et les Tziganes 5 %. Les musulmans représentent en tout 10 à 12 % de la population bulgare, car aux Turcs il faut ajouter les Pomaks et des Tziganes, dont certains sont musulmans en Bulgarie. L’Eglise orthodoxe de Bulgarie regroupe officiellement plus de 80 % des habitants, mais la pratique est très faible, on sent là un demi-siècle d’athéisme d’Etat. Et pour ce que j’en ai vu et entendu, le clergé orthodoxe ne paraît pas toujours être de bonne qualité, outre que l’Eglise connaît aussi une crise des vocations, comme chez nous. Il y a quelques catholiques, notamment dans la région de Plovdiv, qui accueille la cathédrale Saint-Louis des Français, que j’ai visitée (c’est un édifice très propre et à l’intérieur soigné, mais qui ne présente pas d’intérêt patrimonial). Certains Bulgares du sud du pays semblent craindre la poussée démographique des musulmans dans certains secteurs, poussée qui transformerait la contrée en un nouveau Kosovo (ce sont les propos que j’ai entendus). Pourtant, les recensements indiquent que la population turque de Bulgarie a diminué entre 2001 et 2013, aussi bien en chiffres absolus (environ 100 000 personnes de moins) qu’en pourcentage de la population globale. Quoi qu’il en soit, on ne peut que souhaiter une reprise de la natalité et un retour des Bulgares expatriés afin que le pays sorte enfin d’une situation démographique critique.
A suivre : Le premier empire bulgare (681-1018)
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