Nationaliste Social et Ethniciste

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Zemmour, la France et les juifs

Les progressistes, les bienpensants, aiment à se fabriquer des diables de confort, c'est-à-dire des gens sur lesquels ils peuvent en toute quiétude déverser des tombereaux d'injures, la conscience tranquille, le coeur léger, la certitude chevillée au corps d'agir au nom du Beau, du Bien et du Vrai. Pendant longtemps, les Le Pen ont rempli ce rôle. Le père, Jean-Marie, se délectait de la détestation qu'il suscitait. La fille, Marine, a voulu rompre avec l'image sulfureuse de son paternel. Et qu'y a-t-elle gagné? Le mépris et l'indifférence. Marine Le Pen ne fait plus peur. En polissant son discours, en abandonnant les outrances qui, il faut bien le dire, masquaient la faiblesse programmatique, elle a cessé d'être un diable de confort. La nature, on le sait, a horreur du vide. Et les progressistes, les bienpensants, on le sait moins, adorent haïr [1], au nom bien sûr des droits de l'homme, de la tolérance et des "valeurs de la République". Ils se sont donc trouvés un nouveau diable de confort en la personne d'Eric Zemmour. Etrange personnage que ce M. Zemmour, qui allie un prénom scandinave à un nom berbère. Comme je l'ai écrit ailleurs, Zemmour déchaîne autant de haine parce que, contrairement à Le Pen, il ne devrait pas être ce qu'il est. Jean-Marie Le Pen était un "Français de souche", enraciné, né en Bretagne, élevé dans la tradition catholique, étudiant turbulent et engagé volontaire chez les parachutistes pour défendre un empire colonial finissant. Bref, Le Pen représentait le militant nationaliste d'extrême droite tel qu'on l'imagine. Eric Zemmour a un profil totalement différent. C'est un descendant de colonisés, d'immigrés, issu de cette communauté juive d'Algérie à laquelle le décret Crémieux donna la citoyenneté française. Il a grandi dans un quartier populaire, à Drancy puis à Paris, au milieu d'autres fils d'immigrés. Il fut un étudiant studieux, avec un parcours honorable, même s'il échoua au concours de l'ENA. Il devint journaliste et entra au Figaro, le quotidien de la droite polie et propre sur elle. Rien ne prédestinait Zemmour à devenir ce qu'il est. Bien au contraire, avec son nom, son ascendance, son appartenance religieuse, il aurait pu - il aurait dû - épouser le discours repentant, diversitaire, immigrationniste. Il n'en a rien fait.

 

Les gens bien comme il faut ne le lui ont jamais pardonné. Et la haine est décuplée par le fait que l'étiquette infamante d' "antisémite" peut difficilement être collée à Zemmour, quand il était si facile de la mettre à Jean-Marie Le Pen. Avant même l'emballement médiatique des dernières semaines, certains avaient commencé à sonner la charge, comme Gérard Noiriel. Dans un ouvrage [2] qui s'est beaucoup moins bien vendu que ceux de Zemmour, Noiriel a associé (et je dis bien "associé", pas "assimilé") la figure de Zemmour à celle d'Edouard Drumont, l'auteur de La France juive, le polémiste antisémite de la fin du XIX° siècle. Gérard Noiriel fait partie de mes bêtes noires, parce qu'il est de ces universitaires qui confondent (ou qui feignent de confondre) la recherche historique avec le militantisme politique. Gérard Noiriel a produit un travail savant consacré à l'immigration en France, à une époque où cette question était laissée de côté. C'est très bien. Mais ça, c'était dans les années 80-90. Depuis bientôt deux décennies, Noiriel, sous couvert de recherche historique, publie des oeuvres de propagande, des ouvrages à thèse. Je n'ai rien contre la propagande - après tout, j'essaie d'en faire à mon modeste niveau - ni contre les ouvrages à thèse (ce qu'écrit Zemmour, incontestablement). Mais lorsqu'un universitaire use de sa qualité d'historien pour défendre des idées politiques, là ça devient gênant. Qu'on me comprenne bien: que MM. Noiriel, Stora, Durpaire et alii aient leurs opinions politiques, c'est leur droit le plus strict; mais qu'ils aient l'honnêteté de dire que, quand ils viennent défendre leurs idées, leur conception de la France, ils quittent le champ de la recherche universitaire. Or, ils ne le font pas. Je me souviens avoir eu dans les mains L'Atlas de l'immigration écrit par Noiriel en 2002 aux éditions Autrement (une excellente collection par ailleurs), c'était effarant: à côté des cartes, graphiques, statistiques qui fournissaient des données intéressantes en soi, l'ouvrage était un véritable pamphlet pro-immigration. Et ce fut bien pire lorsque Nicolas Sarkozy accéda à la présidence en 2007 et créa son fameux "Ministère de l'immigration et de l'identité nationale". Gérard Noiriel s'offrit pour l'occasion une série de conférences dans les universités (il est venu à l'époque dans celle où j'étudiais) pour dire tout le mal qu'il pensait de l'intitulé de ce ministère et faire le procès politique du discours tenu par les partisans de Sarkozy [3].

 

Noiriel, qui est venu longuement présenter sa thèse sur France Culture - il y a les auteurs qui ont les faveurs des gens bien comme il faut, et puis il y a les autres -, défend donc l'idée, si j'ai bien compris, que Zemmour, comme Drumont, utilise une "grammaire" de la haine dans une optique nationaliste d'exclusion, des musulmans pour le premier, des juifs pour le second. Je reviendrai sur ce parallèle, qui est devenu fréquent chez les progressistes immigrationnistes. Et ces discours présenteraient un danger pour l'équilibre de la démocratie. Eh bien, analysons nous aussi les éléments de langage dont use M. Noiriel. Je n'ai pas lu son ouvrage, mais il me semble que le titre est déjà très parlant: le Venin dans la plume. Le mot "venin" renvoie traditionnellement à des animaux sympathiques comme les serpents ou les araignées. N'est-ce pas une façon détournée de considérer Zemmour comme une vipère qui cracherait son venin? Et quand on sait que Zemmour est juif, des mauvaises langues pourraient insinuer qu'on exhume là de vieux stéréotypes sur les israélites. Je ne crois pas un instant que Gérard Noiriel soit antisémite, mais je fais remarquer que si une personnalité moins en faveur auprès des gens bien comme il faut avait écrit la même chose sur un juif autre qu'Eric Zemmour, il n'est pas certain que la machine à anathématiser serait restée au repos. La deuxième partie du titre évoque la part sombre de la République. J'ai en horreur cette vision manichéenne de l'histoire qui classe les hommes du passé en "gentils" et en "méchants". Je ne défends pas Drumont, je ne connais pas son oeuvre en détail. Mais Drumont, comme Zemmour d'ailleurs, était fils de son temps. Il a diffusé des idées qui, dans la France de la fin du XIX° siècle, trouvaient leur audience. Condamner ne sert à rien, il faut comprendre. Or, dès le titre de son ouvrage, Noiriel laisse entendre que Zemmour, à l'instar de Drumont, serait un être malfaisant qui distillerait son venin, et qu'il ferait en quelque sorte tache dans l'histoire de notre belle et généreuse République héritière des Lumières. Franchement, qui peut croire qu'avec un tel titre l'auteur se livre à une analyse sérieuse d'une "grammaire rhétorique" sans aucun jugement de valeur [4]?

 

On pense ce que l'on veut d'Eric Zemmour, on n'est pas obligé de l'apprécier. On a le droit de le combattre, de lui porter la contradiction. D'ailleurs, il ne demande pas mieux. Mais laisser entendre que Zemmour déshonore le débat politique, c'est inadmissible. Pour moi, Zemmour a la culture historique et l'épaisseur intellectuelle pour prendre toute sa part dans le débat, et même élever ce dernier. Je rejette fermement cette filiation rhétorique (mais aussi idéologique) que Noiriel croit déceler entre Drumont et Zemmour. Tout simplement parce que je pense qu'en réalité, Zemmour se rattache à une autre tradition idéologique, à savoir celle des juifs assimilés et patriotes. Ces juifs-là existaient au temps de Drumont. Je dirais même qu'ils existaient malgré Drumont.

 

Voici ce qu'écrivait Henry Lange, issu d'une famille juive naturalisée française au début du XIX° siècle, engagé volontaire à dix-sept ans durant la Grande Guerre:

 

"Le 6 septembre 1917

Mon Général

Je me suis permis de demander à passer dans l'infanterie pour des motifs d'ordre personnel. Mon cas est en effet assez différent de celui de la plupart des combattants.

Je fais partie d'une famille israélite, naturalisée française, il y a un siècle à peine. Mes aïeux, en acceptant l'hospitalité de la France, ont contracté envers elle une dette sévère; j'ai donc un double devoir à accomplir: celui de Français d'abord; celui de nouveau Français ensuite. C'est pourquoi je considère que ma place est là où les "risques" sont les plus nombreux.

Lorsque je me suis engagé, à 17 ans, j'ai demandé à être artilleur sur la prière de mes parents et les conseils de mes amis qui servaient dans l'artillerie. Les "appelés" de la classe 1918 seront sans doute envoyés prochainement aux tranchées. Je désire les y devancer.

Je veux après la guerre, si mon étoile me préserve, avoir la satisfaction d'avoir fait mon devoir. Je veux que personne ne puisse me contester le titre de Français, de vrai et de bon Français.

Je veux, si je meurs, que ma famille puisse se réclamer de moi et que jamais qui que ce soit ne puisse lui reprocher ses origines ou ses parentés étrangères.

J'espère être physiquement capable d'endurer les souffrances du métier de fantassin et vous prie de croire, mon Général, que de toute mon âme et de tout mon coeur je suis décidé à servir la France le plus vaillamment possible. Veuillez agréer, mon Général, l'assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement.

                                                                                                            Henry LANGE"

 

(Source: Paroles de Poilus, sous la direction de Jean-Pierre Guéno, Librio, 1998, p.16)

 

La première fois que j'ai lu ce texte, il y a quelques années, j'ai été bouleversé. Encore aujourd'hui, j'ai les larmes aux yeux, je l'avoue, lorsque je le relis. D'abord, parce que ce ne sont pas que des mots: Henry Lange fut exaucé et mourut au champ d'honneur le 10 septembre 1918, âgé de vingt ans. Ensuite, ce texte contient une très belle déclaration d'amour à la France. Et pourtant... Henry Lange était né en 1898, en pleine affaire Dreyfus, dans une France où s'affichait sans retenue un antisémitisme virulent, la France de Drumont, justement. Lui et sa famille auraient pu en vouloir à la France, après tout, de nos jours, bien des immigrés conchient notre pays pour moins que ça. Eh bien non. Ce jeune homme offre sa vie pour honorer "une dette sévère" et "accomplir son devoir". Il déclare qu'en tant que "nouveau Français" (et tout est relatif: sa famille est française depuis un siècle environ), il estime avoir deux fois plus de devoir que les autres. Dans une autre lettre adressée à ses proches, il écrit: "Quand on est français de date récente, et surtout quand on fait partie de cette race juive méprisée et opprimée, on doit faire son devoir mieux que personne". On imagine mal nos immigrés issus des anciennes colonies tenir un tel discours... La France d'il y a un siècle était sans doute bien plus xénophobe et raciste que celle de 2021, mais, paradoxalement, elle savait se faire aimer, elle savait susciter un dévouement qu'on n'imagine pas de nos jours [5]. Henry Lange est un héros. La lecture de cette lettre a eu pour conséquence de me vacciner définitivement contre l'antisémitisme. Tous les juifs, bien sûr, ne sont pas des Henry Lange, loin s'en faut. J'ai dit déjà tout le mal que je pensais du CRIF, des juifs qui placent Israël au-dessus de la France ou de ceux qui exploitent à des fins bassement politiques le souvenir de la Shoah. Je sais à présent que les juifs français valent mieux que la plupart de ceux qui s'expriment en leur nom sur la scène médiatique. Personnellement, je vois des points communs entre Henry Lange et Eric Zemmour, beaucoup plus qu'entre ce dernier et Edouard Drumont, n'en déplaise à Gérard Noiriel. Zemmour, lui aussi, estime avoir contracté une dette envers la France et le combat qu'il mène est sa manière de la payer. Evidemment, Zemmour ne risque pas sa vie et tire de substantiels revenus de la vente de ses livres. Mais affronter la meute des bienpensants demande quand même un certain courage. 

 

Et il y a un siècle, Henry Lange n'était pas une exception. Voici ce qu'écrit Lazare Silbermann, juif d'origine roumaine, lui aussi engagé volontaire pour "s'acquitter d'une dette essentielle envers son pays d'accueil", à son épouse au moment de partir: "Avant de partir faire mon devoir envers notre pays d'adoption, la France que nous n'avions jamais eu à nous plaindre [...]." [6] Les fautes de syntaxe traduisent une maîtrise encore fragile du français pour cet immigré récent, mais l'idée est la même que celle développée par Henry Lange, le devoir envers la patrie d'adoption, comme témoignage de gratitude. Lazare Silbermann part en laissant quatre enfants en bas âge dont voici les prénoms: Rosette, Ernestine, Jean et Charles. Quatre prénoms parfaitement français, et même, pour les deux garçons, des prénoms portés par des rois de France. Je sais que nombreux sont ceux qui moquent Zemmour sur son obsession des prénoms, mais je pense qu'il a raison sur ce sujet comme sur d'autres. Oui, le prénom est un marqueur identitaire et symbolique fort, et le fait est qu'autrefois les immigrés faisaient l'effort de donner des prénoms français à leurs enfants. Pas comme Philippe Martinez, le Secrétaire général de la CGT, qui se vante publiquement d'avoir donné un prénom non-français à son fils...

 

Certains me parleront peut-être de ces musulmans qui s'engagent dans l'armée française, dont ils représenteraient aujourd'hui 20 % des effectifs. Remarquons d'abord que l'armée française est à présent une armée de professionnels, composée de gens pour qui le patriotisme ou le sens du devoir n'est pas forcément la motivation première. Il suffit d'ailleurs de jeter un oeil aux affiches des campagnes de recrutement: il y est question de "s'accomplir", de "dépasser ses limites". De la France, de la patrie, il n'est point question. Ces militaires musulmans s'engagent, comme beaucoup de leurs camarades, plus souvent parce qu'ils aiment les armes, les uniformes, les parades que parce qu'ils aiment la France. Rien à voir donc avec Henry Lange, qui déclare explicitement dans une de ses lettres qu'il n'aime pas la guerre. D'ailleurs, je pense qu'il ne faut pas s'exagérer la loyauté des musulmans qui servent notre pays comme soldats ou comme policiers. Si la situation dégénérait en guerre civile, il est peu douteux qu'une partie de ces gens constituerait un vivier de cadres pour des milices musulmanes.  

 

De manière générale, l'idée qui sous-tend l'ouvrage de Noiriel, et qui est fort répandue chez les progressistes, est que les musulmans du début du XXI° siècle subiraient, toute proportion gardée, la même hostilité que les juifs du début du XX° siècle. Je m'élève avec force contre ce parallèle, à mon sens fallacieux. En tant qu'immigrés, les musulmans se heurtent en effet à une forme de xénophobie, de racisme parfois, que d'autres immigrés ont subi avant eux, et pas seulement les juifs. Ne croyons pas que les Italiens, les Polonais, les Espagnols ont été jadis accueillis à bras ouverts. En revanche, pardon de le dire, l'aversion que suscitent les musulmans parmi un certain nombre de Français (dont je suis) est liée au comportement qu'ils adoptent en France et vis-à-vis de la France, c'est-à-dire à ce qu'ils font et non seulement à ce qu'ils sont. J'aimerais quand même qu'on me donne les noms des intégristes juifs qui, au début du XX° siècle, ont commis des massacres dans des salles de spectacle, qui ont égorgé un prêtre catholique ou décapité un professeur. J'aimerais qu'on m'explique de quelle manière les juifs immigrés ont cherché par tous les moyens à faire du séparatisme. C'était tout le contraire: les juifs d'origine étrangère se sont majoritairement efforcés, avec une détermination touchante, et parfois au péril de leur vie, comme Henry Lange ou Lazare Silbermann, de devenir des "bons et vrais Français". J'irai même plus loin. Les juifs immigrés d'il y a un siècle, pour la plupart originaires d'Europe orientale, arrivaient de pays et de régions où ils étaient minoritaires, méprisés, opprimés, et régulièrement victimes d'exactions lors des pogroms. Nos immigrés musulmans viennent pour la plupart de pays où l'islam est la religion majoritaire et le plus souvent officielle. Nos immigrés musulmans sont majoritairement originaires de régions où il ne fait pas bon ne pas être musulman. En Algérie, vous pouvez être arrêtés si vous transportez des Bibles dans le coffre de votre voiture. Dans la plupart des pays musulmans, les hautes fonctions sont de fait inaccessibles aux non-musulmans. Nos immigrés importent sur notre sol un islam sunnite rigoriste, intolérant, exclusif et dominateur. Les musulmans qui nous arrivent du Maghreb, de Turquie, d'Afrique subsaharienne ont des mentalités d'oppresseurs et non d'opprimés. Par conséquent, faire un parallèle entre eux et les juifs des années 30 est une imposture intellectuelle.

 

D'aucuns seront tentés de me dire que si les musulmans posent problème, ce n'est pas tant leur faute que celle de notre pays qui a abandonné sa politique d'assimilation. Et puisqu'on a imposé cette dernière aux juifs, immigrés ou non, pourquoi ne pas faire de même aujourd'hui avec les musulmans? La question islamique serait ainsi réglé. Je crains que les termes du problème ne soient pas si simples. D'abord, les musulmans sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux que les juifs ne l'ont jamais été. Ensuite, les musulmans de France, qu'on le veuille ou non, restent étroitement liés à un monde musulman qui, du fait de ses crises et de ses échecs, se complait dans le ressentiment à l'égard de l'ancien colonisateur occidental, plutôt que de faire son examen de conscience. A ce sujet d'ailleurs, l'exemple juif devrait nous interpeller. Tant que les juifs constituaient une population diasporique, partout minoritaire, la tentation de s'assimiler était la plus forte. Du jour où est né Israël, un état juif qui ne dit pas son nom, on a pu constater un phénomène de "désassimilation" de certains juifs qui, eux aussi, se sont mis à cultiver leur particularisme et à faire du séparatisme. En France, où l'émancipation des juifs a été assez précoce, le mouvement reste marginal mais il existe. A partir du moment où un groupe d'immigrés sait que, quelque part, il existe un territoire où sa culture, son identité, sa religion sont dominants et préservés, j'ai l'impression que l'assimilation devient moins tentante, parce qu'au fond les immigrés se disent qu'en cas de besoin, il sera toujours temps de retourner (ou d'aller) "là-bas". Le fantasme du "bled" pour les musulmans, de l'aliyah pour les juifs, sont à mon sens de puissants freins à l'assimilation. Pourquoi faire des efforts ici quand on entretient l'idée (souvent illusoire) qu'on est attendu, voire désiré, ailleurs? Mais j'en arrive à ce qui est pour moi peut-être le point central de cette impossibilité d'assimiler les musulmans: la laïcité. Oui, vous avez bien lu, la laïcité. C'est probablement ma principale évolution idéologique depuis que je tiens ce blog: après avoir cru, comme beaucoup le croient encore, que la laïcité était la solution, je suis convaincu aujourd'hui qu'elle est la source de nos problèmes.

 

Je m'explique: si l'on se penche sur le cas des juifs, justement, on s'apercevra que leur assimilation n'a pas été permise par la laïcité, mais bien par ce qui s'est passé avant. Celui qui a le plus favorisé l'assimilation des juifs, c'est Napoléon, parce qu'il n'était pas dans une logique de neutralité de l'Etat, mais dans une logique de contrôle des religions dans le cadre de la liberté de conscience. Donc Napoléon n'a pas éludé la question religieuse. Il a réuni les dirigeants de la communauté juive de France et il a clairement mis les enjeux sur la table en exigeant les concessions nécessaires qui garantissaient le renoncement au séparatisme en échange de l'égalité des droits pleine et entière. Et l'exemple d'Henry Lange, de Lazare Silbermann, mais aussi de gens comme Eric Zemmour ou même Alain Finkielkraut (bien que ce dernier soit un peu ambivalent dans son rapport à Israël), montre que la politique de Napoléon a été une grande réussite, pas seulement sur le moment, mais aussi sur le long terme. Aujourd'hui la laïcité empêche la France d'apporter les bonnes réponses au problème musulman, parce que la question religieuse est éludée. Or, le coeur de l'identité des musulmans, c'est la religion. Alors on essaie de ruser, de créer un Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) qui a rapidement sombré dans les querelles de pouvoir et de clientélisme. On délègue la gestion du culte aux "chers pays d'origine", ce qui permet au très francophile président Erdogan de nous envoyer des imams turcs. On crée une Fondation de l'Islam de France, qui est aussitôt dénoncée et boudée par la plupart des associations musulmanes. De Jean-Pierre Chevènement à Nicolas Sarkozy, on a vu se multiplier ces tentatives infructueuses d'organiser le culte musulman. Et ça ne marche pas, parce que les pays d'origine ne veulent pas perdre leur possibilité d'influencer la politique française par l'intermédiaire de leurs communautés d'expatriés, parce que l'islam sunnite (majoritaire en France) n'a pas de clergé structuré et surtout parce que, laïcité oblige, le mouvement est censé venir des musulmans eux-mêmes. Et beaucoup de musulmans, même parmi les soi-disant "modérés", n'ont en réalité aucune envie de se voir poser les questions qui fâchent, par exemple sur le rapport entre la loi religieuse et la loi civile, ou la hiérarchie des normes.

 

Dans ces conditions, la laïcité contribue au final à créer un "vivre-ensemble" bancal, qui ne satisfait personne et qui, lentement mais sûrement, laisse les tensions croître et s'étendre. Prisonnier de sa neutralité, l'Etat est incapable de nommer le problème, c'est-à-dire l'islam, et non seulement l'islamisme. La loi de 1905, qui stipule que "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte", prive en réalité la France des moyens d'encadrer de manière efficace l'islam. En Russie, Vladimir Poutine fournit des fonds publics pour construire ou rénover des mosquées, mais la contrepartie est claire: les dirigeants de la communauté musulmane doivent assurer le pouvoir russe de leur loyauté, et rester à leur place, derrière la religion historique, "identitaire", de la majorité des Russes, à savoir le christianisme orthodoxe. En France, la loi de 1905 a été très efficace pour affaiblir le catholicisme, religion historique du pays, mais ne fournit aucun instrument pour régler la question islamique.  

 

[1] On le dit peu, mais ils ne dédaignent pas, à l'occasion, apporter la mort aussi. Les Serbes et les Syriens pourraient en témoigner...

 

[2] Le Venin dans la plume. Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 2019.

 

[3] Les reproches étaient d'ailleurs bien peu justifiés: Sarkozy n'a rien fait, ou pas grand-chose, pour réduire les flux migratoires. Et, à plusieurs reprises, il s'est fait le chantre de la métissolâtrie ambiante.

 

[4] Et si on me dit que c'est l'éditeur qui a choisi le titre, je réponds que ce n'est pas une excuse. Noiriel prétend dénoncer l'effet délétère des polémistes comme Zemmour sur le débat public, mais il contribue, à sa façon, à la violence du débat, violence qu'il dit déplorer par ailleurs. Quelle cohérence...

 

[5] Même s'il existe encore. Je pense au sacrifice du gendarme Arnaud Beltrame.

 

[6] Paroles de Poilus, p.138.



17/10/2021
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