Nationaliste Social et Ethniciste

Nationaliste Social et Ethniciste

Ainsi va le monde...

Certains de mes lecteurs s'étonneront peut-être que je n'ai rien publié depuis plusieurs semaines, alors que l'actualité est d'une rare richesse. La flemme et les obligations du quotidien n'en sont pas la seule cause. Je dois l'avouer: je me trouve pris de vertige devant l'accélération prodigieuse de la marche du monde. Je n'ai, hélas, pas le temps de creuser tous les sujets, et je n'aime guère - et de moins en moins le temps passant - exprimer une opinion sur un thème que je ne maîtrise pas. Or, savoir de quoi on parle, cela prend du temps, sinon on se condamne à rédiger des billets courts conçus sous le coup de l'émotion. Bref, pour le dire autrement, on est pris dans l'engrenage de la logique "réseaux sociaux", que j'ai toujours rejetée. Mais, d'un autre côté, tout va si vite qu'il est bien difficile d'analyser et de comprendre la situation. A peine un raisonnement, un début de commencement d'analyse, une ébauche d'article germe, et voilà que la situation évolue déjà, transformant radicalement les données du problème, donnant tort aux commentateurs officiels, aux toutologues qui défilent imperturbables sur les radios, les chaînes de télévision ou celles de Youtube pour vendre leurs avis frelatés, leur expertise approximative, leurs certitudes le plus souvent erronées. Pseudo-expert, c'est un vrai métier, car jamais ces gens ne donnent l'impression d'être pris de court, et ils sont capables de dire le contraire de ce qu'ils disaient la veille avec l'aplomb de celui qui n'a jamais changé de discours. Ainsi, l'inénarrable Pierre Servent peut affirmer que "nous étions quelques uns à dire que l'armée russe s'était réorganisée et qu'il fallait s'attendre à une offensive" (au moment où les Russes reprenaient l'avantage sur le front ukrainien) quelques mois après avoir déclaré que "l'armée russe va s'effondrer dans les prochaines semaines, toutes les informations concordent". Il est certain que n'importe quel guignol, dans ces conditions, peut se proclamer "expert en géopolitique"...

 

Il m'a fallu faire un choix pour cet article, et j'ai donc décidé d'aborder les points suivants: la situation du conflit russo-ukrainien depuis que Donald Trump est entré dans la danse si je puis dire; la situation en Syrie qui n'étonnera que les naïfs et les ignorants; et enfin - même si l'on sort du domaine international - la question de la liberté dans les travaux universitaires en France avec l'annulation de la sortie d'un livre consacré aux dangers de l' "obscurantisme woke".

 

Conflit russo-ukrainien: et Donald frappa du poing sur la table

On pense ce que l'on veut de Donald Trump mais il faut reconnaître que c'est un homme qui suit une ligne directrice et, contrairement à ce que j'entends partout, cette dernière ne me paraît pas moins cohérente que celle, pleine d'irrésolution et de tergiversations, suivie en leur temps par Barack Obama et Joe Biden. Je le dis franchement: je partage l'idée de Donald Trump selon laquelle il faut mettre fin à la guerre en Ukraine. Après trois ans de conflit, il est devenu évident que les Ukrainiens, qui se sont battus courageusement, ne peuvent pas l'emporter, pas plus qu'ils ne pourront reconquérir la totalité des territoires perdus. La poursuite d'une guerre d'usure, avec une aide occidentale qui s'étiole, ne peut qu'entraîner de nouvelles pertes territoriales pour l'Ukraine, à mon avis. Seulement, il y a arrêter la guerre et arrêter la guerre. La "méthode Trump" me laisse perplexe. Comme beaucoup de gens, j'ai peu goûté l'esclandre à laquelle nous avons assisté lors de la conférence de presse Trump-Zelensky. Traiter Volodymyr Zelensky comme l'a fait le président américain n'était pas très respectueux, et au fond pas très honnête: après tout, les Américains - même si c'était sous le mandat de Biden - ont non seulement soutenu le gouvernement ukrainien, mais ils l'ont même encouragé dans sa Croisade contre la Russie poutinienne. Ce que je reproche à Donald Trump [1] c'est la façon assez abrupte avec laquelle il dit les choses, mais il faut reconnaître qu'il a le mérite de lever le voile sur une réalité que pour ma part je martèle depuis quelques temps: les Etats-Unis sont un pays dont il ne faut attendre aucune loyauté. Redisons-le: les Etats-Unis veulent des vassaux, des larbins, ils ne veulent pas et n'ont jamais voulu des alliés traitant d'égal à égal avec eux. Zelensky paraît cependant avoir été maladroit en insistant trop lourdement sur la question des garanties, même si sa situation est inconfortable, d'autant que son armée subit des revers ces derniers temps.

 

Après cette passe d'armes et l'indignation qu'elle a suscitée dans les chancelleries européennes, la réalité a repris ces droits. Et la réalité est la suivante: les Ukrainiens sont dans la main des Américains, ils ne sont que des pions. Je l'avais dit: en se donnant à l'Oncle Sam, l'Ukraine se choisissait un maître guère plus bienveillant que l'Ours russe. Zelensky est dans une telle situation qu'il ne peut rien refuser à Trump. Après que celui-ci lui eut tordu le bras, le président ukrainien n'a eu d'autre choix, la tête basse, que d'accepter le principe d'un cessez-le-feu, sans véritable garantie. Cet épisode tragique est riche d'enseignement. L'humiliation subie par Zelensky est un avertissement: voilà ce qui arrive à ceux qui s'imaginent pouvoir compter sur le soutien inconditionnel des Etats-Unis. Je partage l'idée qu'il convient d'investir dans la défense, de renforcer l'armée française et de produire des armes. Mais contrairement à Emmanuel Macron, c'est moins la menace russe que je redoute que la menace américaine. Outre la nécessité d'avoir une véritable puissance militaire, il me paraît surtout fondamental de disposer d'un appareil militaire autonome et totalement indépendant de la technologie américaine. La géographie ne doit pas faire illusion: la Russie, en réalité, est une menace lointaine, et paradoxalement, ce sont les Américains qui représentent la menace la plus proche et la plus pressante. Et cette menace pèse dans de nombreux domaines: économique, politique, culturel, là où la menace russe est purement d'ordre militaire - et encore, il ne faudrait pas exagérer la puissance d'un pays moins peuplé que la France et l'Allemagne réunies. 

 

Il faut reconnaître que Donald Trump, qui est loin d'être un imbécile, a agi avec habileté: en humiliant Zelensky et en lui faisant du chantage, provoquant ainsi les cris d'orfraie des "alliés" européens, le président américain a montré qu'il attachait un certain prix à la résolution du conflit, et qu'il était prêt à encourir les foudres d'une partie de son opinion. Il a à présent renvoyé la balle à Vladimir Poutine, mettant finalement ce dernier dans un certain embarras. Accepter immédiatement la proposition américaine serait reconnaître aux Etats-Unis un rôle d'arbitre qui siffle la fin d'une guerre quand bon lui semble. La Russie donnerait l'impression de céder à la pression américaine. Mais refuser la proposition de cessez-le-feu, ou y mettre trop de conditions, serait tout aussi dangereux, puisque cela reviendrait à reconnaître que Vladimir Poutine, dont l'armée prend l'ascendant dans le conflit, ne veut pas vraiment mettre fin aux combats. En faisant plier l'Ukraine, Trump place finalement Poutine dans une situation plutôt inconfortable. Le président russe aura-t-il la sagesse d'ouvrir des négociations, ou bien caresse-t-il le projet de pousser son avantage et, peut-être, de provoquer la chute de Volodymyr Zelensky en profitant de la démoralisation et du découragement qui gagnent la société ukrainienne? L'avenir le dira, mais je pense que tout n'est pas joué. Ensuite, il y a la question de savoir s'il est possible d'établir une "bonne" paix. Devant Trump, Zelensky a clairement perdu la face, et ce n'est pas une bonne chose. Il ne faudrait pas que les Ukrainiens, après les sacrifices consentis pour défendre la mère-patrie, perdent également la face dans les négociations avec la partie russe. L'équation est difficile. La Crimée est définitivement perdue pour l'Ukraine, cela me paraît une évidence. Récupérer le Donbass semble une gageure, car l'opinion russe comprendrait difficilement l'effort de guerre déployé par la Fédération de Russie si Poutine devait rendre ces territoires, d'autant qu'une partie importante des habitants russophones de la région n'accepteront sans doute pas de revenir dans le giron de Kiev. Je comprends également qu'il est tentant pour la Russie, pour des raisons pratiques de communication et de sécurité, de conserver les oblasts de Zaporijjia et de Kherson qui permettent de relier la Crimée au Donbass. Je pense néanmoins que, si la Russie veut une paix durable, elle devra rétrocéder une partie des territoires conquis aux Ukrainiens en échange d'un engagement de ces derniers à ne pas rejoindre l'OTAN. Si l'Ukraine n'obtient rien après la résistance héroïque de son armée, il est à craindre que l'amertume et le ressentiment pèsent lourdement sur les futurs relations russo-ukrainiennes. Poutine est-il prêt à de substantielles concessions qui faciliteraient une réconciliation future?

 

Et la France dans tout ça, me direz-vous? Elle ne joue aucun rôle, et elle n'a aucun rôle à jouer. Nous sommes sortis de l'histoire, et de la manière la plus lamentable qui soit. Je le déplore, mais c'est ainsi. Je ne commenterai pas le discours pitoyable d'Emmanuel Macron qui continue à jouer - de plus en plus mal - au président. Je passe sur "l'heure est grave, l'ennemi est à nos portes mais nous n'augmenterons pas les impôts" qui atteint des sommets dans le ridicule. Je dirai simplement qu'il est hors de question de me laisser enrôler dans une Croisade contre la Russie, version modernisée de la "Croisade contre le bolchévisme" de sinistre mémoire. La Russie ne menace pas les intérêts vitaux de la France, pas plus qu'elle ne menace des pays amis tels que la Roumanie ou la Grèce. Lorsque les armées russes attaqueront la République Fédérale d'Allemagne et que leurs chars arriveront en vue de Berlin, je reconsidérerai ma position. En attendant, désolé, la "menace russe" n'est pas pour moi une priorité. Il ne faut pas cependant être naïf: l'attitude erratique de la diplomatie française dans l'affaire ukrainienne va laisser des traces. La Russie, aujourd'hui, ne peut plus être considérée comme un allié potentiel. Nous avons cherché à lui porter des coups, elle nous rendra la politesse, il faut s'y attendre. Je pense que le gouvernement russe va chercher à nous nuire. C'est de bonne guerre, mais il faut en être conscient. Par conséquent, et bien que je continue à penser qu'un renforcement de la Russie n'est pas nécessairement une mauvaise chose pour nos intérêts, je ne partage pas l'idée qu'il sera possible de restaurer une relation cordiale franco-russe dans un avenir proche. L'incurie de nos dirigeants nous conduit hélas à devoir considérer la Russie comme une puissance hostile.

 

Syrie: l'impossible "unité dans la diversité"

Certains, peut-être, s'enorgueillissent de la justesse de leurs prédictions. Ce n'est pas mon cas. Outre le fait que je me trompe parfois, mon pessimisme me conduit souvent à envisager le scénario le plus sombre. En décembre 2024, je faisais part dans un article de mon inquiétude concernant la situation en Syrie au lendemain de la chute de Bachar al-Assad et du régime baathiste. Al-Joulani, enfin Ahmed al-Charaa de son vrai nom qu'il a repris en accédant à la présidence syrienne, ne m'inspirait aucune confiance. Sa rhétorique sur une Syrie "inclusive" et "respectueuse des minorités" était aux antipodes de son parcours, lui, l'ancien militant d'Al-Qaïda et de Daech, ayant patiemment monté les échelons au sein de groupes islamistes adeptes d'un djihad sans concession. L'opération était claire: rassurer l'Occident en lui servant des éléments de langage propres à l'amadouer afin d'obtenir la levée des sanctions. Al-Charaa n'est pas un imbécile, et il sait parfaitement que ce n'est pas sa puissance de feu qui a défait le régime baathiste, mais bel et bien l'incapacité d'al-Assad à reconstruire une Syrie viable économiquement, faute d'accès à des sources de financement. Le leader du Hayat Tahrir al-Cham (HTC) le sait: s'il veut durer, s'il veut se faire accepter de la population syrienne, il lui faut relancer l'économie du pays, et vite, sans quoi son impopularité risque de grimper, une fois retombée la poussière soulevée par les statues déboulonnées de Hafez et Bachar al-Assad. D'où les conférences sur l'unité nationale, le dialogue avec les minorités lancé en grande pompe, les promesses rassurantes, l'apparente modération du discours. Les semaines ont passé, et les regards se sont détournés de la Syrie. Les élections? Il faudra attendre. La modération, le respect des minorités? Les témoignages s'accumulent pour montrer une réalité que nos bienpensants refusent de voir: ce sont des islamistes sunnites qui sont aux manettes à Damas, les mêmes qui partout et en tout lieu persécutent et massacrent les chiites aussi bien que les non-musulmans dès qu'ils le peuvent. La tyrannie islamiste a remplacé la tyrannie baathiste.

 

Début mars, les nouveaux maîtres de Damas ont montré leur vrai visage en massacrant des centaines d'Alaouites à l'ouest de la Syrie, dont une majorité de civils désarmés. Le bilan dépasserait le millier de morts. Rappelons que les Alaouites, comme les Druzes, forment une communauté musulmane hétérodoxe issue du chiisme. Ils représenteraient autour de 10 % de la population syrienne. La famille al-Assad était alaouite et durant son règne, les Alaouites ont occupé beaucoup de postes importants de l'armée et de l'administration, alors qu'ils étaient une communauté méprisée et marginalisée avant la période du Mandat français. D'après ce que j'ai compris, le déroulement des faits est le suivant: des Alaouites armés ont attaqué les forces de sécurité du nouveau régime syrien en plusieurs endroits, et tenté de prendre le contrôle de certaines villes ou certains quartiers sur le littoral syrien (à Lattaquié, Jablé, Banias, Tartous). Ces rebelles alaouites, appelons-les ainsi, ont été unanimement - et un peu hâtivement - qualifiés de "pro-Assad" ou de "fidèles de l'ancien régime". Il est fort probable qu'il y a derrière ces attaques des chefs de milice autrefois partisans du régime baathiste, mais enfin Bachar a quitté le pays depuis quatre mois, et le réveil semble bien tardif. Il paraît plus raisonnable de penser que ces chefs agissent pour leur propre compte, et qu'ils essaient d'échapper à leur arrestation et à un éventuel châtiment pour les exactions - bien réelles au demeurant - qu'ils ont commises durant la guerre civile. Seulement voilà, les forces de sécurité du régime islamiste ont répliqué en commettant exactement le type de crimes que l'on reproche aux partisans de Bachar al-Assad: le massacre indiscriminé de gens, femmes et enfants compris, dans le but de terroriser la population afin d'obtenir sa soumission.

 

Il est intéressant de noter que la lecture des événements n'est pas tout à fait la même selon l'observateur. Ainsi l'expert de France 24 Wassim Nasr - que je soupçonne d'être sunnite - insiste sur la responsabilité des chefs alaouites, criminels liés au régime baathiste, qui ont déclenché les attaques contre les "institutions": des hôpitaux, des policiers... L'aspect déloyal des attaques est souligné: Nasr parle d' "embuscades". Bref, les violences opérées par les sunnites, à défaut d'être excusables, sont à imputés d'abord et avant tout aux "anciens du régime" baathiste. La responsabilité d'Ahmed al-Charaa? Il a réagi rapidement, promis une "commission d'enquête" et des sanctions pour ses hommes qui auraient abusé de leurs prérogatives. Une attitude "aux antipodes de celle de Bachar al-Assad" qui aurait lui récompensé les auteurs des exactions. On n'entend pas dans ce compte-rendu "qu'Allah bénisse al-Charaa", mais on n'en est pas loin... D'ailleurs Nasr précise que les "chrétiens ont été épargnés" ainsi que le laissent entendre des communiqués officiels de responsables religieux de Lattaquié et d'Alep. Apparemment l'idée que ces communiqués aient pu être "dictés" sous la menace (ou sous une amicale pression) des autorités de Damas n'effleure pas un instant notre expert. Al-Charaa, encore une fois, n'est pas idiot: il sait parfaitement que le sort des chrétiens préoccupe davantage les opinions et les chancelleries occidentales que celui des Alaouites, une communauté très mal connue et pour beaucoup de gens étroitement associée à la dictature de la famille al-Assad, ce qui d'une manière est en partie vrai - les al-Assad se sont appuyés sur les minorités en général, et sur leur communauté d'origine en particulier - mais aussi un peu injuste, car les Alaouites ont aussi été pris en otage par l'ancien régime, et il est clair que la population alaouite, peut-être gagnée elle aussi par la lassitude et le découragement, ne s'est pas massivement mobilisée pour défendre un Bachar al-Assad aux abois en décembre dernier. Nasr dénonce la main de l'Iran et les ingérences étrangères, comme si la prise de pouvoir d'al-Charaa et du HTC n'était pas elle-même le résultat d'ingérences de ce type. Mais sans doute y a-t-il de "bonnes" ingérences étrangères et de "mauvaises" ingérences étrangères?

 

Le son de cloche est un peu différent chez Aghiad Ghanem, interrogé sur France 24 également. Il faut dire que Ghanem, "docteur en relations internationales à Sciences Po", est lui issu de la communauté alaouite. Précisons qu'en décembre, il s'était réjoui de la chute de Bachar al-Assad et avait souligné que nombre d'Alaouites étaient soulagés, le régime baathiste ayant dérivé vers un système de type mafieux devenu insupportable pour beaucoup dans une Syrie ruinée et exsangue. Si Ghanem reconnaît que l'origine des opérations se trouve bien dans la lutte contre les "criminels" liés à l'ancien régime, il insiste lui sur les exactions et les abus, en précisant, information importante, que ceux-ci durent en fait depuis plusieurs mois: "on vient arrêter une personne et on tue les gens qu'il y a autour". Ghanem fait une distinction entre les forces de sécurité du nouveau régime et les "factions venues de l'est" avec la volonté de tuer des Alaouites. Mais il faut quand même dire, si j'ai bien compris, que ces factions djihadistes sont des alliés d'Ahmed al-Charaa, des alliés peut-être encombrants, mais des alliés tout de même. Soit al-Charaa n'a aucune prise sur ces extrémistes, auquel cas il n'y a aucune raison de le considérer comme exerçant une quelconque autorité sur la Syrie, soit il a fait appel à eux et dans ce cas il est complice. Contrairement à Nasr, Ghanem estime qu'au-delà du discours, al-Charaa manque d'une réelle volonté de faire une place aux minorités et ne se donne pas les moyens de réconcilier les Syriens. Si je comprends bien, Ghanem souhaiterait une commission "Justice et Vérité". En fait, je pense qu'il commence à s'apercevoir qu'Ahmed al-Charaa reste ce qu'il a toujours été: un chef islamiste sunnite dont l'objectif est d'instaurer un régime au service d'une idéologie fondamentaliste. Peut-être aurait-il fallu réfléchir avant de troquer la moustache d'al-Assad contre la barbe d'al-Charaa... En tout cas, Ghanem voit surtout dans ces violences le résultat de tensions locales.

 

Le géographe Fabrice Balanche, toujours sur France 24, n'hésite pas pour sa part à confessionnaliser les violences: il parle de "vengeance" contre les Alaouites, considérés comme les piliers de l'ancien régime baathiste et évoque également une haine religieuse, sur laquelle Nasr et Ghanem étaient moins diserts. Balanche explique que les Alaouites sont des hérétiques aux yeux des sunnites, et particulièrement des plus radicaux d'entre eux. On peut en effet se demander, au-delà des déclarations de bonnes intentions, si un pouvoir se réclamant de l'islamisme sunnite peut vraiment se montrer tolérant à l'égard de courants dissidents de l'islam. La question est d'autant plus intéressante que pas grand-monde ne semble se l'être posé au lendemain du 8 décembre. Personne ou presque n'a voulu voir la contradiction entre la prise de pouvoir du HTC, agrégat de djihadistes sunnites, et l'espoir d'une Syrie riche de sa diversité où les minorités verraient leurs droits protégés. On retrouve là un problème constant de nos élites, à savoir l'incapacité à concevoir que les ennemis de vos ennemis ne sont pas nécessairement vos amis. Comme le rappelle ce reportage, les Alaouites sont victimes d'assassinats et d'enlèvements depuis plusieurs mois. Al-Charaa n'a manifestement pas les moyens de protéger la minorité alaouite, en admettant même qu'il en est l'intention. Les Druzes d'ailleurs ne s'y sont pas trompés et ont affiché leur volonté de garder leurs armes. Quant à Pascal Boniface [2], s'il reconnaît les exactions commises par les forces de sécurité du nouveau régime, il se montre, je trouve, plus qu'indulgent à l'égard d'al-Charaa à qui "il faudrait faire confiance". Boniface semble convaincu que le leader du HTC est sincère lorsqu'il parle d'une Syrie unie, respectueuse de sa diversité ethnique et confessionnelle. Boniface va jusqu'à qualifier al-Charaa de "nationaliste" dont les desseins seraient contrariés par les factions extrémistes. C'est oublier, encore une fois, qu'Ahmed al-Charaa est lui-même un extrémiste, un islamiste, un djihadiste, et ce depuis de longues années. C'est oublier qu'il est parrainé par la Turquie et le Qatar, deux états liés aux Frères musulmans. Je trouve que Boniface est étonnamment naïf. Plus le temps passe, plus il s'avère que la politique effectivement menée par les nouveaux maîtres de Damas est aux antipodes de leur discours officiel. Il est probable qu'al-Charaa est loin d'être tout-puissant et qu'il doit ménager des alliés peu recommandables, mais il convient tout de même de s'interroger sur la sincérité de son discours.

 

Assistons-nous au début du génocide des Alaouites, ou à tout le moins à un commencement de nettoyage ethnico-religieux qui fera de la Syrie un pays peuplé à 95 % de sunnites (contre 75 à 80 % aujourd'hui) dans quelques années? Il est trop tôt pour le dire, mais un exode des Alaouites et des chrétiens est loin d'être improbable. De même, il n'est pas exclu qu'Israël utilise la question druze pour occuper de nouvelles portions du territoire syrien au sud. La ritournelle sur une Syrie "inclusive et unitaire", assumant sa "diversité", me fait doucement rigoler. Parce que, pardon de le dire, cette Syrie là a existé: c'était la Syrie des al-Assad, la Syrie gouvernée par un parti appelé le Baath. Le régime baathiste, au nom d'une idéologie nationaliste et laïcisante, a essayé de dépasser les clivages confessionnels et tribaux pour éveiller la conscience nationale syrienne. Il faut constater qu'il a échoué, et la brutalité du régime n'en est sans doute pas la seule cause. Comment croire un seul instant qu'un régime dominé par des islamistes sunnites peut réussir là où les baathistes ont échoué? On en revient toujours au même point fondamental: on ne construit pas une nation viable à partir d'une mosaïque ethnique, religieuse et culturelle. Sans un minimum d'homogénéité, point de nation, et ce qui est vrai en Syrie l'est aussi en France. Maintenant, quel est notre intérêt dans cette affaire syrienne? S'il ne tenait qu'à moi, la France fournirait des armes aux Alaouites pour les aider à constituer un réduit autonome dans le nord-ouest de la Syrie, où chrétiens et Alaouites pourraient vivre à l'abri du pouvoir islamiste de Damas. Par principe, je suis attaché à l'unité des nations. Mais la question est de savoir ce qui fonde une nation, et je dois dire que, le temps passant, je crois qu'il est inutile de forcer des populations qui n'ont rien en commun et qui se détestent à vivre ensemble.   

 

Police de la pensée à l'université française     

Lorsque vous appartenez à une institution, à un corps, et que vous voyez celui-ci ou celle-là se laisser gagner par une forme de pensée unique, bien souvent intolérante et inquisitrice, il peut être tentant d'aller dans le sens du vent par intérêt, ou de se taire par prudence. Xavier-Laurent Salvador n'est pas de ceux-là. Ce professeur agrégé de lettres modernes, enseignant l'ancien français et la littérature médiévale, a décidé de ne pas garder le silence, et de lutter contre ce qu'on appelle couramment le "wokisme", et qui n'est qu'un avatar de la bienpensance. Salvador a d'abord combattu l'emprise croissante de l'idéologie décoloniale qui prétend passer la production scientifique à la moulinette de ses obsessions victimaires, en étant cofondateur et animateur de "l'Observatoire du décolonialisme", devenu "Observatoire d'éthique universitaire". Salvador n'est pas le seul à défendre une certaine ethique scientifique et universitaire, mais ils ne sont pas si nombreux à monter au créneau. Il faut dire qu'aujourd'hui, votre carrière peut être menacée quand vous osez faire remarquer que science et militantisme ne font pas forcément bon ménage.

 

Maintenant venons-en aux faits: il y a deux ou trois ans, les prestigieuses Presses Universitaires de France (PUF) demandent à un groupe d'universitaires de produire un ouvrage sur les dérives engendrées par le wokisme dans la recherche universitaire. L'ouvrage, dirigé par Xavier-Laurent Salvador, Pierre Vermeren (historien spécialiste du Maghreb) et Emmanuelle Hénin (spécialiste de littérature française du XVII° siècle), est terminé au début de cette année 2025. Il a pour titre Face à l'obscurantisme woke. Et là, ô surprise, les PUF changent d'avis et décident de ne pas publier l'ouvrage, du moins pas pour le moment. Motif? "Nous estimons que les conditions nécessaires à un accueil serein de ce livre collectif ne sont plus réunies aujourd'hui [...]" [3]. Je dois dire que ce genre d'argument me plonge dans un abîme de perplexité. Personne ne s'offusque que des ouvrages sur l'islamisme paraissent après un attentat. Personne ne crie au scandale lorsque des brûlots ou des "politiques-fictions" anti-RN sont publiés à la veille des élections présidentielles. Mais faire paraître un ouvrage critique du wokisme quelques semaines après l'intronisation de Donald Trump, ça, non, ce n'est pas possible. C'est un crime de lèse-majesté intellectuelle. Que dis-je, c'est un acte de collaboration, n'ayons pas peur des mots, alors que la Bête immonde pointe son mufle fétide à notre fenêtre. Autrefois, le travail des universitaires était de décrire et comprendre le monde, en tenant compte le moins possible de l'air du temps. Aujourd'hui, la mission des universitaires est claire: protéger un courant de pensée qui manifestement sert les intérêts d'une certaine catégorie sociale, de tout un petit monde de cultureux, de pseudo-scientifiques, de journalistes, d'artistes et de politiciens. Il ne faudrait surtout pas montrer à tout le monde à quoi sert l'argent public dédié à la recherche. Imaginez un instant que les Français s'aperçoivent que leurs impôts financent des travaux ouvertement racialistes comme ceux de Maboula Soumahoro et quelques autres. De quoi vivraient ces prédicateurs et ces idéologues si on leur coupait leurs crédits?

 

Il est très intéressant de noter que le principal argument des PUF ne concerne pas le contenu de l'ouvrage (que personne ou presque n'a eu le temps de lire en-dehors de l'éditeur lui-même) mais le contexte. Il faut tout de même mesurer jusqu'où peut nous entraîner une telle logique, et combien d'ouvrages majeurs n'auraient jamais été publiés si l'on suit ce principe. Seulement, les censeurs ont bien senti que ce seul argument allait soulever un tollé. Alors il fallait aller plus loin et susciter la suspicion d'accointances inavouables avec la Bête immonde. Et par conséquent, les PUF ont découvert qu'un certain nombre d'auteurs (combien exactement? quelle proportion? mystère) de l'ouvrage sont membres de l'Observatoire d'éthique universitaire que j'évoquais ci-dessus, et que ledit Observatoire a reçu des financements du "Projet Périclès" lui-même alimenté par le "milliardaire français catholique" - ce qu'on peut quasiment traduire par "affreux réactionnaire néo-nazi" dans le langage progressiste - Pierre-Edouard Stérin. Bref, c'est un peu comme si on nous disait que le neveu d'un des auteurs est allé à l'école avec une personne dont le grand-père a été Waffen SS. Je relève d'ailleurs que le fait que Maboula Soumahoro ait en 2016 participé à un "camp d'été décolonial" puis ait signé une tribune de soutien à l'ineffable Houria Bouteldja, laquelle tient des propos racistes depuis de longues années, ne semble pas gêner grand-monde. De même le fait que Mme Soumahoro ait noté en exergue de sa thèse, soutenue le 30 juin 2008 à l'université François Rabelais de Tours et intitulée La Couleur de Dieu? Regards croisés sur la nation d'islam et le rastafarisme 1930-1950, les mots suivants: "A mon Père. A mon Oncle. A Bouna et Zyed. Pour ma Mère et mon sang."[4] Oui, vous ne rêvez pas: "pour mon sang", qu'on peut interpréter comme une expression de fierté raciale et tribale assumée, placée très naturellement en ouverture d'un travail universitaire consacré à des mouvements identitaires afro. On imagine ce qui serait arrivé à un historien blanc qui aurait placé les mêmes mots en tête d'une thèse consacrée au Ku Klux Klan et au suprémacisme blanc... Franchement, comment accorder le moindre crédit à un travail qui, d'emblée, se place sous le signe d'une telle idéologie? 

 

Peu importe qu'aucun des auteurs de Face à l'obscurantisme woke n'ait été rétribué directement par Pierre-Edouard Stérin. Peu importe que tous les auteurs ne soient pas nécessairement membres de l'Observatoire d'éthique universitaire. Peu importe que l'ouvrage lui-même soit une commande des PUF. L'article de France Info distille subtilement l'idée que, finalement, le livre a été écrit sous les auspices de M. Stérin. Mais l'affaire ne s'arrête pas là. On aurait pu espérer que quelques grands noms de l'université lèvent la voix pour défendre le travail de leurs collègues, ne serait-ce que par attachement au débat académique. Las! Le très médiatique Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France, celui-là même qui a été un des maîtres d'oeuvre de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques, a publiquement approuvé la censure, traitant même d' "idiots utiles" les auteurs de l'ouvrage, au cours d'une conférence ou d'un colloque apparemment consacré à la liberté d'expression! Insulter les chrétiens en faisant singer la Cène par des drag queens, c'est défendre la liberté. Rédiger un ouvrage universitaire sur les dérives du wokisme, c'est soutenir le fascisme et le trumpisme. Il y a décidément quelque chose de pourri à l'université française [5].  

 

Dans un de mes précédents articles, j'imaginais la partition de la France, tant le pays me paraît aujourd'hui traversé par des clivages insurmontables. J'avais conçu ce texte comme un exercice de pensée. Je dois dire que je m'interroge. Est-il encore raisonnable de vouloir cohabiter avec la gauche "progressiste"? Ces adeptes de la "Nouvelle France" ont-ils finalement un autre projet qu'anéantir et effacer les héritiers de l'Ancienne France? Au bout du compte, la sécession est peut-être une solution à envisager.  

 

[1] Le personnage, néanmoins, ne parvient pas à m'être totalement antipathique. Je le crois beaucoup plus intelligent, et même beaucoup plus fin que ce que les bienpensants s'imaginent. Ainsi que je l'avais écrit au terme de son premier mandat, je pense que ses électeurs valent mieux que la caricature qu'en font les élites "progressistes". J. D. Vance, le vice-président, semble aussi être un homme intéressant. Je dois dire que le discours qu'il a tenu aux Européens, en tendant à nos élites un miroir de vérité, m'a beaucoup impressionné. J'ai également apprécié qu'il ait le courage de dire que l'annulation de l'élection présidentielle en Roumanie reposait sur des éléments pour le moins discutables, et sa remarque sur le fait qu'une démocratie que destabiliseraient quelques centaines de milliers de dollars de propagande sur les réseaux sociaux devait être bien fragile à la base était magistrale. Je n'ai hélas pas le temps de développer ce sujet, mais fidèle à l'idée d'une "solidarité latine" qui nous unit entre autres à la Roumanie, principale composante de la latinité orientale, je partage largement l'indignation des patriotes roumains devant ce qui apparaît comme un déni de démocratie, réalisé au nom de la liberté! 

 

[2] Je n'ai guère de sympathie pour le personnage même si j'ai du mal à me faire une opinion tranchée. Pascal Boniface a bel et bien été victime d'une sorte de "chasse aux sorcières" pour avoir tenu un discours critique sur la politique israélienne, mais je trouve qu'il tire prétexte de cela pour se poser en victime de persécutions aussi injustes que permanentes. Je me rappelle de ses récriminations contre France Culture au motif qu'il estimait être "blacklisté" par la station. Pour moi, le discours et les analyses de Pascal Boniface vont dans le sens voulu par les islamogauchistes, à savoir une indulgence extrême et un accommodement candide avec un islam en phase de raidissement. La preuve en est que Boniface déroule le tapis rouge à Edwy Plenel, un homme prêt à toutes les compromissions pour défendre les musulmans et la cause palestinienne.

 

[3] Je m'appuie sur cet article paru sur le site de France Info.

 

[4] La thèse est consultable en intégralité grâce à un lien sur la fiche Wikipédia de Maboula Soumahoro. L'intitulé même de la thèse pose problème, car il s'agit d'un travail d'histoire contemporaine dirigé et validé par des enseignants de langue. Mme Soumahoro elle-même est titulaire d'un CAPES d'anglais, c'est-à-dire que sa compétence universitaire lui permet d'enseigner l'anglais à des élèves du secondaire, rien de plus. La thèse date de 2008 et témoigne du fait que les départements de "langue et civilisation anglaises" ont probablement été précurseurs dans l'introduction des thèses décoloniales et "wokes" à l'université française.

 

[5] Mieux vaut en rire... tant qu'on en a le droit.



16/03/2025
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